the wrong future -r.

Si tu devais résumer les cinq dernières années de ta vie en un mot : catastrophe. Ton mariage si parfait avait pris feu. Après la perte de votre bébé, tu avais mis une année à t'en remettre. Ton mariage avait été mis à rude épreuve, mais vous aviez réussi à surmonter cette épreuve. La seconde épreuve était de voir que tu étais incapable de retomber enceinte. Tu étais lasse d'essayer, ce n'était pas ce que tu voulais. Ce n'était pas comme ça que la vie aurait dû se passer mais c'était ainsi que les choses étaient arrivés. Pas de bébé. Tu ne serais pas capable d'avoir une famille. La lignée des Hadleys s'arrêtait avec toi. Il n'y en aurait plus jamais. Vous aviez fini par faire un break avec Nelligan. Il était retourné vivre quelques temps chez ses parents. Quant à toi, à la boutique, tu n'avais plus autant la même passion, la même fougue. Tu te sentais piégée dans une vie qui ne t'allait pas. Une vie qui te rendait beaucoup trop malheureuse. Mais il ne tenait qu'à toi de la changer, de refaire revenir la joie, à commencer par ton mari. Cette homme que tu avais si longuement pendant presque dix années, vivant les pires histoires amoureuses du monde, tu ne pouvais pas ne plus l'aimer. Il aurait toujours une place dans ton coeur. Il fallait juste accepter le fait que votre vie ne serait que lui et toi. Tu l'avais invité à passer ce soir, pour discuter. Des semaines que vous ne vous étiez pas vu. Tu disparaissais dans un pyjama bien trop grand pour toi, il l'avait laissé pour toi et tu ne le quittais pas depuis son départ. « Bonsoir Nelligan. » Tu essayais de lui offrir un sourire mais à la vue de son regard, tu sentais déjà les larmes monter. C'était bien trop douloureux. Tu te poussais de la porte allant t'asseoir dans le canapé. Il connaissait la maison, il n'allait pas tarder à te rejoindre. « Tu veux boire quelque chose ? » demandais-tu doucement, sans oser le regarder une nouvelle fois. Si on t'avait dit un jour que tu lui ouvrirais la porte sans l'embrasser, sans sourire, sans être heureuse, tu ne l'aurais pas cru. Aujourd'hui, tu n'avais pas de mot pour ça, c'était sûrement à cause de la dépression et de ton deuil beaucoup trop douloureux.

Depuis deux ans, Nelligan avait l’impression de tourner en rond, de courir après quelque chose qui lui échappait, sans cesse. Il n’arrivait pas à garder le rythme, il n’arrivait pas à rattraper sa vie d’avant qui lui semblait le fuir, le fuir pour que plus jamais il ne goûte au bonheur. Tout s’envolait en fumée, et il avait beau s’accrocher à ses heureux souvenirs, aucun de ceux-là ne lui permettait de retrouver son couple, sa femme, celle qui avait toujours assuré sa bonne humeur jusque-là. Il y avait deux ans de cela, Lily-Anaëlle lui avait demandé de lui donner un peu d’espace, de lui accorder un moment pour qu’elle reprenne le dessus, pour qu’elle se retrouve. Au final, c’était eux qui s’étaient perdus en raison de la distance. Pendant ces deux années-là, Nelligan était reparti vivre chez ses parents, ce qui ne tombait pas si mal pour ses parents puisque son père était retombé malade et qu’il avait énormément besoin d’assistance. Sauf que Nelligan était fatigué, las, triste, et que les journées lui semblaient dépourvues de sens sans son épouse à ses côtés. Il n’avait plus vraiment l’impression de vivre, du moins pas sa propre vie. Lily-Anaëlle et lui s’étaient imaginés un avenir si beau, si comblé, que la perte de leur enfant et leur incapacité à concevoir à nouveau avait brisé la magie qui régnait entre eux. Les avait brisés tout court. À trente-six ans, il s’imaginait marié, avoir trois ou quatre enfants, être haut-placé dans une boîte de conception de jeux vidéo. Alors oui, il bossait dans le domaine et oui, il était toujours marié, mais ce mariage battait visiblement de l’aile et son avenir était plus qu’incertain. Et aucun enfant en vue, et sans doute jamais. Nelligan avait tenté à maintes reprises de renouer avec Lily-Anaëlle, de la regagner, de lui prouver qu’ils pouvaient être heureux à deux, mais elle n’était pas rendue là, et lui n’avait plus eu la force de se battre, après quelques mois. Alors durant la dernière année, ils se parlaient de temps en temps, pour prendre des nouvelles, mais leur relation s’effritait lentement. Bientôt, il n’en resterait presque plus rien, et cela laissait un goût amer dans la bouche de Nelligan, qui n’arrivait plus à s’endormir le soir sans perdre un autre bout d’espoir. Puis, une journée aléatoire, comme une autre, Lily-Anaëlle lui téléphona et l’invita à passer à la maison, leur maison, ce soir. Il avait accepté, bien sûr qu’il avait accepté, après toutes ces semaines sans la voir, sans entendre sa voix. Il s’était présenté à l’heure, hésitant au pas de la porte entre l’idée de cogner ou d’entrer. C’était chez lui, mais plus vraiment. Il toqua, et attendit que son épouse lui ouvre. Elle portait son pyjama, bien trop grand pour elle, et qui pourtant lui allait à ravir. Un mince sourire, touché mais aussi attristé, se dessina sur les lèvres de Nelligan. « Bonsoir Lily. » Elle s’éclipsa et alla s’asseoir au salon, sans étreinte, sans baiser. Une froideur désarmante, une distance déchirante. Il le pressentait, maintenant. Elle souhaitait lui demander le divorce. C’était inévitable, après tout. Il aurait dû se douter qu’elle ne l’inviterait pas à revenir à la maison, pas après toutes ces semaines de silence. Ça n’aurait fait aucun sens. Nelligan referma la porte derrière lui et alla la rejoindre au salon, s’asseyant sur le canapé à son tour. « Non, non merci. » Il était si nerveux que rien ne passerait, pas même un verre d’eau. « Tu voulais me parler de quelque chose … ? » Demanda-t-il, le souffle court, la voix tremblante.

Sans plus attendre il ferme la porte, ne prenant même pas le temps de retirer son manteau, Tu n'avais pas eu la force de le regarder très longtemps, ni même de l'étreindre. Il refuse ta proposition. Pendant un instant le silence s'installe, tu pourrais dire quelque chose mais tu ne savais pas comment commencer, comment rompre la glace. Il y avait un mur entre vous, un mur qui venait de toi. Il reprend la parole, voulant savoir pourquoi il était là. Tu te redressais pour fouiller dans la pile de courrier qui se trouvait sur la table. « De nous.. J'ai reçu ça. » ajoutais-tu assez faiblement. Tu lui tendais le papier. Quand il pourrait le déplier il pourrait lire : un divorce ? une broutille, pour mettre ça derrière vous en un rien de temps, contactez blablabla. Quand tu l'avais vu plus tôt dans la matinée, tu t'étais mise à pleurer toutes les larmes de ton corps. « Tu sais comme j'accorde de l'importance aux signes, je les ai toujours suivi. » Tu croyais dur comme fer qu'il existait un destin pour chacun, que tout était écrit à l'avance et qu'il fallait suivre les signes pour arriver à trouver son chemin. Les signes t'avaient souvent poussés vers Nelligan et avec votre bonheur passé, tu savais que tu ne t'étais pas trompé. Du moins, jusqu'à ce que ta vie s’effondre en miettes. « Mais celui-là, je ne veux pas. » Tu n'étais pas prête à passer le pas. Tu estimais qu'une relation comme la vôtre ne pouvait pas se résumer à ça. Lentement tu relèves les yeux vers lui, pour essayer de savoir ce qu'il pensait de tout ça. Pour lui, ça devait être juste de la pure folie. Depuis que tu avais perdu votre enfant, tu agissais comme une folle. Il avait carrément froissé le papier entre ses mains. Tu osais alors t'approcher un peu de lui, posant une main sur sa cuisse.« Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, je ne sais pas ce qu'on est devenu, mais je sais ce que je ne veux pas qu'on devienne. » Tu avais des sanglots dans la voix. Tu l'aimais ton mari, tu l'avais toujours aimé et tu ne considérais pas possible une vie où après avoir été Mme Malinowski, tu redevenais Mme Hadley. Sûrement le pire de l'échec, celle que tu ne pourrais jamais surmonter. Tu y mettais le temps, mais tu avais presque tourné la page, il fallait juste que tu sortes la tête de l'eau.

À peine assise, Lily-Anaëlle se redressa afin de fouiller dans le courrier étalé sur la table du salon. La réponse à la question de Nelligan se trouvait donc sur un bout de papier, qu’elle lui tendit sans plus attendre, ne répondant que vaguement à propos du fait qu’elle voulait qu’ils parlent d’eux, et qu’elle avait reçu ça. Ce bout de papier. Cette brochure. Ses yeux se posèrent sur le grand titre de l’annonce, qui présentait quelqu’un, un médiateur sans doute, qui vendait ses talents dans le règlement à l’amiable des divorces. Nelligan avala difficilement, ne quittant pas le papier du regard. Comme s’il espérait qu’à force de regarder les mots, leurs lettres se mélangeraient pour en former de nouveaux, des plus beaux, remplis d’espoir. Ils restèrent malheureusement bien en place, décrivant encore et toujours la fin de leur couple, la fin de tout. Lily-Anaëlle parla de signes, lancés par le destin sans doute, qu’elle avait toujours laissés dicter sa vie. Ses mains d’abord tremblantes se crispèrent, le papier se froissant sous ce contact. Ces quelques mots prononcés par son épouse, parmi les premiers entendus depuis des semaines, suffirent à anéantir le cœur de Nelligan, qui se brisa tout d’un coup comme un château de cartes, mais fracassant comme le verre. Au diable les signes, au diable le destin, Nelligan ne voulait pas croire qu’un simple courrier distribué à l’ensemble du quartier pouvait venir à bout de leur amour. Et alors qu’il allait confronter Lily-Anaëlle sur l’absurdité de la chose, sur son refus de les laisser aller à la dérive, elle reprit la parole pour affirmer que cette fois, elle ne suivrait pas les signes. Parce que ce signe-là, elle n’en voulait pas. Et lui non plus. « Je ne veux pas que tu le suives non plus. Je ne veux pas qu’on suive ce chemin-là, même si tout semble pointer dans cette direction, il ne tient qu’à nous d’en changer le sens. » Ils n’allaient pas dans un sens unique, il y avait moyen de faire demi-tour et de se retrouver à une autre croisée des chemins, là où il ferait un meilleur choix que le dernier, là où ils se retrouveraient et reprendraient leur route à deux. Lily-Anaëlle se rapprocha un peu plus de son mari, et posa une main sur sa cuisse. Sans doute le contact le plus proche qu’ils avaient eu depuis des mois. « Shht, shht. » Murmura Nelligan en passant un bras autour des épaules de sa femme alors que des sanglots interrompaient ses paroles. « Est-ce que tu m’aimes encore, Lily ? » Demanda Nelligan avec une voix brisée. Parce que lui l’aimait, d’un amour toujours aussi indescriptible qu’au tout début. Et si elle aussi l’aimait toujours à ce point, alors tout n’était pas perdu, au contraire, il ne leur resterait qu’à se regagner peu à peu.

Il était d'accord avec toi, ne voulant pas en arriver là. C'était aussi dur pour lui que pour toi. C'était presque un soulagement de savoir qu'après tout ce que vous aviez traversés ces cinq dernières années, il voulait encore être là, il voulait encore partager sa vie avec toi. Vous vous l'étiez promis il y a six années de cela. Vous vous étiez promis beaucoup de choses ce jour là. Il s'approchait aussi de toi, posant ses bras contre tes épaules. Il était rassurant et sécurisant à la fois. Il te demandait de te calmer, te posant une seule question. Comme si un oui prononcé de tes lèvres allait tout balayer par magie et vous rendre ce que vous aviez. La vie n'était pas un conte de fée et il était grand temps que tu le réalises. Le destin tout ça, c'était de la grosse connerie. Des mensonges pour vous manipuler. Des mensonges pour mieux vous détruire. Tu sentais un sentiment grandir en toi, un de ceux que tu n'avais jamais connu : la colère. Mais tu n'étais pas en colère contre lui. Lui n'avait rien à voir dans l'histoire, il était autant victime que toi. « Je crois que oui.. » Tu n'aurais pas de réponses plus exacte, avec toute la peine que tu ressentais, tu ne savais plus trop dire si tu étais heureuse ou non parfois, si tu aimais ou non. Tu avais juste de la tristesse, tout les jours, encore et encore. Tu étais noyée dans un océan de chagrin, tu pensais voir de la lumière au bout, une lueur qui prenait naissance dans ses yeux à lui. Une lueur qui pouvait tout aussi bien dire la vie va être belle que j'en ai marre de toi. Tu venais de dire merde au destin, ce n'était pas pour recommencer à t'accrocher à des pseudo-signes. « Mais le problème c'est moi, je ne peux rien t'apporter de bon.. » Ce n'était pas le genre de propos vraiment idéal dans cet situation. Ce qu'il fallait que tu comprennes c'est que lui était prêt pour une vie à deux, qu'il avait accepté cette idée et que pour toi, il aurait été prêt à renoncer. Renoncer là où toi, tu ne le pouvais. « Je ne sais pas ce qu'il faut faire. » Tu le regardais, t'accrochant à son visage. C'était comme s'il y avait tout à refaire, mais tu ne savais pas par quoi commencer.

Cette seule question, Nelligan n’aurait voulu y entendre qu’une seule réponse. Il s’était attendu à l’entendre. Ce oui assuré, ce oui sans aucun doute dans la voix. Malheureusement, Lily-Anaëlle ne lui offrit pas ce simple mot auquel il s’était tant accroché. Pourtant, il y avait six années de cela maintenant, ils s’étaient unis devant les gens les plus importants à leurs yeux en se promettant de s’aimer jusqu’à ce que la mort les sépare. Jamais Nelligan ne se serait douté que ce n’était pas de leur propre mort qu’il pouvait s’agir dans ces paroles, mais que ce serait la mort de leur enfant qu’ils n’avaient jamais même eu la chance de connaître qui les sépareraient. Lily-Anaëlle croyait l’aimer, mais entre une croyance et une certitude, il y avait un grand écart, un trou béant qui pouvait tout changer. Il baissa les yeux, son cœur tout d’un coup heurté comme si elle l’avait elle-même frappé de ses cruels mots. Nelligan savait qu’elle n’avait aucunement l’intention de le faire souffrir, qu’elle était brisée, perdue, et qu’elle se montrait dans toute sa sincérité mais aussi dans toute sa vulnérabilité. Sauf que pour lui, lui qui avait encore la certitude de l’aimer tout autant qu’au premier jour, l’entendre ainsi douter d’eux créait un vide immense dans son cœur. « Et bien moi je sais que je t’aime encore. » Répondit-il, pas pour tourner le couteau dans la plaie, pas pour la faire sentir coupable, mais surtout pour lui montrer que malgré la distance, malgré les épreuves, il savait que son amour pour elle ne ternissait pas. Son absence lui avait même fait comprendre à quel point elle avait pris une place vitale dans sa vie. Vivre sans elle, ce n’était plus vivre. « Lily, regarde-moi. » Lui ordonna Nelligan quand elle releva ne rien pouvoir lui apporter de bon. « Ce qu’il faut faire, c’est accepter que la vie qu’on s’était imaginée, toi et moi, et bien elle ne sera pas exactement comme dans nos rêves. On a déjà été bien assez chanceux, au fond, toi et moi. De se trouver, et de se retrouver. C’est à ça qu’il faut s’accrocher. À l’un et à l’autre. Je n’ai besoin de rien d’autre que toi, Lily-Anaëlle Malinowski. Rentre ça entre tes deux oreilles parce que je ne te laisserai plus jamais m’dire que tu ne m’apportes rien de bon. Tu m’apportes tout. » Il soupira de tristesse, de tristesse qu’elle doute ainsi de lui, d’elle-même. « S’il-te-plaît … laisse-moi revenir à la maison. » La supplia-t-il, les larmes aux yeux.

Lui ne doutait de ses sentiments. C’était difficile de te dire qu’après toutes vos épreuves, tu n’étais pas capable de savoir. Tu n’avais pas oublié votre histoire, tu n’avais pas non plus tiré un trait dessus mais votre avenir te semblait incertain. Tu n’osais même pas le regarder et il te demandait de relever le regard. C’était même plus un ordre qu’une demande, à laquelle tu t’exécutais sans attendre. Il t’expliquait qu’il te voulait toi. Avec ce que tu avais dit juste avant, tu comprenais qu’il ne disait pas ça pour être gentil. Il le pensait sincèrement mais tu avais comme un petit blocage. Tu étais partagée entre deux sentiments, la joie et la peine. Heureuse de savoir que toi seule pouvait le combler, triste pour cette même raison. « Tu ne peux pas dire ça. Tu voulais tellement être papa, tu étais si content lorsque tu as appris la bonne nouvelle, comment peux-tu te contenter juste de moi ? » demandais-tu en pleurant. Tu avais réussi à les retenir jusque là, mais elles avaient fini par céder. Tu les laisser couler le long de ta joue, prenant de grandes inspirations pour essayer de te calmer. Lui aussi les avais aux bords des yeux, il n’allait sûrement pas tarder à te rejoindre dans ce grand tourbillon de tristesse. « Tu crois qu’on est prêt à ça ? » demandais-tu doucement. La question ce n’était pas si vous étiez prêt, mais si tu étais prête à avancer, prête à tourner la page et à continuer ta vie. Pour le moment, ce n’était pas le cas, pourtant, tu n’avais pas le coeur de le repousser une nouvelle fois. Tu avais envie de l’embrasser, de te perdre dans son regard, de te laisser submerger par l’amour qu’il ressentait pour toi. Et pourtant, tu étais incapable de bouger, de faire le moindre mouvement. « Je sais que tu attends depuis longtemps, alors oui, tu peux revenir. »  Sa patiente était mise à l’épreuve, tu n’arrêtais pas de le faire, ce n’était pas encore fini. Même s’il revenait, tu savais que tu ne partagerais pas son lit tant que tu ne serais pas reconstruite. Il fallait venir à l’évidence, si tu voulais sauver ton couple, tu allais avoir besoin d’aide. Mais tu ne savais pas vraiment vers qui te tourner.

Dès que Nelligan lui demanda de le regarder, Lily-Anaëlle leva les yeux vers lui. Il croisa son regard si triste, si brisé, et c’est Nelligan qui eut alors l’impression de se casser en mille morceaux. Ils étaient à la dérive, tous les deux, alors qu’ils s’étaient promis de s’aimer pour le meilleur et pour le pire, dans la santé comme dans la maladie. Pourtant, la perte de leur enfant avait effacé ces vœux de bonheur et d’amour éternel, les projetant dans un monde où ils ne se reconnaissaient plus. Au point où Lily-Anaëlle ne semblait même plus reconnaître son amour pour lui. Pourtant, il savait, Nelligan. Il savait qu’elle l’aimait encore, ça ne pouvait être autrement. Il ne voulait pas croire que ça puisse avoir changé. Alors encore une fois, même s’il avait déjà prononcé des paroles similaires depuis cinq ans, Nelligan essaya de faire ouvrir les yeux à Lily-Anaëlle sur ce qu’ils avaient. Sur ce qui menaçait de s’écrouler, aussi, alors que lui était prêt à ne vivre qu’avec elle. « Oui, je voulais être papa, oui, j’ai énormément de peine encore aujourd’hui, qu’on l’ait perdu, et qu’on ne puisse plus l’envisager. Mais Lily, je ne me contenterai jamais que de toi. T’es toute ma vie. Et si j’dois choisir entre te perdre ou vivre avec toi sans enfant, crois-moi, le choix est bien simple. » Dit-il, blessé qu’elle puisse avoir une si faible estime d’elle-même. Il n’avait besoin que de ses sourires, de son regard noisette plongé dans le sien, de ses mains douces caressant sa peau, de sa maladresse qui le ferait toujours craquer. Les larmes s’échappant de ses yeux, Nelligan tenta de contrôler ses émotions alors qu’il demandait, suppliait même, de revenir à la maison. « Je crois qu’on l’est, oui. En tout cas, je le suis, et si t’as besoin d’espace, je t’en donnerai. Juste … pas autant que là. Ça me brise le cœur de ne plus te voir … » Il n’aurait pas besoin d’être dans la même pièce qu’elle ou de constamment la coller. Il voulait juste qu’elle ne soit pas trop loin, qu’il puisse au moins sentir sa présence. Et, peu à peu, peut-être qu’ils se retrouveraient enfin, comme avant. Après réflexion, Lily-Anaëlle accepta qu’ils s’essaient de nouveau à cette vie à deux. Nelligan eut un sourire de soulagement, et posa sa main sur celle de son épouse pour la caresser doucement. « On va passer au travers. » Au travers du deuil, au travers de la tempête.

Les mots qu'il utilisait avait l'effet d'un électrochoc. Il était aussi dévasté que toi de cette perte, pourtant lui semblait prêt à accepter que la vie puisse continuer ainsi. Tandis que toi, tu faisais toujours un blocage. Tu avais le sentiment de ne jamais pouvoir être complète sans enfant. Mais tu n'avais jamais essayé de comprendre qu'il y avait d'autres moyens. Vous pouviez avoir une grossesse assistée, vous pouviez faire appel à une mère porteuse, ou encore l'adoption. Il y avait tellement de moyens de former une famille mais sans savoir pourquoi, tu étais focalisée sur le seule que tu ne pourrais pas avoir. Sûrement parce que tu ne pourrais pas l'avoir et que tu avais l'impression que cet échec déterminerait toute ta vie future. « Comment ? Comment tu peux réussir à faire ce choix ? » demandais-tu, curieuse de savoir comment il arrivait à ça. La réponse était de toute évidence qu'il t'aimait plus que n'importe quoi sur cette Terre pour se permettre ce sacrifice. Tandis que toi, tu avais l'impression de décevoir tout le monde, ne pas être capable de donner vie à ton enfant. Deux grossesses, une fausse couche et un mort né. Ce n'était pas un joyeux tableau. C'était lui qui était dans le vrai depuis le tout début, il fallait juste que tu trouves le bon chemin pour le rejoindre avant qu'il ne soit trop tard, avant qu'il ne sombre à son tour dans les abysses. Ce qui entraînerait une bonne fois pour toute la fin de votre mariage. « La vie, Nelligan.. Elle me paraît si vide, si fade.. » Tu attrapais sa main, tu voulais sentir le contact de sa peau contre la tienne. Des mois que tu ne l'avais pas touché, tu en avais presque fini par oublier ce que c'était. Tes doigt glissaient le long de son annulaire pour faire le contour de son alliance. Le signe de votre amour éternel. Tu n'avais même pas fini ta phrase, des larmes te montant à nouveau aux bords des yeux. La fin étant sans toi.

Accepter, ça lui avait pris du temps, à Nelligan, mais moins qu'à son épouse. Il avait traversé les mêmes phases, qui s'étaient plutôt étendues sur des mois plutôt que des années. Pendant ce temps, Nelligan s'était remis en question, s'était même imaginé que la vie lui envoyait le message qu'il n'était pas fait pour être père. Après tout, Lola avait perdu son enfant, et maintenant Lily-Anaëlle à son tour. Deux opportunités de devenir père, deux déceptions. Puis, comme la première fois, le temps avait passé et Nelligan s'était de plus en plus fait à l'idée. Ce n'était pas facile, de voir ses plans de vie chamboulés d'une manière aussi triste, cruelle ... mais ce serait encore pire d'imaginer sa vie avec Lily-Anaëlle se terminer maintenant. Il tenta de lui faire comprendre qu'entre les deux, Nelligan la choisissait elle. Parce que ses plans de vie, ses rêves de famille, il les avait imaginés avec elle. Personne d'autre. Lily-Anaëlle ne semblait pas le comprendre. « Parce que, Lily. Parce que je t'aime, et que le pire pour moi serait de te perdre. Et puis ... ce n'est pas la fin, ce n'est pas la dernière des options ... On peut toujours essayer autrement, de former notre petite famille, non ? » C'était la première fois que Nelligan parlait d'alternatives. Il avait voulu laisser à Lily-Anaëlle tout le temps nécessaire pour se faire à l'idée qu'elle ne pouvait avoir un enfant qui viendrait d'eux deux, qui porterait la moitié du bagage génétique de l'un et de l'autre. Après plus de quatre ans, le trentenaire se disait que, peut-être, était venu le temps de songer à d'autres manières d'agrandir la famille qu'ils pouvaient encore être. Son épouse attrapa sa main et laissait ses doigts glisser le long de son alliance, le long de sa peau, de sa main. Nelligan la regarda avec chagrin alors qu'elle parla du vide de la vie, de leur vie. « À nous de nous réinventer, de nous redonner cette couleur d'avant ... » Ils étaient heureux, avant ce drame, ils étaient heureux et se plaisaient dans leur routine. Pourquoi ne pourraient-ils pas retrouver ce simple confort ?

C’était l’amour, l’amour, la peur de vivre sans toi qui le poussait à accepter, à vouloir te retrouver. En temps normal, tu aurais été touchée, tu aurais sûrement été émue aux larmes par ce discours mais là tu avais l’impression d’être nulle parce que toi tu n’étais pas capable de faire comme lui. Tu avais peur de le perdre, peur de réduire à néant votre mariage, mais c’était comme insuffisant. « Je suppose que l’on peut oui. » Ta main tenait toujours la sienne, tu avais arrêté de jouer avec son alliance pour le regarder à nouveau. C’était lui qui était dans le vrai, ce n’est parce que vous aviez perdu un enfant que vous ne pouviez pas avoir de famille. Là où tu avais fait une erreur c’est que tu avais abandonné après le premier échec. Le voir aussi confiant, le voir prêt à tout mettre en œuvre pour vôtre couple, te donnait envie d’y croire. Pour la première fois depuis des mois, tu sentais l’espoir naître au creux de ton estomac. Vous auriez sûrement beaucoup de chemin à parcourir ensemble, il fallait juste y mettre un peu de bonne volonté. Tu ne savais pas encore comment t’y prendre mais tu avais vraiment envie de faire un pas vers lui, d’aller dans sa direction et vous permettre de vous retrouver. « Nelligan.. » Ta voix était faible, pendant un léger instant, tu avais baissé le regard, comme si tu avais peur de ce qui allait suivre alors que tu n’avais aucune raison. Mais la distance avait fragilisé votre relation au point que tu avais la chair de poule. Ta main serrait doucement la sienne. Tu la laissais remonter le long de son bras, venant caresser sa joue, de la glisser dans sa nuque. Un nouveau frisson parcourait ton corps. « Embrasse-moi ! » murmurais-tu un peu timide, tu venais poser ton regard dans le sien.

Un sourire empli d’espoir vint illuminer le visage de Nelligan alors que Lily-Anaëlle supposait qu’ils pouvaient s’essayer, oui, d’une autre manière, à fonder une famille. Ce ne serait peut-être pas la façon dont ils avaient si longuement rêvée, ce ne serait peut-être pas le chemin qu’ils auraient dû emprunter si tout s’était passé normalement, mais ce serait leur chemin à eux, après les embûches. Le chemin qui triomphe. « On n’a pas à se replonger là-dedans maintenant, on ne le fera que lorsque tu seras bien prête. Mais on peut aller consulter des médecins, puis des agences d’adoption … Ça ne s’arrête pas là, mon amour, on a encore notre chance au bonheur. Je te le promets. » Il lui sourit. Ils avaient abandonné si vite, sans même se demander s’il était encore possible pour eux de réaliser leur projet commun. Ils s’étaient séparés avant d’avoir terminé la lutte. Peut-être que la fécondation artificielle fonctionnerait, et si ce n’était pas le cas, alors il savait qu’une panoplie d’agences d’adoption n’attendaient que des parents comme eux. Un couple fort, amoureux, deux personnes qui avaient une tête sur les épaules, une belle maison, un revenu stable et surtout, surtout : beaucoup d’amour à redonner. Sans prévenir, Lily-Anaëlle prononça le prénom de son mari. Ce dernier releva les yeux vers elle, directement, comme s’il ne répondait qu’à la voix de son épouse. Sa douce main remonta le bras de l’homme et vint terminer sa course sur sa nuque, alors qu’elle lui demandait de l’embrasser. Un doux et court rire s’échappa d’entre les lèvres du trentenaire, animé par la nervosité et la joie de retrouver sa femme, celle qu’il croyait avoir perdue mais qu’il redécouvrait encore après tant d’années. Son visage s’approcha du sien et, laissant la tension monter entre eux, laissant leur cœur éclater et leur respiration changer, Nelligan ne rompit que lentement la distance, avant de s’emparer des lèvres de sa femme. Leur premier baiser depuis des mois. De longs mois sombres, sur lesquels elle venait enfin jeter sa lumière. « Comme la toute première fois. » Murmura-t-il ensuite, son front posé sur celui de Lily.

Ce n'était pas fini, il n'y avait aucune raison pour que ce soit le cas, tu ne sais pas pourquoi pendant des mois tu avais eu des œillères sur les yeux. Sûrement la mort de ton bébé qui t'avais fait pensé que tu n'étais pas faite pour être mère, deux grossesses et zéro parité. Tu trouvais ça tellement injuste en comparaison à des femmes qui ne voulaient pas l'être et qui tombaient malgré tout enceinte, qui les gardaient parce que c'était trop tard ou trop difficile pour avorter et qui les élevaient, si on pouvait vraiment utiliser ce mot là. Fucking ironie. Tu te détestais pour cette jalousie et cette haine que tu pouvais ressentir envers ces femmes là mais tu ne le contrôlait pas. C'était plus fort que toi. Alors savoir qu'il y avait peut-être une solution, peut-être un espoir, il fallait s'accrocher aussi fort que possible à cette lueur. Et peut-être même accepter l'idée que si ça ne marchait pas, tu pouvais très bien vivre et être heureuse avec lui. Vous aviez tellement d'amour à revendre, tellement d'amour à offrir à l'autre, il ne fallait pas laisser le destin ruiner ta vie. Il l'avait déjà fait bien trop souvent pour que tu puisses continuer d'accepter de telles conditions. Tu avais simplement hoché la tête, incapable de dire quoique ce soit d'autre. Une idée en tête, une idée simple, celle d'un baiser. Le one true kiss offert par le one true love. Lentement, il avait approché son visage du tien, réduisant petit à petit la distance qui vous séparait. Ta main toujours posé sur sa nuque, tu le laissais avancer doucement jusqu'à ce qu'il arrive à destination. Sentir ses lèvres, sentir sa peau chaude, c'était quelque chose d'agréable. Pour la première fois depuis des semaines, tu avais l'impression de revivre, tu avais l'impression qu'avec lui à tes côtés, tu pourrais surmonter ton chagrin. Mais pour ça, il fallait que tu lui fasses une place dans ta vie. « I love you, Nelligan. You make me feel like a person. Like I’m me… and I’m beautiful. » soufflais-tu doucement, un murmure d'amour, un regard complice, remplit d'un seul et unique sentiment. Tu l'aimais, tu pouvais le dire à voix haute, le crier à plein poumons sur tous les toits, tu n'avais plus de doutes à avoir, maintenant. Tu l'aimais, tu l'aimes et tu l'aimerais toujours quoiqu'il arrive.

Il était venu ici sans attente, ne voulant pas se donner trop d’espoir alors que sa relation avec Lily-Anaëlle était peut-être sur le point de s’éteindre. Il s’était préparé à toute éventualité, sans pourtant être prêt à être confronté aux pires scénarios qu’il s’était imaginés. Nelligan avait beau avoir vu la fin venir, il ne l’aurait pas acceptée pour autant. Alors fort heureusement, cette rencontre se révélait bien plus positive qu’il n’aurait pu croire. Quand son épouse lui demanda de l’embrasser, c’était comme si son cœur s’illuminait à nouveau, chassant les ombres qui s’étaient faufilées dessus pour le remettre en question et semer le doute constant. Elle l’aimait encore, et même si elle n’était plus capable de le lui dire avec autant de légèreté qu’avant, Nelligan savait que la flamme était encore là. Au creux de ses yeux. Marqué sur elle. Ils s’avaient dans la peau. Répondant volontiers à ses désirs, il embrassa sa femme, la retrouvant après des mois d’attente, renouant avec ses lèvres, sentant à nouveau son corps frémir sous ses caresses, aussi chastes soient-elles. Quand ils reprirent leurs positions initiales – ou presque, puisque leurs corps s’étaient légèrement rapprochés l’un de l’autre -, Lily-Anaëlle lui déclara son amour. Et cette fois, aucune hésitation, aucune retenue. Les mots ne bloquaient plus dans sa tête, dans sa bouche, ils coulaient comme avant. Comme la toute première fois qu’ils se l’étaient dit. « You are beautiful. You're the most beautiful girl in the world. You are my dream. » Répondit-il, reprenant exactement la suite de la citation qu’elle venait de lui dire. Ce film, c’était celui qu’ils avaient regardés ensemble lors de leur première soirée ensemble, encore adolescents. C’était ce film dont Nelligan avait rapidement oublié les paroles parce qu’il n’y portait pas trop attention, au fond, trop nerveux à l’idée d’avoir la femme la plus belle du monde à côté de lui. Il avait dû le réécouter, plusieurs fois plus tard, pour s’imprégner de ces citations qui lui rappelaient alors son amour perdu, envolé. Qu’il avait retrouvé six ans plus tôt. Qu’il retrouvait encore aujourd’hui. Lily-Anaëlle était si belle, elle était magnifique, et en retrouvant son regard brillant d’une faible lueur, mais qui revivait enfin, Nelligan tombait encore plus sous son charme. « Je t'ai promis de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour faire de toi la femme la plus heureuse. Je t'ai promis tout mon amour,  je t'ai promis de partager avec toi tous les moments de bonheur et de tristesse, les réussites comme les échecs. Je t'ai promis de partager avec toi le reste de ma vie. J'ai bien l'intention de tenir toutes ces promesses-là, mon amour. Je vais te rendre heureuse, Lily. Ses vœux de mariage n'avaient jamais pris autant de sens que maintenant. 

Il avait eu la référence, tu avais prononcé tes mots et il s’était souvenu de ce film, du tout premier film que vous aviez regardé ensemble il y a quasiment 16 ans de cela. De l’eau avait coulé sous les ponts depuis ce jour et tu n’arrivais pas à cacher le sourire qui se dessinait sur ton visage. Une belle histoire d’amour même si ce film n’était pas le plus plaisant et pendant longtemps il t’avait traumatisé. Mais il se souvenait et rien que pour ça, tu étais sur un petit nuage. C’était comme une remise à zéro, un nouveau départ pour toi, comme si cette simple phrase te faisait ouvrir les yeux sur la vérité qui t’attendait depuis tellement longtemps maintenant. Il reprenait même ses vœux pour te le prouver, il faisait bien parce que jusqu’à présent, tu t’étais montrée sourde et aveugle face à lui. « C’est moi Nelligan, c’est moi qui ait baissé les bras, c’est moi qui ait eu peur de ne pas être suffisante, de ne pas être à la hauteur, de ne pas t’offrir ce que tu méritais mais je sais maintenant que je me trompais ! » Tu secouais doucement la tête, ce n’était pas facile, ça non et tu n’arriverais pas à tout mettre derrière toi en quelques secondes mais tu savais que tu y arriverais. C’était comme si tu te réveillais d’un affreux cauchemar, comme si tu retrouvais l’usage de tes yeux et qu’en face de toi se trouvait la seule personne pouvait t’aider. Ton mari, le seul et l’unique, tu savais pourquoi tu l’avais épousé et tu le retrouvais, prêt à tout faire pour voir se dessiner sur ton visage le si grand sourire qui te caractérisait. « Lors de notre mariage, je t’ai promis de t’aimer et de te rendre heureux, je suis désolée pour toute la peine que je t’ai causé ces cinq dernières années et je te promets de mettre tout ça derrière nous. Sans toi, je ne serais rien, ni personne, mais ensemble on peut surmonter tout ça, j’y crois maintenant et plus jamais je n’oserais douter de ton amour pour moi. » Tu avais failli, à cause du doute, à cause de la tristesse, laissant ton mariage sombrer comme le Titanic, sans essayer de remonter la barre. Sauf qu’il était là, qu’il refusait de laisser votre mariage sombrer dans les profondeurs, rejoindre la longue listes des divorces qu’avaient connus cette ville. La divorce n’était pas un terme pour vous, il vous était inconnu, presque interdit. Le divorce ne pouvait pas arriver tant qu’il y aurait de l’amour et pour ça, vous étiez sacrément doués. Il y aurait toujours de l’amour entre vous, il était immuable, éternel.