Le destin nous réserve parfois de drôle de surprise. ( Maxence

Il avait la tête qui partait dans tous les sens, Maxence, depuis qu’il avait revu Eleanor. Depuis qu’elle lui avait dit qu’elle n’était pas prête à tirer un trait sur Lachlan, pas tout à fait, pas sans être certaine que ce qui l’attendait avec Maxence était ce dont elle avait besoin. Mais comment pouvait-il se sortir de cette impasse ? En lui faisant des promesses en l’air ? C’était ce qu’elles seraient, ces promesses. En l’air. Parce qu’il avait beau être prêt à se lancer dans le vide avec Eleanor, il était prêt à se donner corps et âme pour la combler, ni l’un ni l’autre ne pouvait être persuadé que ce serait tel qu’ils l’avaient imaginé. C’était ça, l’amour. Beaucoup d’incertitude. Il fallait se faire confiance. Malheureusement, Eleanor et Maxence n’en étaient pas encore capable. Le seraient-ils un jour ? Il l’ignorait, et c’était exactement pourquoi il avait tant de mal à accepter la note sur laquelle leur conversation s’était terminée. D’ailleurs, pendant sa balade matinale habituelle après avoir été reconduire Abygaël chez son père biologique, les pas de Maxence le conduisirent jusqu’à l’entrée de ce café dans lequel tout s’était dit. Dans lequel tout s’était envolé. Il regardait, par la fenêtre, la table occupée par un couple qui semblait tellement plus heureux que ce qu’Eleanor et lui avaient eu l’air, quelques semaines plus tôt. C’était con, de s’accrocher à une relation qui leur faisait tant de mal. Peut-être avaient-ils encore un peu d’espoir que ça puisse un jour devenir meilleur. Peut-être. Maxence reprit toutefois sa route, mais n’eut le temps d’avancer que de quelques pas avant de percuter une personne qui marchait à contre-sens. « Oh, désolé, j’avais la tête ailleurs ! » Les deux se confondirent en excuses simultanément, n’écoutant donc même pas ce que l’autre avait à dire. Maxence releva le regard vers l’homme alors qu’il s’excusait de nouveau, cette fois pour se faire entendre. L’homme s’arrêta au beau milieu de sa phrase, avant de soulever le fait qu’ils se connaissaient. « Euh, je ne sais pas, je suis désolé, je ne vous replace pas … » Avait alors dit Maxence alors que l’homme le fixait plus intensément. Le juge soutint son regard, tentant donc à son tour de le reconnaître. Il n’y parvint pas, jusqu’à ce que l’homme mette un prénom sur le visage de Maxence. Le prénom juste. Sa façon de prononcer son prénom, ses yeux bleus, sa carrure un peu moins imposante que la sienne mais quand même … « Daemon ? » S’interrogea-t-il, tout en l’interrogeant lui-même. Un vieil ami. Un bon ami. Avec qui tout avait dégringolé quand Daemon avait tenté d’embrasser Maxence, quand il avait posé les lèvres sur les siennes, brisant le lien de confiance, en quelque sorte. Maxence était jeune, Maxence était con, à l’époque. Il avait laissé ce geste purement innocent gâcher des années d’amitié. À le revoir, là, il avait honte. Tellement honte. « Wow je … je ne pensais pas que tu vivais encore à Bowen. Je pensais que tu étais parti. » N’était-il pas pianiste, d’ailleurs ? Maxence croyait avoir entendu vent de ses talents, de son succès. Mais il avait tellement la tête dans son travail qu’il ne filtrait pas bien toute l’information.

Daemon confirma son identité, d’un ton de voix que Maxence n’arriva pas à jauger. Était-il fâché, même après toutes ces années, de la réaction du juge ? Remarquez, il pouvait le comprendre. Il pouvait le concevoir, oui, parce qu’il avait manqué de respect à son ami en coupant les ponts avec lui pour un simple baiser. Avec l’âge, la maturité et l’expérience, Maxence avait changé. Il n’osait même pas imaginer, aujourd’hui, ce que ça avait pu être pour lui de vivre son homosexualité alors que c’était tellement tabou. De s’ouvrir à l’un de ses plus proches amis, de tenter sa chance, et de voir la porte se refermer. En claquant si fort qu’elle en était restée coincée, figée dans le temps. Des années plus tard seulement, ils se retrouvaient pour essayer de la rouvrir. Se faire face à nouveau. Maxence hocha la tête face aux explications de l’homme à propos de ses vas-et-viens en raison de son travail. Tiens, ça lui faisait drôlement penser à quelqu’un. « C’est à peu près pareil de mon côté. Je travaille à Brisbane, mais je refuse de quitter Bowen. Alors je fais le voyagement. » C’était encore plus difficile avec Abygaël sous son aile. Elle fréquentait un établissement scolaire de la grande ville, puisque Maxence était au tribunal toute la semaine, mais ils revenaient à peu près à tous les week-ends. Abygaël en profitait pour passer du temps avec son père biologique. Maxence en profitait pour se ressourcer dans sa ville natale. Contre toute attente, Daemon proposa au trentenaire de le joindre pour un café. Vue leur distance autant dans leurs paroles qu’entre leurs corps, Maxence aurait imaginé que Daemon ne pensait qu’à une chose : continuer son chemin et ne plus jamais regarder derrière. Ne plus jamais songer à ce passé auquel Maxence appartenait. Et pourtant, il l’invita à s’asseoir avec lui, à bavarder. Maxence hésita, consulta sa montre, ce qui aurait pu paraître impoli c’est vrai. « Oui, oui, j’ai le temps. » Il hocha la tête et réalisa que merde, il n’avait pas envie de vivre avec ce sentiment dans sa poitrine, cette honte qui le rongeait présentement de l’intérieur, cette culpabilité qui se promenait doucement en lui. Si la vie avait mis Daemon sur son chemin aujourd’hui, ce n’était certainement pas pour répéter des erreurs du passé. Il se reprit donc, d’un sourire plus franc et d’un ton de voix plus enjoué, plus convaincu. « En fait ça me ferait même très plaisir d’avoir de tes nouvelles, Daemon. » Il se tourna alors vers le café devant lequel ils se trouvaient et le pointa du doigt. « Ici ? » Demanda-t-il pour confirmation, même s’il lui semblait bien que ce soit l’endroit qu’il avait désigné de la tête un peu plus tôt. Il hocha la tête et ils rentrèrent à l’intérieur. L’ambiance était calme, chaleureuse. Maxence alla s’asseoir au comptoir du bar et commanda un café macchiato. « Tu prends quoi ? J’offre. » Il savait bien que ça n’enlèverait pas la rancune, mais Maxence avait envie de bien faire cette fois. « Alors ce boulot dont tu parlais et qui t’amènes à voyager pas mal, de quoi s’agit-il ? » S’intéressa-t-il. Il n’avait pas envie de rentrer dès maintenant dans les excuses, pas après tout ce temps. Peut-être lorsqu’ils seraient plus à l’aise, peut-être lorsque la chaleur se serait installée entre eux.

Des paroles de Daemon, Maxence déduit que le boulot de son ancien ami demandait encore plus de déplacements que le sien. De plus longues distances, aussi. Pour une fois, il se comptait relativement chanceux. Lui qui avait toujours trouvé peu pratique de devoir prendre l’avion à toutes les semaines ainsi que d’avoir une maison à Bowen et un logement à Brisbane, il devait néanmoins admettre qu’il préférait sa situation à celle de Daemon, qui ne semblait pas pouvoir revenir au bercail quand bon lui semblait. Avec Abygaël chez lui, ce mode de vie n’était même plus envisageable, d’ailleurs. Le juge ne fit qu’hocher la tête, se disant qu’ils ne pourraient pas converser pendant des heures debout sur un trottoir non plus. De toute façon, il avait encore bien du mal à déceler un quelconque signe soit d’animosité, soin de pardon ou d’ouverture, chez Daemon. Il ignorait alors s’il devait continuer son chemin ou pas. Jusqu’à ce que l’homme l’invite à le joindre pour un café. Tout lui sembla alors plus clair – après tout, si Daemon n’avait pas voulu ramener Maxence dans sa vie, pas même pour dix minutes de conversation, il ne le lui aurait pas proposé. Le juge accepta finalement, malgré quelques secondes d’hésitation. Cela sembla faire plaisir à son interlocuteur. Les deux hommes rentrèrent donc dans l’établissement qui sentait le café à plein nez, pour le plus grand plaisir de l’odorat du juge, et ils prirent place au comptoir, perchés sur deux hauts tabourets. « Tout le plaisir est pour moi. » Dit Maxence en commandant alors le café de Daemon à la suite du sien, même si le barista l’avait sans doute déjà entendu de la bouche de Daemon puisqu’il s’était déjà attelé à sa tâche. Le juge paya les deux consommations au moment où elles leur furent servies. « Merci ! » Lança Maxence à l’employé, laissant quelques dollars supplémentaires entre ses mains. Il se tourna de nouveau vers son ancien ami et le questionna davantage sur son métier, puisque son histoire décalage horaire avait piqué la curiosité du trentenaire. « Juste réussi ? » Releva Maxence en rigolant légèrement. Il était impressionné, c’était certain. « Wow, c’est super. C’est vrai que tu jouais vachement bien déjà à l’époque. J’ose même pas imaginer ton talent aujourd’hui, avec l’expérience. » Mentionna le juge. Il n’exagérait même pas. On aurait pu croire qu’il le couvrait de compliments de la sorte dans le but de se faire pardonner ses erreurs du passé, mais cette idée n’avait même pas effleuré l’esprit de Maxence. Pas encore. « Je suis d’ailleurs surpris de ne pas en avoir entendu parler … En même temps, c’est vrai que je n’ai pas gardé contact avec beaucoup de gens du lycée … » Mais quand même, un de ses anciens amis était célèbre et lui n’en avait aucune idée. Comme quoi il était un piètre ami, autant à l’époque que maintenant. Daemon s’intéressa alors au métier de Maxence. Il fut des plus honnêtes, tout comme l’avait été l’autre homme. Ils avaient chacun eu du succès à leur manière, et il n’y avait pas de raison de s’en cacher. « Je travaille à la Cour suprême du Queensland, qui s’y trouve. J’y suis juge. » Conclut Maxence en hochant doucement la tête, un sourire aux lèvres. Lui aussi avait réussi à faire de sa passion son métier, en quelque sorte. Parce que ses études avaient effectivement été sa passion. Le trentenaire porta sa tasse de café à ses lèvres, le liquide étant à la température idéale à présent. « Tu restes pendant combien de temps à Bowen avant de repartir ? » Demanda-t-il. Plus longtemps ils faisaient du small talk, plus loin Maxence repoussait le moment des excuses. En même temps, aussi bien s’y lancer bientôt, question de ne pas traîner l’incertitude plus longtemps face à ces retrouvailles. Bientôt, bientôt …

Maxence hocha la tête quand Daemon lui dit qu’il s’était amélioré, avec le temps. Les heures de pratique au piano avaient porté fruits, semblerait-il, puisqu’il était maintenant assez connu pour partir de longs mois en tournée. Maxence se promit de le googler afin de chercher quelques pièces à écouter. Il avait toujours aimé le piano, la musique plus classique, alors il n’aurait qu’à la faire jouer pourquoi pas pendant les heures de vol entre Bowen et Brisbane. « J’suis content de l’apprendre. C’est sympa de pouvoir vivre de sa passion. » Lâcha Maxence avec un sourire, bien heureux de constater que Daemon ne voyait même pas le temps passer lorsqu’il jouait du piano. « J’aimais tellement t’écouter, au lycée. » Il avait effectivement eu la chance de l’entendre à maintes reprises, que ce soit pendant des pratiques ou des concerts à petite échelle organisés par l’établissement scolaire. Maxence lui confia alors sa surprise – et son sentiment de culpabilité sous-entendu – de ne même pas avoir entendu parler de la carrière de Daemon. C’était à croire qu’il vivait dans un autre univers, carrément. Le trentenaire écouta son vieil ami parler et constata que malgré la gloire, il gardait les pieds sur terre, et c’est ce qui faisait la différence entre un artiste qui était là pour rester et une étoile filante qu’on oubliait bien vite. « Wow, ça doit être un sacré feeling, quand même, de jouer devant tous ces gens, tous ces fans, qui sont venus t’écouter toi … » Il était impressionné, Maxence. Il n’avait jamais cherché à être connu, à être une célébrité ou quoi que ce soit du genre, au contraire même il fuyait les médias comme la peste, mais il devait avouer que ce côté-là de la gloire avait ce je-ne-sais-quoi d’attirant. Un peu tout le monde en rêvait secrètement. Daemon lui parla alors de son retour aux sources quand il revenait à Bowen, et de sa tournée des endroits dans lesquels sa carrière avait débuté. « J’aimerais beaucoup. T’en as de prévu pour les prochains jours ? Je suis à Bowen jusqu’à mardi. » Précise-t-il, pour bien lui démontrer son intérêt à assister à l’une de ses représentations. À défaut d’avoir suivi sa carrière pendant les dernières années, il commencerait maintenait à le suivre davantage. Bref, ce fut maintenant au tour de Maxence de parler de sa carrière, et même si c’était loin d’être lié au même domaine, lui aussi avait sa propre gloire. Il était connu, seulement pas dans le même répertoire. À son tour, Daemon sembla impressionné, ce qui fit sourire le juge. « Je siège sur les cas portés en appel, enfin ceux de la province du Queensland, alors y’a pas mal de tout, ouais. » Dit-il. Il révisait les décisions des tribunaux inférieurs, rétablissait correctement les jugements, et ce avec tous les autres juges qui siégeaient avec lui. « On s’en sort plutôt bien, oui. » Confirma-t-il avec un sourire avant de prendre une gorgée de son café. Il hocha la tête. Deux mois, c’était court, quand même. Quand on comparait au temps qu’il passait à l’extérieur de la ville. Daemon reprit la parole pour s’intéresser à la vie sentimentale de Maxence, qui sourit, gêné. « Je suis célibataire. » Il inclina légèrement la tête, ne sachant pas s’il devait en rester là. Il ne voulait pas avoir l’air froid, distant. « Disons que je fréquente quelqu’un depuis un peu plus d’un an mais … entre elle et moi c’est plutôt compliqué, alors … on est pas vraiment ensemble. » Il haussa les épaules. « Et toi ? Avec les tournées, ça doit être difficile de tenir quelque chose de stable … ? » Demanda-t-il, curieux de savoir comment il faisait pour gérer ses amours dans sa situation.

Maxence sourit quand Daemon lui confirma que c’était même jouissif, de vivre de sa passion. Le juge n’aurait pas qualifié son propre sentiment par rapport à son boulot de jouissif, mais il ne s’agissait pas non plus du même domaine. Pas du tout d’ailleurs. Il vivait autrement son amour pour son métier, voilà tout. Daemon leur remémora alors cette époque où Maxence se faisait même emmener de force en cours parce qu’il était trop concentré sur les mélodies de Daemon. « Et pour que je loupe un cours et que j’aie une heure de colle, ça m’en a toujours pris beaucoup. » Lui rappela-t-il. Maxence était de ces élèves modèles, alors ce n’était pas trop surprenant qu’aujourd’hui il ait atteint son but aussi rapidement. Dès qu’il avait fait son entrée sur le marché du travail, le juriste avait su briller parmi ses collègues. Tout comme Daemon brillait maintenant sur scène, ce à quoi Maxence fit bien vite référence, se disant que ce devait être un sentiment incroyable que de se retrouver devant une foule. Sa foule. Il l’écouta avec un sourire. Parce que même si Daemon lui parlait du trac qu’il ressentait avant d’entrer sur scène, il lui parlait aussi des émotions si fortes qu’il ressentait et qui ne s’expliquaient même pas par les mots. « Je crois que je vomirais. » Déclara Maxence avec un rire, mettant bien vite fin à la poésie de Daemon par des mots un peu moins inspirants. Son ami d’enfance l’invita alors à assister à l’un de ses concerts à Bowen, ce que le juge accepta volontiers. La date lui convenait parfaitement, en plus. « Oh ne t’embête pas pour la table, je viendrai sans doute seul ou alors avec une ou deux personnes seulement. » Maxence se demanda si Eleanor l’y accompagnerait, mais il se ravisa déjà, se disant qu’il était préférable de leur laisser un peu de temps. À tous les deux. Lui-même ne savait plus trop où il se situait dans cette relation. Il inviterait peut-être Marc-Aurèle et Jillian, et s’ils ne pouvaient pas alors tant pis, Maxence irait seul. Ce ne serait pas la première fois qu’il irait en solo à quelque part. Ils parlèrent finalement de la carrière du juge, qui était elle aussi impressionnante bien que différente. « Oui, c’est plutôt demandant. Et on se fait souvent critiquer pour des décisions, aussi, ce qui n’est pas toujours facile … On se remet constamment en question. » Parce que même si les tribunaux avaient un courant jurisprudentiel à suivre, ils avaient aussi constamment besoin d’interpréter de nouvelles situations, à la lumière de nouveaux faits. Les plus grands procès médiatisés donnaient toujours le mal de cœur à Maxence tellement son niveau de stress montait en flèche. C’était peut-être le manque d’expérience, ça. Les deux hommes parlèrent ensuite de leurs vies amoureuses, même s’il avait pensé que ce serait un sujet délicat, ce n’était pas la fin du monde, au fond. Tous les deux étaient plus matures, plus posés. Ce serait peut-être le bon moment pour enterrer la hache de guerre, finalement. Même s’il n’y avait jamais vraiment eu de guerre entre eux. Juste le silence. « Oh, je pense que j’ai ma part de responsabilités dans tout ça. Je trouve toujours un truc qui cloche … » Comme s’il s’attendait à trouver la femme idéale, parfaite en tous points pour lui. En même temps, il fallait avouer qu’Eleanor était un cas très complexe en elle-même. Maxence ne semblait jamais trouver un juste milieu. Quand Daemon parla de ses relations et de cet homme qui l’avait marqué et que son cœur n'avait pas oublié, Maxence se sentit tout d’un coup devenir bien mal à l’aise. Parlait-il de lui de manière détournée ? Non, sans doute pas … Ce n’était qu’un baiser, pas des sentiments. Mais qu’en savait-il au fond ? Maxence avait rembarré Daemon sans jamais se soucier de ses sentiments. Le juge déglutit, levant les yeux vers son ami d’enfance. « Tu sais … à propos du baiser. » Il marqua une courte pause, hésitant, avec de reprendre : « J’ai toujours voulu m’excuser et je n’ai jamais trouvé les mots, alors j’ai plutôt laissé aller … j’nous ai laissés aller. Parce que je me disais qu’il était trop tard de toute façon, que le mal était fait. » Il haussa les épaules. « Mais tu mérites des excuses, pour ça. Et voilà, je m’excuse, même si c’est des années trop tard. J’étais con, j’étais surpris, je savais pas comment réagir à ça … » Expliqua-t-il.

Ils avaient autrefois été deux opposés, et pourtant ils avaient été de si bons amis. Jusqu’à ce que tout se casse dans une explosion qui les avait projetés loin, tellement loin, que ce n’était que des années et des années plus tard qu’ils arrivèrent à se retrouver enfin. Mais les marques étaient encore là, les cicatrices se voyaient malgré l’effet du temps. Même si Daemon et Maxence ne le disaient pas à voix haute, pas encore, le bagage du passé était là, entre eux deux. Il ne s’en irait pas tant qu’on ne lui aurait pas reconnu sa présence. Maxence y reviendrait. Pour le moment, il prenait des nouvelles d’un vieil ami, nonobstant ce qui avait pu se passer, ce qui avait pu les briser. Il prenait le temps de se remémorer ce qui avait fait d’eux des amis malgré les différences. Maxence était studieux, calme, s’acharnait sur ses travaux plutôt que sur les autres, essayait de se démarquer par sa vivacité d’esprit plutôt que ses blagues. Daemon, lui, s’agitait constamment, ne suivait pas un seul cours en se tenant bien tranquille, mis à part ceux de musique, comme il l’avait d’ailleurs relevé. Et pourtant, Maxence s’était lié d’amitié à cet homme qui l’écartait parfois du chemin. Au final, Daemon lui gardait les pieds sur terre, l’empêchait de rêver tellement grand qu’il en perdrait de vue sa propre vie. « Bof tu sais, au final, j’ai oublié pas mal de trucs que j’avais appris dans ces cours-là, hein. Ne me demande pas de résoudre une inéquation, j’vais être dans le brouillard total. » Maxence s’était toujours dit qu’il repasserait ces notions-là quand il aurait des enfants, afin d’être en mesure de les aider dans leurs devoirs. Ces enfants-là, il ne les avait jamais eus. Et Abygaël, elle, ne se sentait pas encore assez à l’aise pour lui demander de l’aide avec ses travaux. Ça viendrait sans doute. Mais ce n’était pas la vie qu’il s’était imaginée pour lui. Ils parlèrent donc de la carrière de Daemon, et des émotions qu’une entrée sur scène devait générer. Maxence ne tarda pas à mentionner à quel point il ne saurait pas gérer ça. « En même temps, ça te vient naturellement … Enfin je trouve. T’as toujours été plus à l’aise que moi d’être devant les foules. Dès que tu rentrais sur scène, dans l’auditorium de l’école, t’avais une lueur dans les yeux qui s’allumait, une assurance qui t’habitait tout d’un coup … » Et quand ses doigts se posaient sur les touches du piano, Daemon les emportait tous haut, bien plus haut. Il les faisait rêver, un après l’autre, puis tout en même temps. Maxence l’avait observé, son ami, il l’avait appris par cœur pour mieux le mettre de côté avec regrets quand tout s’était effondré entre eux. Quand ils parlèrent du métier de Maxence, ce dernier rigola à la remarque de Daemon qui faisait un clin d’œil à son propre commentaire concernant l’envie de vomir qu’il aurait eu s’il avait été à la place de son ami. « On est chacun bien à notre place, faut croire. » Effectivement, Maxence avait beau éprouver un grand respect envers ce que faisait Daemon, il n’échangerait sa place avec lui pour rien au monde. Ils avaient tous les deux trouvé leur voie. Lorsqu’arriva l’inévitable moment de parler de leurs histoires d’amour respectives, Maxence ne cacha pas sa difficulté à trouver la bonne. Sa bonne. Daemon avait raison, il cherchait une perfection qui n’existait sans doute pas. Pas tous ses critères réunis en une seule et même femme. Et pourtant, lui l’avait trouvé, son homme parfait. Même s’il l’avait laissé filé, il existait. Ce qui donnait un peu d’espoir à Maxence, pour le coup, même si se connaissant, il arriverait lui aussi à la laisser partir. « Oh, navré de l’apprendre. Il habite à Bowen ? » Qui sait, peut-être que Daemon profitait de son retour en ville pour tenter de regagner son cœur. Peut-être que Maxence n’était qu’une courte parenthèse avant que Daemon ne reparte à la conquête de son amour perdu. Finalement, profitant de cette porte grande ouverte, Maxence se décida à revenir sur le passé. Une bonne fois pour toute, ils pourraient mettre ça derrière eux. Le juge l’espérait. Ses excuses étaient hésitantes et maladroites et pourtant, il sentit que Daemon était très réceptif à celles-ci. Son regard se faisait plus doux, ses traits plus lâchés, son sourire plus honnête. Les paroles qui suivirent soulagèrent la conscience du trentenaire. « J’suis vraiment heureux d’être tombé sur toi aujourd’hui aussi, Daemon. T’as été vraiment important pour moi et tu l’es encore, pour tout ce qu’on a vécu. J’m’en suis mordu les doigts tellement longtemps, de m’être éloigné de toi. Alors je suis plus que ravi de repartir sur de bonnes bases, oui. » Un nouveau départ pour leur amitié, une relance, pourquoi pas. Maxence se leva, suivant les mouvements de Daemon, et partagea une accolade avec lui. « Ami. » Répéta-t-il avec un sourire aux lèvres, avant de se rasseoir. « C’est le moment où je préférerais avoir un verre de scotch plutôt qu’un café, pour qu’on trinque à ça ! » Releva-t-il en riant.

Maxence sourit quand Daemon le remercia du compliment, ne pensant pas faire autant d’effet à l’époque. Il n’avait aucune idée. D’où il était, il ne le ressentait peut-être pas, mais quand ses doigts se posaient sur les touches du piano, l’assemblée au grand complet retenait son souffle. Maxence, assis parmi les autres, le ressentait, lui. Il le vivait, aussi. Pendant les quelques minutes de ses performances, c’était le silence complet, les yeux rivés vers le pianiste, les larmes montant aux yeux de certains. Le juriste avait d’ailleurs bien hâte de ressentir cette émotion de nouveau. Cette sorte de boule au cœur, être ému par une mélodie qui le transportait bien loin, bien haut. « Oh crois-moi, ce n’est pas pour rien que t’es rendu aussi loin. On le savait déjà tous, nous, de là où on te regardait. » Lui confia Maxence avec un sourire. Bon, suffit de lui lancer des fleurs, ce n’était pas trop son genre en temps normal mais en même temps, les deux hommes ne s’étaient pas vus depuis des années et Maxence avait voulu lui montrer à quel point il était fier de lui. Ils avaient tous les deux fait un grand bout de chemin alors qu’ils étaient chacun de leur côté, ça ne pouvait pas passer inaperçu lors de leurs retrouvailles. Après être demeurés à un niveau bien superficiel et factuel en parlant de leurs métiers, les deux vieux amis abordèrent finalement les questions plus sentimentales. C’était un passage obligatoire, il faut croire, puisque l’amour avait une place bien importante dans ce monde. « Je te le souhaite de tout mon cœur. Je ne comprends que trop bien ce que c’est que d’avoir l’impression qu’il nous manque une partie de nous-mêmes sans l’autre. Si même après dix ans c’est le cas, je ne peux qu’espérer que c’est parce que vous êtes faits l’un pour l’autre. » Releva-t-il. Dix années. Il espérait ne pas avoir à se rendre jusque-là avant que l’évidence ne frappe Eleanor et lui-même. Cela faisait déjà plus d’un an qu’ils se tournaient autour, qu’ils s’aimaient sans pour autant oser aller plus loin. Ils avaient chacun fait des erreurs, surtout ces derniers mois. Maxence osait espérer qu’elles n’étaient pas irréparables. Qu’un jour, ils auraient leur chance. Tout comme il espérait que Daemon et son amour l’aient aussi. L’heure du pardon sonna enfin entre les deux amis d’enfance, quand Maxence décida qu’était venu le moment de mettre cela derrière eux, de relever l’éléphant dans la pièce et de s’en débarrasser une bonne fois pour toute. Le temps d’une accolade, ils soulignèrent la chance qu’ils avaient eu de se retrouver sur ce trottoir, avant de reprendre place sur leurs tabourets respectifs et de trinquer avec leurs cafés. « Et pourquoi pas après ton concert ? Peu importe l’heure à laquelle c’est, ça me ferait plaisir qu’on termine la soirée autour d’un bon dîner et d’une coupe de champagne. » Ils levèrent finalement leurs tasses et les cognèrent l’une contre l’autre. Cela suffirait pour le moment. « Y’a des chances qu’on soit suivis par des paparazzis, présentement ? Si c’est le cas, j’ai pas de doute que ce sera la nouvelle mode dès demain matin, après que les images soient devenues virales. » Plaisanta-t-il.