Blood & Tears [isling]

C’était inévitable, au fond, de faire du mal aux autres. Qu’on le veuille ou non, qu’on soit Isaiah ou non. Il avait beau être animé des plus belles intentions du monde, il avait beau prôner la paix et l’amour, au bout du compte il n’était qu’un humain, comme n’importe quel autre, avec ses failles, ses faiblesses et ses défauts. C’était inévitable, qu’un jour ou l’autre, il fasse à son tour du mal à Aisling de par ses paroles, ses rêves ou encore ses actes. Maintenant qu’ils formaient un couple, ils seraient confrontés à de nouvelles situations et peut-être n’auraient-ils pas la réponse appropriée face à tous les défis. La différence d’avec bien d’autres personnes, toutefois, c’est que jamais ils n’auraient au fond d’eux-mêmes cette intention de blesser l’autre. Isaiah et Aisling n’étaient pas capables de ça, pas l’un envers l’autre, même pour un détail minime, et encore moins pour quoi que ce soit de plus grand, de plus gros. « Oh, c’est de la joie, ça ? » Demanda-t-il avec une légère confusion, presque amusée, malgré les circonstances. « Je pense que je vais avoir besoin d’un manuel. » Qu’il ne lirait pas. Les émotions ne se décrivaient pas, ne s’expliquaient pas, comme un guide à suivre à la lettre. Chaque individu réagissait différemment à une situation donnée, et si Aisling passait par un éventail de pleurs ce soir, ce n’était que normal. Un court silence s’installa, pendant lequel Isaiah continua de passer sa main dans les cheveux de la blonde, sa joue posée sur le dessus de sa tête. « J’ai peur, moi aussi, tu sais. » Certes, elle n’avait évoqué aucune peur dans les dernières minutes. Mais c’était le genre de chose qu’on savait, qu’on sentait. « Quand Aino m’a appelé j’ai … j’ai vraiment eu peur. De ce qui avait pu t’arriver, de l’état dans lequel je te trouverais. J’ai rarement ressenti ça auparavant. Ça fait peur d’aimer à ce point. » Souffla-t-il.

Aisling esquissa un léger sourire amusé face à la confusion de son meilleur ami. Elle enlaça tendrement ses doigts dans les siens avant de secouer doucement la tête.

-Bien sûr que non, tu me connais assez bien pour faire sans. C'est juste que... tout est confus.

Elle avait bien comprit depuis qu'elle fréquentait Isaiah qu'il fallait qu'elle s'exprime, et pourtant, ceux qui étaient un peu proches d'elle savait que ce n'était pas sa spécialité. Elle finit par relever ses yeux dans les siens, se mordant l'intérieur de la joue.

-Ça me rend heureuse de savoir que tu puisses envisager des choses aussi importantes avec moi.

Et qu'il puisse lui faire confiance pour porter et élever ses enfants, alors qu'il était bien placé pour savoir qu'elle était absolument nulle dans ce domaine.
Elle ferma les yeux, apaisée, alors qu'Isaiah caressait ses cheveux, la tête contre elle. Elle serra doucement les dents quand il lui dit que lui aussi avait eu peur. Elle avait été morte de trouille et elle savait très bien qu'il pouvait le sentir.

-Isaiah... On sait tous les deux que tu aurais tremblé de peur même si ça avait été un chaton à ma place.

Parce qu'il était comme ça, il s'inquiétait pour tout le monde. Elle s'était rendu compte de ça le jour de la tempête. Ce n'était pas un reproche, mais peut-être qu'elle avait besoin de minimiser la déclaration qu'il venait de lui faire, pour avoir elle-même un peu moins peur. Ou bien pour le rassurer lui, d'une façon un peu étrange, Aisling's method.

Bien sûr qu’il la connaissait assez bien pour faire sans manuel. Isaiah ne pouvait prétendre connaître Aisling de A à Z, personne ne pouvait d’ailleurs prétendre connaître par cœur qui que ce soit, pas même soi-même. Sauf qu’il savait qu’il la connaissait bien mieux que la majorité des gens autour d’eux, peut-être même était-il celui qui la connaissait le mieux – il le prendrait comme un honneur, ça, d’avoir été celui à qui Aisling se serait ouverte au point où il deviendrait celui à connaître la plupart de ses secrets, de ses rêves, de ses faiblesses et de ses réalisations. Sauf que tout était confus, comme elle le disait, et dans un tel brouillard émotionnel, difficile de retrouver le chemin jusqu’à l’autre. Leurs esprits se dissipaient, leurs idées se dispersaient, et ils auraient besoin d’un peu de temps pour se recomposer respectivement, et composer avec l’autre. « Je sais … Ça l’est pour moi aussi. » Murmura-t-il. Si avant de venir ici, c’était la peur qui l’avait habité comme rarement il l’avait ressentie, il était vrai que la confusion, l’incompréhension, étaient maintenant les émotions reines. Parce qu’en une minute il avait appris qu’Aisling avait été enceinte de lui mais qu’elle avait perdu le fœtus. C’était beaucoup d’information pour quelques soixante secondes. Une chose était certaine, oui, Isaiah aurait pu envisager l’idée de fonder une famille avec la blonde. Et ça lui faisait plaisir que ça la rendait heureuse aussi. Si cette douce idée pouvait être leur source de joie pour le moment, alors il s’en contenterait. De cette simple et belle projection vers un avenir qui se réaliserait peut-être un jour. « I’m in it for the long run, Aisling.. N’en doute jamais. » À ses yeux, Aisling n’était pas ce genre de femme qui passe et qui repart d’une vie. Elle n’était pas un amour éphémère qui ne laisse qu’une marque, qu’un souvenir effacé, peut-être même qu’une cruelle cicatrice. Ils iraient jusqu’au bout d’eux-mêmes. Même si ça faisait peur. Même si ça le terrifiait, que quelqu’un compte à ce point pour lui. Il eut un léger rire à la remarque de la blonde, à propos du chat. « C’est encore pire quand il s’agit d’animaux, en fait. Ça me fait pleurer à chaque fois … » Il continua de sourire, laissant volontiers l’ambiance plus légère les entourer. Ils savaient de toute façon tous les deux que c’était faux, qu’Isaiah avait beau s’inquiéter pour tout le monde, ce serait à présent toujours à Aisling qu’il penserait en premier quand quelque chose arriverait. Ce serait pour elle qu’il s’inquiéterait d’abord, et ensuite les autres.  

Aisling pouvait imaginer à quel point tout cela était aussi perturbant pour Isaiah. Peut-être qu'il n'avait pas de sang qui lui coulait d'entre les jambe, mais lui aussi venait d'apprendre la perte de quelque chose dont il n'avait pas connaissance. Mais, ce n'était pas sa faute. Et si personne au monde ne considérerait qu'Aisling était fautive de quoique ce soit, peut-être que c'était quand même un peu son cas, quelque part.
Alors qu'il lui disait être prêt pour le grand voyage, comme l'aurait superbement dit Jacques Brel, la blonde se perdit dans son regard. Elle glissa une main contre sa joue avant de tendrement posé ses lèvres sur les siennes. Il était son phare dans la tempête, Isaiah. C'était sans doute la seule personne à qui la vie ne lui avait pas encore donné tort de s'être attachée. Peut-être était-ce vraiment la seule personne bien qu'elle avait fréquenté de toute son existence. Et surtout, le seul à s'être battu pour se faire sa place dans son cœur.

-Tu as toujours été plus prêt que moi pour ça.

Elle esquissa un léger sourire. Elle ne put s'empêcher de rire aussi quand il dit que les animaux, ça le faisait toujours pleurer. Il savait comment la faire aller mieux, même quand lui n'allait pas bien. Est-ce qu'elle méritait vraiment tous ces efforts ?

-Moi aussi j'avoue.

Elle finit par s'allonger de nouveau dans son lit, non sans garder la main d'Isaiah serrée dans les siennes.

« Et je pense que parfois, tu t’sous-estimes. » Il esquissa un sourire à son tour. Aisling avait tendance à se voir d’une manière qui ne laissait présager rien de bon et pourtant, Isaiah la voyait tellement différemment. Sans doute fallait-il trouver un juste milieu, un équilibre, se rencontrer à mi-chemin pour réaliser quelle femme pleine de potentiel elle était. Isaiah idéalisait, Aisling rabaissait. Ils se retrouvaient parfois aux antipodes et pourtant l’un et l’autre trouvaient toujours le moyen de balancer. L’ambiance avait été lourde dès le départ, et vues les circonstances le contraire aurait été déstabilisant. Mais les deux meilleurs amis étoufferaient à force de respirer avec ce poids sur la poitrine, alors ils essayèrent de ne pas se laisser noyer dans cette eau noire. Un ton plus léger, un sourire plus détendu, ils se blottirent un peu plus l’un contre l’autre dans ce lit trop petit pour eux. L’ébéniste esquissa un sourire quand Aisling approuva ses paroles, concernant les animaux. « La confession du siècle. » Lâcha-t-il, parce que ce n’était pas une surprise au fond, venant de la blonde. Il la regarda moqueusement, avant de doucement s’écarter pour la laisser s’allonger de nouveau sans la gêner. Il serra sa main dans la sienne avant de retrouver la chaise sur laquelle il s’était assis un peu plus tôt, sans jamais lâcher la main d’Aisling. « Repose-toi … Je bouge pas d’ici. » Ses doigts continuèrent de caresser la peau de la blonde, jusqu’à ce qu’elle s’endorme, et plus longtemps encore.