bad blood (béré)

j'm'en veux trop, d'avoir été aussi con. j'ai souffert, je souffrais énormément, ok, mais c'est pas une excuse pour l'avoir fait souffrir avec moi, au passage. j'aurais pas dû, et j'regrette vraiment. encore plus que d'avoir profité de son état l'autre fois, encore plus que de lui avoir rien dit. j'regrette à mort et j'voudrais me racheter, au moins sur ça, même si ça va rien réparer, même si ça ramènera rien. j'vais au moins essayer. j'vais jusqu'à l'université, sur mon skate, j'ai l'air d'un con, mais j'suis plus à ça près de toute façon. j'arrache quelques jolies fleurs sur le chemin, celles qui sont pas trop fanées, et les attache avec un brin d'herbe. j'aurais bien voulu lui prendre un vrai bouquet pour vraiment me faire pardonner, mais la vie est dure, et j'ai franchement pas un rond. j'espère qu'elle aime bien le dicton qui dit que c'est l'intention qui compte. je me poste devant son bâtiment, déjà renseigné de ses horaires, et j'attends comme un con, j'attends qu'elle sorte, en espérant qu'elle passe bien par là. allez béré, apparais, j'suis désolé.

je l'attends depuis peut-être trop longtemps, c'est long, c'est incroyablement long. mais dès qu'elle apparait, qu'elle sort, mon coeur bat tout à coup la chamade, il s'emballe comme un idiot, tout content de la voir arriver. je déchante vite quand je vois un bras autour de ses épaules, un gars au bout du bras, qui rit, et elle qui rit en écho. j'en ai mal au coeur, l'estomac trop tordu. j'ai envie de vomir et j'me sens ridicule avec mes fleurs toutes pourries dans ma main. l'abruti, j'y ai cru, l'espace d'un instant. j'y ai vraiment cru. comme si c'était possible. j'hésite entre jeter le bouquet minable au sol et repartir, mon skate sous le bras, ou bien aller le frapper, ce gars, le frapper jusqu'à ce qu'il finisse à terre, et on sait tous qu'il ferait pas le poids. j'hésite, j'hésite vraiment pas mal. j'finis par mélanger les deux, avancer vers eux, jeter les fleurs par terre, un peu haineux, je serre les poings, serre les deux. - salut.. béré.. je.. peux te parler?.. toi, tu peux dégager? j'lui jette un regard noir. casse-toi, tout de suite. béré est à moi, vire tes sales pattes de là. - en privé.

j'suis satisfait et soulagé qu'il s'en aille sans rien dire. en vrai, j'ai pas vraiment envie de me battre, moi. mais si j'y suis contraint, ça me dérange pas, vraiment pas. je le remettrais à sa place sans aucun soucis s'il le fallait. mais il est sage et compréhensif, et il nous laisse. heureusement. puis bérénice me regarde sans même un sourire. j'suis hyper mal à l'aise tout à coup, j'sais plus quoi dire, j'sais plus quoi faire, j'sais même plus quoi penser. - ben.. c'est pas un peu évident, ce que je veux? je regrette un peu d'avoir jeté les fleurs, elles doivent être piétinées, maintenant. j'suis persuadé que ça lui aurait plu. je reste un moment en silence, perdu dans son regard froidement neutre, qui me glace le sang. - je voulais juste.. tu sais.. m'excuser pour.. pour la dernière fois.. de.. tu sais.. maintenant que j'arrive à parler, j'bégaye comme un idiot. tu sais, j'voulais m'excuser de t'avoir dégagée comme ça, d'avoir été désagréable avec toi. j'voulais m'excuser d'être un con et j'voulais m'excuser de t'aimer.

non tu comprends pas, t'y es pour rien. même si t'avais appelé, même si tu m'avais prévenu, ça aurait rien changé. j'aurais même pas répondu à ton appel de toute façon. oublie pas. moi j'réponds pas. ni aux messages, ni aux appels, ni à rien du tout. j'suis un sauvage. j'aime personne, et ça tombe bien, personne ne m'aime vraiment. par contre, ça, t'as raison. t'aurais pas dû faire ça, t'aurais pas dû m'embrasser. de toute façon, prévenu ou pas, t'aurais juste dû rester chez toi, t'aurais jamais dû venir. j'hausse juste les épaules. puis elle sourit, et j'me laisserais presque envoûter, si je la connaissais pas assez pour savoir que c'est du faux, tout ça. une façade de pacotille. ça marcherait presque. - j'sais pas trop si.. j'sais pas trop si c'est une bonne idée, tu sais. j'ai faim, bien sûr que j'ai faim, tu me connais, j'ai tout le temps faim. allez, c'est bon cam, laisse-toi aller. - ben.. si tu veux, ok. j'te suis. je sors mon paquet, m'allume une cigarette, et profite de cet instant pour respirer, mon regard enfin éloigné du sien, enivrant.

ah non j't'en prie, béré, commence pas à râler, à rechigner, à essayer de me faire la morale. je souffle, et continue de fumer, peu importe ce qu'elle dira. c'est bon, j'ai pas besoin de ça. c'est de ma dose de nicotine dont j'ai besoin, pour me détendre, un peu. de toute façon, tu peux rien m'dire, j'crois bien que tout est déjà mort entre nous. tu veux sans doute ramasser les morceaux en me proposant d'aller manger, mais tu ne pourras plus les recoller. - plein de choses, notamment que je finirais avec un cancer, et j'suis d'accord avec l'idée. j'aurais qu'à en avoir un de cancer, même généralisé, et en crever. j'm'en fous un peu, là, tu vois. j'attrape ma planche sous le bras et la suis, sagement. elle a déjà l'air de savoir où elle veut aller, de toute façon. - des sushis?.. pourquoi pas, oui, bien sûr. j'dois avoir de quoi m'en payer un, de sushi, avec ce que j'ai dans mon portefeuille. ou bien un verre d'eau. c'est gratuit au moins. mais ça lui fait plaisir, alors je dis oui.

je la suis encore, finis ma clope juste à temps avant d'entrer, et j'me sens pas du tout à ma place, étrangement. ni à ma place dans un restaurant, ni à ma place auprès d'elle, quand bien même j'en ai rêvé depuis des dizaines de jours. j'me sens mal à l'aise, inconfortable. je m'installe quand même, en face d'elle, ma planche près de moi, une jambe croisée sous mes fesses pour essayer de me sentir plus à l'aise, ou au moins faire croire que je le suis. c'est tellement loin d'être le cas. elle regarde le menu, moi j'ose pas. j'ai trop peur de voir les prix, j'ai trop peur d'avoir honte devant elle. j'ai déjà honte, de toute façon. j'ai honte d'être pauvre. si j'arrive à me débrouiller, pour pouvoir avoir des sushis à l'oeil, ça j'sais pas faire. du moins j'ai pas encore tenté. - ben.. tu sais, la routine, quoi.. j'hausse les épaules. j'arrive pas à croire qu'en un mois, j'ai rien de palpitant à lui raconter. la preuve que j'ai une sacrée vie de merde, qui au final ne tourne qu'autour de mes pensées pour elle. - toi t'as sans doute des tas de trucs à me dire? avec des tas de mecs qui te tournent autour, tout c'que j'veux pas savoir.

ah oui béré, t'as fait ça, toi? t'as fait des rencontres? vas-y, je t'en prie, explique un peu, raconte un peu. t'as rencontré qui, quand, comment, où, et pourquoi? dis-moi un peu comment ça s'est passé, dis-moi un peu ce que ça a donné. dis-moi si tu les as embrassé, ces garçons, dis-moi si t'as couché avec, dis-moi si je dois être jaloux ou pas. n'essaye pas de me faire croire que t'as rencontré des filles, je ne te croirais même pas. tu l'aurais mentionné différemment, si ça avait été le cas. allez, dis-moi tout. moi j'ose pas demander. j'ose à peine ouvrir la bouche quand le serveur vient prendre nos commandes. de l'eau, oui de l'eau ça sera bien pour mes lèvres sèches. elle va être mignonne bérénice, elle, avec sa grenadine. elle est tout le temps mignonne, de toute façon. tellement mignonne, que je baisse les yeux, à force de trop la regarder. et comme si ça ne suffisait pas, je les baisse encore quand elle me dit que je lui ai manqué. j'hoche la tête. - ah ouais?.. j'suis désolé.. j'vais prendre cette habitude maintenant, de m'excuser pour tout ce qu'elle dira me concernant, nous concernant. j'suis prêt à prendre la culpabilité pour tout ce qui surviendra. oui, toi aussi tu m'as manqué, bérénice. mais pas comme moi je t'ai manqué. j'inspire un grand coup. - toi aussi.. tu me manques. je passe mes doigts sur son poignet, sur lequel elle n'est pas appuyée. tu vois, toi tu m'as pas manqué, tu me manques encore. j'ai pas le sentiment qu'on se soit retrouvés, j'ai pas le sentiment qu'on puisse un jour.

j'en reviens pas, à quel point elle est belle, là, béré. elle est superbe avec ses cheveux un peu décoiffés et ses joues roses. elle est sublime, j'voudrais ne jamais là quitter du regard, qu'elle ne parte jamais de mon champ de vision. jamais, jamais, jamais. je garde mes doigts sur sa peau qui se déplacent doucement, la gorge un peu nouée et le regard fixe. j'ignore complètement le serveur et nos verres, je ne le remercie pas, je ne touche pas à mon eau. je n'ai pas soif, seulement de bérénice et des ses lèvres sur les miennes, ou tout au moins, ses lèvres sur ma joue. au moins ça, si ce n'est plus. - je te jure que c'est vrai.. t'en as même aucune idée, t'as aucune idée de ce que le manque de toi me fait comme effet. ça me pourrit de l'intérieur. c'est pas nouveau, j'suis un gars tout moisi. - c'est juste que.. léger soupir. - pour l'instant.. j'suis plus moi-même et j'crois pas que j'arriverais à le redevenir en restant près de toi.. t'aimer m'a tellement fait changer. j'suis même plus certain de redevenir vraiment moi un jour. - tu comprends? j'parle doucement, comme si je confiais un secret.