Le Tiramisu de la paix + Aura

Lendemain de veille plutôt agréable. Les rayons du soleil transpercent les rideaux à peine fermés pour venir inonder ton lit de sa chaleur réconfortante. L’été pointe le bout de son nez et qui dit belle saison dit fiesta. Tu enchaines les fêtes, les soirées en tout genre. Quand tu n’es pas au boulot, tu te trouves aux quatre coins de la ville à faire la teuf et à boire sans fin. C’est ton moyen d’oublier, de passer à autre chose. Tu te crées de nouvelles amitiés, rencontre de nouvelles personnalités. Tu fais défiler les nanas à une vitesse fulgurante. Une pour chaque soir, jamais la même de peur de te lasser. La nuit dernière ne fait pas exception à la règle. Tu émerges d’une nuit plutôt courte aux côtés de pas une, ni deux, mais bien trois nanas complètement nues. Il ne faut pas être extrêmement intelligent pour comprendre ce qui s’est passé chez toi la veille, suffit de voir l’état de ta chambre pour le comprendre… ou encore les marques d’ongles sur ton dos. Tu bouges le corps obsolète d’une demoiselle afin de te libérer de son emprise, puis te glisse hors du lit en ce début d’après-midi prometteur. En te dirigeant vers la cuisine, tu fais glisser ta main dans tes mèches rebelles avant de venir étirer les traits de ton faciès à l’aide de la paume de ta main. Une fois dans la pièce convoitée, tu lances la cafetière et te sers un verre d’eau. Le gobelet porté à tes lèvres, tu n’as pas le temps de te rafraîchir qu’on frappe à ta porte. D’instinct, ton regard se porte sur le bas de ton corps complètement nu, puis tu hausse les épaules en te dirigeant vers l’entrée sans trop de cérémonie. Il ne peut s’agir que d’un ami. Tu n’as pas parlé à ta sœur depuis un moment, pareil pour Livio et tu as vu Fede il n’y a pas si longtemps. En ce qui concerne tes amis, tu n’éprouves aucune gêne et aucune honte, au contraire, ça t’amuse. Tu ouvres finalement pour découvrir le visage de ta jumelle, ce qui te laisse sans mot dans un premier temps. Tu ne t’attendais pas à la voir débarquer chez toi sans prévenir, pas depuis vos derniers échanges. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas la première fois qu'elle te voit à poil et sans doute pas la dernière. ‘’ Salut… tu sais que Fede reste plus loin dans le quartier ? ‘’ Doucement, tu attrapes un boxer à la traîne que tu enfiles et peu de temps après, tu vois apparaitre les trois mousquetaires qui s’empressent de quitter ton appartement en s’excusant auprès de ta soeur, croyant qu’il s’agit sans doute de ta petite amie ou un truc du genre... comme si elle ne te ressemblait pas assez, un peu comme Cersei et Jaime Lannister, sans l'inceste on s'entend.  ‘’ Tu leur a fait peur. ‘’ Dis-tu éclat de rire dans la voix.  ‘’ Qu’est-ce que tu fais là? T’as besoin de quelque chose ? ‘’ Finis-tu par demander sans un once de reproche ou de méchanceté tout en t’écartant pour la laisser entrer… si tel est son désir évidemment.

La cuisine, dans notre famille, était quelque chose de sacré, un art que nous nous transmettions à travers les générations. Un art que j’espérai un jour transmettre à mon fils, à mes enfants, quand ils seraient en mesure de tenir une maryse ou de manier un couteau. Pour l’heure, j’avais envahi ma cuisine de plats, confectionnés d’une seule traite, comme pour faire un sorte de batsch cooking, mais ce n’était pas pour Livio et moi. Il y avait des lasagnes évidemment, des sauces à spaghetti (pesto vert, pesto rosso et autre) que j’avais repartie dans des moules à glaçons pour en faire des doses individuelles à utiliser au fur à mesure, j’avais cuisiné des cannellonis à la sicilienne selon une recette de ma mère, dont mes frères, mon père et moi raffolions - Livio lui-même y avait succomber le jour où ma mère les lui avait cuisiné, lorsque nous étions allé dans ma maison de famille en Sicile. Je m’étais haleté à confectionner des chippirons farcis, quelques autres plats puis avait terminé par un dessert.
Avec mes provisions sous le bras, j’avais pris la route de l’appartement de mon jumeau. Cela faisait un peu plus d’une semaine maintenant que je ne l’avais pas vu, j’avais préféré lui laisser de l’air, mais j’avais décidé, aujourd’hui, que c’était assez, qu’il me manquait. Il était presque treize heures quand je sonnai à la porte et qu’il m’ouvrit, quelques secondes plus tard, aussi nu que le jour de notre naissance.
Enzo et la pudeur…on aurait pu en écrire toute une encyclopédie, en douze volumes, écrit tout petit. Ce n’était pas la première fois qu’il m’apparaissait à poil, et sans doute pas la dernière non plus.
— Je ne suis pas venue voir Fede, tu me…
manques… Je n’eus pas le temps de lui dire. Mon frère était parti se trouver un caleçon - alleluia - et deux secondes plus tard, les trois petits cochon semblèrent sortir de sa chambre, s’excusant du dérangement. Je regardai les trois femmes partir, ne sachant plus si je devais être blasée ou étonnée. Avec Enzo…il fallait s’attendre à tout.
— Si je commence à faire peur à tes meufs…ça veut dire que je ressemble un peu trop à maman…
Je pouffai de rire, posai mes sacs à mes pieds, puis vins étreindre mon frère au moment où il me laissa la place pour entrer chez lui. Je l’entourai de mes bras, fermai les yeux, puis collai ma tête contre son torse. Cela me fit un bien fou, de simplement le tenir contre moi. Puis, après un moment, sans même rouvrir les yeux, j’inspirai longuement.
— Tu pues, décrétai-je.
Je quittai ses bras avec un petit rire, récupérai mes deux gros sacs pleins à craquer de nourriture et m’engouffrai dans l’appartement. Je posai mes charges dans la cuisine puis m’empressai d’aller ouvrir les fenêtres pour laisser entrer l’air frais.
— T’as pas de bougies parfumées par hasard ?
Je regardai mon frère et devant son sourcil arqué, je rigolai.
— Non, évidemment.
Je retournai à la cuisine pour ouvrir son congélateur.
— Lasagnes, chipirons, parmigiana d’aubergines, cannellonis, sauces pour les pâtes…je te mets ça là. Ok ?
Je refermai le bac puis attrapai un plat rond, recouvert d’un papier alu que je déposai sur le bar de la cuisine de mon frère, face à lui. Je levai les yeux vers lui, lui souris, puis dévoilai ma surprise. Un gâteau. Une recette de notre grand-mère à laquelle j’avais ajouté ma touche personnelle avec le temps : une tarte façon tropézienne, fourrée de ricotta sucré et de lemon curd, le tout saupoudré d’une poudre blanche.
— Sois pas déçu par contre, c’est du sucre glace, fis-je sur un ton malicieux.

La vie en solo est certes différente, mais pas totalement déplaisante. Tu fais ce que tu veux, quand tu le veux sans te soucier de déranger qui que ce soit autour de toi. Peut-être les voisins, mais ça, c’est le moindre de tes soucis. Les murs sont là pour étouffer le son après tout, mais lorsqu’on s’appelle Lorenzo Luciano et qu’on ramène une nana… les cris et les suppliques sont à prévoir. Tu prends de nouvelles habitudes, tu fais du rangement plus souvent pour t’assurer de la propreté des lieux. Généralement, tout trouve sa place dans ton appartement. Les fenêtres sont ouvertes et une douce odeur de parfum pour homme plane dans le logis. Un vrai repaire pour mec, bien qu’il soit décoré au goût du jour et avec beaucoup de soin. Plus luxueux que tout ce que tu as pu posséder à ce jour… sauf aujourd’hui. C’est la pagaille et pas qu’un peu. D’ailleurs, tu ne t’attendais pas à avoir de la visite si tôt en début de semaine. Tout le monde bosse, Hope est confinée au lit… Les gens liés à la mafia que tu côtoies, tu les rencontres ailleurs que dans ta résidence. La porte s’ouvre sur ta sœur jumelle. Tu es le premier surpris par cette visite, car tu ne t’y attendais pas du tout. Tu as commencé à te faire à cette sorte de solitude, cette forme d’abandon plus douce que celle engendrée par le départ de ton ex. Tu lui demandes ce qu’elle fait là, les mains garnies de sacs pleins à craquer. Tu te dis qu’elle manque peut-être de place chez elle pour tout entreposer, mais ne dit rien pour autant, te défilant un instant le temps d’enfiler de quoi de couvrir… même si le tissu en lui-même est tellement ajusté qu’il laisse très bien voir ce qui se cache dessous. ‘’ Ce ne sont pas mes nanas. ‘’ S’il y a bien une chose que tu as apprise, c’est de ne pas t’attacher, de ne rien prendre pour toi de peur d’être blessé à nouveau. ‘’ Mais ressembler à maman est une très bonne chose. ‘’ La femme la plus exceptionnelle qui soit. Tu l’adores, elle est sans conteste la femme de ta vie. Tant de perfection en elle. Les sacs trouvent le sol et très vite le corps frêle de ta soeur vient s’échouer contre la forteresse du tien. Il te faut un certain temps pour réaliser ce qui se passe avant de finalement faire passer tes bras autour d’elle. Ça te rend tout drôle, mais en même temps, tu sens ton coeur se réchauffer, sortir de son hivernation. À sa remarque, tu pouffes de rire. ‘’ Je viens de courir un marathon, un peu de respect pour les athlètes. ‘’ Dis-tu en rigolant tout en te dirigeant vers la cafetière pour te servir un café bien noir et corsé. Aura s’empare de ses sacs qu’elle dépose non loin de toi avant d’aller ouvrir les fenêtres. De ton côté, tu tires le cou pour voir ce que le plastique renferme et des prunelles brillent de mille feux en voyant la quantité phénoménale de bouffe. La paradis sur terre, le plus beau jour de ta vie. Tu n’es pas doué en cuisine, contrairement aux autres… Tu as investi tes talents ailleurs … les fourneaux, très peu pour toi. Tu en possèdes un, mais plus comme décoration puisqu’il ne sert pratiquement jamais. Ta sœur te parle de bougie parfumée et ta réaction parle d’elle-même. C’est un truc pour nana ça ! ‘’ Je demanderai à maman d’en prendre si c’est indispensable. ‘’ Tu attends toujours qu’elle vienne visiter ton appartement, qu’elle voit comment tu vis et qu’elle constate que tu es en mesure de te débrouiller. Tu gagnes en maturité, chose que tu refuses d’accepter ou d’admettre. Finalement, Aura déballe le tout. Tu salives devant le plat de lasagne, devant tout en fait, si bien que ton ventre se met à gargouiller comme un ours. Lorsqu’elle parle d’Aubergine, c’est instinctif chez toi, ton regard se pose sur ton entre jambe que tu tâtes pour t’assurer que tout soit en place. Chose qui te fait marrer comme un con. ‘’ Merci ! J’apprécie, il faudra repasser demain, il ne restera plus rien ! ‘’ Vient ensuite le tour du dessert qui, lui, trouve sa place sur le comptoir directement, prêt à être dévoré. Sans perdre de temps, tu sors deux fourchettes dont une que tu tends à la mère Thérèsa du moment. Lorsqu’elle parle du sucre glace, tu te demandes si elle cherche à te provoquer. Il t’en faut peu pour te mettre sur tes gardes. Tu sais qu’elle déteste ça et que c’est sans doute une manière détournée de te piquer avec ça. ‘’ Du moment que c’est poudreux, ça passe par le nez. Y’a que les effets qui changent. ‘’ Tu hausse les épaules simplement en t’installant devant la tarte qui ne tarde pas à se faire dévorer à double ration pour ta part. Tu consommes de la drogue, oui, mais t’es pas l’accro à la coke qui se se faire une ligne tous les trente minutes pour survivre. T’es raisonnable, tu prends une dose quand le mal est trop dur à supporter ou en soirée, mais ça s’arrête là. Avec un métier tel que le tien, tu ne peux pas te permettre d’être défoncé en permanence… et tu as besoin d’être vigilant en ce qui concerne la mafia, le trafic et tout le reste. Tu as trop de responsabilités, tu n’es plus le petit dealer que tu étais avant ton départ. Tu ne consommes plus autant même. ‘’ C’est délicieux ! Merci ! ‘’ Tu continues de tout avaler, comme si tu n’avais jamais rien mangé de toute ta vie. Ton regard se pose sur ta sœur qui elle, mange avec plus de classe. ‘’ Je suis raisonnable dans ma consommation, j’ai réduit de plus de la moitié habituelle. C’est occasionnel et non plus une nécessité. ‘’ Fût une époque, tu vivais sur un high, toujours défoncé à enchaîner les teufs, les orgies et tout le reste. Ton travail occupe une place importante pour toi, il t’aide à prendre conscience de la valeur des choses et puis ces mecs, ils sont devenus ta famille. T’as envie de lutter à leur côté et de sauver des vies. Tu n’en reste pas moins un petit con, mais un petit con avec une conscience. ‘’ Ça se passe bien avec les parents ? ‘’ Tu sais bien que oui, mais tu poses la question pour la forme. ‘’ Fede est venu dormir ici la semaine passée. On s’est fait une soirée tous les deux. ‘’ Tu sais qu’elle rêve de ce moment et qu’entendre ça lui fera plaisir. Tu essaies de reconstruire avec ton frère, lentement, mais sûrement. S’il fait des efforts, tu feras de même.

Les bras de mon frère étaient d’un réconfort absolu, ils l’ont toujours été, aussi loin que remontait ma mémoire. Bien avant même qu’il mesure 1m86 et qu’il pèse son poids en muscles. Enzo, depuis l’enfance, avait été mon repère, mon tout. Celui sur qui j’avais toujours pu me reposer. Aujourd’hui, si tout semblait avoir bouger, si nous avions besoin de retrouver un équilibre, ce contact me disait qu’au contraire, ces vérités là n’étaient pas obsolète. Notre lien était là, bien là. Il suffisait simplement de chasser la poussière. Je pouffai contre lui.
— C’était pas un triathlon plutôt ?
L’accès au coeur d’Enzo, je le savais bien, commençait par son estomac, et si je voulais amorcer une trêve, voire même sceller la paix, quelques victuailles allaient pouvoir m’aider. Après que j’eus tout ranger, je lui proposer de déguster avec moi un gâteau, normalement prévu pour six. Enzo en prit une part d’ogre, ce qui me fit sourire. Mon frère mangeait comme 4 personnes adultes, c’était affolant. Il rebondit à ma plaisanterie sur le sucre glace, et je le laissai venir.
— Je suis rassurée de l’entendre, dis-je avec franchise, je te fais confiance. Tu sais mieux que moi où sont tes limites.
Je n’étais pas fan du fait que mon frère consomme de la drogue. Je l’avais parfois vu dans de sales états, et j’avais peur pour lui.
— Puis, de toute façon, si tu meurs à cause de ça, moi je meurs genre…disons dix minutes après toi, je te retrouve en Enfers et je te fous la misère, plaisantai-je.
Je pris une bouchée de gâteau, puis soupirai.
— J’en peux plus, j’suis calée.
Je me levai pour me servir un verre d’eau, l’avalai presque d’une traite, puis posai les yeux sur mon jumeau. Il évoqua les parents et Fede.
— Je suis contente que vous vous soyez vu. Et, oui, ça se passe bien avec les parents. Ceux de Livio sont là aussi. La maison est…
Je ris.
— Disons, vivante. Mais ça fait du bien, je crois. On se repose. On…prend du temps pour nous. Et…
Je plissai les yeux puis me rapprochai vivement d’Enzo.
— Je rêve où y’en a une qui a mordu ton tattoo ? T’as la trace…

Tu restes sur tes gardes, car tu es ainsi. Tu n’es pas totalement sûr des raisons qui ont poussé ta sœur à venir te rendre visite aujourd’hui. Tu ignores quand les reproches tomberont, quand Livio viendra sur le tapis, tout ce que tu sais, c’est que tu ne comptes rien dévoiler. La conversation tourne sur ta consommation de drogue, c’est un sujet qui te propulse dans les hautes direct, car t’aime pas qu’on critique tes choix. Tu sais ce que tu fais et si dans le passé tu as abusé, tu n’as jamais franchi les limites virales. T’es un petit con, le petit mouton noir de la famille. Le mec différent de son frère et sa soeur, celui qui fait des choix que personne ne ferait et qui fonce quand tout le monde reculerait. Tu n’es pas pudique, t’es pas non plus un amateur de niaiserie et de mots tendres. Tu ne vis pas au royaume des licornes et des guimauves. Tu as besoin d’adrénaline pour te sentir vivant et même si tes actions laissent parfois à désirer, tu sais que tout est calculé. Tu as une conscience et elle est plus affûtée qu’on le croit, contrairement à ce que pensent les autres. ‘’ Qui te dit que j’irai en enfer ? ‘’ En vrai, c’est inévitable, tu as ta villa réservée près d’un lac de feu. Toutes les vies que tu as sauvées ne réussiront pas à expier tous tes péchés passés, présents et à venir. ‘’ Tu ne peux pas crever de toute manière, t’as ton mec et ton fils ici. ‘’ Tandis que toi, tu n’as rien du tout et le second sujet évoqué te le confirme d’avantage. Il faut avoir une conjointe ou des gamins pour voir les parents débarquer et prendre racine chez soi, encore un truc qui te différencie de ta fratrie et qui creuse le fossé qui vous sépare. Comme toujours, tu restes de marbre, affichant ce faux sourire tellement convainquant en continuant de savourer le dessert qui tire à sa fin. ‘’ C’est le principal que tu souffles un peu. Tant mieux alors si tout se passe bien. ‘’ Tu lui adresses un clin d'œil alors qu’elle change direct de sujet en s’approchant de toi tel un animal blessé. Ton regard se pose sur ton tatouage et tu te mets à rire. ‘’ Ça prouve que j’ai bien fait mon travail. Les meufs de nos jours, elles sont sauvages. ‘’ Visiblement, tu devras repasser chez le tatoueur pour faire réparer ça, une fois cicatrisé on s’entend. Une fois le gâteau vaincu, tu t’étires longuement avant de te frotter le ventre et te lever. Tu prends le carton de lait dans le réfrigérateur et l'engloutit d’un trait pour faire passer tout ça. ‘’ Heureusement que je dors à la caserne ce soir, je pourrai m’entraîner ! ‘’ Tu fous le bordel dans les mèches de ta sœur en passant près d’elle et tu commences à ranger le désordre qui règne en maître dans ton appartement. C’est pour ça que tu peux te permettre de manger autant. Tu enchaines les entraînements, les parties de jambe en l’air, tu es toujours en mouvement pour te dépenser physiquement. ‘’ Tu as prévu quoi aujourd’hui ? Ton fils va bien au moins ? Il pleure aussi souvent ? ‘’ Tu te rappelles votre conversation téléphonique et ça te fait rire.

J’étais bien loin de m’imaginer ce qui pouvait passer par la tête de mon frère en ce moment. Et c’était bien la première fois de ma vie que cela m’arrivait. Depuis l’enfance, nous avions toujours lu en l’autre comme dans un livre ouvert. Pourtant, lorsqu’il rappela que j’avais Livio et Leandro avec moi et que pour cette raison, je ne pourrais le suivre en enfer, j’éprouvai un petite pointe au coeur. Croyait-il vraiment qu’il n’était pas indispensable à ma vie ? Comment pouvait-il bien croire une chose pareille ? Lui et moi n’étions qu’un, depuis toujours. Je ne pouvais vivre dans un monde où lui n’existait pas, aussi heureuse que j’étais en couple et dans mon rôle de mère. Je ne répondis rien à sa petite pique malgré tout, ne sachant que dire, me contentant d’encaisser la douleur en silence, d’autant que mon frère essayer de faire des efforts, je le sentais. Il se réjouit pour moi, trouvant que c’était une bonne chose que les parents soient chez moi pour me permettre de souffler. Je hochai doucement la tête et baissai les yeux sur la pâtisserie que mon glouton de frère était en train de terminer d’engloutir. Cette vision m’arracha un sourire. Il avait toujours été un ventre sur patte, et ce trait de caractère s’était accentué depuis qu’il faisait du sport intensif. Il avait besoin d’énergie. Une marque que je décelai sur son épaule attira mon attention, et coupa notre conversation. Enzo fit comme si ça n’était rien, il s’en amusa. Je ne pus m’empêcher d’examiner la morsure, plissant les yeux, pour vérifier que ça n’était pas profond.
— Sauvage ? Complètement tarées ouais…
Je ne savais pas où il rangeait sa trousse à pharmacie, sans quoi je serais déjà en train de nettoyer cette marque. Mon frère s’étira, massa son ventre plein, puis alla s’enfiler une rasade de lait.
— Je suis a peu près sure que tu as éliminé par avance les calories que tu viens de t’empiffrer, soulignai-je avec une pointe de malice.
Il passa à côté de moi et ébouriffa mes cheveux, ce qui me fit râler sur le moment, puis sourire ensuite. C’était comme si je le retrouvai un peu. J’arquai un sourire lorsque Lorenzo me demanda des nouvelles de Leandro. Il avait pourtant été clair : il n’aimait pas les gosses, et ça n’était pas mon fils qui changerait ça. Si cette affirmation m’avait blessé, je comprenais que je ne pouvais de toute manière pas forcé la complicité que je rêvais de voir naitre entre mon double et mon enfant.
— Il…se calme un peu. Je crois que son nouveau lait lui convient mieux, mais…tu veux vraiment que je te parle du lait et des nuits de mon fils ?
Je laissai un rire passer la barrière de mes lèvres puis coulai un regard tendre vers mon frère.
— Tu…tu m’as manqué Enzo. Je sais que je te l’ai déjà dis mille fois depuis que t’es revenu, mais…c’est pas juste pour dire.
Je marquai un pause, sentant l’émotion m’envahir petit à petit.
— Quand on a reçu ta vidéo…je venais d’apprendre que j’étais enceinte. Ca devait faire…quoi…48h.
J’eus un petit rire nerveux.
— J’étais déjà enceinte de quelques semaines et…j’avais peur. Je voulais que tu sois là, que tu me prennes dans tes bras, et…en même temps, plus mon ventre grossissait, plus je flippais…parce que toi, je le sais, t’aurais flippé de me voir…
Je mimai un ventre rond, gonflant les joues comme si ça allait de paire, puis soupirai.
— Enfin…bref. Ouais, tu m’as manqué. Tu me manques. Maintenant. Je déteste ce silence.
 

Tu as l’habitude des femmes félines. Tu apprécies celles qui ont plus d’expérience, sans pour autant lever le nez sur les pucelles. Il n’y a rien de mieux qu’être la première fois de quelqu’un, car c’est une chose qui ne s’oublie pas. Tu aimes marquer tant le corps que l’esprit, une sorte d’obsession chez toi. Peur qui s’est amplifiée depuis le départ de Gigi, celle d’être abandonné. C’est pour cette raison que tu te dépenses autant pour les autres, surtout les femmes, pour qu’elles deviennent accro et reviennent toujours vers toi, assouvir un besoin que seul toi peut combler à ta manière. ‘’ Ce n’est rien Aura. ‘’ Quoi que cette fois, elle y est allée un peu fort. En observant de plus près, on voit très bien l’entaille profonde, ce qui signifie que tu devras passer chez le tatoueur une fois cicatrisé. Repu de ce petit goûter, tu sors de table afin de faire passer la surdose de sucre avec une bonne rasade de lait. Le carton vide, tu l’envoies dans le bac de recyclage avant de te mettre au ménage de l’appartement. De nouvelles culottes à ajouter à ta collection, ornent la céramique de ton plancher. Bouts de tissus transparents, tu fais tournoyer les strings autour de ton index exposant fièrement au regard de ta sœur, les trophées de la soirée. Elles sont encore propres, car généralement, elles ne les gardent pas très longtemps. De toute manière, tu dois lancer une lessive. Tu as tendance à remettre à plus tard ce genre de chose, procrastination est ton second prénom tout comme orgueil et rancœur. Tu as déjà songé à intégrer un groupe de think tank pour en discuter, mais tu as abandonné l’idée directement. Tu n’es pas du genre à te confier, ni à te dévoiler. T’ouvrir est extrêmement difficile, surtout depuis ton retour. Tu refoules énormément, te fou la tête dans le sable en espérant que les choses passent sans que tu n’aies à faire quoi que ce soit pour y remédier. Dire de toi que tu es un livre ouvert, c’est comme te faire croire que tu es un sédentaire, chose que tu n’es pas. Tu aimes voyager, incapable de rester en place entre quatre murs. Tu décides donc de te renseigner sur son fils histoire de la mettre à l’aise. Tu n’as pas vraiment envie de savoir, mais comme elle est ta jumelle et que tu tiens à elle, tu fais un minimum d’effort pour t’intéresser à des choses qui d’ordinaire te font fuir. ‘’ J’ignorais que la sorte de lait avait un quelconque effet sur l’humeur. ‘’ Tu hausses simplement les épaules. ‘’ C’est un sujet comme un autre, non ? ‘’ Ça t’évite de parler de Livio, de ton départ, de ton retour et de toutes ces choses que tu préfères éviter, mais ce genre de sujet ne reste jamais enfoui très longtemps avec une soeur aussi bornée qu’Aura, qui ne rate jamais l’occasion de revenir à la charge. Ton regard sombre se pose dans le sien et tu sais exactement ce qu’elle va dire pour l’avoir entendu un million de fois depuis ton retour. Ce qu’il y a, c’est que tu ne crois pas en ce genre de discours, du moins, tu n’y crois plus. Pour toi, ce n’est que du vent, une manière de bien paraître. Tu l’as bien vu avec Gigi que l’amour sans preuve ne mène à rien, dire je t’aime ne suffit pas, surtout quand on a l’intention d’abandonner quelqu’un. Aura t’a abandonné tout comme Livio et Fede à sa manière. Ils ont tous refait leur vie sans toi et d’indispensable tu est devenu remplaçable. ‘’ Tu n’as pas à te justifier de quoi que ce soit soeurette. ‘’ Pas même des propos tenus lors de vos échanges sms. Elle l’a dit clairement; maintenant qu’elle à Livio et Leandro, elle n’a besoin de rien d’autre. La brunette reprend et tu inspires profondément, à des lieux d’être prêt d’entendre parler de ça. Le silence te guette tandis qu’elle poursuit. Est-ce que tu te sens mal ? Oui, tu aurais dû être là pour elle… mais vu ton dédain sans borne pour les enfants, il était préférable autant pour elle que pour toi, d’être ailleurs. ‘’ Je peux te prendre dans mes bras maintenant si tu le souhaites. ‘’ Dis-tu, l’ombre d’un sourire au coin des lèvres pour te montrer un minimum rassurant. Tu ne veux pas qu’elle décèle ton mal être, le mensonge qui tapisse ton myocarde. Sans plus attendre, tu jettes les culottes plus loin avant de venir l’étreindre doucement malgré la délicieuse odeur de sport qui te colle à la peau. ‘’ J’aurais flippé Aura, très certainement. Je sais que tu en as souffert, mais il fallait que ça se passe ainsi. Les choses auraient pu être pires, j’ignore comment j’aurais réagi en vrai, mais ça n’aurait pas été positif. ‘’ Foutre ton poing sur la gueule de Livio pour avoir engrossé ta soeur… n’importe quoi en vrai. Tu es imprévisible. Tu la relâches, affichant cette fausse moue joyeuse, poker face que tu es. ‘’ Quel silence ? On discute depuis tout à l’heure non ? ‘’ Tu sais ce qu’elle veut dire, mais t’as pas envie qu’elle foute son nez dans ta vie. Tu ignores tout de la sienne alors il est équitable qu’elle ignore tout de la tienne. Elle a un nouveau confident après tout. ‘’ Les parents repartent quand ? ‘’ Baisé déposé sur le sommet de son crâne, tu t’éloignes pour poursuivre la sale besogne. ‘’ Ils ont rencontré la meuf de Fede ? ‘’ Tu ne l’as encore jamais vu… mais tu redoutes un peu. Tu es trop instable émotionnellement parlant pour rencontrer des gens, un mot de travers et tu risquerais de lui pourrir la vie jusqu’à la fin de tes jours. Alors… autant patienter encore un peu. Déjà qu’avec Fede les choses s’arrangent, autant laisser la chance au temps de faire son œuvre. ‘’ Je pense me prendre un petit chien, tu crois que c’est une bonne idée ? ‘’ Clin d’oeil amusé, tu l’observes. Ça manque cruellement de vie ici maintenant que tu es seul. Quoi qu’il en soit, tu es heureux pour elle et reconnaissant qu’elle se soit donné la peine de venir en dépit du lien brisé qui vous unis désormais.

C’était un sujet comme un autre, oui, malgré tout je savais qu’Enzo n’était pas vraiment sensible aux enfants, que cela ne l’intéressait pas vraiment. Que l’enfant en question soit son neveu on non d’ailleurs. Les couches, le lait maternel et toutes ces choses là étaient bien loin de ses préoccupations, je le savais bien.
— Bah…celui qu’il avait avant n’était pas assez nourrissant a priori.
Quand on n’avait pas eu d’enfant, ce genre de détail n’était pas vraiment dans notre tête. Moi-même, avant que le pédiatre me conseille de changer de lait, je n’avais pas pensé que cela puisse avoir un effet. J’étais bien forcée de constaté, malgré tout, qu’il y avait eu un net progrès depuis que nous étions passé au nouveau. La conversation ne s’éternisa pas sur mon bébé, et devint légèrement plus lourde. Je ne pus m’empêcher de dévoiler à mon frère ce que j’avais sur le coeur. Il m’avait manqué, terriblement, et il me manquait encore. Enzo n’aimait pas évoqué ce genre de chose, il était un homme d’action, il préférait agir plutôt que de s’appesantir, mais de mon côté, j’avais besoin de vider mon sac. Pas pour l’accuser de quoique ce soit, pas pour le culpabiliser, juste pour le lui dire. Il vint me prendre dans ses bras, et quand il me confirma que ma grossesse l’aurait fait flippé s’il l’avait appris au même moment que moi, je ne pus pas faire l’étonnée. Enceinte, je m’étais sentie partager entre le désespoir de ne pas avoir mon jumeau près de moi, et l’appréhension de sa réaction s’il était venu à l’apprendre. Je le laissai m’étreindre, et même s’il prétendit que le silence n’existait pas entre nous, je ne pouvais m’empêcher, moi, de le ressentir au plus profond de mon être. En surface, tout semblait ok…oui. En surface seulement et je n’étais pas sûre de savoir m’en contenté. Je savais toutefois qu’Enzo n’était pas ouvert à cette discussion là. Qu’il se voilait la face, peut-être et sans doute était-ce sa manière de rebondir. Ainsi, pour l’Amour de mon frère, il me fallait prendre mon mal en patience.
La suite de la conversation me confirma cette pensée. Il changea radicalement de sujet.
— Oui, ils ont rencontré Letì et…euh…la semaine prochaine, normalement. Les parents de Livio restent encore un peu plus…J’avoue que…même si c’est chouette de les avoir, s’ils nous aident vraiment beaucoup avec Leandro…qu’on arrive à souffler un peu…
Je soupirai, puis lâchai un petit rire.
— Bah…j’ai hâte de retrouver un peu d’intimité.
Chose qui n’était pas forcément facile avec nos quatre parents sous notre toit et un bébé qui dormait, en prime, dans un cododo près de nous. Je retournai mon attention sur Enzo puis fronçai les sourcils, amusée.
— Un chien ? Tu sais que c’est presque comme un bébé, ça…et puis…Minerva t’en voudra à mort !
Minerva était ma chatte, nous l’avions adoptée, Enzo et moi, en arrivant à Bowen. Et si au début, si c’était clairement mon idée, la chatte avait littéralement craqué pour mon frère - comme elles faisaient toutes, d’ailleurs - jusqu’à ce que Lorenzo ne parte, elle avait toujours été collé à lui, ronronnant, se frottant à ses jambes et dormant constamment sur son lit.
— Mais t’inquiète, je ne lui dirais rien…
Je marquai un silence puis hochai la tête.
— Un chien…ouais, pourquoi pas !