nothing is easy (peach's)

Perry raccroche le téléphone en fronçant les sourcils. Il va devoir assumer son rôle de père, en tout cas de père un tantinet autoritaire. Lui qui a toujours joué en mode facile au jeu de la parentalité, ayant une fille exemplaire, n’ayant que peu de choses à lui reprocher. Il savait bien qu’avec l’adolescence, les choses deviendraient plus dures. Et puis il y a Siobhan aussi, qui même si elle est encore petite, commence à avoir du caractère, il n’y a aucun doute qu’elle a pris d’Aisling de ce côté là, même si pour les bêtises, cela vient sans doute de Perry. Il n’a jamais trop su comment être un bon père, comment bien élever ses enfants pour qu’elles ne le détestent pas mais ne fassent pas non plus n’importe quoi en ayant un père trop laxiste. Il ne peut pas vraiment prendre exemple sur ses parents, ils ont toujours été très libres avec lui, le laissant faire un peu ce qu’ils voulaient. Du moins, temps qu’il ne faisait pas trop de bêtises, ça leur allait. Le jeune homme sait bien qu’il n’y a pas un modèle d’éducation type mais il aimerait savoir comment faire comprendre à son enfant qu’il a fait quelque chose de mal, sans être trop méchant ni trop lâche. Il n’est pas du genre à s’énerver de toute façon, à crier. Mais il faut bien qu’il fasse comprendre à Penny qu’elle ne peut pas ne pas rendre un devoir, surtout après qu’on lui ait rappelé. Le problème est qu’à son âge Perry ne rendait plus la moitié de ses devoirs et a bien failli se faire exclure plusieurs fois de son école. Heureusement les généreux dons de ses parents ont empêché cela. Mais il n’est pas le meilleur exemple en terme d’assiduité. Sur le chemin pour rentrer de son bureau à l’appartement, il réfléchit à ce qu’il pourra bien dire à sa fille quand elle rentrera. Comment lui faire comprendre que c’est important quand lui montre de par son histoire, que l’école ne l’a jamais aider à arriver où il est ? Il n’est pas simple d’être parent ! L’appartement est vide à son arrivée, Concho doit encore être au travail ou à une de ses nombreuses autres activités. Penny ne devrait pas tarder. En attendant son arrivée, il allume la télé et reste sur le canapé.

« Tu sais, mon père a précommandé le prochain ! Faudra qu’tu viennes pour y jouer quand j’le recevrai. » C’est Max’ qui lui parle alors qu’ils sont affalés tous les deux sur son lit à plat ventre avec la tête en l’air et les bras levés devant avec leurs doigts qui tapent à la vitesse de l’éclair sur les touches des deux manettes qu’ils tiennent. Ils sont censés être en cours… mais elle a préféré sécher après la proposition quelque peu attirante d’essayer le nouveau jeu à la mode que le père de Max lui a offert. Un jeu de voitures, un jeu qui fait boum, pan et qui fait se délier toutes les langues. Il fallait qu’elle l’essaie… et le garçon n’a pas eu à se faire prier pour la voir le suivre dans les rues désertes d’enfants de Bowen pour atteindre l’appartement vide de vie de son père, au boulot.

Voilà deux heures qu’ils jouent à ce jeu qu’elle surkiffe et qu’elle prévoit de demander à son père de commander dès qu’elle passera la porte de leur appartement. « Et tu vois, ça… c’est la nouvelle arme, l’AK47-489 ! Elle tire des éclairs qui transforment les ennemis en dinosaures en peluche ! » lui explique l’adolescent alors qu’elle n’en croit pas ses yeux. « C’est un truc de malade ! » Elle a la bouche grande ouverte, les yeux écarquillés… C’est plus que malade, c’est délirant !

Et les minutes passent, les heures défilent. Ils jouent longtemps, très longtemps. Elle a elle-même le réflexe de quitter l’écran des yeux le temps d’un instant après avoir remarqué qu’il commençait à faire noir, là-dehors. « M-Merde… » Elle lâche la manette et la laisse rebondir sur le lit, puis récupère la veste qu’elle a laissé traîner sur le bureau de son ami près de son téléphone portable, déchargé. « Tu peux rester, si tu veux ! Mon père va pas tarder à rentrer. On commande toujours pizza, le mardi. » La proposition est alléchante. Il veut à tout prix la faire rester… C’est c’que ses copines lui disent, il l’aime bien Max, Penny. Il l’aime même beaucoup. Elle, elle n’y croit pas et préfère le voir comme un ami hyper marrant. « Tu rigoles ? Mon père va me tuer… j’suis déjà en retard, là. » Elle est plus qu’en retard.

Elle ne prend même pas la peine de lui dire « au revoir » avant de claquer la porte de l’appartement et de descendre les escaliers le plus rapidement possible pour aller enfourcher son vélo et rebrousser chemin jusqu’à chez elle. Elle pédale à vive allure, conduit comme un pied… mais elle n’est jamais restée aussi tard dehors. Perry doit être rentré depuis une bonne heure, elle devrait l’être aussi. Ça craint, et elle sait qu’elle devra se justifier le plus clairement possible après avoir passé le pas de la porte. Tout le long du chemin qui s’est écoulé sur une petite dizaine de minutes, les pensées de Penny sont envahies par l’idée de se trouver un alibi. Des cours qui ont terminé plus tard que prévu, des révisions avec sa meilleure amie Charlotte qui se sont éternisées. Elle n’aime pas lui mentir, sauf pour de bonnes raisons !

Une fois arrivée à la maison, elle range son vélo dans l’entrée de l’appartement et monte les escaliers deux par deux avant d’actionner la poignée et d’enfin retrouver la chaleur de l’appartement qu’ils partagent en famille. « J’suis rentrée, P’pa ! » Elle se sert de son pied pour enlever l’une de ses chaussures, puis l’autre. Elle enlève sa veste et l’accroche dans l’entrée. « J’suis vraiment hyper désolée ! Mon vélo s’est déraillé, y a fallu que le père de Charlotte le répare ! »

Tandis qu’il regarde la télé, Perry ne peut s’empêcher de penser à sa fille et à toutes les inquiétudes qu’il peut avoir à son sujet. Il n’a jamais été du genre à trop s’inquiéter. C’est un papa poule mais Penny a toujours été très indépendante et responsable, du moins jusqu’à il y a quelques temps où il a commencé à remarquer son entrée dans l’adolescence et les règles que l’on transgresse. Il espère qu’elle n’a pas hérité de lui parce qu’il ne saurait pas comment la gérer pour qu’elle ne devienne pas aussi irresponsable que lui. Quand son épisode se termine, il regarde l’heure sur son téléphone. A cette heure là, sa fille devrait déjà être rentrée. En attendant la poignée tourner, il se dit que ça doit être elle mais non c’est Concho qui rentre et repart quelques minutes plus tard pour un rendez-vous. Perry s’inquiète, il décide d’essayer d’appeler sa fille mais tombe directement sur sa messagerie. C’est pas normal, elle a toujours son portable avec elle normalement et elle ne l’éteint pas. Qu’est-ce qu’il est censé faire dans ces cas-là ? Appeler la police ? Et si elle s’était fait enlever ? C’est bien arrivé à la fille de Concho il n’y a pas si longtemps. Ça y’est il panique. Il commence à faire les cent pas dans l’appartement en triturant son téléphone. Tant pis si elle n’a pas rendu son devoir, il veut juste qu’il ne lui soit rien arrivé. Avant qu’il ne se soit décidé sur qui contacter, il entend à nouveau la porte s’ouvrir et cette fois c’est bien sur sa fille. Elle a l’air d’aller bien. Elle s’excuse, expliquant que son vélo a déraillé et que le père d’une de ses amies a dû la ramener. Il fut soulagé de la voir rentrer saine et sauve. « Pourquoi tu m’as pas envoyé un sms ? J’étais hyper inquiet ! » lui dit-il alors encore paniqué. « J’aurais pu venir te chercher tu sais. » Bon il n’a pas de voiture et pas le permis mais il aurait pu venir en skate ou appeler un taxi, il y avait des solutions. « T’as pas réussi à remettre ta chaîne ? » demanda-t-il alors. Lui est une véritable quiche en bricolage et en mécanique, même pour les choses les plus simples telles que remettre une chaîne de vélo mais normalement sa fille s’en sort mieux que lui.

« J’avais plus d’batterie… et j’connais pas ton numéro par cœur, Papa. » Elle le connaissait avant qu’il le change tout récemment. Et si Penny est mauvaise en mathématiques, elle l’est tout autant avec les chiffres. Connaître par cœur les dialogues de sa série préférée, c’est possible. Apprendre par cœur le numéro de téléphone de son père, c’est bien plus compliqué. « Puis regarde, j’suis qu’en un seul morceau… t’as vu ? » Elle lève les bras pour désigner son corps frêle… Elle a disparue quelques heures, certes, mais elle est toujours vivante et heureusement, la vie de Perry ne se transformera pas en documentaire hyper sombre. Elle n’a pas disparue, elle ne s’est pas fait kidnapper et ne finira pas au fin fond d’un fleuve…

Son sac de cours finit dans un coin du salon, avant qu’elle ne vienne rejoindre son géniteur dans le canapé. Elle se sent un peu coupable de lui mentir… non, d’omettre la vérité. Mais peut-être qu’il le prendrait mal. Qu’il lui en voudrait. Parce qu’elle sait à quel point les parents deviennent zinzins en apprenant que leur fille de quatorze ans a traîné chez un garçon sans la surveillance de ses parents… « En skate… ? En taxi ? Nan, j’préfère mon vélo… » lui répond-t-elle sur le ton de l’humour avec un petit sourire au bout des lèvres. Perry est l’un de ces rares parents à ne pas avoir le permis… ce qui reste parfois handicapant au quotidien. « Mais si, le père de Charlotte est venu à mon secours et l’a réparé pour que je puisse repartir. Sinon, j’aurais pu dormir là-bas mais comme demain y a cours, bah… » Elle hausse les épaules. « Pas possible. »

Elle s’engouffre dans le canapé, se rapproche davantage de son père pour le sentir contre elle et poser sa tête contre son bras, son regard posé sur la télévision déjà allumée. Ses doigts glissent inconsciemment sur le bras de l’homme qu’elle caresse avec douceur. Elle l’aime beaucoup son père, même si l’adolescence fait qu’elle a de moins en moins d’occasions de le lui dire ou de le montrer. Parce que ça la gêne quand Perry la ramène à l’école ou qu’il la touche devant ses copines. « On peut commander ? Genre… chinois, ou McDo ? Pédaler, ça donne super faim. Puis on est qu'à deux, Concho est pas là, aloooors... »

Sa fille a réponse à tout et Perry est assez mauvais pour déceler des mensonges même si avec Penny il y arrive un peu mieux qu’avec d’autres, il la connaît depuis qu’elle est petite. Il reste tout de même un piètre détecteur à mensonge. Elle le rassure en lui disant que tout va bien, elle est revenue indemne et c’est le principal. Effectivement, tout va bien, il devrait se rassurer de ça. Il est soulagé que tout aille bien mais il n’oublie pas l’appel qu’il a reçu avant au sujet du devoir non rendu de sa fille. Il lui explique qu’il aurait pu venir la chercher mais visiblement elle préfère son vélo. C’est vrai que s’il avait le permis ça serait plus simple mais il serait un danger public alors il préfère éviter. Il n’est pas sûr qu’il pourrait l’obtenir un jour de toute façon. Et puis, ça ne le dérange pas trop dans sa vie quotidienne, s’il doit aller plus loin qu’une distance atteignable facilement à pied ou en skate, il appelle un taxi et le tour est joué. Le jeune homme ne dit pas grand-chose, il boude un peu. Oui c’est un grand enfant, même avec sa fille. « Mouais. » répond-il seulement avant qu’elle ne vienne à côté de lui sur le canapé. Il est faible, il a envie de la prendre dans ses bras alors qu’il s’est promis d’être un peu plus ferme que ça. Elle lui propose de commander à manger, ce qui est sans doute une bonne idée vu les talents de Perry en cuisine. « Non. » dit-il en se levant d’un bond. « Tu vas pas t’en sortir comme ça ! » ajoute-t-il avant d’enchaîner. « On m’a appelé tout à l’heure….t’as pas rendu un devoir ! Et on te l’a rappelé et tu l’as toujours pas rendu ! Donc aujourd’hui je suis méchant papa, tu vas devoir t’expliquer jeune fille. » Il a un air énervé relativement inhabituel et peu naturel. Il a beaucoup de mal à s’énerver, il se force un peu mais ce n’est pas simple. Le Perry irresponsable au fond de lui lui dit que ce n’est pas grave et que lui à son âge ne rendait pas moitié de ses devoirs mais il n’a pas envie qu’elle prenne exemple sur lui. Étant donné qu’il ne s’énerve pas naturellement, il tente de prendre exemple sur les séries ou les films qu’il voit où les parents disputent leur enfant.

Son « Non » est si ferme, lui parait si catégorique qu’il lui fait hausser un sourcil. Perry qui refuse de commander à manger ? Ça arrive, parfois, très rarement même. Mais d’un ton aussi sûr, pas vraiment. « Mais… » Une syllabe se fait la malle, elle trouve la force nécessaire pour bouger les lèvres mais son air confus et toutes ces questions qui se mettent subitement à toutes se pousser dans sa tête l’intriguent. Il est sérieux ou il est juste en train de blaguer ? Elle s’interroge, l’observe un instant dans l’optique d’enquêter… mais elle n’a pas assez de pistes. Puis elle en comprend rapidement les raisons. Cet énervement résulte d’un devoir non rendu… un simple devoir parmi tous ceux qu’elle rend souvent à temps, voire même à l’avance quand elle a vraiment l’envie, la motivation et l’énergie nécessaire pour s’y pencher.

Elle n’a pas l’habitude de le voir s’énerver. Elle esquisse même un sourire un peu niais en l’observant essayer de se donner des airs qui de toute évidence ne lui appartiennent pas. Il l’a trop longtemps joué « Papa Poule » pour réellement l’effrayer ou lui faire éprouver la moindre crainte à son égard.

Il est levé, droit comme un piquet. Elle est affalée sur le canapé et l’observe avec de grands yeux, pas vraiment sûre de savoir comment elle devrait réagir. Penny a fauté, ce n’est ni la première fois, ni la dernière. Mais… c’est qu’un devoir ! « Tu vas vraiment me punir… ou m’gronder alors que toi, t’étais un vrai cancre dans ta jeunesse… ? » Ses paroles et cet air quasi moqueur (mais naturel, vraiment) qu’elle arbore résultent de cette adolescence qu’elle est en ce moment même en train de traverser et qui en fait voir de toutes les couleurs à Perry depuis peu avant l’anniversaire de ses quatorze ans. Ses paroles frôlent l’irrespect, elle n’en a pas conscience. « J’ai trop de devoirs. » Trop, elle le dit tout le temps. Elle s’en plaint constamment. « J’suis pas la seule à rien avoir rendue. Ça arrive, Papa. » se défend-t-elle en secouant la tête de façon négative, retroussant ses manches un peu trop longues pour fermer ses bras sur sa poitrine. « Et la prof me saque. Elle m’aime pas, y a plein d’filles qui le disent. Elle m’regarde tout le temps de travers, et elle m’met toujours des notes qui correspondent pas aux trucs que je rends… Si tu veux t’énerver, faut t’énerver sur elle… Pas sur moi, parce que j’fais d’mon mieux ! » Ce n’est jamais de sa faute à Penny. Elle n’est responsable de rien. Rien du tout.

Sur ses paroles et ce ton qui commence à s’élever, elle se redresse dans un bond hors du canapé pour se confronter à la petite boule de colère qui lui fait face. Impulsive, elle l’est peut-être un peu trop, mais elle déteste qu’on lui reproche des choses.

Devoir s’énerver, agir comme un parent ferme qui ne laissera rien passer n’est clairement pas naturel pour Perry. Il doit rassembler toute son énergie pour avoir l’air crédible. Oui il sait que ce n’est pas bien ce qu’elle a fait, mais il a fait bien pire à son âge alors si sa plus grosse bêtise est de ne pas rendre un devoir, il s’en remettra. Il préfère ça à ce qu’elle fugue, qu’elle commence à fumer ou à faire des soirées un peu moins bon enfant. Il sait bien que sa fille ne réagira sûrement pas en s’excusant et lui disant qu’elle ne le fera plus jamais, du moins pas en le pensant mais il l’espère un peu. Oui il a toujours été beaucoup trop lâche et ça ne lui a pas vraiment porté préjudice jusqu’à maintenant mais à présent qu’elle est ado ce n’est plus vraiment la même chose. Il se dit qu’il devrait être un peu plus ferme avec Siobhan s’il ne veut pas qu’elle devienne aussi insupportable que lui l’a été mais il a du mal à s’y résoudre. Ses filles se sont ses petites chéries, il les aime plus que tout et est prêt à tout pour leur faire plaisir. Il essaie de ne pas céder au moindre de leurs caprices mais il ne lui faut jamais très longtemps en général pour qu’il dise oui. Il essaie de faire comprendre à sa fille qu’elle n’a pas bien agit mais elle lui fait rapidement comprendre qu’elle n’a pas de leçon à recevoir d’un type comme lui qui n’a jamais été sérieux à l’école. Forcément c’était prévisible. Beaucoup s’énerveraient mais lui sait qu’elle n’a pas tord et qu’il aurait sûrement répondu la même chose si on lui avait fait ce genre de reproches. « Justement j’peux te dire que c’est pas l’exemple à suivre. » Enfin, son manque de rigueur et d’intelligence à l’école ne l’ont pas tant pénalisé que ça jusqu’à maintenant. Il est passé pour un débile quelques fois mais grâce à l’argent et l’influence familiale il s’est retrouvé propulsé au rang de pdg de la branche d’une multinationale sans aucun diplôme ou compétence. Et le plus fort c’est que l’entreprise n’a pas coulé, en partie parce qu’en dehors de Perry les autres personnes présentes sont compétentes. Sa fille commence à lui sortir tout un tas d’excuses justifiant l’absence de devoir rendu. Tel un parent cliché son père pose ses mains sur hanches avant de répliquer. « Comme tu viens de le dire, à ton âge j’étais un cancre. Ce qui veut dire que toutes tes excuses je les connais et je sais que c’est bidon. T’as pas rendu le devoir parce que t’en n’avais pas envie c’est tout et parce que liker des photos insta ou jouer à la switch c’est quand même beaucoup plus sympa. » Il ne crie, il reste calme mais il essaie d’avoir malgré tout un ton ferme.

« Et pourquoi… ? Tu crois avoir raté ta vie ? » qu’elle le questionne d’elle-même, quelque peu vexée par les paroles de son père. S’il n’est pas un exemple à suivre comme il le dit, c’est qu’il insinue avoir mal tourné ? Alors qu’il dirige la branche de l’une des plus grandes compagnies écologiques d’Australie, qu’il a deux enfants qui l’aiment passionnément et qu’ils peuvent franchement vivre comme ils le souhaitent sans trop s’en inquiéter. Du moins, c’est l’image qu’il laisse sa fille percevoir, elle qui se trouve bien loin de tous ces problèmes de grands comme les factures et tous ces trucs qu’il faut payer pour n’pas se faire embêter par les vilains huissiers.

Ils se crient jamais dessus avec Perry, ils s’énervent jamais ou très peu. Perry et Penny, c’est comme deux meilleurs amis, sauf que l’un a trente ans et que l’autre a quatorze ans. Ils partagent des goûts similaires, aiment passer du temps ensemble à faire des choses qui désintéresseraient certainement beaucoup de pères… et c’est peut-être pour cette raison que Penny aime autant le sien. Parce qu’ils sont pareils et qu’ils n’ont pas tant d’efforts que ça à faire pour se retrouver dans leurs activités. Le bingewatching de leurs séries favorites, ces dimanches qu’ils passent au lit ou ces soirées pizzas et jeux-vidéos tous les jeudis…

Mais parfois, faut que ça gronde. Perry s’efforce de garder un minimum d’autorité sur elle, et Penny fait de son mieux pour rappeler à son père qu’elle est de ces adolescents en pleine croissance. De ceux qui passent leur temps à être habités par la flemme, qui n’aiment que brailler et vivre leur vie comme leur cerveau encore en développement leur hurle de le faire. Elle est sacrément mature pour son âge, mais les explications de Perry… c’est à peine si elle les écoute, au fond. « P-Peut-être, ouais… Mais ça change quoi ? Ça arrive d’oublier de rendre des trucs… ou d’avoir la flemme, Papa. J’ai tout le temps des devoirs, j’passe mes journées à l’école. » Et le collège, ça lui pèse énormément. Elle préférerait passer son temps à faire ce que son cœur lui souffle à l’oreille, mais c’est pas possible. « J’vais me rattraper sur mes prochains devoirs, j’irai m’excuser si tu veux… mais faut arrêter d’en faire tout un plat pour un DM qu’était même pas si important qu’ça ! »

Un DM dont elle rattrapera la mauvaise note à son prochain devoir, elle en est persuadée.

« Donc… j’suis punie ? Ou tu veux encore me crier dessus pour des trucs qui sont sans importance ? » La gosse adopte la même position que son père. Mains sur les hanches, à l’exception qu’elle grogne peut-être un peu trop. Elle a adopté ça de par sa meilleure amie. L’adolescence fait des ravages… elle finira par le regretter autant qu’il regrettera un jour lui avoir laissé autant de libertés…

En réalité Perry ne s’est jamais vraiment posé cette question, de savoir s’il a raté sa vie. Actuellement il se sent plutôt heureux, les choses vont plutôt bien, il n’a pas trop de problèmes à gérer en dehors de la crise d’ado de sa fille. Mais il sait aussi qu’il a été adopté par la bonne famille et que s’il a pu ne rien faire à l’école et ne pas trop souffrir de son manque d’intelligence, ça n’aurait sûrement pas été si simple dans une autre famille. On ne l’a pas obligé à travailler, peut être que s’il avait été un peu plus poussé, il aurait un peu plus écouté en cours. Il a pu réussir parce qu’il a le cheat code riche dont le père dirige une grosse entreprise, qui lui a fait directement atterrir patron sans passer par toutes les autres étapes, y compris la grande université chère à faire pendant cinq ans. S’il s’en sort bien au final, il n’a pas envie que sa fille se la coule douce en se disant qu’elle peut compter sur papa pour avoir de l’argent et ne rien faire de sa vie. Parce que au travail et en dehors, il se rend bien compte que ses lacunes en connaissances élémentaires, que ce soit en maths, en histoire ou en littérature, le font souvent passer pour un débile et s’il donne l’impression de n’en avoir rien à faire, il a un peu honte d’être toujours le dernier aux jeux de question ou à ne pas savoir répondre à des questions de base. « C’est pas c’que j’dis. Mais ces trucs que tu trouves débiles maintenant, tu seras bien contente de les connaître quand on t’en parlera et que tu pourras répondre. » Il sait que Penny est intelligente, bien plus que lui, et il n’a pas envie qu’elle gâche ça. Les excuses qu’elle essaie de lui servir ne passent pas, il est naïf mais dans ces moments là il se méfie plus que d’ordinaire. Elle essaie de l’attendrir en lui disant qu’elle rend ses autres devoirs, qu’elle se rattrapera. Il sait qu’il pourrait facilement lui pardonner et lâcher l’affaire mais il tente de tenir bon et de ne pas tout lui passer si facilement. « De toute façon si tu te rattrapes pas sur le prochain, j’le saurais. » Si elle peut lui cacher des choses, elle ne peut pas encore empêcher l’école de l’appeler pour lui dire les devoirs qu’elle ne rend pas. Penny lui demande alors s’il va la punir. « Comme si j’étais du genre à te punir ou à même à te crier dessus. J’pense pas que ça change grand-chose, j’veux juste te faire comprendre que même si c’est chiant l’école, les devoirs et tout le reste, c’est important. » Il n’est pas un père méchant, loin de là, il essaie d’éduquer ses filles en leur faisant comprendre par le dialogue pourquoi certaines choses sont importantes.

« Il t’sert à quelque chose toi, le théorème de Pythagore ? Parce que j’connais personne qui continue d’l’utiliser ! » Bon, elle chipote un peu. Elle n’a pas demandé à Concho, ni à Fede s’ils continuaient de se servir de ces trucs chiants qu’ils ont appris au collège il y a bien longtemps (lorsqu’ils n’étaient pas vieux)… mais elle se doute que non. La vérité, même si elle se rend compte que c’est peut-être un peu bête, c’est qu’elle en a de plus en plus marre des cours, de toutes ces leçons, ces trucs à apprendre qu’on lui lance constamment à la figure. Elle grandit, Penny. Elle a atteint un âge où elle a surtout envie de sortir avec ses copines, de passer son temps devant la télévision avec une bonne console de jeux ou une bonne série en streaming. Se lever tous les matins pour aller apprendre des trucs chiants qui n’lui servent à rien et ne lui serviront jamais, c’est la loose. Et c’est naze. Et même si Penny a des facilités, elle a aussi de grandes lacunes qu’elle peine à combler… et ses airs têtus n’aident en rien. Perry ne veut pas la punir, il veut simplement lui donner une leçon, lui faire comprendre que l’école est importante… blabla. Elle le sait très bien mais peine à l’imprimer dans son crâne.

« Si tu l’dis… » finit-elle par prononcer dans un soupir, déclarant finalement sa défaite. Elle n’aura pas le dernier mot, pas ce soir. Perry est l’adulte, Perry est celui qui commande et qui lui fera payer à sa façon si elle ne rend pas ses prochains devoirs (et elle a bien l’intention de s’en occuper). Ses yeux levés vers ceux de son père, elle accepte finalement de les baisser et de lâcher l’affaire. Ils ne vont pas se disputer, ils ne continueront pas à le faire… sinon ça voudrait dire que l’école a gagné. Et c’est pas ce qu’elle veut.

« J’te promets que j’ferai de mon mieux… et que je rendrais tous mes devoirs pendant au moins un mois… d’accord ? » qu’elle lui dit avec toute son assurance mais un brin de timidité en lui tendant la main, comme si elle était prête à faire un deal.

En écoutant Penny il a vraiment l’impression de se voir au même âge. Il n’aimait pas l’école, travailler, apprendre des choses, il était clairement dans les derniers de la classe. Ses parents n’étaient pas très insistants pour qu’il réussisse, temps qu’il ne se faisait pas virer ça leur allait. Mais il n’a jamais eu des notes brillantes et s’en est toujours foutu des cours. Et puis un jour on l’a obligé à diriger une entreprise et il s’est bien rendu compte que parfois il y a des trucs utiles. Même au quotidien. Il est vraiment le pire en maths et se retrouve bien con dès qu’il faut faire le moindre calcul qu’il ne pourrait pas faire sans son téléphone. « Bah j’peux te dire que quand quelqu’un t’en parle et qu’il voit dans tes yeux que t’as aucune idée de ce que c’est, tu te sens bien con. » Parce que oui, il en est là, le théorème de Pythagore il en a bien entendu parler, de nom quoi mais il n’a absolument aucune idée de ce que c’est en réalité. Et des trucs comme ça, ça lui arrive tous les jours. Lorsqu’il a le rapport du service comptabilité, il doit déjà se concentrer beaucoup pour pas dormir face à tous ces chiffres ennuyeux mais il doit aussi prétendre qu’il comprend à peu près ce qu’on lui dit. Maintenant Perry capte un peu mieux ce qu’il se passe, surtout que les gens ont bien compris qu’il n’est pas vraiment dans les plus intelligents alors ils s’adaptent, mais avant il a réellement passé deux heures à ne rien comprendre si ce n’est les chiffres qu’on lui annonce, sans savoir à quoi ils correspondent. Penny tente de négocier en lui disant qu’elle rendra tous ces devoirs pendant au moins un mois. Il ne peut pas s’empêcher de rire face à la tentative de négociation. « Non, tu vas tous les rendre tout le temps, sinon moi j’arrête d’aller à mes réunions et on finit à la rue. » Bon en réalité il faudrait un peu plus que ça pour qu’ils finissent sans le sou mais il a envie de faire comprendre à sa fille qu’il a aussi des obligations et que même si ça l’embête parfois, il n’a pas vraiment le choix.