inhale, exhale. (woody)

Il était content, Woody, de savoir qu’Ally avait mieux à faire que de le torturer. S’il avait autrefois adoré être le centre de l’attention, qu’on parle de lui en bien ou en mal, l’homme avait récemment eu un trop-plein de haine et il ne cherchait plus vraiment à se faire remarquer de cette manière-là. Il ne cherchait plus à se faire remarquer tout court, d’ailleurs. « Tant mieux pour toi. Faudrait l’montrer à d’autres, qu’il y a mieux à faire. » Mieux à faire que de révéler sa plus grande vulnérabilité face à la ville toute entière lors de la cérémonie des Bowards. Mieux à faire que de cracher sur lui via un blog débile où les gens se cachaient derrière un écran. « Non, ça va, ce n’est pas quelque chose pour lequel on peut faire quoi que ce soit. » Toujours plus évasif dans ses réponses, Woody, parce qu’il savait que trop bien qu’aujourd’hui était une de ces journées de faiblesse, et que demain, il regretterait d’en avoir trop dit s’il se laissait aller plus loin. Le physiothérapeute sourit, amusé, alors qu’Ally lui affirmait qu’il était sa deuxième bonne action du mois. « Deux ? T’es dévouée. » Plaisanta-t-il. Il rigola un peu moins lorsqu’Ally se confia sur un sujet un peu plus délicat, alors qu’il lisait entre les lignes que le père de Maxwell n’était pas au courant de l’existence du petit. Le jeune homme réfléchit, un moment, à sa question. D’un tempérament explosif, Woody était souvent imprévisible dans ses réactions, ou alors prévisible dans sa violence, lorsque c’était inévitable. « Je n’en ai franchement aucune idée. Et de toute façon je pense que j’suis loin d’être la meilleure personne à qui tu peux le comparer. » Il plongea son regard dans celui d’Ally. « C’est Rosenbach, non ? » Ce gamin qu’il avait humilié tellement de fois au lycée. Cet homme qui l’avait détesté auprès d’Ally quand ils étaient encore ensemble, tous les deux. Ça ne demandait pas beaucoup de réflexion pour en venir à cette conclusion. Tous les deux continuèrent leur séance de yoga, jusqu’à ce qu’Ally lui dise qu’il pouvait avancer, qu’il n’avait pas à faire du surplace. Woody soupira. « T’as même pas idée à quel point t’as tort. » Dit-il seulement, parce que justement, du surplace, c’était tout ce que Woody pourrait faire un jour. Un jour qui arriverait bien trop vite.

Je bougeais selon les indications avec certaines restrictions. Je n’étais plus aussi flexible qu’antan et avoir un enfant changeait un peu la donne dans tout ça. Woody poursuivait en me disant qu’il faudrait l’expliquer à d’autres. « Tu ne peux pas contrôler les autres, mais tu peux contrôler ce que toi tu fais. » C’était doux, peut-être un peu invasif pour Woody, mais tout de même. L’homme poursuivait en me disant qu’on ne pouvait pas faire grand chose. Je fronçais les sourcils, tout de même un peu intrigué. « Je comprends que la ville au complet te déteste, mais tu ne vas pas mourir pour autant! » Dis-je sans me rendre compte que je venais de mettre le doigt sur quelque chose d’important. L’homme poursuivait en me disant que j’étais dévouée et j’esquissais un petit sourire. Il n’en avait aucune idée. J’acquiesçais lorsqu’il mentionnait qu’il n’était pas la meilleure personne avec qui comparer. Il avait bien raison, même si de ce que je comprenais, les femmes filaient et revenaient dans le lit de Concho comme Woody à une certaine époque. Son regard me dénudait et je ne pouvais qu’hocher la tête positivement. « Si tu savais comment je l’ai aimé... » Dis-je en soupirant en passant une main dans mes cheveux plus par habitude que par besoin. L’homme poursuivait en me disant que j’avais tord. « Pourquoi j’ai tord? » lui demandais-je, curieuse. « Personne ne fait du surplace. » Avouais-je finalement. On n'avançait que plus lentement...

Alors qu’il était en parfait équilibre dans sa position, Woody tourna la tête vers Ally en arquant un sourcil. « Since when did you become Ghandi ? » Demanda-t-il alors qu’elle lui sortait ses philosophies de vie à propos du fait qu’il pouvait contrôler ce que lui faisait, à défaut de pouvoir contrôler les autres. Quand elle ajouta plus tard que même si la ville au complet le détestait, il ne mourrait pas pour autant, Woody eut un rictus des plus sarcastiques. La douce ironie de cette phrase lui fit perdre l’équilibre un moment. « Je vais pas mourir de ça, non. » Il n’allait pas mourir de la sclérose en plaques non plus à proprement parler, il allait juste mourir à petit feu, figurativement. Il soupira en jetant un coup d’œil à Ally. « On meurt tous un jour non ? » Ajouta-t-il comme pour détourner l’attention de ce qu’il avait lâché juste avant. Woody devina par la suite qui était le père biologique du fils de la rouquine, celui qui ne savait même pas encore qu’il avait un gamin. Ce ne fut pas très difficile à trouver, ils étaient un couple avant le départ d’Ally. « T’aimeras à nouveau. C’est pas très difficile à battre. » Un léger sourire moqueur se dessina sur les lèvres du trentenaire qui regardait droit devant lui. Il se laissa retomber de sa position, en douceur, à la question d’Ally. Ses jambes élançaient et avaient du mal à le tenir en position plus longtemps. Il les massa légèrement tout en les étirant. « Alors en plus d’être Ghandi tu détiens la vérité absolue ? » Pour dire que personne ne faisait du surplace. Woody faisait tout pour éviter les vraies réponses, aussi.  

Alors qu’il me demandait quand est-ce que j’étais devenue Ghandi, je haussais simplement les épaules avec un fin sourire. « J’sais pas... Ça doit être quand j’ai fait la Pacific Crest Trail. » Admis-je alors simplement en haussant les épaules. « Mais touche à mon fils et j’te promets que Liam Neeson est une mauviette à côté de ce que je deviendrai. » Dis-je avec une pointe d’humour. En effet, l’homme avait bien des ressources et pour mon fils, je deviendrais sans doute berserk assez rapidement. Il ne valait mieux pas y penser, je pourrais devenir fort mauvaise. « De quoi tu vas mourir? » Lui demandais-je en fronçant les sourcils en me demandant si Woody était suicidaire. Il me questionnait de plus belle à savoir qu’on mourrait tous un jour. « T’as des idées noires? » La question était directe, mon inquiétude visible aussi.

Il détournait le sujet aisément, parler de Max était l’une des façons les plus évidentes. L’homme me disait que j’aimerais à nouveau et je soupirais franchement. « J’sais pas trop. » Admis-je platement. J’aimais mon fils de tout mon cœur, mais est-ce que j’étais prête à retourner dans une relation amoureuse? Je n’en savais trop rien. J’étais bien trop incertaine et ma priorité était maintenant toute autre. L’homme disait que mon ex n’était pas difficile à battre. « Je l’aime, tu sais. Ça reste le père de Max. » lui dis-je simplement. J’aimerai toujours Concho d’une certaine façon. Peut-être que certains hommes défileront dans ma vie, mais Max était le fruit d’un amour avec Concho initialement. Ce n’était pas un inconnu, c’était mon ex. Il demeurait la personne que j’avais aimée avant toutes les différentes épreuves.

Je suivais Woody dans ses étirements, sagement. Je grimaçais légèrement. L’homme me demandait si je détenais la vérité absolue et j’esquissais un petit sourire. « La vérité apparait à celui ou celle qui veut bien la voir. » C’était tout simple comme raisonnement. Alexandria Ghandi... Ça sonnait bien mal, mais pourtant, ça m’arrachait un sourire. « Dis-moi, j’aurais une petite faveur à te demander. » Commençais-je doucement. « D’ordre professionnel. » ajoutais-je presque immédiatement pour ne pas qu’il se fasse d’idées perverses.

S’il voulait apporter des changements à sa vie, sans doute devrait-il à son tour trouver le Ghandi en lui. Trouver son wake up call, son very own Pacific Crest Trail, peu importe où c’était, peu importe ce que ce serait. Plus il laissait son esprit y songer, plus le visage de Sara se dessinait en brouillon dans sa tête. Et si sa manière de se trouver, c’était de retrouver le meilleur reflet qu’il ait jamais eu de lui-même dans le regard d’une autre ? Mais elle était loin, Sara, elle était en Chine parce qu’elle avait eu besoin de fuir, de le fuir. Il ne pouvait pas débarquer dans cette vie qu’elle avait voulu se construire pour elle. « J’n’en attendrais pas moins de toi, maman ours. » Déclara Woody avec un mince sourire alors qu’Ally le menaçait, hypothétiquement. Son sourire s’estompa assez rapidement lorsque la mort devint le sujet central de leur discussion. Elle lui demanda d’abord de quoi il allait mourir. « Who knows. » Il haussa les épaules, avant de tourner un regard surpris vers la rousse quand elle lui demanda s’il avait des idées noires. Personne ne lui avait demandé ça, du moins jamais aussi directement. Personne ne s’était posé la question pour lui, avant Ally. « Non. » Dit-il fermement, pour la convaincre elle, tout comme lui, du contraire. « J’disais tout ça juste comme ça. » Et il s’en voulait déjà. Il parlait souvent trop vite, Woody, et il regrettait rapidement des paroles qu’il n’était pas prêt à prononcer. Il préférait largement parler de l’ex d’Ally, contre toute attente. « Je sais. Même si j’comprends pas pourquoi, je sais. » Tout comme lui aimerait toujours Sara, tout comme il aimerait toujours Freja, même s’il n’était plus avec elles. On n’oublie pas des amours aussi forts. On ne tourne jamais vraiment la page sur d’aussi beaux chapitres. Sur ce, Woody cessa les mouvements de yoga devenus trop exigeants pour ses jambes endolories, qu’il massa distraitement. Le trentenaire leva les yeux au ciel en entendant la énième phrase philosophique d’Ally. « Continue à te bercer avec ces bullshits si ça peut te faire plaisir. » Lança-t-il, grognon, avant de tourner la tête vers elle avec un regard intrigué lorsqu’elle affirma avoir une faveur d’ordre professionnel à lui demander. « J’t’écoute. » Déclara-t-il, curieux.

Je n’avais pas la moindre nouvelle de Sara, ni de Freja, en fait. Ni de la quasi totalité des conquêtes de Woody – c’est-à-dire, pratiquement toutes les femmes de la ville. L’homme m’arrachait un sourire en m’appelant maman ours. L’homme ne savait pas de quoi il allait mourir selon ses dires, je n’en avais pas la moindre idée non plus. L’homme disait qu’il disait ça comme ça. Je fronçais les sourcils en le regardant toujours, comme si l’analyse visuelle allait m’aider à décrypter l’homme. Woody semblait s’intéresser au père de Max et quelque part, je savais qu’il comprenait. Enfin, tout sauf ma philosophie et je pouffais de rire en le voyant grognon. Néanmoins, il m’écoutait et je me raclais la gorge. « J’ai quelques difficultés au niveau de mon dos. » Dis-je maladroitement. « Ça dure depuis l’accouchement et j’ai jamais eu le temps de m’occuper de ça. » M’occuper de moi avais-je failli échapper. « Tu voudrais y jeter un œil, éventuellement? Ou me référer à quelqu’un, si tu préfères. » Des contacts dans le domaine, Woody devait en avoir des tas. Moi en revanche, beaucoup moins depuis quelques années.

Ayant bien trop l’impression qu’Ally était en train de lire en lui, Woody détourna bien vite le regard. Il s’était aventuré sur un terrain trop glissant, trop inconnu, lorsqu’il avait osé aborder le sujet de la mort. De sa mort. Celle qu’il attendait parfois impatiemment, celle qu’il repoussait d’autres fois lors de brefs moments de lumière. La conversation se poursuivit, ils parlaient d’un sujet comme d’un autre comme s’ils étaient de vieux amis alors qu’en réalité, Woody et Ally, c’était tout sauf ça. Elle lui demandait même de l’aide en physiothérapie, pour des problèmes de dos depuis son accouchement. « Le fait que tu fasses du yoga c’est déjà la preuve que tu t’en occupes au moins un peu. » Même si elle ne le faisait pas expressément pour ses maux de dos, ça l’aidait quand même. « J’y jetterai un œil, pas de problème. T’auras qu’à passer vendredi après-midi. La clinique est fermée mais j’reste toujours un peu plus tard pour la paperasse. J’pourrai te passer en consultation à ce moment-là. » Proposa-t-il. Normalement, Woody l’aurait volontiers refilée à un de ses collègues-employés. Mais étrangement, il avait l’impression qu’Ally passait doucement d’ennemie à alliée. Ça avait quelque chose de déstabilisant.

L’homme détournait le regard et quelque part, je ne savais pas ce qu’il cachait. Je savais toutefois qu’il avait un rapport particulier avec la mort, le départ final. Woody s’attaquait déjà à mon problème et je riais doucement. « Le yoga c’est pour la tête, pas pour le corps. » dis-je taquine plus qu’autre chose. L’homme me suggérait de passer un peu plus tard. « Merci, c’est gentil de ta part. » Ajoutais-je avec un petit sourire. Le cours s’était terminé et de mon côté, je regardais ma montre. « Je dois y aller, je dois récupérer Max. » Avouais-je tristement à Woody. J’aurais voulu que ce moment d’entente dure plus longtemps. « On se voit vendredi? » Demandais-je pour confirmer, prête à repartir dans ma folle vie après un étrange moment de détente et la sensation étrange du devoir accompli.

Woody eut un rictus silencieux en entendant Ally dire que le yoga était pour la tête, pas pour le corps. « C’est pour les deux. » Et dans le cas du physiothérapeute, ça ne pouvait pas être plus vrai. S’il en faisait surtout pour s’assurer de garder son corps éveillé, il ne pouvait nier que ça lui faisait aussi du bien à l’esprit. Le jeune homme se contenta d’hocher la tête quand la rouquine lui dit que c’était gentil de sa part de bien vouloir la recevoir à sa clinique, après la fermeture de celle-ci. Pour lui ça n’était pas un geste gentil, c’était son travail, c’est tout. Mais ça, c’est parce que Woody avait toujours eu bien de la difficulté à admettre qu’il puisse y avoir une part de bon chez lui. « Ok. On se voit vendredi, oui. » Woody la regarda rouler son tapis et s’en aller, avant de se replonger dans ses exercices, avec ce sentiment étrange d’avoir eu rendez-vous avec un fantôme du passé qui se faufilait peu à peu dans son présent, et dans son futur.

FIN