there's something brilliant bound to happen here (naveen)

Honnêtement, Naveen aurait été prêt à entendre n’importe quoi venant d’elle. À l’écouter raconter n’importe quelles histoires, qu’elles proviennent de son vécu ou qu’elles soient inventées de toute pièce. Ça ne lui importait que très peu, à Naveen, en autant qu’elle continuait de parler de cette voix légère, douce et entraînante, teintée d’un certain bonheur qu’il aurait voulu ne serait-ce qu’effleurer. Elle était pleine de vie, Andeana, alors tous ses mots étaient vivants eux aussi, et quand ils se frayaient un chemin jusqu’aux oreilles de Naveen, il avait l’impression de revivre un peu à son tour. « Si vous le dites … » Et pourtant il n’insista donc pas. Bien qu’il aurait adoré connaître ces histoires nulles, ces raisons pour lesquelles Andeana aurait pu être jugée par les habitants de cette ville. Sans doute n’était-ce que des foutaises, des mensonges, des histoires racontées par des jaloux et qui se répandaient comme au jeu du téléphone arabe. Comme quoi, il n’y avait pourtant pas que le peuple arabe n’était pas le seul pour qui le bouche-à-oreille était un moyen de communication répandu. Ce jeu aurait pu porter n’importe quel autre nom. Naveen confirma qu’elle semblait voir le bien dans tout, il l’avait lui-même remarqué durant ces courtes rencontres auprès d’Andeana. Surtout parce que contrairement à bien d’autres, elle avait tout de suite vu le positif en lui, l’homme sympathique qu’il était alors qu’on le pointait du doigt comme un homme à part, presque dangereux. Elle répondit que c’était mieux que de voir le mal partout, ou de s’apitoyer sur son sort. Était-ce qu’il faisait ? Était-ce une manière détournée de lui faire comprendre qu’il devait cesser de traîner douloureusement ce regard blessé ? Naveen garda le silence un moment, les yeux rivés sur la route. Arriverait-il seulement un jour à ne voir que le meilleur dans les autres, et surtout dans lui-même ? Son passé le rattraperait toujours. À chaque sourire, à chaque moment de joie, à chaque nouveau pas vers l’avant. Ce qu’il avait perdu lui reviendrait en plein visage. Il s’apitoyait sur son sort, oui, parce qu’il ne savait plus vivre autrement. « J’imagine que vous avez raison, oui. Mais tout le monde n’a pas cette capacité de … de se concentrer sur le bien, sur le beau. » N’allez pas croire qu’il était dorénavant incapable d’apprécier quoi que ce soit, Naveen, non. La preuve, il appréciait plus que de raison la présence de cette femme qui lui rappelait justement que le soleil se levait à chaque matin, balayant le noir de ses rayons tendus vers la ville. Elle lui parla de son travail, de ses photographies dans les magazines. Ceux que Naveen n’avait vraisemblablement pas lus, ou alors, il n’avait que très peu porté d’attention aux publicités. « J’essaierai de faire de meilleurs choix, à l’avenir. » Dit-il avec un léger humour. Il ne savait pas s’il existait de bons ou de mauvais magazines, sans doute que oui, mais il n’était pas assez intéressé par la chose pour s’en soucier. Comme il le lui dit, il préférait lire le journal, même si les nouvelles qu’il lisait à propos de son pays natal ne faisaient que l’atterrer de plus en plus. « C’est sans doute mieux ainsi, croyez-moi. » Il esquissa un faible sourire. Eux, les syriens, avaient fini par susciter l’intérêt international, mais pour des raisons qu’il aurait préféré ne jamais voir naître. Pour des raisons qui l’avaient amené jusqu’ici, en janvier dernier, puis en mars à Bowen. Arrivée qu’Andeana semblait vouloir fêter, lorsqu’on atteindrait la même date l’année prochaine. « Non … enfin, j’étais, dans un autre pays, vous avez déjà entendu parler de l’île de Nauru ? Il y a un camp, là-bas. D’ordinaire ce sont les demandeurs d’asile qui essaient d’entrer illégalement qui y sont refoulés, mais comme mon partenariat n’était pas fait avec le gouvernement, j’ai dû passer les mêmes conditions de sécurité. J’ai été détenu là-bas de janvier à mars, pour les vérifications, pour obtenir mon statut de réfugié. » Ça pouvait sembler bien effrayant, et ça l’était, au fond. Les conditions là-bas étaient pires que celles de Za’atari en Jordanie. « Je suis bien content d’être arrivé ici … Mais je ne voudrais pas m’étaler là-dessus, et vous mettre de mauvaises images en tête avant que vous n’alliez dormir. » Il esquissa un sourire, ponctuant ses paroles de par l’arrêt du taxi en bordure du trottoir. Ils se trouvaient devant leur immeuble. « Nous y sommes. » Déclara-t-il, regrettant presque que le trajet ait été aussi court.  

Andeana ne s'était pas rendue compte de son erreur, elle n'avait pas considéré les gens qui avaient eu une vie remplie d'embûche et d'épreuve, ceux qui avaient tout perdu sans rien demandé. Restant quelques secondes interdite, elle esquissait simplement un maigre sourire accompagné d'un soufflement, un rire d'une seconde, plus nerveux que joyeux. « C'est difficile de le faire. » Se contentait-elle d'argumenter ne sachant que dire pour ne pas passer pour une femme qui changeait d'idées à chaque seconde. Il était compliqué de voir le soleil derrière le brouillard, il était difficile de voir ce qui était beau derrière des cadavres, c'était tout. L'image qu'elle se gardait en tête pour éviter de revenir sur le sujet et risquer de dire n'importe quoi qui pourrait frustrer Naveen. Il lui avait dit, qu'elle ne devait pas se mettre de filtre, réfléchir à tout ce qu'elle devait dire, mais elle ne pouvait s'en empêcher, elle ne le ferait pas toujours, s'ils venaient à se retrouver un nouveau jour, avec le temps elle s'y habituerait et lui comprendrait mieux les principes de la blonde, s'il ne les connaissait pas déjà. Son filtre s'effacerait avec le temps, pour l'instant, elle ne voulait pas prendre de risque de passer de sauveur à inconnu qui ne voulait pas la revoir. « Si je trouve un article sur moi, je vous scotcherais ça sur le toit du bâtiment pour que puissiez le trouver. » Son rire ponctuait cette phrase remplie d'humour. Elle savait pour qui elle travaillait, des sites, des magazines, des simples personnes, mais pour les photos, elle se contenterait de dire qu'elle ne trouverait rien. Pour ne pas risquer de le choquer, de lui donner des mauvaises impressions d'elle, elle garderait ses photos de lingerie pour elle. Surtout que ça irait contre ses pensées.Il lui disait que c'était mieux comme ça, ne pas attirer l'attention. Un jour, elle aimerait que son travail soit reconnu, être aussi populaire que son père pour ses créations. Alors, elle ne pouvait pas en dire autant. Pour le moment, elle se contentait de travailler pour lui et le nom que l'on pouvait lire dans les journaux n'était pas le sien, mais celui de son père. Andeana écoutait Naveen, où est-ce qu'il logeait avant d'arriver à Bowen et s'installer, peut-être qu'il avait déjà essayer de s'intégrer dans une autre ville, mais que ça avait été une catastrophe, mais ça n'aurait pas collé avec l'histoire de Cléo. Mais une nouvelle fois, elle regrettait presque avoir posée sa question. Triste de constater que les personnes qui ont vécue l'enfer semblaient ne jamais en finir avec la douleur et les problèmes. Elle qui avait toujours fermée les yeux pour refuser de croire que les malheurs pareils pouvaient exister dans le monde se sentait désemparée. Ne sachant pas quel mot utiliser. « Naveen, je suis tellement désolée pour vous. » Soufflait-elle en baissant les yeux. « J'espère que vous ne souffrirez plus à présent. » Par là, elle voulait surtout dire qu'il ne lui arrivera plus rien, parce qu'il avait toujours le souvenir de sa famille qui lui ferait du mal. Elle n'y pouvait rien. « Je suis heureuse de voir que malgré tout ce que vous semblez avoir vécu, et même si je ne connais sûrement pas tout, voir rien du tout, vous êtes restée une belle personne. » Il y aurait plusieurs personnes qui dans la détresse serait devenue aussi noire dans leur âme que dans leurs pensées. Naveen, lui, n'avait pas sombré dedans. « J’espère que la prochaine fois que nous allons nous voir, ce sera à mon tour de faire quelque chose pour vous ! » Disait-elle sur une note plus positive, elle n’espérait pas qu’il se mette en danger, mais c’était simplement une manière de dire qu’ils allaient se revoir. « Merci pour m’avoir raccompagné. Je n’ai pas de sous avec moi, mais je jure vous payer le trajet plus tard ! » Un sourire sincère tourné vers lui, elle se détachait rapidement, ne voulant pas lui voler trop de son temps. Même si c'était ce qu'elle avait voulue au départ, prendre son temps pour pouvoir apprécier sa présence.

Ça ne devait pas être facile de le faire, non, et si elle-même qui y parvenait avouait les difficultés qu’elle pouvait parfois rencontrer lorsqu’elle tentait de ne voir que le positif dans ce monde, alors Naveen pouvait aisément croire qu’il n’y parviendrait jamais. Après tout, il avait vécu les pires horreurs, allant de la guerre à la perte de sa famille complète, alors comment pourrait-il tourner complètement la page sur un chapitre aussi destructeur, pour ne se concentrer que sur le bien qui pouvait s’étendre devant lui ? Il ne pouvait qu’espérer pouvoir n’avoir ne serait-ce que le tiers de la force d’Andeana afin de puiser assez d’énergie pour continuer à avancer. Peut-être pourrait-elle-même l’y aider. C’était déjà le cas, en quelque sorte, puisqu’elle partageait sa joie et sa légèreté avec lui, bondissant d’un sujet à l’autre avec une telle simplicité qui la rendait si attachante. Si lui était rédacteur dans un journal, il ferait certainement mention de cette femme qui méritait d’être connue. « Marché conclu. Je suis persuadé que ce jour viendra. » Il esquissa un sourire. Il fallait bien avoir quelques bonnes nouvelles, de temps en temps, non ? Et Andeana était sa bonne nouvelle à lui, et ce même lorsqu’elle posait des questions qui le replongeaient dans de douloureux souvenirs. Il en avait tellement, Naveen, de ces épisodes plutôt tristes. Tous les éviter relevait du miracle, et au fond, en parler lui permettait de se vider le cœur et de se sentir un peu moins seul. Il s’était déjà beaucoup trop senti seul, que ce soit en Jordanie ou à Nauru. Il voulait que cette solitude se termine enfin. « Vos paroles me touchent beaucoup, Andeana. Parce que vous êtes vous-même une très belle personne, et je ne peux que me réjouir que vous pensiez ça de moi. Si tout le monde pouvait être comme vous … » Il se rendit compte que ce n’était pas la première fois qu’il le disait, ça, Naveen. Il allait gêner Andeana, à force de continuer. Il eut donc un léger rire. « Il faudra que vous arrêtiez de me donner des raisons de croire que le monde se porterait mieux s’il n’était composé que de personnes dans votre genre. Vous allez croire que je n’ai que ça à dire. » Son rire se transforma en un mince sourire alors qu’il garait le taxi en bordure du trottoir longeant leur immeuble. Il soupira, imperceptiblement. Il aurait voulu que ce trajet soit sans fin, parce qu’à l’idée de retrouver son logement complètement froid, complètement vide, Naveen ne pouvait que s’attrister. D’autant plus qu’il laissait derrière lui une compagnie inégalable. « Peu importe, tout ce que je souhaiterais c’est de vous revoir. » Avoua Naveen. Ça lui était égal de toujours être celui qui rendait des services à la blonde, même que ça lui faisait plaisir. Mais il était vrai que lui aussi avait souvent besoin d’un coup de main, et si elle pouvait parfois l’aider, il ne refuserait pas. « Non, vraiment, ce n’est pas nécessaire. Je devais de toute façon revenir ici, éventuellement. » C’était le trajet qu’il aurait emprunté d’une manière ou d’une autre, à la fin de son quart de travail, puisqu’il demeurait ici. « Ça me fait plaisir, vraiment. Bonne nuit, Andeana. » Il lui sourit, la regarda quitter le taxi et pénétrer dans l’immeuble, avant de repartir la voiture pour aller la garer dans le stationnement sur le côté de l’établissement, ce qui lui donna tout le temps de repartir dans la pénombre pour regagner son véritable logement …  

TERMINÉ