Don't judge me + Niels & Charlie

Décidée à me reprendre en main, j'errait de café, boulangerie, salon de thé, à la recherche d'un emploi. La plupart du temps on me disait qu'il n'y avait aucun poste vacant en tant que pâtissier. Je n'imaginais pas à quel point cela allait être difficile. Moi qui suis tellement attachée à mon indépendance, j'étais bien déterminée à parcourir la ville pour trouver un job. Avec ce qu'il s'est passé avec Liam, j'avais envie plus que jamais d'emménager dans mon propre appartement. Après une fin de journée, je me résigne et m'autorise à aller boire un café. Gobelet big size à la main, je ne m'attendais pas à me retrouver nez à nez à Niels, un ami de mon père. Oh salut Niels lui dis-je vivement. Comment ça va? À cet instant précis je pense évidement à mon père, l'imaginant me rouspeter Charlie tu me déçois! J'en ai la nausée rien que d'y penser.

@Niels Lehrmann

Niels, ami de mon frère, était autrefois militaire. Marqué par la guerre et d'horribles souvenirs, il me semble qu'il continue à vivre avec les démons de son passé. Alors quand il me répond que "on fait aller", je ne peux cacher ma tristesse. Je demande avec compassion Ça va pas fort? Nous en arrivons directement au vif du sujet. La question fatidique. Que fais-je à Bowen? Je pense que je pourrais lui dire que j'ai abandonné mes études de physique quantique mais qu'à coté de ça, j'ai trouvé ma vocation dans la pâtisserie. Je me contente de dire vaguement : Oh c'est une longue histoire je me dis intérieurement que je n'ai pas besoin de lui donner les détails. Parler de mon ex relève de l'intimité mais le problème n'étant pas seulement de là, ce sont des souvenirs et des actes dont je ne suis pas fière. Comment dire que j'ai lâchement quitté sans un mot, un homme dont j'ai été amoureuse?

D'un œil attentif, je l'observe serrer ses mains sur son gobelet. Les traits de son visage sont douloureusement marqués. Il semble emporté dans une tristesse infinie. Ses souvenirs passés sur le champ de guerre, l'ont toujours hanté.  Les mots me manquent pour le réconforter. Je n'ai pas un tel vécu. Je tente intérieurement de comparer cette épreuve de la vie comme un deuil. Parfois, il suffit d'une seule chose, un violon d'ingres, une personne, un événement, pour guérir des fantômes du passé. Je ne crois pas que ces paroles l'apaiseront, cependant, le cœur y est. Qu'il ne tente pas de minimiser sa peine. Bien sûr que c'est important. Je crois bien que si, Niels. dis-je sans le moindre sourire. D'un coup j'ai l'impression que mes problèmes sont infimes comparés aux siens. Mais il montre son intérêt et je me sens plus apte à me confier à lui. Il connait la situation conflictuelle avec mes parents, seulement je préfère l'avertir que cette conversation sera confidentielle. C'est juste que... j'veux pas que mon père le sache, d'accord?

Je tapote nerveusement mes mains sur mon gobelet. Le regard perplexe, j'attends que Niels me confirme que cette conversation restera privée. Mon père n'est au courant de rien. Rassurée mais peu confiante, je me lance. Eh bien pour résumer... j'ai arrêté mes études je me précipite de rajouter Mais pour une bonne raison! J'ai découvert une autre passion. Pendant mes heures libres, je travaillais en tant que pâtissière à temps partiel. Ça m'a tellement plut que j'ai continué à temps complet et j'ai tout arrêté. En attendant que je trouve du travail, j'ai emménagé chez Ariel. Comme tu peux t'en douter, je pense pas que mes parents seraient enchantés de l'apprendre. dis-je en levant les yeux au ciel. Quitter Sidney, abandonné mes études, vivre avec mon frère leur soit disant "bon à rien" de la famille ; ça va être pas mal difficile à digérer. Je n'ai pas envie d'affronter leurs sermons. C'est ma vie. Est-ce si compliqué de l'accepter et de le comprendre? J'appréhende un peu la réaction de Niels. Je me dis que lui, aura un avis objectif de la situation. Il a du recul et connait aussi les idéaux de mon père. Devenir pâtissière ne sera sans doute pas l'avenir qu'il me réservait. Pas assez prestigieux à son goût, j'en suis sûre.

J'explique la raison qui m'a conduit à Bowen. J'évite - délibérément - de parler de mon ex, un détail qui ne mérite pas d'être précisé. Je suis plutôt satisfaite de la réaction de Niels, qui sera de loin celle de mon père. Il ne comprendra pas que mon choix. Toute petite, j'aime la littérature, l'histoire, la physique. Il me prédisait forcément un métier intellectuel. Quelle fierté, lorsque je lui ai annoncé que j'envisageais de faire des études de physique cantique! Sera t-elle la même en lui annonçant que j'ai décidé de me lancer dans la pâtisserie? Je parie que non. Niels, lui, au moins semble comprendre, compatir, sans jugement. Oui, j'y tiens. Je sais très bien que je suis censée en parler rapidement à mes parents, mais je repousse l'échéance. Pas par peur... Si mes parents ne sont pas encore au courant, c'est parce que j'ai peur que ça parte trop loin. D'ailleurs comment je peux leur annoncer ça? Ils me voient encore comme la petite fille modèle. Celle dont toute la pression repose, en dépit Ariel. Mon frère a toujours été le vilain petit canard. Alors que pour moi, il est la seule famille qui compte vraiment. Il va bien. Ça fait bizarre d'être en coloc avec lui alors qu'on est adulte maintenant. Mais c'est super de le retrouver. Même si nous avons tous les deux grandis, on se comporte encore comme des gosses à se battre pour le dernier choco-noisette.

Toute mon enfance a été rythmée de pression sur mes épaules. Je me devais de surpasser mon frère, qui lui ne se souciait de son avenir. Mais moi, je me suis toujours acharnée à vivre mes passions pleinement. J'en faisais la fierté de mes parents. Mon père, politicien, me voyait faire une carrière dans la politique, la justice ou la médecine. Il était tellement fière que je devienne un jour une physicienne. Être pâtissière, c'est beaucoup moins prestige. Niels me confronte à cette vérité infligeante. Je sais bien dis-je passant une main sur mon visage, signe de désespoir. Il me suggère d'organiser un dîner où je pourrais leur annoncer. J'en ai la nausée. Ou je pourrais me cacher d'eux jusqu'à la fin de ma vie? Le déni. J'en plaisante mais je suis dans le total déni. Il n'y a pas d'autres solutions qui s'ouvrent à moi et je ne peux nier aux propos de Niels. Finalement je capitule. Il a raison. Je dois prendre le taureau par les cornes. Je pense qu'effectivement, c'est une bonne idée et ta présence pourrait m'aider à relativiser la situation. Peut-être même que je peux les épater avec une religieuse! Je retrouve enfin le sourire. Faudrait que j'en parle aussi à mon frère... Après tout, c'est lui qui m'héberge. Je crois bien qu'il sera d'accord avec Niels. J'avoue a contrecœur, presque honteuse Lui aussi, m'a dit qu'il fallait que je leur dise.

Le noyau du problème, c'est que ma relation avec mes parents est particulièrement. Je me suis jamais sentie proche d'eux. Finalement, je crois bien que je ne serais pas si touchée que ça si nous serions amené à ne plus se parler. J'ai honte de lui avouer. Va falloir que je me fasse une raison. Tout le monde autour de moi m'a dit la même chose, Ariel, Billie, maintenant Niels. Je repousse ce moment depuis longtemps mais maintenant que je suis à Bowen, je dois affronter mes parents. Je n'ai plus treize ans, je ne suis plus sous leur responsabilité. Alors j'ai le droit d'abandonner mes études si c'est pour me consacrer à un métier que j'aime.

Peut-être que Niels pourra temporiser la discussion si jamais cela part en dispute. Je t'appellerai promis-je. Le temps que j'organise ce repas car mes parents ne vivent plus ensemble malgré qu'ils soient encore mariés. A contrecœur, je me demande à voix haute : Et si ça se passe mal?

Okay... Merci, Niels. Le plan a été élaboré, il n'y a plus qu'à organiser la petite réunion familiale. Mon père et ma mère auront beau dire ce qu'ils veulent, je suis déterminée à aller jusqu'au bout. La pâtisserie est devenue ma vocation. Ils devront accepter que la physique cantique appartient à un passé révolu désormais. Comme dit justement/sagement Niels, je fais ce que je veux, tant que je suis heureuse. C'est exactement ce que je pense! Si la dispute finit par être trop violente, j'aurais peu de regret qu'on coupe les ponts. Triste à dire, non? Je ne les vois pas souvent, surtout ma mère qui habite en France. Nous ne sommes pas trop du genre à se téléphoner tous les jours. On forme une famille assez particulière. Au moins avec Ariel, on s'entend très bien comme tous les frères et sœurs.

On va arrêter de parler de moi, on a fait le tour du sujet. Et je me demande ce qu'il y a de nouveau dans la vie de Niels. Sinon, quoi de neuf? On ne s'est pas vu depuis longtemps.