Who do you think you are ? ∞ Aedhan

Si elle avait l'impression que le monde autour d'elle était en train de ressembler à un putain de Space Mountain, c'était sans doute parce qu'elle avait enchaîné les verres ce soir, et peut-être quelques-uns de trop. Vendredi soir, à la fin de ses cours, Aïnhoa avait suivi quelques étudiants de sa classe au bar pour bien commencer le week-end. Ils n'étaient pas spécialement meilleurs potes du monde, loin de là, c'étaient de simples potes de cours, mais sympas quand même, assez pour que l'espagnole les apprécie au bout de plusieurs semaines passées avec eux. Mine de rien, les bières s'étaient empilées, ils étaient passés à des liquides plus forts pour embrumer leur esprit, et Noa s'était laissée prendre au jeu. Sans doute la fatigue, l'oppression qu'elle ressentait quand on venait lui taper sur l'épaule, les jeux de regards qu'elle échangeait avec certains inconnus assez mignons dans le bar, masquant à la perfection son passé derrière un sourire ravageur. Ouais, c'était sans doute pour ça qu'elle avait fini par manquer de s'endormir dans son verre. La jeune femme vida ce qu'il restait de vodka dans ce dernier, c'est-à-dire la moitié, avant de se lever, chancelante, se rattrapant à la table pour ne pas trébucher. Bon. Elle avait bien fait de laisser sa moto sur le parking du campus et de se rendre à pied avec les autres jusqu'au centre-ville. Maintenant, elle était bonne pour rentrer chez elle à pied aussi. Bien joué, Noa. Tonta. Idiote, en espagnol. Elle n'avait pas géré, ce soir. Mais au final, à quoi bon ?

La plupart des personnes de son cours avaient déserté, il n'en restait que deux ou trois, d'autres jeunes de l'université étaient éparpillés dans le bar. Aïnhoa prit congé, la vision trouble, mais ses amis étaient sûrement aussi saouls qu'elle car ils ne semblaient pas se rendre compte de son état. La jeune femme embarqua un verre de bière avec elle et sortit du bar. L'air frais lui donna un minime coup de fouet, et elle tenta de se redresser bien droite, rassemblant son courage à l'idée qu'elle allait marcher jusque chez elle. Bon, elle pouvait toujours prendre un taxi. Mais elle n'avait pas envie de payer juste pour ça, et d'ailleurs, elle n'était même pas sûre d'avoir le montant nécessaire sur elle, tout étant parti en alcool. Elle se mit à tituber sur le trottoir, prenant la direction de son appartement, qui était à au moins vingt minutes de marche. Dans son état, sûrement bien plus. Elle devait s'appuyer au mur ou à une voiture tous les dix mètres, mais heureusement - ou malheureusement -, elle n'avait même plus assez de présence d'esprit en ce moment pour se sentir ridicule. Elle n'en avait rien à foutre, au final. À quoi ça servait, de se sentir mal ? De se remettre en question ? À quoi ça servait, putain, de continuer à vivre alors que cette putain de douleur était toujours là ? Sans arrêt ? Quoi qu'elle fasse ? Mierda ! Je vous présente, mesdames et messiers, la descente aux enfers d'Aïnhoa complètement déchirée. Toujours son verre de bière en main, bien sûr.

Tout s'embrouillait dans sa tête et la seule chose qu'elle pouvait entendre, c'était son muscle cardiaque battre à lui en rompre les côtés. Aïnhoa tentait de reprendre ses esprits, mais son était fortement alcoolisé n'y aidait pas et elle mit quelques secondes supplémentaires à reprendre une respiration normale, l'oxygène revenant petit à petit dans ses poumons, maintenant que ce contact menaçant était rompu. C'était bien un homme qui lui faisait face, elle toujours appuyée contre le mur, qui était d'ailleurs très bien là, à la soutenir, et lui ayant pris un peu de distance. Les traits de son interlocuteur restaient flous mais la jeune femme le discernait déjà un peu mieux. La méfiance n'avait pas quitté les traits de la brunette, qui fronçait les sourcils tout en essayant de garder une respiration régulière et en même temps de contrôler ses nausées. La voix de l'homme lui parvint, un peu lointain mais intelligible. Il ne semblait pas agressif. Peut-être était-ce authentique, peut-être était-ce pour la manipuler et mieux parvenir à ses fins. L'espagnole restait sur la défensive, et elle, elle était agressive. « Ocúpate de tus asuntos. » grogna-t-elle, ce qui voulait dire de se mêler de ses affaires, l'esprit trop embrumé pour penser à traduire. Des mots et bribes de phrases en espagnol, sa langue maternelle, lui échappaient souvent au quotidien, mais bien plus quand elle était bourrée, ou bien très en colère. Ici, c'était les deux. Mêlés à un peu de panique.

Même s'il venait de lui dire qu'il ne lui voulait pas de mal et qu'il lui assurait vouloir simplement aider, Aïnhoa était têtue. Une petite partie de sa tête lui soufflait tout de même d'être raisonnable et de se rendre compte de son état, et surtout d'accepter cette aide providentielle, mais cette partie ne disposait pas d'une place assez large dans son cerveau que pour prendre le dessus. Aedhan, qu'il disait s'appeler. Ouais, elle aurait sûrement oublié demain, de toute façon. « Ouais, c'est ça. Déjame sola ! » rétorqua-t-elle finalement d'une voix piquante, toujours un peu tremblante, mais lui indiquant clairement qu'il devait lui foutre la paix, même si c'était dit en espagnol, encore une fois. Le ton qu'elle avait employé suffirait amplement à lui fournir cette information. Elle ne voulait définitivement pas rester à proximité de ce type. On ne sait jamais. Et les souvenirs lui remontaient en tête. Ceux d'un corps pressé contre le sien, de mains emprisonnant ses poignets, d'une main sur sa bouche. Il fallait qu'elle s'éloigne, et vite. Qu'elle cesse de penser à ça. Juste après lui avoir marmonné ses mots, un nouvel éclair d'angoisse traversant ses iris clairs, elle s'écarta du mur et reprit sa route d'un pas rapide, ou du moins, aussi rapide que ce que son état lui permettait. Il fallait qu'elle s'échappe, loin, qu'elle le sème. Qu'elle arrête de visionner les souvenirs que sa mémoire lui envoyaient. Parce que l'alcool ajouté à ce traumatisme répugnant allait vraiment lui faire vomir ses tripes. Courir n'était pas une option, elle était plus ou moins certaine de se manger le trottoir dix mètres plus loin. Et voulait juste fuir. Alors elle traçait tout droit, le cerveau envahi par mille et une images d'horreur.