Le plus beau de Saint-Jean / F&N

Le plus beau gratin de Bowen avait rendez-vous à la villa des Lefebvre. La chaîne Hugo Boss organisait une réception pour sa toute nouvelle collection. Les Delacroix y étaient conviés. Fleur venait aux bras de ses deux papas, qui lui avaient un peu forcé la main pour venir jusqu’ici. Depuis ce baiser volé avec Noah, depuis la petite scène qu’il avait concerté au gala, Fleur se sentait terriblement mal à l’aise. D’une part parce que Noah était marié, et d’une autre parce qu’elle considérait avoir trouvé l’homme de sa vie auprès de Maxwell.

Tandis qu’une horde de femmes portaient de belles robes dignes d’un défilé, Fleur, elle, arborait une robe noire très classique. La femme de Noah exerçait le métier de mannequin, il était donc inutile de préciser qu’elle était superbement faite. Peu importe son maquillage, sa posture, sa coiffure, elle faisait envier tous les hommes. Fleur fut soulagée de la voir accompagnée de son mari cette fois.

- Bonsoir Noah. Madame Lefebvre, salua t-elle moins familièrement.

Son sourire avait bien du mal à cacher sa culpabilité. Même si il ne s’agissait que d’un simple baiser, Noah avait fauté avec elle. C’était moche & c’était si loin de ses valeurs, qu’elle en mourrait de honte à chaque fois d’y penser.

Devant la femme de Noah, Fleur se faisait toute petite. Pendant l’ombre d’un souvenir, elle avait l’impression de se retrouver à l’époque du lycée. Bizutée par la fille super populaire. Jaugée/jugée. Aussi vite qu’elle était apparue, Madame Lefebvre tourna les talons, pour se faufiler vers un homme à la carrure d’un mannequin. Elle semblait si bien dans ce milieu de strass et paillettes, que Fleur se l’imagina telle une poupée barbie : grand sourire, jambes longues, dans les bras d’un Ken.

Mais la vérité est, qu’elle avait laissé son Ken près d’elle, Noah.  Fleur regardait Noah d’un air gêné. Il était presque en train de s’excuser pour sa femme, lui demandant d’ignorer son attitude. Chose qu’elle fit sans prier. Il lui proposa ensuite un verre, qu’elle accepta volontiers.

- Oui, bien sûr.

Ses yeux à elle, l’évitaient. La dernière fois qu’ils se sont retrouvés seuls, les choses se sont mises à déraper. D’autant plus que Noah avait ce même regard sur elle, comme si elle l’appartenait toute entière.  Elle, elle se sentait comme une petite fille. Il avait dix ans de plus qu’elle, alors ce sentiment était une évidence. Il la protégeait, lui offrait plein de cadeaux. D’ailleurs elle ne savait pas encore qu’une pochette avec un bracelet très spécial lui était réservée. Comme souvent, elle ne s’attendait pas à autant d’attention/d’intentions.

- Est-ce qu’elle est au courant… de… ? murmura t-elle dans leur langue française, pour que eux seuls puissent entendre.

C’était leur truc. Parler en français, pour avoir cette sensation unique de se retrouver à Paris.

- Qu’on s’est… tu sais ?

Elle en perdait ses mots mais elle ne voulait surtout pas prononcer le mot « embrasser » ni le mot « baiser ». Elle était suffisamment embarrassée. Et puis elle ne pouvait s'empêcher de penser à Maxwell. C'était lui, qu'elle aimait.  

- Touchée, répliqua Fleur d'une grimace.

Ils se sont embrassés, certes. Néanmoins c'est bien lui était venu à elle. Il lui avait chippé ses lèvres. Jamais Fleur n'aurait eut l'audace de prendre cette initiative. Même si ce baiser n'avait pas encore eu lieu lorsqu'elle était avec Maxwell, Noah lui, avait sa femme. Depuis ce baiser, elle avait rejeté le moindre sentiment à son égard jusqu'à même éviter les endroits qu'il fréquentait.  

Il prétendait haut et fort qu'il n'avait pas de mauvaises intentions. Il voulait passer un moment seul avec elle, pour en discuter. Fleur savait où il voulait en venir. Alors elle préféra le prévenir, afin de ne pas lui donner de faux espoirs.

- D'accord, d'accord. Mais les choses sont encore plus compliquées! J'ai quelqu'un maintenant, ne l'oublie pas. Je ne veux pas te perdre en tant qu'ami, tu comprends? Mais c'est tout ce que je peux t'offrir, mon amitié.

Parce qu'en dehors de cette attirance physique, une complicité inévitable les liait. Et Noah prenait soin d'elle comme personne, c'est un fait, elle ne peut le nier. Les cadeaux qu'il lui offrait n'avaient aucune valeur à côté de sa présence. Noah a toujours essuyé ses larmes, soutenu ses projets, encouragé ses actes.

- On en a déjà parlé mais pourquoi tu restes avec elle? Ça n'a aucun sens, finit-elle par dire, presque en le grondant.

À présent elle avait l'air d'avoir une discussion très sérieuse avec son verre, dans un français très parisien. Elle n'osait toujours pas regarder Noah. Son regard l'intimidait.

Posant cartes sur table, Fleur évitait le regard de Noah. Il lui avait demandé pourquoi cela la dérangeait tant qu’il soit marié pour le marketing. La raison était simple, elle qui était tellement romantique, ce n’était pas ainsi qu’elle concevait l’amour. Et puis quand il l’interrogea sur ses chances la concernant (si bien entendu, il n’avait pas eu d’alliance à son doigt), Fleur préféra s’abstenir de répondre à cette question.

- Ça me dérange qu’un mariage soit fondé sur une image « médiatique », accentua t-elle d’un signe de ses doigts pour ouvrir des guillemets.

Replaçant une mèche de ses cheveux, Noah profita de ce moment pour relever son menton. Confrontée à le regarder dans les yeux, Fleur ne parvint pas à lui mentir. Elle rougissait. Il voulait qu’elle soit honnête. Est-ce qu’elle aurait accepté d’être avec lui, s’il n’aurait pas eu de femme ? Est-ce que jamais cette envie ne lui avait traversé l’esprit ?

- Si, bien sûr que si. J’y ai pensé.

Aucune femme saine d’esprit ne refuserait ses avances. Il avait tout pour lui. Un charisme à tomber par terre, un tempérament de feu, le pouvoir du business, et bien plus encore. Entre Noah et Fleur, il se passait vraiment quelque chose, qui allait au-delà de l’amitié. Mais ça, elle se refusait de l’admettre. Maxwell avait pris toute sa place dans son cœur, et elle était persuadée qu'il ne le lui brisera pas.

Le cœur de Fleur battait la chamade. Elle le regardait droit dans les yeux, déballer son sac, sans ciller une seconde. Les larmes montaient, pas seulement parce qu'elle était sensible, non, mais parce qu’elle avait de la compassion. Noah n’avait jamais autant ouvert son cœur auprès d’elle, et elle souffrait à travers son mal-être.

- T’as pas besoin de tout ça, je te jure, affirma Fleur dans le plus grand calme.

Le travail, l’argent, le statut. Tout ça n’a aucune valeur quand on trouve l’amour. Il avait entièrement raison. Elle seule le voyait comme il l’était vraiment. Un homme drôle, spontané, dévoué et tellement attentionné.

Il lui tourna le dos mais instinctivement Fleur vint se coller à lui. Une larme coulait sur ses joues, elle se sentait si mal.

- Pardonne-moi, Noah. Je ne voulais pas te faire du mal. Tu es rentré dans ma vie, trop tard. Les choses se seraient passées différemment si nous étions seuls, tous les deux.

Elle risqua une petite caresse sur son dos, espérant le réconforter aussi bien avec ses gestes que ses mots.

Telle une fleur fragile, Fleur se montrait fébrile. La tristesse l’envahissait aussi inévitablement que l’iceberg du Titanic. Tétanisée, elle ne bougeait plus. Noah avait une emprise sur elle, psychique et physique. Il lui imposa l’ultimatum tant attendu. Est-ce qu’elle se donnerait à lui s’il quitterait sa femme? Est-ce qu’elle serait prête à quitter Maxwell, pour lui ? Non. Dix fois non, cent fois non, mille fois non. La réponse était toute prête, évidente, frappante, même. Mais Noah ne lui avait pas laissé le choix, ni même le temps de répondre.

Au moment même qu’il posa ses lèvres sur elle, la culpabilité la rongea. Elle se sentait sale, condamnée à perpétuité pour tromperie. Une faute qu’elle n’avait jamais commise auparavant. Même si ce baiser venait de Noah, elle prenait sur elle toute l’entière responsabilité. Ce n’était pas comme ce premier baiser volé, celui-ci, elle en avait peur, elle en avait mal. Maxwell ne le lui pardonnera jamais, elle allait perdre son prince charmant.

- T’aurais pas dû faire ça, murmura t-elle, d’une voix si faible, que seule elle pouvait entendre.

Une fois de plus, Noah la laissa totalement désarmée. Avec beaucoup de difficulté, elle ravala ses larmes pour rejoindre son père. L’hôtesse l’interpella au passage pour lui distribuer une pochette. Quand elle découvrit le bracelet, elle vit immédiatement sa particularité. Son cœur s’accéléra, rien qu’en pensant à la hauteur des sentiments de Noah.

Il l’aimait, c’est certain. Aucun homme au monde n’a été aussi entreprenant avec elle. Et de l’autre côté, il y avait le grand cœur de Maxwell et son ardeur romantique. Le feu ou la glace. L’idée qu’elle fera souffrir quelqu’un, quoiqu’elle fasse, la bouleversait.

Au milieu de la foule, la pensive Fleur se promit de parler à chacun d’eux. Rien que d’y penser, elle voulait quitter la terre ferme.

C'était la première fois que Léo mettait les pieds dans cette villa depuis qu'elle avait été investie par le célèbre Noah Lefebvre. Il avait été invité par la maison Hugo Boss pour le lancement d'une nouvelle collection et bien que le jeune Emerson ait horreur des soirées mondaines, il devait avouer qu'il n'avait pas eu trop à se forcer pour accepter de se rendre à celle de ce soir, il risquait d'y avoir pas mal de ses connaissances puisqu'il avait fait beaucoup de photos pour la maison de couture à une époque et il gardait encore de très bons contacts avec la maison. En plus il avait appris que la famille Delacroix serait présente et qui disait Delacroix disait évidemment Fleur et rien que l'idée de voir la jeune fille mettait Léo en grande joie ! La dernière fois ils s'étaient croisés à Paris, ils avaient passé une après-midi mémorable, intense et pleine de douceur. Sur son 31, Léo avait revêtu un de ses costumes favoris, un classique Boss, évidemment, il était arrivé presque à l'heure à la soirée et cela faisait un moment qu'il papillonnait, avec une flûte de champagne à la main, d'invité en invité, il complimentait les superbes mannequins, flirtait même volontiers avec d'anciennes conquêtes, bien qu'il sache que ça n'irait pas plus loin parce qu'il n'était pas libre. Les pères de Fleur étaient venu discuter avec lui un moment, tout se passait vraiment bien. Le seul problème ce soir c'était que l’événement était organisé par Noah Lefebvre et qu'il allait bien devoir le croiser, venir le saluer à un moment et il n'était pas pressé de rencontrer le jeune propriétaire de la marque, qu'il n'aimait pas, question de principe. En plus il n'avait pas encore pu saluer sa Fleur et il la cherchait du regard.
Se retournant il la vit, là, au beau milieu de la foule, semblant perdue et seule, mais terriblement belle, comme toujours en pareille occasion. Il attrapa une flûte et se dirigea vers la jolie brune. Bonsoir ma Fleur, tu es superbe ce soir. La plus belle, comme toujours. Il lui tendit la flûte, la regardant rougir, comme à son habitude après un compliment. C'est un très beau bracelet, tu veux que je t'aide à le mettre ? Proposa-t-il avec un sourire.

Une soirée mondaine... Voilà bien longtemps que tu n'as plus mis les pieds dans ce genre de soirées. Il fut un temps où tu arpentais, chaque semaine, toutes les soirées possibles et inimaginables dans le but de te faire ta place. A l'époque, tu ne désirais qu'une chose : devenir égérie d'une marque. Nombreux sont les shooting que tu as fait mais avec le recul, tu n'étais pas faite pour en faire ton métier. Et même si la décoration d'intérieur a toujours été ton truc à toi, il fut un temps où tu ne pensais pas pouvoir en faire "le métier de ta vie". C'est sans doute pour ça que tu t'es dirigée vers le mannequinat, milieu plus abordable avec ta réputation - du moins en Europe. Néanmoins, ce soir, tu décides de remettre un pied dans ce monde juste le temps de quelques heures. Quelques jours plus tôt, tu avais reçu une invitation de la part de Noah, un ancien amant avec qui tu as passé de nombreuses heures sous la couette. Votre relation était sans issue et avait donc pris fin mais malgré tout, vous êtes restés en bon terme avec toujours cette petite tension sexuelle qui plane entre vous deux. Même si aujourd'hui, il n'existe plus rien entre vous. Habillée d'une longue robe noire au décolleté plus qu'avantageux, tu arrives enfin devant la villa des Lefebvre. Bien vite, tu te retrouves dans le salon mais ne repères aucune tête connue. Tu te diriges vers un serveur pour prendre une flute de champagne pour la siroter le temps de contempler la salle et de trouver quelqu'un avec qui discuter.

Noyée dans un océan aux mille questions, Fleur se retrouvait déchirée entre deux hommes. Maxwell et Noah. Jamais de la vie elle n’aurait pensé qu’elle puisse faire souffrir quelqu’un. Elle ne cessait de regarder ce magnifique bracelet, un cadeau personnalisé de Noah. Noah avait toujours des attentions grandioses. Instinctivement, elle le cherchait partout du regard. Mais ce n’est pas sur lui qu’elle tomba, non. C’était Léo qui était de la réception, ce soir. Là, tout de suite, Fleur afficha un sourire resplendissant.

- Oh tu es là ! Ça me fait tellement plaisir de te voir.

Comme à son habitude elle rougit au moindre de ses compliments, mais peu importe, puisque son Léo était là. La dernière fois qu’ils se sont croisés, il lui avait dit qu’elle trouverait quelqu’un de bien. Et il avait eu raison. Fleur avait trouvé chaussure à son pied, son morceau de puzzle, sa moitié. Maxwell.

Mais quand Léo lui rappela l’objet qui était dans ses mains, elle bascula de nouveau dans la tristesse. Elle fronça les sourcils, le visage implorant.

- Non. Je veux pas, murmura t-elle doucement.

Elle ne voulait pas mettre ce bracelet, parce que cela serait bafouer davantage l’amour qu’elle portait pour Maxwell. Mais qu’en était-il de Noah ? Elle l’avait blessé.

- Oh Léo, je me suis mise dans le pétrin. C’est horrible !

S’il se rappelle bien, elle avait ce regard larmoyant quand sa mère avait découvert qu’elle était sortie en cachette pendant la nuit. Sauf que la situation était bien pire à l’heure actuelle, l’enjeu était grave et de loin plus important. Elle allait perdre l’homme de sa vie.