haley&noah ◊ bookworms' paradise - TERMINÉ

La semaine avait été rude, et honnêtement, une partie de moi avait aimé cela. Être très occupé au travail, avec de nombreux dossiers à conclure rapidement et des coups de pression occasionnels, m'avait permis de ne penser à rien d'autre que le travail, justement. Pas de temps pour songer aux relations passées, aux actes mal commis. Aucune seconde autorisée à me prendre la tête sur quoi que ce soit dans le volet de ma vie personnelle, en tout cas, pas sur mon lieu de travail. Et bien heureusement, généralement, lorsque j'arrivais chez moi plutôt tard le soir, je me contentais d'avaler un repas rapidement, m'occupais de Rosie et m'écroulais dans mon lit jusqu'au lendemain matin. Certes, il fallait l'avouer, cette charge de travail s'était aussi fait ressentir physiquement. Je m'en voulais, à vingt-six ans, de pas être capable de tenir le rythme aussi solidement que je le souhaitais. Mais je savais aussi qu'il fallait que je prenne mon mal en patience. J'étais arrivé à Bowen il y avait maintenant plus d'un mois, et à l'époque, ma résistance physique était plutôt misérable. Ça avait composé un drôle de choc, de prendre conscience que je n'allais pas aussi bien que je me l'étais persuadé. Que j'avais accumulé énormément de fatigue et emmagasiné assez de coups durs pour n'être tout simplement pas du tout en forme. Au fil des semaines, j'avais récupéré des forces, mais je pouvais difficilement dire que j'étais dans mon état normal. Surtout cette semaine, où j'avais même intrigué plusieurs collègues en masquant les étourdissements qui me happaient à l'improviste.

Mais le week-end était arrivé. Nous étions samedi, et aujourd'hui était organisé la bouquinade de l'année à ne pas manquer pour lecteurs avérés. J'avais contacté Haley quelques jours plus tôt pour lui donner l'heure, le jour et le lieu de l'événement, comme je le lui avais promis lorsque nous nous étions rencontrés. Peu après lui avoir livré ces informations, nous avions décidés que nous allions nous y rendre ensemble, et comme ça, je lui permettais aussi un transport gratuit vers la salle où l'activité prenait place. Il était donc dix heures du matin. Je portais encore la fatigue de la semaine sur mes traits tirés et j'avais enfilé ce que j'appelais mes vêtements du week-end. C'est-à-dire, une paire de jeans, un t-shirt, et un coupe-vent noir. Je toquais à la porte de l'appartement que la jeune femme partageait avec sa meilleure amie, attendant patiemment.

Il ne fallut que quelques dizaines de secondes pour que la porte de l'appartement que Haley partageait avec Karma ne s'ouvre devant moi. Je reconnus la silhouette de l'étudiante en histoire, un café entre les mains. « Ça va, et toi ? » répondis-je machinalement. Cela faisait plus d'une heure que j'étais debout, mais j'avais toujours l'impression d'avoir du mal à me réveiller totalement, si bien que j'acceptais avec grand plaisir la tasse de café qu'elle me proposait. « Ça ne sera pas de refus. » Je la suivais dans l'appartement, qui ressemblait beaucoup au mien. Ce n'avait rien de très surprenant, généralement, dans ce genre d'immeuble résidentiel, un plan faisait tous les étages. Ils ne perdaient pas de temps à innover à chaque pièce. « Merci. » répondis-je lorsqu'elle me tendit une tasse, que je portais presque aussitôt à mes lèvres, bien que le café était bouillant. J'avais tellement l'habitude de boire mes boissons très chaudes que ça ne me faisait plus rien, tandis que d'autres devaient attendre plusieurs minutes avant de prendre leur première gorgée. Je m'installais à une des chaises de la table devant Haley, ouvrant mon coupe-vent sans le retirer pour l'instant. « Alors, tu as passé une bonne semaine ? » interrogeais-je, déposant la tasse sur la nappe de la table. « Tu devrais avoir des vacances bientôt, non ? » A moins que ce n'était pas avant la fin de l'année maintenant, afin de fêter Noël et le Nouvel An.

Je conservais la tasse de café entre mes mains, la chaleur se répandant contre mes paumes. Le sang australien coulait sans aucun doute dans mes veines, vu comment je n'avais aucun problème à supporter la chaleur, et appréciais celle-ci. « Tu n'aimes pas ta routine ? » interrogeais-je, curieux, avant de saisir un des petits biscuits qu'elle me proposait. Je souris lorsqu'elle me dit avoir croisé Rosie à plusieurs reprises dans l'immeuble, et répliquais quant à ma semaine : « Oui, c'était plutôt la folie au boulot. Mais j'aime ça, je ne vois pas le temps passer. » Même si c'était exténuant en bout de ligne. Je retirais mon coupe-vent que je posais contre le dossier de la chaise, écoutant Haley m'expliquer qu'elle s'était rendue avec son patron dans sa tribu lors des vacances d'automne et qu'elle ignorait encore ce qu'elle allait faire des prochaines vacances, surtout qu'il fallait effectuer un sacré trajet pour se rendre dans sa famille. « Ton patron, c'est celui qui fait le film, c'est ça ? » interrogeais-je, portant à nouveau la tasse à mes lèvres. « C'est clair que vingt-deux heures, il faut être motivé » commentai-je, un fin sourire compatissant étirant mes lèvres. J'apposais à nouveau la tasse entre mes mains sur la table en entendant Haley me retourner ma question. Les vacances, c'était un peu moi qui décidais de quand je les désirais, et après, je devais avoir l'autorisation de mon supérieur pour pouvoir partir en congé. « Mh, je ne sais pas trop. Je vais sans doute prendre une semaine dans les environs de Noël, mais j'attends de voir ce que vont faire mes collègues. La plupart sont parents, donc je préfère les laisser poser leur congé d'abord selon comment ils pourront plus profiter de leurs enfants et m'adapter à leurs choix, vu que moi, j'ai personne vraiment qui m'attend à la maison. » J'avais certes Rosie, mais je doutais fortement que mon chat se fasse du souci par rapport à Noël. De plus, j'avais jamais vraiment aimé les fêtes de fin d'année. « Et puis, j'ai jamais trop aimé Noël. » avouai-je, avant de poser mon avant-bras sur mon genou, me rendant compte que j'étais en t-shirt et que j'exposais les plaies sur mon bras, ce qui n'était pas forcément une vue agréable pour Haley. Au travail, je portais toujours des chemises, alors je ne me posais plus la question, c'est pour cela que ça m'avait sorti de la tête ce week-end quand j'avais attrapé mon t-shirt pour le revêtir.

Je demeurais songeur lorsque Haley me confirma que le patron qu'elle avait emmené dans sa tribu était bien l'homme qu'elle aidait pour réaliser son film. Il avait vraiment des moyens, et avait eu beaucoup de chance pour être accueilli dans la tribu de la jeune femme afin de réaliser son métrage. Je me demandais s'il avait offert quelque chose en compensation ou avais juste profité du fait que Haley était membre pour obtenir un passe-droit. « Il a eu beaucoup de chance de t'avoir rencontrée pour pouvoir aller directement dans un tribu. » annonçais-je, avant que la conversation ne s'oriente vers les vacances et les fêtes de fin d'année. Je souris doucement lorsqu'elle me dit qu'elle avait imaginé que je fêterai Noël avec ma famille. « Oh, j'imagine que ce sera le cas, au moins pour le repas du soir. Mais ce n'est pas quelque chose qui me tracasse particulièrement. » Après, ça ne me dérangeait pas du tout de travailler le jour de Noël, ou le 24. Je l'avais déjà fait, et même pour le 31 décembre je pouvais être au bureau sans problème. Le seul inconvénient c'est qu'il y avait quasiment personne donc c'était plutôt ennuyant. Mais je ne détenais aucune rancœur face au fait de ne pas être avec ma famille dans ces moments-là.

Je ne pus m'empêcher d'afficher une mine surprise lorsque Haley me demanda ce qui était arrivé à mon bras. Je me mordais l'intérieur de la joue, baissant les yeux sur mon avant-bras. Je n'avais franchement pas été malin sur ce coup-là, mais je pensais vraiment que ça passerait assez inaperçu. Après, il était vrai que la blessure n'était pas belle en soit, simplement, le fait qu'elle avait été bien pire me faisait croire qu'elle était presque discrète. Ce qui était faux. J'avais des plaies qui partaient du poignet à mon coude, plutôt profondes. Elles ne suivaient aucune règle, vu que je les avais commises en fracassant mon bras à plusieurs reprises. Mais ça, je préférais ne pas le dévoiler à Haley, qui me prendrait pour un sociopathe si elle le savait. Néanmoins, je ne pus m'empêcher de me demander si ça se voyait, que c'était une blessure faite par exemple pendant une bagarre ou un accident, ou qu'on pouvait facilement deviner que c'était quelque chose que je m'étais fait moi-même dans un instant de détresse. « J'ai eu un problème au bar. » répondis-je, sachant que plus de temps je prenais à répondre à l'étudiante, plus ça paraîtra suspect. J'avais dû aller aux urgences car je m'étais salement amoché, et j'avais bien dû rester là-bas une trentaine de minutes le temps que l'infirmière de service nettoie les plaies et fasse en sorte qu'elle arrête de saigner. Étrangement, elle ne m'avait pas jugé sur le coup. Mais j'imagine qu'avec ce genre de métier, on ne s'étonne plus de rien. En revanche, il est vrai que je n'avais pas été très futé en ne retournant pas la voir comment elle me l'avait demandé, pour qu'elle vérifie que les plaies soient toujours nettes et saines. Dans ma tête, du moment que mon bras fonctionnait encore, ça allait.

Interloqué, je suivis du regard Haley qui se rendit vers une autre des pièces de l'appartement, que je déduisais comme étant une salle de bain. Elle avait eu l'air légèrement sceptique lorsque je lui avais avoué que j'avais eu un problème au bar - ou alors, je me faisais simplement des idées. D'un côté, je ne lui avais pas menti. Ma mésaventure s'était réellement produite au Elm Street. Toutefois, je ne m'imaginais pas du tout lui raconter l'intégralité de l'histoire. Cette version succincte me paraissait être l'idéale. L'étudiante revint vers moi sur cette conclusion, un pot en verre entre les mains. Elle tirait une chaise à mes côtés, saisissant mon bras blessé qu'elle déposait sur ses genoux. L'espace d'un instant, je me sentais étrangement dévoilé, bien que le regard de la jeune femme se concentrait sur l'ouverture du pot de verre. Elle m'expliquait qu'il s'agissait de plantain ainsi que les facultés médicinales de ce dernier. Je souris doucement, lui répliquant : « Le pied de l'homme blanc. » Je savais que c'était comment certains amérindiens nommaient cette plante. « J'en buvais quand j'étais plus jeune. » lui annonçais-je, tout en suivant du regard le mouvement de ses mains sur mes plaies. Après s'être assurée que chaque plaie était recouverte, elle apposait une bande autour de mon bras, consolidant le soin. La nature regorgeait de solutions à nos maux, je pouvais difficilement la contredire là-dessus. Surtout que je connaissais le plantain comme plante capable de réduire les inflammations et assainir les infections. Un sourire en coin se dessina sur mes lèvres, alors qu'elle me déclara la fin de ses soins et me dit qu'il faudrait sûrement changer la bande demain, bien que l'état de mon bras devrait être mieux d'ici là. « Merci madame la guérisseuse. » taquinais-je légèrement, bien que j'étais sincèrement reconnaissant. J'attrapais ma tasse de café de ma main libre, en buvant une gorgée. « Il y a des livres particuliers que tu aimerais trouver à la bouquinade ? » questionnais-je par la suite, tentant de faire abstraction sur le sujet de mes blessures.

Je fus silencieusement reconnaissant que Haley se contente de me soigner sans demander plus de précisions sur ma blessure. Manifestement, elle s'inquiétait de la blessure, et devait la juger plus importante que tout le reste, ce que je trouvais sensé. J'avais lancé le sujet des livres qu'elle aimerait bien trouver et elle m'avoua être à la recherche d'ouvrages sur la royauté européenne et la médecine australienne. Ça me faisait doucement sourire, un souvenir me revenant en mémoire : « Ça me fait penser aux débats entre ma grand-mère et ma mère. Tu vois, ma mère est infirmière, alors elle prône facilement les remèdes scientifiques. Ma grand-mère, en contrepartie, a toujours voulu se soigner avec les plantes et autres remèdes dits naturels. Je te dis pas quand on était petits et qu'on tombait malade. On aurait dit une compétition à qui nous soignerait le mieux entre elles deux. » Je terminais ma tasse en même temps que Haley, et acquiesçais lorsqu'elle proposa que nous y allions. C'est vrai qu'à force de tarder, peut-être que nous passerions à côté d'éventuels livres intéressants. « C'est parti » déclarais-je, enfilant mon coupe-vent et mes chaussures pendant que l'étudiante se préparait. Je réfléchis à sa question sur les livres que je pouvais moi-même rechercher. « Mh, généralement, j'y vais sans trop d'attente. Je regarde ce qu'il y a et je prends ce qui m'intéresse. Ou plutôt, je me force à prendre qu'une petite partie de ce qui m'intéresse. » Je ris doucement. Si je m'écoutais, je reviendrais avec une vingtaine de livres à chaque fois, ce que j'estimais trop. Nous sortions de l'immeuble et j'ouvrais les portières de mon véhicule, avant que nous nous y installions. « Prête ? » questionnais-je, m'assurant qu'elle avait bien sa ceinture de sécurité. Nous roulions pendant une quinzaine de minutes, jusqu'à ce que je me gare devant une école primaire. « Tu vas voir où les petits Boweniens font leur primaire. La bouquinade a lieu dans le préau de l'école. » annonçais-je, mettant à l'arrêt ma voiture.

Je ris doucement lorsque Haley plaisanta qu'un lit de livres ne devait pas être spécialement confortable, et ça menaçait de m'arriver vu la quantité d'ouvrages que je détenais. Continuant sur cette lancée, je lui répliquais, ayant des images d'une photo que j'avais vu sur Internet :  « Ou alors, je peux en faire un sapin de Noël. »

Après une quinzaine de minutes, je me garais proche de l'école primaire où j'avais poursuivi mon éducation. Cet établissement avait été ma deuxième école, et je possédais autant de bons que de mauvais souvenirs. C'est ici que j'avais rencontré mes deux plus anciens amis, mais aussi où j'avais dû supporter d'autres enfants de mon âge que je n'appréciais pas du tout. De plus, il ne fallait pas oublier que les enfants à cet âge-là pouvait être cruel, et j'en aurais des histoires à raconter. Mais ça, tout le monde j'imagine. Je souris lorsque Haley supposa que je pouvais rencontrer d'anciens professeurs. « Sans doute, oui. A choisir, je préfère d'ailleurs ceux que j'ai eus au primaire qu'au secondaire. » Je m'estimais avoir été un bien meilleur élève petit qu'adolescent. Mais ça, encore une fois, ça devait être le cas de beaucoup. Je laissais Haley vaquer à sa recherche de livres et partais aussi de mon côté. Après quelques temps, quelques ouvrages en main, je revenais vers elle, qui me demandait si j'avais trouvé mon bonheur. « Plutôt, oui. » Je lui montrais un livre sur la médecine traditionnelle australienne résidant au sommet des quelques livres que je tenais et l'interrogeais : « Ça t'intéresse ? » Je lui laissais prendre le livre, et balayais du regard les différents titres de ceux sur la table en face de nous, un peu songeur.

Mes lèvres s'étirèrent en un sourire devant la réaction de Haley lorsque je lui démontrais un livre sur la médecine traditionnelle australienne. Elle saisissait l'ouvrage, parcourant déjà les grands titres des yeux, prête à se plonger dans l'océan de savoirs que ce livre pouvait détenir. Je ris doucement lorsqu'elle m'avoua à quel point ça la surprenait que les livres possédaient de réelles personnalités. Je comprenais ce qu'elle voulait dire. Chaque livre avait son histoire interne, mais aussi externe. Un ouvrage pouvait facilement avoir passé de mains en mains, avoir voyagé, s'être perdu au fond d'une armoire, avoir passé la majorité de son existence serré entre deux livres poussiéreux. Je passais mes doigts sur la couverture du livre que payait Haley, tournant la première page pour y lire son prix d'achat et quelques noms inscrits au crayon de papier. « En effet, il a dû voyager, ce livre. » Je lui montrais la liste de noms et vu le prix inscrit, il devait facilement être plus vieux que moi.

Je laissais Haley continuer ses recherches et balayais moi-même mes yeux sur les différents titres de livres, mon esprit vagabondant toutefois à d'autres pensées. Ça m'arrivait souvent de me déconnecter des faits et me plonger dans des souvenirs pour la plupart récents. C'était une manie qui me collait à la peau depuis peu, mais j'avais du mal à m'en défaire. Souvent, ça m'agaçait d'ailleurs, car je n'avais jamais eu de problème de concentration avant. Je sortais de mes rêveries en entendant la voix de Haley, et acquiesçais à sa question. « Oui oui. Je... Je rêvassais. » déclarais-je avec un sourire. « C'est amusant de se retrouver ici, après huit ans. Et c'est fou comme peu a changé. » Je lui démontrais un banc, derrière le stand. « Je suis sûr que c'est le même banc contre lequel un garçon de mon âge m'avait tapé la tête parce que j'avais pris son ballon. » Un sourire narquois se dessina sur mon visage. « La générosité a jamais été son fort, à ce type. Mais ce que je me rappelle surtout et ce qui m'avait interpellé, c'est qu'après, il s'était tellement mis à pleurer que l'institutrice avait passé toute la récréation à le consoler alors qu'on m'avait zappé dans cette histoire. » Je ris quelques instants, avant de conclure : « Je devais pas être très contraignant comme gamin. »