another one bites the dust . pv alek

Ash était tout heureux et sautait en l’air depuis que j’avais passé mon blouson. Mon chien sentait que nous étions sur le point de partir en promenade et ne tenait plus en place si bien que j’eus du mal à lui attacher sa laisse. En riant, je l’enjoignis au calme et il me laissa finalement glisser le mousqueton dans l’anneau de son collier. Nous sortîmes enfin tous les deux. Pour ma part, j’étais heureuse de prendre un peu l’air après une journée de travail sur mes peintures, quand à Ash, j’imaginais que la balade du midi lui paraissait déjà loin et qu’il avait hâte de se dégourdir les pattes. Je pris la route de la plage, où j’aimais le promener à cette heure-ci. En fin de journée, il n’y avait presque plus personne sur le sable, ce que je trouvais dommage au vu de la beauté des couchés de soleil qu’on pouvait y contempler. Ceci dit, cela m’arrangeait plutôt, je pouvais ainsi laisser mon chien courir à sa guise sans qu’il ne dérange personne. Ash le savait très bien, c’était d’ailleurs pour cela que l’escapade du soir était sa préférée. J’avais plus de temps à lui accorder en général et, aujourd’hui, j’avais apporté son frisbee. Mon husky trépignait. J’éclatai de rire de le voir me tourner autour, tout en essayant de ne pas tomber à cause de la laisse qui s’enroulait autour de mes jambes.
— Doucement Ash ! réclamai-je, tout en me baissant pour défaire son mousqueton, voilà, bon chien…t’es prêt ?
Une fois libéré, mon chien se mit à sautiller. Sans attendre, je lançai le frisbee et Ash partit en trombe. Je le vis sauter pour rattraper son jouet et, sans que je n’ai pu maitriser quoique ce soir, il retomba lourdement sur une jeune homme qui passait là, l’entrainant avec lui dans sa chute. Horrifiée, je plaquai mes mains sur ma bouche et, reprenant rapidement mes esprits, accourus vers le pauvre malheureux que mon chien venait de renverser.
— Oh, je-je…je suis désolée, balbutiai-je, je ne vous avais pas vu et…Ash, au pied !!...pardon…vous…euh…je ne vous ai pas fait mal ?
J’étais affreusement confuse.

Quand Ash s’est hissé sur ses pattes, j’ai presque pu observer la scène au ralenti, et pourtant, je n’avais rien pu faire pour empêcher mon chien de percuter ce pauvre homme qui s’était trouvé sur sa trajectoire. Horrifiée, j’avais couru à la rencontre du type qu’Ash avait entrainer dans sa chute pour me confondre en excuses. C’était à cause de ce genre d’incident – ou d’autres légèrement moins fracassant, mais plus odorants – que les chiens avaient si mauvaise presse sur les plages. Pourtant, en règle générale, je faisais bien attention et ne promenait mon chien en bord de mer qu’à des horaires où la foule avait désertée les lieux. Hélas, le risque zéro, malgré le nombre de précautions que l’on pouvait prendre, n’existait pas. Toutefois, je devais bien reconnaître que je n’avais pas été si précautionneuse que cela ce soir, je m’étais, au contraire laissée distraire. L’expo que je préparais m’occupait constamment l’esprit, même quand je décidais de me mettre en off pour quelques heures. C’était plus fort que moi. Pour en revenir à Ash et au malheureux qu’il avait renversé, je fus soulagée dès que j’arrivai à leur hauteur, de voir un sourire – plutôt craquant d’ailleurs – se peindre sur le visage de l’homme. Il devait avoir environs le même âge que moi à peu d’année près, de plus, il était plutôt bel homme. Il se releva et plaisanta aussitôt, ce qui me semblait bon signe. Je lui offris à mon tour mon plus beau sourire, avant de sortir la laisse de mon chien de ma poche arrière pour venir accrocher le mousqueton à son collier. Une fois mon petit monstre attaché, je tendis la main au jeune homme.
— Je m’appelle Lys, comme la fleur.  
Comme la fleur ? Sérieux ? Pourquoi j’ai dis ça, c’est complètement débile. Nais surtout. Il va te prendre pour une quiche… pensai-je, tout en essayant de garder la face, alors que le jeune homme – et son charme naturel visiblement, me déstabilisait.
— Et…et vous ?
Je repoussai les cheveux qui, avec le vent, me venaient dans le visage puis levai le nez vers mon interlocuteur.
— Je...peux vous offrir un verre pour me faire pardonner la maladresse de mon chien ? Il s’appelle Ash, au fait.

Même après s’être fait renversé par un chien peu adroit, le jeune homme restait aimable, plutôt charmant même. On m’avait toujours certifié que les chiens avaient le don de rapprocher les humains, cela se confirmait. Caressant distraitement la tête de Ash, venu réclamer un peu d’attention, je souris à l’inconnu lorsqu’il me donna son prénom et accepta, après avoir regarder l’heure, mon invitation à boire un verre.
— Aleksey ? C’est slave, non ? C’est joli, dis-je alors que nous marchions dans le sable, Ash devant nous.
Après un silence, Alek me demande finalement ce que je fais dans la vie. C’est une question qui me fait toujours sourire. Je n’ai pas la sensation que mon métier – mes métiers en réalité – puisse définir la personne que je suis. Comme tous le monde, on ne peut pas me réduire à cela. Pour autant, c’est toujours ce qu’on demande pour faire connaissance. Curieux.
— Je profites, dis-je finalement, de tout ce que la vie a à m’offrir. Mais si tu souhaites savoir comment je remplis mon frigo…je suis prof de littérature au lycée, mais ma vraie vocation, c’est la peinture. Je suis artiste peintre. Et toi ? Qu’est-ce qui te fait vibrer ?

Je n’avais jamais mis les pieds en Russie, même durant les années où j’avais voyagé après la mort de mon père, pourtant ce pays m’intriguait. Il était plein d’Histoire  et son architecture, pour ce que j’avais pu voir sur les photos et les documentaires, était magnifique. Toutes ces couleurs, ces formes arrondies donnaient de la chaleur à ce pays froid. Je l’écoutai me raconter qui il était, un sourire peint sur le visage.
— Donc, un mannequin russe, motard et épicurien ? résumai-je, on a plus de points communs que je ne l’aurais cru alors…je conduis peu, mais j’ai une magnifique moto dans mon garage, héritage de mon père.
Je ne savais pas vraiment pourquoi je ne prenais pas la moto plus souvent. J’avais mon permis depuis des années, mais je préférai souvent me déplacer à pied, ou bien en transport en commun. Je ne sortais la moto qu’à de très – trop – rare occasion. Sans doute parce qu’elle avait un caractère sentimental.
Nous arrivâmes rapidement devant le bar de la plage et je m’amusai de voir Alek rappeler mon chien comme si c’était le sien. Je partais du principe qu’un humain sensible aux animaux était quelqu’un de bien, aussi je me laissai penser que la soirée s’annonçait plutôt chouette.
Je ricanai lorsque mon interlocuteur passa commande.
— On avait pas dis que c’était moi qui offrait ? notai-je en riant. La même chose, dis-je finalement au serveur qui parti aussitôt chercher notre commande.
Je passai négligemment une main dans mes cheveux puis souris à Alek.
— Qu’est-ce qui t’amènes à Bowen ? demandai-je pour lancer la conversation.

Je remerciai Alek pour sa galanterie et acceptai son verre avec plaisir. Lorsque nos bières arrivèrent, je me saisis de la mienne et la levai pour trinquer avec le jeune russe. Je bus une gorgée, dont l’amertume mêlée d’une rondeur caractéristique à la bière ambrée ravit mon palais. J’écoutai ensuite le jeune homme me raconter comment il avait atterrit sur notre belle île, et plus précisément à Bowen. Ainsi, il était venu sur le sol australien en famille. Intéressant. Ma famille à moi n’était pas celle du sang. Il y avait eu mon père, évidemment, mais depuis qu’il n’était plus là, je me rattachai surtout à mes amis. Rosa, Maddox, Azriel…elle était là ma famille, et je ne voulais l’échanger pour rien au monde.
— Une aventure familiale, donc ? déduisis-je.
Le jeune homme ne semblait pas vouloir s’étendre davantage pour le moment, aussi je n’insistai pas plus et répondis plutôt à sa question.
— Je suis née à Bowen, lui appris-je, j’ai un peu voyagé récemment, mais oui, je suis une australienne pure souche.
Enfin, pure souche…ça n’était pas vraiment la réalité puisque ma mère était américaine, mais je n’avais jamais accepté cet héritage. Ma mère n’avait fait pour moi qu’une seule chose : me mettre au monde. Après cela, elle s’était totalement soustraite à ma vie. Cela ne comptait pas.
— Alors ? Tu aimes notre belle île ? m’enquis-je auprès d’Alek tout en dardant sur lui un regard un peu charmeur.

J’aimais ce genre de discussions faciles et agréables, sans arrières pensées. Alek était plaisant à écouter. Sa voix était calme, posée, il parlait sans précipitation, ce qui mettait à l’aise tout de suite son interlocuteur. Si bien que je souriais instinctivement en l’écoutant.
— Je suis partie en Europe principalement, répondis-je à sa question, j’ai aussi un peu fait le Canada et les US. Quand mon père est mort, j’ai eu besoin…de prendre le large, ça m’a aidé je crois. C’était aussi un peu comme son dernier cadeau pour moi, en quelque sorte.
C’était vrai. J’avais utilisé l’argent de mon héritage, une partie du moins, pour voyager. Cela m’avait fait un bien fou, en plus de me faire grandir. Voyager seule avait cet aspect bénéfique. On était forcé de se débrouiller, sans l’aide de personne et si jamais on en avait besoin, il fallait aller la demander. Cela créer des liens, nous forcer à nous dépasser, à sortir de notre zone de confort. J’avais grandement mûri en voyageant autant. Sans compter qu’on s’enrichissait aussi énormément d’un point de vue culturel. Je comprenais donc parfaitement Alek et ses envies de tour du monde.
Je ris toutefois au moment où il évoqua la différence de climant entre Bowen et sa Russie natale.
— Je n’ai aucun mal à te croire. Les hivers ne sont pas si rudes à Bowen, je ne suis même pas sûre qu’on puisse parler d’hiver d’ailleurs. J’en ai vécu en Europe des complètements différents d’ici, j’ai même vu de la neige !
Pour un russe, c’était sans doute banal, pas pour moi. Australienne pure souche. Effectivement, le climat ici était différent.
— J’aime vivre ici, avouai-je. On a beau tourner autour du globe, quand on sait où est sa maison, on y revient toujours je crois. Et c’est ici chez moi.

Effectivement, ma maison était ici, à Bowen et j’y étais attachée. Alek sembla étonné de m’entendre dire que je n’avais jamais vu de neige avant mon voyage en Europe. Cela me fit sourire. Non effectivement, nous n’avions pas l’occasion d’en voir souvent ici.
— J’en avais vu à la télé, avouai-je, et pour tout te dire, j’ai été assez surprise de la texture que ça a. Je pensais que c’était…moins, je sais pas, moins froid peut-être.
Je ris de me voir tâtonner à ce point pour expliquer ce que j’avais ressentis. C’était difficile à expliquer. Quand on grandit avec des images de neige sans jamais en avoir vu et encore moins tenu entre ses doigts, il est difficile de s’imaginer ce que cela peut être. La conversation dévia tout à coup sur Ash qui, même si on n’avait pas prononcé son nom, savait qu’on parlait de lui et redressa la tête en secouant la queue. Amicalement, il vint poser le museau sur la cuisse d’Alek, réclamant des caresses.
— Je l’ai recueilli, expliquai-je, ma meilleure amie travaille dans un refuge et ce chien a été abandonné par ses anciens propriétaires. Je me demande encore comment on peut abandonner un bouille d’amour pareille…comment on peut faire ça tout court d’ailleurs.

Je n’arrivais pas non plus à comprendre comment on pouvait abandonné un animal, surtout dans le cas de Ash que les collègues du refuge où travaillait Rose, ma meilleure amie, l’avait retrouvé attaché à un piquet sur la plage. Il n’était pas resté longtemps, étant donné que le refuge faisait des patrouilles quotidiennes mais le geste de ces anciens maitres avait traumatisé l’animal qui refusait maintenant que je l’attache quelque part, même durant une minute le temps que je fasse une course. Je ne lui imposai pas cette souffrance, je m’adaptais. A sa manière de parler à mon chien, je devinais que mon interlocuteur était quelqu’un de doux, sensible aux animaux, ce que je trouvais craquant.
— Ca me dépasse aussi, avouai-je en terminant ma boisson.
Je posai mon verre sur la table et vis qu’Alek n’avait pas fait signe au serveur pour commander autre chose. Il avait terminé son verre un peu avant moi. Devais-je comprendre qu’il souhaitait écourter notre discussion ou bien la terminer ailleurs. Le meilleur moyen de savoir était encore de lui demander. Je n’étais pas du genre à passer par quatre chemins.
— Tu veux faire un tour le long de la plage ou…peut-être puis-je t’offrir un deuxième verre, chez moi ? Je ne vis pas très loin.
Non, je n’étais pas du genre farouche.