L'homme de l'avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue. (pv N. August Wojnarowski) TERMINE

August se sentit tout de suite bien moins mal lorsque la jeune femme prit la parole pour lui raconter son parcours, le chemin emprunté depuis qu’elle était partie de la réserve pour ses études. Il se sentait moins coupable, oui, parce qu’il voyait dans son regard et dans la tonalité de sa voix à quel point elle aimait parler de sa tribu. À quel point elle en était fière. C’était beau à voir. August en aurait beaucoup à apprendre d’elle, et sans doute que ses élèves du lycée aussi – d’où la proposition qui ne tarderait pas à venir. « Je ne suis jamais vraiment partie, je fais toujours partie intégrante du groupe mais, pour répondre à votre question, je suis partie en Angleterre pour faire mes études de lycée. Mais je rentre très souvent chez moi, j'aime passer les fêtes et les différents rites avec eux ... » August aurait adoré en entendre davantage sur les rites dont elle parlait, mais elle s’était stoppée net, comme si elle se retenait dans son élan pour une raison quelconque. Connaissant bien sûr le cercle fermé de certaines tribus, August décida de ne pas insister. Peut-être qu’il aurait la chance d’en entendre parler une autre fois. « Comptez-vous retourner travailler dans la réserve, après vos études ? » Ce qui encore une fois lui permettrait de mieux cibler où elle désirait se spécialiser, se former davantage. Après tout, un historien de formation n’avait peut-être pas forcément sa place sur une réserve, mis à part pour y faire ses recherches. Mais comme la jeune femme provenait de l’endroit, cela s’y prêtait sans doute un peu moins. Par contre, pour l’enseignement, les réserves avaient une grande demande au niveau des professeurs. Ce serait l’occasion rêvée de joindre sa passion à sa famille, à sa culture. Mais August partait dans ses pensées et ne voulait pas s’immiscer dans les choix de vie de la jeune femme, même si elle l’avait invité à le faire. Il gardait une certaine retenue.

Le professeur parla des avenues qui se présentaient à elle, autant en lien avec celles que lui avait décidé de prendre que toutes les autres qui existaient. Il ne manqua pas de proposer la voie de l’enseignement à la brunette, trouvant qu’elle avait une belle manière de transmettre sa passion. À ses yeux, c’était la qualité manquante à trop d’enseignants : la passion. « Et bien, je vais y réfléchir et voir si, j'ai vraiment une âme de professeur...Si vous abordé les tribus dans l'un de vos cours, je pourrais peut-être intervenir en tant que fille Arapahos, ça pourrait déjà être un premier pas pour moi et ensuite je verrais ... J'avoue que les gens en général, me stressent un peu, je suis plus douée en compagnie des livres que des êtres humains qui ont une façon complexe de communiquer. » August rit aussi de bon cœur à cette remarque. Il était vrai que certaines personnes avaient plus de mal que d’autres à entrer en contact avec l’humain, l’autre. De son côté, le professeur d’histoire avait une grande facilité à s’ouvrir au monde, et à amener le monde à s’ouvrir à lui. Tout comme il le faisait présentement avec la jeune femme. Il savait mettre les gens à l’aise, lancer et relancer la conversation, se montrer humain plus que n’importe qui. « Je suis certain que mes élèves adoreraient une telle conférence. Ils en ont sans doute ras-le-bol de ne m’entendre que moi. » Blagua-t-il en riant. Il sortit finalement son petit agenda qu’il ouvrit à la page de la semaine, et tendit un crayon à la jeune universitaire. « Vous pourriez me laisser votre prénom et votre adresse courriel ? Je pourrais communiquer avec vous à voir si cette conférence pourrait avoir lieu, selon vos envies et vos disponibilités. » Elle avait tous les droits du monde de refuser, par après, de donner cette conférence. Au moins, il aurait essayé.

Chaque question de la part d’August semblait prendre au dépourvu la jeune étudiante. Il en était plutôt déstabilisé, mais pas d’une façon négative. C’était bien si elle se gardait toutes les portes ouvertes, toutes les options bien alignées devant elle. Elle avait le monde à sa portée, à son âge et avec ses rêves. Elle pouvait faire ce qu’elle désirait de sa vie. August était toutefois légèrement surpris parce que lui, lorsqu’il était à l’université à la même période de sa vie que celle que la brunette vivait en ce moment, il avait son chemin tout tracé dans sa tête. Comme s’il n’avait qu’une seule voie à prendre, une seule possibilité. Il avait la certitude que l’enseignement était le choix qu’il lui fallait. Il avait même beau être en Autriche au moment de ses apprentissages, August savait pertinemment que ce serait en Australie qu’il pratiquerait un jour. D’ailleurs, tout s’était produit exactement comme il l’avait imaginé. Aucune surprise pour qui que ce soit. « Honnêtement, je ne sais pas, je crois surtout que je vais là où le vent me porte et je m'arrêterais lorsqu'un pays pourra m'offrir ce dont j'ai besoin. » C’était beau, comme façon de se laisser porter par la vie. Parfois, le fait de tout calculer, de trop calculer, pouvait mener à des déceptions. August avait eu la chance de ne jamais frapper de mur, mais ce n’était jamais pareil pour tout le monde. La jeune universitaire faisait bien de se garder autant de libertés quant à son futur. Elle en ressortirait gagnante. « J’aime votre façon de penser. Savez-vous déjà précisément ce dont vous avez besoin ou bien le ressentirez-vous, quand vous serez comblée ? » August adorait creuser un peu plus, favoriser les réflexions profondes. Il savait fort bien que le temps filait et qu’il ne pourrait monopoliser le temps de la jeune femme encore longtemps, mais c’était plus fort que lui.

Ce ne fut que quelques minutes plus tard qu’il eut l’idée de prendre en note l’adresse courriel de la jeune femme, afin de la recontacter plus tard. Autant concernant la conférence dont ils avaient vaguement parlé que pour tout simplement prendre de ses nouvelles, ou engager une reprise de discussion là où ils l’auraient laissée ce midi. « Je suis sûre que vos élèves doivent être captivés, vous avez l'air d'être un enseignant comme on en voit rarement … Je suis sûre que dans vos classes la plupart des élèves apprécient l'histoire. Car à mon sens, ce n'est pas tout d'être calé techniquement, il faut aussi être un bon conteur. L'histoire se vit ou se raconte mais, je trouve qu'en aucun cas, il ne s'écrit. Bon bien entendu il faut prendre des notes mais, personnellement, je mets un point d'honneur à prendre des livres qui se lisent comme des histoires. » Il fut flatté des compliments, et touché par les paroles d’Haley – il savait maintenant son nom grâce à son inscription dans son agenda – à propos de sa vision de l’apprentissage de l’histoire. « C’est gentil, Haley. Et je suis d’accord avec vous pour le reste. » August cessa de parler, un sourire aux lèvres, parce qu’il avait comme cette impression que la brunette était ailleurs, dans ses pensées. Elle ne faisait que fixer le diaporama, un mince sourire sur le visage, songeuse. August pencha la tête vers elle, essayant de la sortir de sa bulle même s’il aurait sans doute dû la laisser divaguer quelques secondes de plus, peu importe là où elle était. « Excusez-moi j'étais partie dans mes pensées. Vous êtes venu à l'histoire comment ? » Reprit-elle sans perdre une seconde. August sourit, croisant ses bras de nouveau contre lui-même, puis haussa les épaules. « Ça a été un peu comme … une évidence. Au lycée, c’était ma matière préférée. Et puis, comme j’étais natif d’Australie mais que je vivais en Autriche, j’avais toujours ce besoin d’aller lire sur l’endroit d’où je provenais. C’est de là que m’est venu mon amour pour l’histoire australienne, parce que je la trouve riche. » Expliqua-t-il, déçu de ne pas pouvoir lui réciter son illumination face à l’histoire. En même temps, c’était la vérité, son amour pour l’histoire s’était infiltré en lui sans prévenir. Le professeur consulta finalement sa montre. « Je ne voudrais pas vous retarder dans votre heure de repas. » Releva-t-il, fermant l’ordinateur et regardant Haley avec un sourire, encore et toujours.

Des paroles sages, l’une après l’autre. À croire que cette jeune femme avait une vieille âme qui en avait déjà bien traversé, des épreuves, des combats et qui en avait, de l’expérience. "Je pense que les choses viendront petit à petit...La vie m'indiquera où est réellement ma vie dans ce monde et ce que je dois entreprendre pour m'épanouir et être utile...Même à petite échelle...Parfois, on se complique trop la vie alors que la réponse est à nos pieds et qu'il suffit juste d'avancer pour trouver la réponse." August hocha la tête. Si tout le monde pouvait penser de cette façon, les gens vivraient sur un rythme bien moins effréné qui créait une anxiété généralisée au sein de la société. Bref, le professeur d’histoire raconta à l’universitaire comment l’histoire s’était présentée à lui. Tout en douceur, comme une évidence. Cependant, après ses explications qui lui donnaient trop l’impression d’être mis sur un piédestal, lui qui n’était qu’un humain parmi tant d’autres avec son parcours, August consulta l’heure et réalisa que l’heure du lunch passait plus vite que prévu. Lui n’était pas pressé, mais peut-être que la jeune femme l’était. De toute façon, maintenant qu’il avait toutes ses informations nécessaires pour la contacter, rien ne les empêchait de se revoir pour discuter plus amplement. De tout, de rien. "Oh non ne vous inquiétez pas, y a pas de soucis...Enfin, je devrais surement vous laissez ranger vos affaires." August hocha la tête avec un sourire. Il ne savait pas si Haley aurait préféré rester ou partir mais, ne voulant pas la retenir juste parce qu’elle voulait faire preuve de politesse, il acquiesça. « Je vous recontacterai sans faute. » Il tendit sa main vers Haley. « Ce fut un plaisir de vous rencontrer. » Il serra sa main avec un sourire. « Bonne journée ! Et à bientôt ! » Quand la demoiselle eut quitté l’amphithéâtre, August termina effectivement de ranger ses documents de la conférence et quitta l’université.