You raise me up to walk on stormy seas + Ezekielle

Il n'y avait pas un bruit sur la plage ce matin mis à part le ressac permanent des vagues sur le sable. Le soleil se levait timidement sur l'horizon, comme s'il était encore tout ensommeillé. La ville dormait encore, mais pas tous ses habitants, puisque Terrence s'affairait déjà dans sa boutique. La lumière était allumée dans l'arrière boutique et il avait entreprit d'y faire l'inventaire des stocks  pour préparer la saison d'été qui s'annonçait doucement. Ca allait être la période où il aurait le plus de travail et il était déçu parce qu'avec sa nouvelle opération il ne pourrait pas proposer de donner des cours comme il aimait tant le faire, surtout depuis qu'il avait enfin osé remettre les pieds dans l'eau et ses fesses sur une planche. Il ne serait que spectateur des exploits de ses clients, une année de plus. La boutique était ouverte, quand il était là il ne fermait jamais la porte, même si c'était en dehors des horaires d'ouverture officielles, pour la simple raison qu'il ne laissait jamais porte close à ses amis surfeurs, à ceux qui, comme lui se levaient tôt pour aller chercher les premières vagues de la journée ou simplement un peu de compagnie. Une tasse de café fumant à la main il parcourait distraitement les rayonnages de sa réserve en écoutant le vieux folk de Bob Dylan qui sortait de son enceinte bluetooth. Et dire qu'il n'avait un smartphone que depuis peu, lui le vieil ours mal léché qui avait du mal à vivre avec son temps, il était un amoureux des vieux disques vinyle, mais il fallait bien avouer que la technologie avait du bon, parfois. Il entendit un bruit venir du devant de son magasin, soutenu par cette cane qui ne le quittait plus depuis quelques semaines, il s'avança d'un pas traînant vers la source du bruit. Il remarqua une tête blonde à travers les étagères et puis finalement il reconnut la jeune femme qui se présentait à sa porte. Ezekielle ?! Mais qu'est ce que tu fais là ? Wow, j'ai l'impression de voir un fantôme ! Il s'approcha d'elle, un rictus qui, quand on le connaissait, s'apparentait à un sourire sur ses lèvres et son visage peu expressif. Et la prit dans ses grands bras, signe qu'il était vraiment content de la revoir.

C'était encore l'aube lorsque la jeune blonde mit le pied à l'extérieur de la chambre de motel qu'elle occupait temporairement. Le soleil peinait à faire briller ses premiers rayons, probablement encore trop endormi. C'était loin d'être le cas d'Ezekielle, qui s'était réveillée beaucoup trop tôt, ce matin. Juste comme ça, elle n'avait plus sommeil et tant qu'à flâner dans une chambre qu'elle ne pouvait appeler la sienne, elle choisit de débuter sa journée. Ses pas la menèrent tranquillement vers le premier café du quartier qui ouvrit ses portes, lui permettant de se procurer une chaude boisson réconfortante. Sa tasse de voyage réutilisable à la main, la jeune femme se laissa guidée par sa tête, par son coeur, et c'est sur la plage qu'elle se retrouvera rapidement. Son premier amour, en Australie. Elle y avait passé tellement de temps, tantôt à profiter du soleil, mais surtout à surfer. Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait pas mit les pieds sur une planche, d'ailleurs. L'Américaine retira ses chaussures et se promena le long des vagues, les pieds dans le sable froid. L'été n'avait pas encore fait sa grande arrivée, mais le contact des grains encore frais de l'humidité de la nuit lui rappelait bien des souvenirs. Ses longues mèches blondes au vent, Ezekielle arrêta finalement son chemin devant la porte close - mais jamais vraiment close - d'une petite boutique. Pas n'importe laquelle, non. À l'intérieur, la voix de Bob Dylan résonnait déjà, signe que Terrence était bel et bien en poste. Elle regarda autour d'elle, pas de trace du brun. Elle ne s'en fit pas avec cela, il finirait par faire son apparition. Ezekielle tourna sur ses talons, admirant les planches et le matériel qu'elle connaissait si bien. « Ezekielle ?! Mais qu'est ce que tu fais là ? Wow, j'ai l'impression de voir un fantôme ! » Entendre sa voix la fit sourire. « Je vais le prendre comme un compliment, Terrence ! » lança la blonde, suivit d'un petit rire. Tout le monde sait bien que les fantômes ne vieillissent plus, pas vrai ? De son presque sourire, l'homme s'approcha d'elle et la serra dans ses bras. « Comme ça fait du bien de te revoir, l'ami. » Les deux adultes se défirent de leur étreinte. « Si moi je suis un fantôme, cette ville m'apparaît être une ville fantôme, alors ! » dit-elle en faisant allusion à ces années passées loin de Bowen.

Il y avait des personnes qui marquaient, qu'elles restent longtemps ou qu'elles ne soient que de passage, vous ne pouviez pas les oublier. Et Ezekielle était de celles-là pour Terrence. Il se souvenait de ses cheveux décolorés par le soleil et qui sentaient le sel, des heures qu'elle passait sur sa planche à l'époque, du levé du jour à la tombée de la nuit, sans jamais renoncer à dompter les vagues. Terrence l'enviait, à ce moment là, parce qu'il pensait ne jamais pouvoir tenir sur un surf, mais il aimait sa présence et ce sourire qui traînait toujours sur le visage de l'américaine. Ils étaient amis, elle faisait parti de la bande, celle qui se réunissait au pied du magasin, à toute heure du jour ou de la nuit, qui faisait parfois des feux sur le sable pour y faire griller des marshmallows ou y boire une bière, qui refaisait le monde sans que personne se juge ou ne hausse le ton, il n'y avait qu'une franche camaraderie et c'était tout ce que Terrence voulait autour de lui. Et puis un jour elle avait quitté Bowen, sans que personne ne sache vraiment pourquoi, mais elle était comme ça, Eze, elle était libre. Alors la trouver là, ce matin, toujours le même sourire aux lèvres, c'était surprenant et en même temps pas tant que ça. Il l'accueillit à sa façon, toujours un peu maladroite parce qu'il avait du mal avec les relations humaines, mais sa joie était véritable, elle ne pouvait pas en douter, lorsqu'il la serra dans ses bras. Ca fait un sacré moment oui ! Il s'éloigna un peu pour la regarder, elle n'avait pas tant changé que ça. Oh tu sais rien ne change vraiment à Bowen. Cette ville était loin d'être très active ou trépidante, mais il y faisait bon vivre comme on dit, Terrence y était né, il ne se verrait pas vivre ailleurs. Alors dis-moi Wakefied, qu'est-ce que tu fais là ? Tu sais toujours tenir sur une planche ?! Il la taquinait gentiment, mais depuis le temps qu'il ne l'avait pas vue, il pouvait se permettre de douter qu'elle ait pratiqué le surf durant toutes ces années.

Les soirées sur la plage, autour d’un feu, sac de guimauves à la main pour un et guitare posée contre le genou d’un autre, Ezekielle s’en souvenait et chérissait ces souvenirs. Après une journée sous le chaud soleil, passée à surfer et bouger, la fraîcheur des nuits d’Australie était toujours la bienvenue. Terrence la rassurait que rien n’avait vraiment changé, ici, et pourtant, dans la vie d’Ezekielle, tout était constamment en changement. Pour certains, ce devait être étourdissant, mais pour elle, c’était rassurant. Rassurant de savoir qu’on ne pouvait imaginer de quoi était fait demain, ni le jour d’après. Rassurant de se dire qu’il fallait vivre aujourd’hui, parce qu’il serait peut-être trop tard demain. Elle sourit poliment à son ami, incapable de s’identifier à ce sentiment propre aux sédentaires. C’était une nomade, Ezekielle. D’ailleurs, Terrence prit de ses nouvelles et lui demanda si elle savait toujours pratiquer ce sport dont ils avaient si souvent parlé. « J’avais besoin de partir et un jour, j’ai eu besoin de revenir », dit-elle doucement à son ami, tout en se laissant aller à observer les belles trouvailles que comptait son magasin. Elle faisait quelques pas, tout en relevant la tête pour échanger avec lui. « Il faut croire que même quand on quitte Bowen, Bowen ne nous quitte jamais vraiment. » Elle le pensait sincèrement, ou peut-être était-ce parce qu’elle avait laissé beaucoup de gens derrière elle, ici. « Pour être honnête, je dois être plutôt rouillée, Kelly. Je n’ai pas touché à une planche depuis… franchement, je ne sais plus. » Tous les endroits du monde ne permettent pas de briser les vagues, mais Ezekielle s’était tenue en forme autrement durant ces deux années à l’écart de l’Australie. « Comment vont les affaires du magasin ? As-tu de quoi te payer un toit ou bien tu dors toujours dans l’arrière-boutique ? » poursuiva l’Américaine en riant, faisant référence à toutes ces fois où Terrence mettait le pied dans la place avant même l’aube, ou encore, lorsqu’ils passaient une partie de la nuit à se raconter des histoires sur le comptoir, une bière à la main.

Parfois Terrence enviait les personnes comme Ezekielle, ces voyageurs infatigables qui étrennaient le monde à la recherche de différentes choses, d'expériences, d'une certaine philosophie de vie. Même Violet avait cette vision là bien qu'elle ait posé ses valises à Bowen depuis un moment déjà. Parfois il lui prenait l'envie soudaine de lui dire viens on part et puis il se raisonnait, même s'il était rêveur face à des discours comme les leurs, ça n'était pas le sien, ce n'était pas dans sa nature d'être toujours sur les routes, d'aller de pays en pays, de barouder. Il avait besoin de son quotidien de quelques rituels, de ses repères, sans ça il partait en vrille. Fut une époque où il serait bien parti baluchon sur l'épaule, il l'avait fait, en quelque sorte, en s’enrôlant dans l'armée sur un coup de tête et voyez où ça l'avait mené, à être influencé par les mauvaises personnes, à finir en prison et à demander de l'argent à la pire vermine pour pouvoir toucher son rêve du doigt après que tout ait été brisé. Il s'en sortait bien, aujourd'hui, il s'en sortait vraiment bien, compte tenu d'où il revenait. Mais c'était grâce à ses repères, à ce cadre qu'il s'était volontairement imposé et dont il ne sortait pas. Un peu tous les jours la même chose, fréquenter les mêmes amis, ne pas aller trop vers les plaisirs illicites, l'alcool, la drogue, des tentations bien intéressantes mais trop dangereuses pour quelqu'un comme Terrence qui ne savait pas s'arrêter. La seule qu'il s'autorisait c'était la clope, ses précieuses cigarettes comme cours de récré, au pire il crèverait d'un cancer du poumon, c'était bien le mieux qu'il puisse envisager dans toutes les merdes qu'il avait provoqué. Même l'amour il ne s'y frottait pas, mais ça c'était une autre histoire et Cox avait su le faire sortir de son cadre pour le meilleur comme le pire. Revoir Eze fouler son plancher ciré par le sable que les passants charriaient tous les jours lui faisait plaisir, comme toujours lorsqu'il voyait une tête connue revenir alors évidemment il la questionna un peu. Bowen c'est un petit paradis, seulement on ne s'en rend compte que quand on l'a quitté. Et il parlait en connaissance de cause, il se souvenait de ses nuits en Irak durant lesquelles il rêvait du confort de sa petite ville, tout comme celles en prison, pas si loin d'ici et pourtant tout était différent. Il sourit doucement à la réponse de la blonde. C'est un peu comme le vélo, ça ne s'oublie pas, t'en fais pas. Si tu restes un peu par ici tu pourrais t'y remettre. Et j'pourrais essayer de t'accompagner, on doit être aussi rouillés l'un que l'autre. Elle savait, comme tous les autres, qu'il refusait de monter sur une planche depuis qu'il s'était fait tirer dans la jambe, sa blessure était l'objet de beaucoup de rumeurs qu'il ne démentait ou ne confirmait pas, on savait qu'il était tabou de lui en parler, tout comme de sa passion pour le surf qu'il ne vivait que de loin à présent, à travers les autre. Mais les choses avaient changé depuis peu, depuis qu'il avait sauvé Violet de la noyade, il avait retrouvé confiance et l'envie de retourner à l'eau, les vagues lui manquaient depuis trop longtemps. La prochaine question d'Eze arracha un vrai rire joyeux à Terrence, le souvenir de leurs nuits interminables sur le sable qu'il terminait dans l'arrière boutique quelques courtes heures avant de rouvrir sa boutique lui revint tendrement en mémoire, la bonne époque. Les affaires vont bien ! Et tu sais que j'avais ma caravane avant que tu quittes Bowen, bon ne n'y dormais pas souvent à l'époque. Mais j'ai toujours ce tas de ferraille et j'en suis même propriétaire à présent. Et franchement, je ne changerai pour rien au monde, les grandes maisons c'est surfait. Terrence avait passé quelques années de sa vie entre les quatre murs d'une cellule de prison alors autant dire que sa petite caravane c'était le grand luxe ! Il ne se verrait vivre nulle part ailleurs.

Bowen, un petit paradis qui prend bien plus de valeur lorsqu'on l'a quitté. C'était bien vrai. Ce l'était pour tous les endroits où Ezekielle mettait le pied, mais la petite ville australienne avait ce petit plus qu'elle ne pouvait renier. Puis, à ce jour, elle n'avait pas trouvé meilleur endroit pour monter sur une planche qu'ici. Surfer, ça lui avait manqué, mais probablement pas autant qu'elle le réalisait là, maintenant, en en parlant avec Terrence. « Alors si c'est comme le vélo, je n'ai aucune inquiétude ! » dit-elle en décrochant un sourire. Des étincelles de souvenirs parcouraient rapidement sa tête. Dans certains bouts du monde, la bicylette était le moyen de transport le plus luxueux que les habitants pouvaient trouver. Dans certains villages, les plus jeunes affichaient souvent des visages de stupéfaction lorsqu'ils la voyaient prendre part sur le siège et pédaler si facilement. Quand c'était possible, elle prenait de son temps pour leur apprendre à faire du vélo et le sourire que les petits - et les grands - lui offraient en retour valaient tant à ses yeux. « Et vu ton offre, je n'ai d'autre choix que de rester un moment », poursuit la blonde. Les prochains mots de son ami lui décrochèrent un sourire sincère et firent briller ses pupilles. « Je serais ravie que l'on s'accompagne dans ce retour aux sources, Terrence. » Lorsqu'il serait prêt, s'il le voulait, elle serait là comme il l'avait toujours été pour elle. Après avoir soufflé ces mots, Ezekielle ne ressentait pas le besoin d'ajouter autre chose. Terrence la connaissait, il pouvait lire en ses yeux la joie qu'elle éprouvait de constater qu'il avait cheminé, qu'il avait, en quelques sortes, commencé à guérir de certaines blessures. Sur un ton plus léger, les deux amis se remémorèrent certaines scènes de leur passé. « Là-dessus, on est d'accord ! » Elle ne lui apprenait rien, de toute façon. Pour elle non plus un mode de vie matérialiste et luxueux ne faisait de sens. « D'ailleurs, tu es toujours installé au même endroit ? Y a-t-il des terrains libres près du tien ? » La chambre qu'elle louait dans l'un des motels de la région n'était pas si mal, mais c'était loin d'être ce qu'elle préférait. En remettant les pieds ici, la jeune femme se sentait nostalgique. Elle reconnectait avec une partie d'elle-même après ces quelques mois à l'étranger, à vivre une vie tellement différente. Elle ressentait le besoin de reconnecter avec la nature, avec la simplicité. Peut-être qu'elle pourrait se dénicher une vieille caravane et y construire son petit nid. Les possibilités étaient infinies.