aware of everything (carlisle)

Carlisle et toi, vous aviez pris le premier bus de la journée en direction du Parc national de Wooroonooran. C’était un assez long trajet, d’un peu plus de cinq heures, pendant lequel vous aviez dormi la plupart du temps, et quand ce n’était pas le cas, toi, tu regardais à travers la vitre et t’admirais le paysage qui défilait devant tes yeux. Vous remontiez vers le nord, alors forcément, tu ne pouvais t’empêcher de penser à la localité de Mossman Gorge, que t’avais quitté il y avait bien trop d’années de cela maintenant. Ta maison, de laquelle t’avais en quelque sorte été banni par le biais de ta mère. Tu serrais ton sac à dos contre toi, tête inclinée sur le repose-tête de ton banc, te demandant si un jour tu continuerais sur cette route-là, pour quelques heures encore, et retrouver ceux avec qui t’avais grandi. Tu retrouverais sans doute une communauté bien différente de celle que t’avais laissée derrière toi, tu savais que depuis quelques années les Kuku Yalanji s’étaient davantage ouverts aux touristes, mais t’ignorais s’ils seraient davantage ouverts face à toi. Tu soupiras, et fermas les yeux, tentant de chasser ces idées pour le reste du trajet. De toute façon, Carlisle et toi alliez en forêt ce week-end non pas pour te torturer l’esprit avec tes racines, mais bien pour renouer avec cette nature de laquelle vous étiez trop éloignés, en ville. Ça avait toujours été un élément crucial à ta vie, ça, et t’étais ravi d’avoir trouvé quelqu’un avec qui partager ces moments de retrait. T'avais Miro et Lowa, c'est sûr, mais ils étaient encore jeunes pour certaines de ces randonnées. T'avais préféré les laisser à la maison, avec ta mère. L’autobus s’arrêta finalement à l’entrée du Parc national, sur la Palmerston Highway, où quelques passagers sortirent, dont vous deux. Les autres continueraient sans doute le chemin vers la ville de Cairns, terre des Djabugay. Tu remis ton sac sur tes épaules, inspirant profondément cet air pur. Un sourire se dessina sur tes lèvres, tes yeux clos. Lorsque tu les rouvris, tu regardas Carlisle. « On devrait se diriger vers Nandroya Falls, j’ai l’impression que ce sera moins achalandé que Josephine Falls. » Probablement parce que s’y rendre représentait une marche de près de deux kilomètres de plus. Ce n’était pas ce qui t’arrêterait, d’autant plus que vous aviez deux journées devant vous, et une tente dans ton sac. « Et comme ça, moins de risque de nous retrouver sur les selfies d’un paquet de touristes. » T’esquissas un sourire. Vous veniez pour la quiétude, pas pour le concours du plus beau décor à mettre sur les réseaux sociaux. N’être qu’un avec la nature, ce n’était pas de vivre à travers l’image renvoyée par un écran.

Vivre dans la nature, dans des conditions très précaires, Carlisle l’avait connu. Pas seulement durant son tour du monde, même s’il lui arrivait régulièrement de dormir par terre mais surtout durant les mois où il a été retenu en otage par les farcs au cœur de la jungle colombienne. Cette expérience l’a complètement retourné, ce qui est compréhensible. Toute sa vie a été remise en question, sa façon d’être également. Depuis il essaie de vivre plus sereinement, de calmer les crises d’angoisse qu’il peut parfois avoir avec de la méditation. Il aime aller dehors et se balader. Mais il a eu envie d’aller plus loin, d’en apprendre plus, de pouvoir être en réel communion avec la nature. Pour l’aider, il y a Maliyan avec lui. Cet homme qui lui sert plus ou moins de guide, que ce soit à travers la nature ou à la découverte de son esprit. Si Carlisle a vécu toute sa vie à Bowen, il ne connaît pas vraiment les réserves qui se trouvent à l’extérieur de la ville, bien plus loin dans les terres. Ce week-end ils partent se perdre dans la nature, loin des touristes et des gens. Ils ont pris le bus durant de nombreuses heures, les laissant au milieu du paysage aride de l’Australie, à l’entrée d’un parc national comme il y en a beaucoup dans le pays. Le jeune homme vit de manière assez simple en général, même s’il existe quelques exceptions pour les costumes et les jeux de société qu’il collectionne, il n’a pas donc pris trop de choses avec lui, juste le nécessaire pour lui permettre de marcher longtemps sans trop se fatiguer. En plus de ça il bénéficie d’une condition physique très bonne qu’il doit à d’intenses entraînements de yoga, des randonnées et quelques sorties en vélo ou à pieds. Le jeune cuisinier écouta attentivement son ami et hocha la tête à sa proposition, il s’y connaissait mieux que lui, il n’allait pas le contre-dire. La prochaine réflexion de son ami le fit rire. Il s’imaginait tous les deux pris en photo à leur insu par des touristes en quête d’exotisme. « Ouais, faut dire qu’avec nos tronches on pourrait nous prendre pour des mecs perdus dans la nature. » répondit-il. Lui avec sa peau mate et son ami aborigène, il y a de quoi se poser certaines questions. Mais non ils sont bien comme tout le monde et veulent juste passer un week-end loin de tout, en communion avec la nature. C’est aussi l’occasion pour eux d’apprendre à mieux se connaître et à discuter car ils n’auront pas beaucoup d’autres compagnie pour les deux jours à venir. « Du coup on devrait prendre par là non ? » se risqua Carlisle, qui n’était pas totalement sûr de la direction à prendre. « T’es déjà venu par là avant ? » demanda-t-il alors.

Tu ris à sa remarque. Carlisle l’ignorait sans doute, mais il avait presque autant l’air que toi d’un kuku yalandji. Avec sa peau mate, bien plus foncée que la tienne, il ressemblait davantage aux gens de ton peuple. Toi, tu l’avais appris plus tard, mais tu n’appartenais qu’à moitié à ces gens-là. T’avais du sang de blanc qui coulait dans tes veines et ça avait forcément eu des répercussions sur ton physique. Évidemment, ce n’était pas si flagrant, autrement ton père – qui n’était pas vraiment ton père, au final – aurait bien tôt fait de constater la trahison de ta mère. Mais maintenant que l’information avait été dévoilée au grand jour, tu te rendais compte de toutes ces différences que tu n’avais jamais été amené à voir avant. Ton père aussi, sans doute. Plus de vingt ans plus tard, tu avais fait la paix avec cette partie de toi-même, mais t’ignorais si les gens de Mossman Gorge le voyait du même œil. C’est pour cette raison que tu n’étais jamais retourné là-bas, de peur de vivre un second exil. Le premier avait déjà laissé bien trop de marques indélébiles sur ton cœur, tu n’avais pas envie de retraverser ce chemin de la honte. Alors plutôt que de retourner là où tes racines étaient, tu t’aventurais dans les terres d’autres peuples aborigènes qui t’aidaient à leur manière à renouer avec ta mémoire. « Si seulement ils savaient que ce sont eux, qui se perdent, en suivant les sentiers battus … » Tu secouas doucement la tête. Les sentiers trop bien tapés, les arbres marqués de rubans indiquant le chemin à suivre, ça enlevait tant à l’expérience. Peut-être était-ce pour cette raison que Carlisle revenait souvent à toi pour partir dans ces randonnées, parce que tu n’avais pas peur de t’éloigner de ce qui était connu, et que ça vous permettait de réellement ne faire qu’un avec la nature qui vous entourait. Vous aviez toujours vos cartes des parcs avec vous, certes, mais seulement pour vous situer dans l’immensité de l’endroit. Jamais vous ne suiviez les points de repère que le papier vous indiquait. Puis, ton ami se débrouillait aussi plutôt bien de ce côté-là, la preuve il pointa la direction à prendre pour les cascades que tu avais proposées. « Yup, par là. » Acquiesças-tu, avant commencer à marcher dans cette direction. « Trois ou quatre fois, ouais. Mais souvent c’était avec Lowa et Miro alors je ne me suis pas aventuré bien loin. Avec toi ce sera l’occasion de m’enfoncer vraiment loin dans la réserve. » Tu souris. Dis comme ça, les plus peureux auraient sans doute hésité à vous suivre, mais vous deux, vous n’aviez pas peur des imprévus. Au pire, il y en aurait. Vous vous enfonciez alors à travers la végétation de la forêt tropicale, délaissant enfin l’aridité des territoires côtiers. Rien que l’odeur t’apaisait, et c’était sans parler des chants des oiseaux et du bruit du vent dans les feuilles. « Et toi alors, t’as le sens de l’orientation de plus en plus aiguisé, ou bien tu connais déjà ce parc ? » Ta question arrivait certainement dix minutes après la conversation initiale, mais t’étais toujours comme ça. Un peu lent, un peu absent.

Avant de partir autour du monde, Carlisle ne s’aventurait pas bien loin. Dans les premières semaines de son périple, qui l’avait conduit en Europe, il ne sortait que peu des grandes artères et des lieux touristiques, se disant qu’il ne voulait rien louper des choses incontournables du pays. Mais petit à petit il avait appris à prendre plus confiance et s’immiscer davantage dans la vie quotidienne des locaux, vivant comme eux et non plus comme un australien touriste lambda avec son appareil photo et son short beige. Bien sûr il a connu quelques mésaventures mais la plus grosse le chamboula à jamais. Comme toute personne saine d’esprit, il ne put sortir sans séquelle d’un enlèvement de plusieurs mois. Il est ensuite rentré en Australie, auprès de sa famille, n’osant plus trop sortir de chez lui. Carlisle hocha la tête à la réflexion de son ami. Sortir des sentiers battus à du bon même si le jeune homme ressent toujours au fond de lui une certaine peur à s’enfoncer dans des terres inconnues et éloignées de toute civilisation. Il a toujours cette peur incontrôlable que quelqu’un surgisse et ne l’emporte pour l’enfermer à nouveau. Cela fait des années qu’il se bat pour faire disparaître cette peur mais il sait bien que sa vie ne sera plus jamais la même et qu’il ne sera jamais plus comme avant.
Mali’ expliqua être venu quelques fois avec ses enfants auparavant sans pour autant beaucoup s’éloigner des routes tracées pour ne pas se perdre avec des enfants qui ne sont pas aussi courageux que des adultes. « J’espère que toute se passera bien alors. » dit-il en se passant une main dans les cheveux, légèrement nerveux à l’idée de se perdre au milieu de nul part en pleine déshydratation. Quelques instants plus tard, la conversation repris sur le sens d’orientation du jeune cuisinier. « J’ai pas mal voyagé donc j’ai appris à me repérer un peu n’importe où mais là je crois que c’est surtout de la chance. » Il peut malgré tout retrouver son chemin jusqu’au sentier sans soucis car il retient dans un petit coin de sa tête tous les endroits par lesquels ils sont passés. « Mais je compte sur toi pour pas nous perdre ! » ajouta-t-il sur le ton de la rigolade. « Mais tu as des petites astuces pour ne pas se perdre ? Ici tout se ressemble un peu... » Il regarda les alentours où chaque direction se ressemblait, un vrai labyrinthe naturel.

Évidemment, tu n’avais absolument aucune idée de ce que Carlisle avait pu vivre pendant son périple, tu n’avais aucune idée de ces traces à jamais marquées dans son esprit tourmenté en raison de son enlèvement dans un autre pays. Si tu avais su, ça n’aurait sans doute rien changé à ta propre approche, tu ne te sentais vraiment chez toi que lorsque tes pas s’enfonçaient dans le cœur des forêts, puisque c’était là que tu y avais laissé le tien. Toutefois, tu te serais peut-être montré plus prudent au moins pour lui. Alors sans doute était-ce préférable que tu restes dans l’ignorance, autrement, Carlisle n’affronterait jamais ses démons, et c’était selon toi la meilleure façon de s’en délivrer. Tu lui parlas de ton expérience dans ce parc national, qui s’arrêtait à quelques courtes randonnées avec Miro et Lowanna. Aujourd’hui, ce serait complètement différent, puisque vous étiez deux adultes capables de marcher pour de longues rudes heures. Et peut-être que vous alliez vous perdre, oui. Peut-être que vous vous retrouveriez dans une situation un peu désagréable. Mais t’avais confiance. En vous, mais aussi en cette nature qui vous entourait. « T’inquiètes, y’a pas de raison qu’il se passe quoi que ce soit. » Tu souris à Carlisle, remarquant son geste nerveux. En réalité, il pouvait y avoir toutes sortes de raisons, mais si tu te mettais à parler à Carlisle de tous les animaux potentiellement dangereux que vous pourriez rencontrer, ou des conditions météorologiques qui pourraient vous bloquer en chemin, ou de la grandeur de ce parc dans lequel il serait finalement plutôt facile de se perdre, tu sentais qu’il rebrousserait chemin. Ce n’était pas le but. Le but était de se libérer l’esprit, et y insérer de nouveaux tourments vous en éloignerait. Quelques minutes de marche plus tard, tu repris la conversation là où tu l’avais laissée avant ton silence. « Où est-ce que tu as voyagé ? » Demandas-tu, ne t’attendant pas forcément à une liste longue comme le bras puisque toi, tu n’avais jamais quitté l’État du Queensland. Mais tu savais fort bien, pourtant, que le monde était devenu tellement accessible à tous. Tu n’avais juste jamais pris ta chance pour en profiter aussi. Peut-être que t’en avais un peu peur, aussi, de cet inconnu. Ici, au moins, tout t’était familier. D’ailleurs, la question de Carlisle te permit de le lui expliquer. Si pour lui tout se ressemblait, pour toi, il y avait de ces légers détails qui ne t’échappaient pas. « Déjà, quand même, même si je ne connais pas chaque parcelle de ce parc, j’en connais au moins les grandes lignes. Prends par exemple la rivière qu’on entend au loin, c’est la Russell River, et le flot coule vers l’océan, alors forcément si on suite son cours, on retrouvera le chemin qui nous mènera éventuellement aux routes pas loin de Bruce Highway. » Certes, ça pouvait représenter des heures et des heures de marche, ça, mais au moins l’espoir serait toujours là. « Et puis pour retracer nos pas, je t’avoue que je porte surtout attention à ce qui m'entoure. Quand tu regardes sans trop t’attarder, tu loupes des détails, des détails qui pourtant font toute la différence. Y’a deux minutes on a croisé un arbre très malade et je reconnaîtrais la bosse sur son tronc parmi tous ceux autour. Et devant nous tu vois, cette roche, remarque la fissure qui la brise en deux … t’en retrouveras pas une autre comme celle-là. » Il y en aurait d’autres, des roches fracturées, mais la ligne ne serait pas la même, et une fois que t’avais l’image en tête, tu ne l’oubliais pas. « Étape par étape, t’enregistres quelques informations comme ça, et tu peux retracer tes pas en sens contraire. » Tu continuais de marcher, expliquant tes techniques à Carlisle sans t’arrêter, pointant par-ci et par-là alors que tes pieds semblaient suivre un chemin parfaitement tracé. « Puis, t’as toujours le soleil aussi, pour t’orienter. On a l’heure, et on sait qu’il se couche à l’ouest, alors on a au moins ça pour savoir dans quelle direction aller, en dernier recours. » Tu souris, t’avais quand même d’autres façons de te repérer mais cette base avait au moins quelque chose de rassurant. « Ça vient avec la pratique, l’habitude. »

Voir cet homme savoir parfaitement dans quelle direction aller rendait Carlisle admiratif. Il voyait bien que, même si lui avait vécu dans une petite ville, leur niveau était bien différent. Mali’ ne faisait qu’un avec la nature, il n’en avait pas peur et savait la maîtriser. De son côté le jeune cuisinier jouerait sur sa condition physique en cas de danger. Il n’est pas bien entraîné à la course ou à de longues marches mais il pratique quotidiennement le yoga de manière intensive ce qui, au fil du temps, l’a rendu sec et musclé, l’idéal pour fuir. Malgré il fut rassuré par les paroles de son professeur même s’il est persuadé que si vraiment il y a des dangers il ne lui dira par forcément, de peur qu’il prenne la fuite. Il n’est pas stupide, il sait bien que la nature australienne est impitoyable. Il en a vu des serpents, des araignées et autres créatures peu rassurantes. Après un moment le jeune homme demanda finalement où Carlisle avait voyagé. « Je suis partie faire mes études en France et comme j’ai bien aimé, j’suis parti un peu partout après. J’ai surtout fait l’Europe et l’Asie, un p’tit peu l’Amérique aussi, mais mon voyage ne s’est pas aussi bien fini qu’il n’a commencé. » dit-il sans rentrer davantage dans les détails. Évoquer ces moments de sa vie était toujours douloureux pour lui. Il y a ce genre de traumatisme dont on ne guérit jamais vraiment, on vit avec, on l’oublie du mieux que l’on peut, mais il est toujours là. Au final il estime qu’il a eu de la chance car il n’est pas mort et même si les conditions de détention n’étaient pas royales, il n’a pas été torturé. En plus de ça, il a pu profiter de son voyage avant, l’Amérique du Sud étant prévu quasiment à la fin de périple. Il devait aller jusqu’au Cap Horn, point final de son voyage. Finalement il s’est arrêté en Colombie, il ne se voyait pas continuer après ça, il devait rentrer auprès des siens. La conversation se dirigea ensuite vers les astuces de Maliyan pour ne pas se perdre dans la nature. Carlisle écouta attentivement les conseils du jeune homme, les retenant sachant que cela pourrait lui être utile. Il trouvait tout de même ça impressionnant de réussir à développer autant ses sens. Réussir à entendre un bruit au loin et pouvoir l’identifier, voir les détails de la nature pour en comprendre les changements. Avant de partir, il avait ajouté sur sa pile de livre un ouvrage de survie en pleine nature assez succin. Il s’agissait seulement des bases pour réussir à trouves les secours facilement, sorte de résumé des émissions Man Vs Wild de Bear Grylls. Voir ces astuces appliquées en vrai et en temps réel leur donnait davantage de substance. Le jeune homme hocha la tête, montrant qu’il est attentif et essayait en même temps de trouver ses propres points de repère pour se familiariser avec l’exercice. « Il faut quand même de l’entraînement ! » commenta-t-il d’un ton léger. « Du coup tu as appris tout ça comment ? » Il en connaissait assez peu sur son histoire au final et cela l’intriguait.

T’avais appris à vivre avec ces bêtes parfois dangereuses. Dans la réserve, vous faisiez constamment face à la présence d’araignées red back, d’eastern brown snakes, ou tout autre animal venimeux ou à risque. Heureusement, c’était plutôt dans les déserts qu’on retrouvait les pires espèces comme le serpent Taïpan. De toute façon, les médecins et chercheurs avaient développé des vaccins anti-venin et ce depuis des années, alors si autrefois la mort était effectivement possible suite à une morsure, c’était bien plus rare de nos jours. C’était toutefois une raison de plus de ne pas trop vous éloigner de la civilisation. Tu questionnas finalement Carlisle quant à ses expériences de voyage qui semblaient avoir développé chez lui un assez bon sens de l’orientation, même alors qu’il ne connaissait pas son environnement. Tu ne t’inquiétais pas pour lui dans cette grande forêt. « Ah bon ? Qu'est-ce qui s'est passé ? » Demandas-tu alors que Carlisle te fit part du fait que son dernier voyage en Amérique ne s’était pas très bien terminé. Tu ne doutais pas une seule seconde qu’une terrible histoire se cachait derrière cette simple affirmation. Tu ne connaissais pas du tout Carlisle, au final, vous n’étiez toujours restés qu’en surface dans cette relation de partage. Tu ignorais qu’il avait des blessures bien plus profondes à guérir que ce qu’il laissait paraître. Sans doute pour le rassurer mais aussi pour l’outiller quant à ses explorations futures, tu lui donnas quelques trucs de base que tu avais appris pour te repérer en forêt. Certains t’avaient été enseignés par tes aînés, d’autres avaient été développés par toi-même, appris avec le temps et l’expérience. Plus jeune, t’avais souvent erré autour de la réserve, augmentant le périmètre à chaque fois. Ça t’avais appris à toujours retrouver ton chemin pour retourner chez toi. Tu voyais Carlisle hocher la tête à chaque fois que tu tournais la tête vers lui en continuant de parler. Il était attentif, curieux, intéressé. Ça te faisait plaisir de partager une partie aussi importante de toi avec quelqu’un. En ville, tu perdais un peu tous tes repères, ce qui était ironique quand on savait que tout était indiqué, partout, alors qu’ici, tu te retrouvais lancé dans la nature sauvage. « Ah, oui, c’est sûr que ça prend des années de pratique. Ça se développe petit à petit, mais déjà quand tu commences avec de bonnes bases, tu peux te débrouiller, très bien même. » Tu aurais assez confiance en Carlisle pour le laisser revenir seul jusqu’à l’arrêt d’autobus. Évidemment, tu ne le ferais pas, et de toute façon vous deviez revenir tous les deux ensembles à Bowen. « Mes parents, ma famille, enfin, un peu tout le monde de ma communauté, au fond, m’ont appris. J’ai vécu à Mossman Gorge jusqu’à mes seize ans et y’a que ça à faire, se perdre dans la forêt, quand t’es gamin sur une réserve. J’la connais par cœur, la forêt de Daintree. » Tu esquissas un sourire en songeant aux rivières, aux chutes, aux grands rochers que t’avais escaladé de ta seule force physique. « Et au final même si le décor change un peu, elles se ressemblent quand même toutes, les forêts du Queensland. » Déclaras-tu en regardant autour de toi, laissant les souvenirs d’avant te submerger. Tu continuais ton ascension sans t'arrêter.

Carlisle savait qu’en évoquant son voyage et sa fin abrupte il éveillerait la curiosité de son ami. Depuis le temps il a l’habitude de raconter cette histoire, toujours aussi douloureuse mais qui fait partie du passé à présent. Il a appris à l’accepter, à vivre avec et à penser ses blessures. Il se dit que sans ça il serait probablement resté un petit commis en cuisine qui aime bien faire le con et qui ne prend pas la vie au sérieux. S’il est là où il est là c’est grâce aux bons moments comme au mauvais. Bon il n’en est quand même pas à se dire que c’est une bonne chose et qu’il est heureux d’avoir été retenu en otage, un coup de pied au cul lui aurait suffit. Il prit quelques instants avant de répondre, fixant son regard vers leur but, la direction qu’ils poursuivent. « J’ai été imprudent et je me suis un peu trop enfoncé dans la forêt colombienne. Je suis tombée sur un camp farc et j’ai été kidnappé avant d’avoir pu faire marche arrière. » Il se dit qu’il a bien été stupide ce jour là et qu’il a été naïf de penser que rien n’arriverait. Il se disait que son voyage se passait bien, les gens sont sympas, quelques petits mésaventures mais rien de bien méchant. Et voilà qu’il a décidé d’explorer seul des endroits peu recommandés. Parfois il est bien de se tenir aux guides touristiques et de ne pas faire de vagues, surtout quand l’on tient à sa vie.
A présent c’est au tour de Carlisle d’en apprendre plus sur son ami et sur comment est-ce qu’il a pu apprendre tout ça. Ses explications étaient logiques, le jeune cuisinier connaissant lui aussi certains endroits comme sa poche. Par exemple Bowen, il y a toujours vécu et depuis tout petit il arpente les rues. Il connaît chaque recoin et pourrait perdre les nouveaux venus ou même ceux présents depuis plusieurs années. Il espère que Mali ne va pas essayer de le semer en le laissant seul dans la cambrousse. S’il peut peut-être retrouver son chemin, il préfère tout de même pas tenter. « Ça doit être cool de vivre dans la nature. Fin j’imagine que c’est ce que tous les gens de la ville te disent ? » dit-il avec un rire. Ok, deux jours ça peut être sympa mais toute la vie, les gens ne se rendent pas forcément compte de tout ce que cela implique et combien le mode de vie est différent du leur.

Tu tournas la tête vers Carlisle après que ta question ait laissé un silence entre vous deux. Tu t’arrêtas même de marcher, intrigué, regardant ton ami qui semblait réfléchir à ses mots. Puis, il débuta ses explications sans pour autant arrêter sa route, lui. Alors tes pas reprirent, côte à côte avec Carlisle qui t’apprenait qu’il avait été kidnappé par les Forces armées révolutionnaires du pays, parce qu’il s’était aventuré trop loin, parce qu’il avait été imprudent. Un peu comme ce que vous étiez en train de faire, d’ailleurs, ce qui te surprit pas mal dans les circonstances. Il fallait bien du courage pour répéter un comportement qui l’avait autant mis en danger auparavant. Tu haussas les sourcils devant cette révélation des plus troublantes, fixant le sol pendant que tu réfléchissais. « Ce sont les autorités colombiennes qui t’ont retrouvé ? » Demandas-tu finalement, commençant par le moment de délivrance. T’avais pas envie de lui demander ce qu’il avait pu subir là-bas. Ça avait dû être horrible, point barre. Carlisle était vivant, aujourd’hui, et c’était tout ce qui comptait au fond. Son sort aurait pu être tout autre. Bref, après quelques minutes d’ascension, la conversation reprit sur un autre thème, qui te concernait toi cette fois puisque tu relatais tous les trucs que t’avais appris pendant ton enfance, pour survivre en forêt en quelque sorte, alors que pour toi c’était juste la manière de vivre chez toi. Tu souris à la réponse de Carlisle. « En fait la plupart me disent le contraire, avec toutes les bêtes qu’on pense rencontrer à tout moment. Je pense que les gens de Bowen aiment assez leur confort. » Fis-tu remarquer dans un rire. Après, tu ne connaissais pas tout le monde, et puis certains de tes amis n’avaient pas cette opinion. À commencer par Carlisle ou encore Ayden, qui eux, appréciaient ces moments éloignés de toute civilisation. Pour se recentrer ou pour s’évader, peu importe. « À moi ça me manque, de vivre là-bas. La vie était mon terrain de jeu. Enfin, j’ai peut-être cette perception parce que j’étais encore jeune et insouciant. Mais à Bowen, ma vie est plutôt devenue comme … » Un étau ? Ta prison ? Tu secouas la tête en balayant l’air de ta main. « Ah, nevermind, c’est pas le temps de déprimer. » Tu ris. Et puis, tes responsabilités étaient peut-être lourdes et contraignantes, mais t’avais aussi tes enfants et tes amis qui rendaient cette vie plus belle. Par chance, tu les avais.

Mali n’eut qu’une seule question à poser à Carlisle au sujet de son enlèvement. D’habitude les gens ne disent rien, s’excusent ou alors, au contraire, posent mille et une questions pour savoir ce qui s’est passé exactement. Des fois il se dit qu’il aurait du écrire un bouquin, ça lui aurait évité de répondre tout le temps aux mêmes questions. « Plus ou moins. Les FARCs ont signé un accord de paix avec le gouvernement et du coup ils m’ont relâché à ce moment là. » il ne sait pas ce qu’il serait advenu de lui si cet accord n’avait pas été signé. Il aurait peut-être fini par être relâché car les FARCs ont commencé à cessé leurs activités de terrorismes pour se tourner vers la politique légale en fondant un parti. Les choses auraient pu être bien pire donc d’une certaine façon il s’estime heureux. Même si c’est un énorme traumatisme, il pense à toutes ses personnes enlevées ou tuées ailleurs dans le monde et il se dit qu’il ne s’en ait pas si mal sorti au final. La discussion sur le sujet ne dura pas longtemps. Mali lui avoua que les gens de la ville ne l’envient pas tant que ça au final. Carlisle est habitué aux animaux et aux insectes qui peuplent l’Australie, bien qu’il vive en ville. Il a l’habitude d’aller dans la nature à Bowen ou autour pour faire du yoga ou méditer. S’il n’aime pas croiser des araignées qui font la taille de sa main ou des serpents qui pourraient le manger, il s’y fait et n’a pas si peur que ça. Finalement Mali lui explique que sa vie dans la réserve lui manque. Il ne semble pas si bien se conformer à la vie en ville. « Ah...c’est pas fait pour tout le monde non plus. Pourquoi ne pas vivre un peu plus à l’écart de la ville ? Ça peut être un bon compromis entre la praticité de la ville avec les services et tout et la proximité avec la nature et les grands espaces ? » Carlisle ne sait pas où son ami vit, peut-être qu’il est déjà dans cette situation et que ça ne lui convient pas.

Ce n’était évidemment pas une histoire banale, celle dont Carlisle te faisait part. C’était le genre de récit qu’on lit dans les livres ou dans des documentaires sur les pays en guerre. Tu n’aurais jamais imaginé rencontrer quelqu’un qui ait pu réellement vivre ce genre de traumatisme. Mais tu ne connaissais pas non plus vraiment l’histoire de la Colombie, tu ne connaissais en général pas du tout l’histoire de ce monde tout entier, même. Alors des questions, même si tu en avais pas mal qui te traversaient l’esprit, étaient difficiles à verbaliser puisque tu avais peur de paraître inculte. T’avais juste pas reçu cette éducation-là, et t’avais jamais vraiment levé le regard sur d’autres pays que l’Australie. Tu voulais juste savoir comment Carlisle avait pu se sortir de cette galère, en fait, et les répercussions que ça avait pu avoir sur lui. Quand il te parla des forces armées, et de l’accord de paix avec le gouvernement tu hochas la tête, même si tu ne savais pas exactement de quoi, ou de qui, il s’agissait. « T’étais le seul ? Enfin, j’veux dire … y’a eu d’autres personnes qui ont été kidnappées, puis relâchées, en même temps que toi ? » Tu n’avais pas planifié lui poser un tas de questions intrusives, parce que tu sentais que ça pouvait être délicat, mais les propos de Carlisle t’intriguaient. Tu n’osais même pas imaginer la peur qu’il avait pu ressentir en étant fait prisonnier d’un groupe visiblement dangereux. Tu ne souhaitais à personne d’autre d’avoir eu à le vivre, mais peut-être qu’en étant quelques-uns, c’était un peu moins terrifiant. T’en avais aucune idée, en réalité. Et c’est pour ça que tu ne t’aventuras pas davantage sur le sujet, de peur de dire quelque chose qu’il ne fallait pas. Tu préférais largement parler de ce que tu connaissais, la nature par exemple. En parlant du contraste entre la ville et ton ancienne communauté, Carlisle ressentit inévitablement ce sentiment d’écart que tu vivais. Tu haussas les épaules à sa proposition. « Au départ j’ai surtout suivi ma mère, et là, aujourd’hui et avec son âge, je pense que c’est plus simple pour elle de tout avoir à proximité. Et puis, pour Miro et Lowa, j’avais envie de leur donner une chance de se sentir chez eux, à Bowen. Ils ont leurs amis dans le voisinage, ils ont l’école tout près … J’veux pas leur enlever ça. » Tu hésitas, un moment. « Et puis, j’ai peur que ce ne soit jamais comme avant, de toute façon, même en m’éloignant un peu de la ville. » Tu le savais, en fait, que tu ne pourrais jamais retrouver cette liberté que t’avais vécue auprès de ton peuple, en grandissant. Rien n’était comparable à ce sentiment. Un moment de silence s’installa par la suite, après votre conversation, et tu continuas à marcher sans te poser davantage de questions, jusqu’à ce que le bruit de l’eau se fasse plus présent. « T’entends ? On doit approcher les Nandroya. » Vous n’aviez pas à monter énormément en hauteur pour les atteindre, c’était surtout une longue distance sur le plat mais vous aviez rapidement franchi les kilomètres.

Il comprend que les gens soient curieux car ce n’est pas quelque chose que tout le monde a vécu et heureusement. Maintenant il a moins de mal à parler de ça, cela fait plusieurs années qu’il est revenu, qu’il a repris sa vie, ouvert son restaurant. Tout ça appartient au passé, à une vie antérieure. Carlisle hoche la tête avant de répondre. « On était trois, les deux autres étaient des colombiens mais on n’était pas ensemble. » Il ne les a pas beaucoup vu, il entendait seulement les gardes en parler des fois. Il ne comprenait pas tout ce qu’ils racontaient, son espagnol étant bien fragile. La solitude et l’ennui sont deux choses dont il se souvient particulièrement durant son enfermement. N’avoir rien à faire tout au long de la journée, attendre, sans personne à qui parler. Au début il ne faisait que tourner en rond, espérant que ça ne dure que quelques jours. Mais ça a duré bien plus et petit à petit il a appris à être calme et patient, à ne pas avoir peur aussi. C’est là qu’a commencé sa renaissance et sa prise de conscience de la vie. Il aurait pu, en rentrant, faire la fête et toutes ces choses qu’on veut faire parce qu’on ne vit qu’une fois. Au lieu de ça, Carlisle a préféré commencer à profiter des petits plaisirs de la vie, de toutes ces choses que la plupart des gens ne remarquent pas. On ne se rend compte de la chance qu’on a que lorsqu’on nous l’enlève. Et ça le mène ici, aujourd’hui, avec Mali à explorer l’Australie et la nature, comme un retour aux sources. Le jeune homme écouta attentivement son ami qui se confiait également à lui. Il trouvait ça très humble de sa part de faire passer le bonheur de sa famille avant toute chose sans même se préoccuper du sien. Le jeune cuisinier ne peut pas comprendre cela, sa famille vit à Bowen et il n’est pas très proche d’eux et il n’a pas d’enfants ou quelqu’un à aimer. Il s’est privé de ça quand il a décidé de ne plus s’attacher et de ne plus faire souffrir les gens. « Parfois il faut savoir avancer et renoncer au passé. » répondit-il simplement. Il comprend que ce n’est pas facile de s’acclimater à la vie en ville mais il faut accepter que les choses ne pourront plus être comme elles ont été. Ils continuèrent à marcher jusqu’à ce que Mali lui dise qu’ils approchaient des chutes d’eau. En tendant l’oreille Carlisle entendit en effet le bruit de l’eau qui coule. Il avait hâte de voir le paysage tant attendu. Ils entreprirent donc de monter dans la direction du bruit et cela ne prit pas beaucoup de temps par rapport à la marche. La végétation se faisait plus dense jusqu’à ce qu’ils débouchent sur une large clairière où coulait l’eau et créait un bassin naturel. Émerveillé, Carlisle lâcha un « Wouah ! Ça valait le coup... »

Tu hochas la tête, assez surpris d’apprendre que les deux autres étaient colombiens. Tu aurais pensé que seuls les touristes étaient visés par les kidnappings de ce genre mais au fond, tu n’en avais absolument aucune idée. « Je vois. Et bien t’es envie et t’es ici, c’est ce qui est important maintenant. » Conclus-tu, ne voulant pas davantage le replonger dans des images qui devaient être traumatisantes, même si Carlisle s’en était sorti indemne. Ce n’est pas le genre de souvenirs auxquels on veut se raccrocher. Tout comme toi, tu ne voulais pas t’accrocher à ces souvenirs de ce moment où ton propre peuple t’avait montré du doigt la sortie de la réserve, ce long chemin qui t’avait finalement mené jusqu’à Bowen avec ta mère. Tu te rappelais volontiers toutes ces images de ton enfance, mais tu t’arrêtais toujours à ce moment où ton monde avait semblé s’écrouler. Tu aimais ta famille, toute ta communauté, de tout ton cœur. Mais tu les détestais en même temps de n’avoir vu en toi que la trahison de ta mère. Ça te semblait injuste, encore à ce jour, et tu ne leur pardonnerais sans doute jamais de t’avoir renié. Tu allais tout de même de l’avant avec ta propre petite famille d’aujourd’hui, bien moins grande que celle des kuku yalanji, mais tes enfants te suffisaient. Et puis, tu les éduquais de sorte à ce qu’ils évoluent à travers leurs origines, même si elles leur étaient inconnues. C’était ta façon de leur transmettre leur héritage qu’on aurait cru volé. « Tu as tout à fait raison. » Avancer et renoncer au passé, c’était ce que tu t’efforçais de faire, sans pour autant oublier. Bref, votre ascension se poursuivait, jusqu’à ce que vous arriviez aux magnifiques chutes qui avaient été votre objectif premier. Cette large clairière était déserte, il n’y avait que le bruit de l’eau et des oiseaux qui vous rappelaient que vous n’étiez pas seuls. Tu souris en jetant un coup d’œil à Carlisle, émerveillé. « On s’installe ? Après toutes ces confidences, j’ai bien besoin d’un petit moment de réflexion, j’pense. » Tu ris tout légèrement, même si tu ne mentais pas. Vos conversations avaient été plus profondes que d’habitude, empreintes de vos blessures respectives, et ce décor enchanteur était plus que parfait pour prendre le temps de guérir et de refermer les plaies que tu avais réouvertes. Tu déposas donc ton sac au bord du grand bassin naturel, sur l’herbe, et retira tes chaussures. T’avais repéré un grand rocher qui s’élevait au-dessus du niveau de l’eau et il t’inspirait la quiétude.

Mali conclut leur échange sur le lourd passé de son ami par une phrase positive. C’est ce genre de philosophie qui fait que Carlisle a réussi à se relever et qu’il ne s’est pas plongé dans une terrible dépression. Les choses n’ont pas été simples, il ne peut pas dire le contraire. Il a mis du temps avant de rire à nouveau et même maintenant il sent que quelque chose en lui a changé, à tout jamais. La méditation et le yoga lui ont fait beaucoup de bien. Le fait que la discussion ne s’éternise pas sur ce sujet douloureux lui fit plaisir, il n’aurait pas aimé devoir répondre à mille et unes questions comme c’est parfois le cas. Ils ont tous les deux des choses pas très joyeuses dans leur vie mais chacun d’eux semble s’y faire, d’une manière ou d’une autre. L’arrivée vers les chutes d’eau fut un soulagement, autant pour les pieds de Carlisle qui commençaient un peu à souffrir, que pour ses yeux qui s’émerveillèrent d’un spectacle si beau qui valait bien toute cette route. En général ce genre d’endroit est pris d’assaut par les touristes et instagrameurs qui veulent faire la plus belle photo pour leur compte. Mais là, ils sont seuls, enfin accompagnés de quelques animaux tapis dans les hautes herbes qui attendent leur moment pour boire. Un peu perdu dans la nature, ce havre de paix a su conserver son authenticité et son calme. Mali proposa de s’installer pour se reposer, physiquement et mentalement. « Oui t’as raison. » répondit Carlisle avant de s’éloigner un peu. Son ami avait envie d’un peu de calme et d’être seul, ce qu’il comprenait totalement. Le moment et le lieu sont parfaits pour faire un peu le point, méditer et faire quelques minutes de yoga pour ensuite pouvoir repartir, frais comme au début de leur périple. Il osa retirer ses chaussures pour mettre quelques secondes ses pieds dans l’eau. Il ne voulait pas les laisser trop longtemps, ignorant quel genre de bêtes se trouvaient dans ces eaux. Il attendait de voir si Mali lui faisait quelques recommandations. Pas question de se baigner si ça implique de mourir quelques minutes plus tard, tué par un prédateur comme l’Australie sait en faire. Le jeune homme s’installa sur une large pierre où il put commencer à s’étirer pour continuer vers quelques postures plus avancées de yoga, un peu plus complexes pour son souffle et ses articulations.