sun and illusion (azriel)

Azriel afficha une expression compatissante. Il s'était effectivement peut-être trompé sur l'apparente indifférence de la jeune femme proportionnellement aux paroles qu'elle prononçait, et son détachement n'était sans doute qu'une façade. À nouveau, il n'en savait rien, mais il était bien placé pour savoir qu'on ne pouvait juger un livre à sa seule couverture. Lui aussi affichait un comportement nonchalant et désinvolte, toujours à garder pour lui ce qui l'atteignait vraiment. Toujours à taire ce souvenir empoisonné qui lui serrait le cœur depuis dix ans maintenant. « Oui, exactement. » répondit le brun en acquiesçant quand Malia demanda s'il bossait au Hendrix. Elle parla de son père, qui heureusement pour elle était resté aux États-Unis. « Ah, je vois. Mais quand tu dis que ton père te surveilles... Enfin, il est à l'autre bout du monde, il a pas vraiment d'emprise sur toi, si ? » répondit-il à la jolie brunette, toujours un peu perdu et essayant de ne pas dépasser les limites de son intimité par ses questions. Il afficha un petit sourire amusé quand elle s'excusa de s'étaler autant. « T'en fais pas. C'est pas que ça m'intéresse pas, j'ai juste pas envie de t'obliger à parler de choses dont t'aurais pas envie et qui ne regardent que toi. » répliqua Az, avant de continuer par une proposition sans doute saugrenue, mais au point où ils en étaient. « Si tu veux, on peut continuer ce rapprochement très rapide et bizarre. Je rentre à mon appart', tu veux venir prendre une bière ? Y aura peut-être mes colocs, ça peut être marrant. »

Az écoutait les explications de son interlocutrice d'une oreille attentive, tentant vaguement d'assembler les pièces du puzzle. Elle semblait avoir une vie bien mystérieuse, compliquée, ou pas de tout repos. « Je suis pas facilement mal à l'aise, t'as de la marge. » répondit-il avec une pointe de malice et d'amusement, son regard pétillant croisant celui de Malia. Il était plutôt du genre à prendre les choses comme elles venaient. Si c'était bizarre, ben ça serait bizarre, c'était pas une catastrophe. Si c'était dérangeait, il le disait. Si c'était bien, il laissait faire. Azriel était plutôt relax à ce niveau-là, pas à se prendre la tête. Il laissa échapper un petit rire quand la jeune femme confirma que c'était une rencontre peu commune. Mais elle accepta la proposition, comme il le prévoyait. Elle ne semblait pas facilement déstabilisée non plus, ni à peser le pour et le contre pendant trente ans. Il saisit donc son skate sous son bras et ramassa son sac, avant d'emboîter le pas à la jeune femme, se dirigeant vers son appart'. « C'est à une dizaine de minutes, par contre. En skate, ça va plus vite. » précisa-t-il avec un petit sourire, désignant la planche qu'il tenait sous le bras.

C'était plutôt inhabituel de faire connaissance de la sorte, mais ça n'en était pas dérangeant pour autant. Az se rendait compte qu'il apprenait des détails sur Malia au fur et à mesure de la conversation, par des détails, avec naturel. Inhabituel et insolite, c'était très bien. « Il vit ici aussi ? » demanda le brun tout en marchant, se demandant si elle faisait référence à son frère au passé parce qu'il ne faisait pas partie de sa vie au présent, ou simplement parce qu'il ne faisait plus de skate. Tout était possible et Azriel était moins hésitant à poser des questions, sur un ton nonchalant, l'air de ne pas trop y toucher. Il n'y avait aucun malaise entre les deux interlocuteurs, ce qui était assez cocasse vu leur rencontre. Mais Az se prenait à apprécier cette façon de discuter avec la jeune femme. « Absolument tout le temps. » répondit-il avec un petit sourire, jetant un coup d’œil à sa planche. C'était définitivement son moyen de transport numéro un. Parfois, il prenait le volant, mais c'était vraiment rare.

Il n'aurait su dire pourquoi il avait eu ce pressentiment, mais Az ne fut pas étonné par la réponse de la jolie brune. Comme si son corps tout entier avait perçu cette réponse à l'avance, comme si son être avait su avant de l'entendre qu'ils avaient peut-être plus en commun que ce qu'ils ne pensaient, et que cette drôle de conversation aux contours absurdes n'avait pas lieu pour rien. Le garçon laissa un silence s'installer, qui n'avait rien d'un silence pesant, contrairement à ce que n'importe qui aurait ressenti dans une telle situation. Il se contentait de réfléchir à ce que venait de révéler la jeune fille qu'il connaissait à peine. Elle avait perdu un frère. Il avait perdu une sœur. Et il fallait croire qu'ils avaient tous deux un bel historique de meurtres en famille, même si dans le cas d'Azriel, c'était lui qui avait tué sa cadette. « Ne t'excuses pas. Tu n'imagines même pas à quel point cette conversation est ironique. » répondit le jeune homme, d'une voix indéchiffrable, le regard toujours fixé devant lui. « Ma petite sœur est décédée, il y a des années. Le responsable, c'est moi. » lâcha-t-il enfin, sur un ton parfaitement neutre qui ne laissait filtrer aucune émotion. C'était étrange, d'en parler ainsi, alors qu'il n'en parlait jamais, même avec ses proches. Ses meilleurs amis savaient, et encore, pas tous. Même d'anciennes petites amies n'avaient pas toujours été au courant de son passé. Alors ce n'était clairement pas tous les jours qu'il mentionnait sa défunte cadette et son rôle là-dedans, au détour d'une conversation. Décidément, c'était vraiment étrange et totalement absurde. Mais encore une fois, Az n'y voyait rien de dérangeant, simplement parce qu'il sentait un lien indéfinissable et implicite entre lui et cette jeune femme qu'il connaissait depuis une demi-heure à peine. C'était... Impossible à expliquer.

La souffrance d'un souvenir traumatisant perçait derrière le ton dégagé qu'employait Malia, Az pouvait la percevoir. Il la comprenait, sans doute mieux que beaucoup de gens. Leurs histoires étaient similaires même si relativement différentes dans les faits. Il tourna enfin la tête vers la jeune femme, lui accordant un sourire compatissant tandis que son regard brillait de la lueur de ceux qui savent exactement ce que l'autre peut ressentir. « Je suppose que c'est pas un sujet de conversation que t'abordes souvent ni avec n'importe qui. » releva le barman, pensant encore une fois au côté cocasse de la situation. « C'est drôle de se connaître à peine et de parler de ce genre de choses. Enfin, c'est peut-être pas plus mal. » ajouta-t-il en espérant que cela ne dérangeait pas Malia de replonger dans les détails douloureux de son passé, tout comme lui le faisait en ce moment, ce qui était peu courant. Il se sentait étrangement à l'aise dans cette ambiance, qu'on pouvait qualifier de très détendue au vu de la tournure qu'avait pris la conversation. « Ça te dit qu'on discute de tout ça autour d'une bière ? » Ils étaient arrivés à l'appartement d'Azriel et de ses colocataires. Lui qui s'était dit que ce serait chouette de présenter une quasi-inconnu à ses colocs, il espérait désormais qu'il n'y ait personne à l'appart'. L'ambiance aurait sans doute été beaucoup plus spéciale et inconfortable, vu ce qu'ils venaient d'échanger, si d'autres gens débarquaient.

L'italien hocha la tête pour donner confirmation aux paroles de la brune. Sans doute s'étaient-ils bien trouvés, ces deux-là, au détour d'une simple après-midi sur la plage. Une coïncidence plutôt bien tombée. Malia accepta de continuer sur leur lancée - aussi peu propice à la joie soit-elle - en poursuivant leur conversation chez lui. Peut-être que ça leur ferait du bien, de se confier sur un sujet qu'ils n'abordaient jamais avec leur entourage. Az ouvrit la voie, montant les escaliers et laissant la belle espagnole entrer. L'appart' semblait vide et le brun contourna le comptoir de la cuisine pour atteindre le frigo et en sortir deux bières fraîches, qu'il ramena vers le canapé où il s'installa avec la jeune fille. Il les ouvrit tour à tour et lui en plaça une dans les mains. « De mon côté, j'ai déclenché un accident de voiture au retour d'une soirée. J'étais trop saoul, imprudent, j'ai perdu le contrôle du véhicule. Je ramenais ma petite sœur, et de nous deux, c'est elle qui a succombé à l'accident. » Encore une fois, il utilisait ce ton désinvolte, l'air nullement perturbé, mais on pouvait percevoir en arrière-plan que si ça n'avait tenu qu'à lui, il serait mort dans cet accident une centaine de fois s'il avait pu. Qu'il considérait que chaque jour de son existence passée depuis, il ne les méritait pas. Il n'aurait pas dû être en train de les vivre, pas celui-ci, pas aucun autre. « Ça fait longtemps que t'as perdu ton frère ? » reprit-il en posant son regard noisette sur Malia, après avoir bu quelques gorgées de sa bière.

Ils échangeaient chacun à leur tour des indices sur leur passé douloureux, qui les torturait encore aujourd'hui même s'ils n'en laissaient rien paraître. De son côté, Az avait fini par accepter ce qui était arrivé, la nature irréversible des événements et sa part de responsabilité là-dedans. Il s'était pardonné, se rendant compte que se laisser ronger par la culpabilité ne ramènerait pas sa sœur à la vie et ne ferait qu'entraver sa capacité à aller de l'avant. Mais même s'il avait cessé de se fustiger nuit et jour pour ce qui était arrivé, il ne se remettrait jamais totalement de la mort de sa cadette, il le savait pertinemment. Cela faisait déjà dix ans. Et comme le disait Malia, c'était comme si c'était hier. « Je comprends. Je crois qu'on va s'épargner les éternels mantras du style "culpabiliser ne sert à rien". On doit tous passer par là et on s'en remettra jamais, c'est un fait, tout le monde le sait. Que ce soit réellement de notre faute ou non, la culpabilité s'en tape, elle est là. » souffla Az après avoir écouté attentivement l'espagnole, avec un petit pincement au cœur en percevant l'émotion contenue de Malia. Ses paroles à lui n'étaient pas spécialement celles qu'on utilisait pour remonter le moral, c'était même plutôt pessimiste, mais c'était ainsi qu'était Azriel. Et surtout, lui-même en avait rapidement eu ras-le-bol de tous ces "bons conseils" sur le fait de ne pas s'en vouloir et d'aller de l'avant. Après ce genre d'événement, y avait pas besoin qu'on se fasse répéter ces choses, on le savait déjà. Mais de belles paroles ne changeaient ni les faits, ni ce qu'on ressentait sur le moment. C'était un cheminement qu'il fallait faire seul, et cela prendrait le temps qu'il faudrait.

Az laissa le silence s'installer tranquillement, sans en ressentir le moindre inconfort. Ce n'était pas un sujet qu'on abordait facilement ni avec tout le monde, et il était étonné que cette discussion se soit déroulée aussi facilement, sans le moindre malaise, avec une personne dont il ne savait pratiquement rien. Et il n'y avait rien à dire de plus sur ces confessions, les faits étaient là et aucune parole rassurante ne viendrait les changer. C'était en tout cas la vision qu'Azriel avait de la chose. Fallait accepter cette douleur, la laisser prendre la place qui lui était due, car lutter contre elle était un combat perdu d'avance. Il reprit une gorgée de bière, qu'il garda en main. « C'est très bizarre de parler de ça sans même se connaître, mais étrangement, ça m'a fait du bien. » lâcha-t-il simplement, le regard dans le vide. Il s'étonnait lui-même de prononcer ces mots, lui qui gardait si souvent les choses pour lui quand on ne lui demandait rien, et qui n'était pas la personne la plus expressive du monde quant à ses émotions. Surtout en ce qui concernait les émotions négatives. Il but à nouveau dans sa bière, puis tourna enfin la tête vers Malia avec l'ombre d'un sourire sur les lèvres. « Intense, comme premier contact. » nota-t-il avec une petite trace d'humour dans la voix, apportant un peu plus de légèreté à l'ambiance qui les enveloppait dans le silence de l'appartement.