I could hear the water at the edge of all things (emily)

Il était onze heures, le matin, un jeudi ensoleillé qui te donnait envie de prendre la mer et d’en faire ton amante jusqu’aux dernières lueurs du jour. C’était un temps d’ouverture aux Velas Pequeñas alors tu ne pouvais te permettre de lever les voiles à moins d’avoir quelqu’un à côté de toi. Tu pivotas l’affiche sur la grande porte vitrée au rez-de-chaussée, le mot ouvert faisant maintenant face au stationnement. Tu sortis tout de même dehors pour préparer l’un de tes voiliers. Tu donnais un cours à treize heures cet après-midi, alors tu allas sortir les voiles de leur housse protectrice, en prévision de l’arrivée du participant. T’étais pas trop nerveux à l’idée de laisser la porte d’entrée déverrouillée, de toute façon ton logement qui se trouvait à l’étage n’était accessible que de l’extérieur, via un escalier sur le côté de la maison. Et la porte, une fois arrivé en haut, était verrouillée. À l’intérieur de ton école de voile, il n’y avait pas grand-chose à voler, hormis quelques tableaux ou modèles réduits de voiliers. Puis, si tu voyais quelqu’un se pousser avec une tour d’ordinateur et un écran, t’allais vite capter qu’on te cambriolait. Tu gardais toujours un œil sur le stationnement, au cas où un-e intéressé-e se pointait au commerce pour des renseignements.

T’étais en train de plier l’une des housses quand ton téléphone portable de boulot sonna. « Velas Pequeñas. » Répondis-tu avec une facilité de prononciation qui ne laissait aucun doute sur ta langue maternelle. À l’autre bout du fil, il s’agissait de ton participant de treize heures, qui te faisait part d’un empêchement de son côté. Il ne pourrait se présenter aujourd’hui et cherchait à décaler le cours. « Samedi matin, alors ? Mais j’bosse au Wojna’s en fin de journée alors il faudra que ce soit le matin, dès que le vent se pointera. Tu peux rester stand-by et j’t’appelle dès que c’est bon ? » Tu avais généralement d’assez bons liens avec tes élèves, de tout âge soit dit en passant, alors on aurait aisément pu croire que tu t’adressais à un ami. Tu raccrochas après avoir réglé les détails de report de cours. Tu replaças ton téléphone portable dans la poche arrière de ton short et tu allas porter la housse pliée dans la cabine du voilier. En remontant, tu vis une jeune femme sur le quai autour duquel tes deux voiliers étaient amarrés. Tu en avais d’autres, des voiliers, beaucoup plus petits que ceux-là, des sailing dinghy qu’on appelait, pour entraîner les plus jeunes surtout. Ils étaient dans le sous-sol de la maison, accessible via une rampe pour pouvoir facilement les sortir de là-dessous. Tout ton argent était passé dans ton école de voile, dans les dernières années. Et tu pouvais enfin dire que ton rêve prenait bel et bien forme. Tu souris à la belle blonde. « Bon matin ! Toi aussi l'océan t'appelle ? Tu voulais des infos sur les sorties en mer, peut-être ? » Demandas-tu. Ta maison était assez en retrait des autres attraits sur la plage, comme le bar ou le centre nautique. Si quelqu’un marchait jusqu’ici, généralement, c’était parce qu’ils savaient que ton école s’y trouvait. Ou parce qu’ils avaient marché jusqu’ici sans trop savoir où leurs pas les conduiraient.

Jamais Emiliy n'avait cru que Bowen cachait un port où était amarré des voiliers comme ceux qu'elle avait eu l'habitude de naviguer depuis toute petite. Bon, à dire vrai, elle ne connaissait pas grand chose de Bowen avant de venir s'y installer pour une courte durée, trente jours tout au plus. Elle n'y connaissait que ce que ce qu'Alba avait bien voulu lui dire, des bribes de sa nouvelle vie depuis qu'elle y était retournée. Et, aussi, ce qu'elle avait découvert depuis son arrivée. Et à dire vrai, ce n'était pas grand chose. Elle connaissait le Elm Street, entre autre. Quant aux quais, elle n'avait pas encore pris le temps de les découvrir bien qu'ils menaient au laboratoire là où elle était postée presque 24 heures dans une journée. Ce matin là, pause dîner devancée, Emily avait eu envie - besoin - de s'évader, de voir plus loin que la petite vue qu'elle avait de son bureau trop scientifique. Elle avait donc accroché sa veste blanche et s'était lancée dans une balade qui mènerait la blonde là seul où le destin le savait. Vers l'inconnu. Vers le vide. Vers quelque chose qui, au loin, avait l'air d'être de grandes voiles montées, dressées dans le ciel ensoleillé de Bowen. Catalina, Nauticat, Najad, Kirié, les marques étaient toutes splendides. Emily les regardait avec tous les souvenirs de ses sorties en mer avec son père qui la reprenait de plein fouet alors qu'une voix derrière elle la fit sortir de ses rêveries. « Non », fit-elle avec un petit sourire en coin. Elle avait répondu trop vie. Un soupire plus tard, elle renchérie. « Enfin, oui. Vous offrez des tours? »

Son regard semblait perdu dans les voiles hissées de ton Catalina 1990, un magnifique voilier de vingt-huit pieds que t’avais toi-même retapé après l’avoir acheté à bon prix d’un ancien passionné qui n’avait plus eu le temps de l’entretenir depuis plusieurs années. T’avais refait le bois tout autour du pont et du cockpit, et à l’intérieur de la cabine aussi. Tu l’avais sablé, poli, verni, pièce par pièce, découpant le bois avec une précision que tu n’avais que lorsqu’il était question de tes voiliers ou de tes plantes. Tu la comprenais, cette femme, de se perdre dans les voiles qui claquaient dans le vent parce que tu n’avais pas encore eu le temps de les resserrer. On aurait dit une grande robe de mariée qui dansait. Tu suivis son regard un moment, un sourire aux lèvres, avant de lui demander si elle voulait des informations, sur les sorties en mer entre autre. Non, rien que ça. Tu haussas légèrement un sourire, réprimant un sourire un peu plus amusé cette fois, de cette franchise. « Ok alors. » Avais-tu répondu en haussant les épaules, reculant de quelques pas, dans l’indifférence. C’était elle la perdante, ce n’était ni toi ni l’océan. T’avais jamais eu de mal à batifoler seul avec la mer. Elle était ta plus précieuse amante. La jeune femme sembla soupirer, perchée sur ton quai, avant de se reprendre et de te demander si tu offrais des tours. Tu passas par-dessus ce soupir que tu ne cherchas pas à analyser. « Des cours plus que des tours, mais pour toi, je pourrais faire une exception et juste te laisser profiter de la balade … » Lâchas-tu en posant ton regard perçant dans le sien, sortant ton sourire charmeur, charmé. Tu t’avanças sur le voilier et posa tes mains sur la filière, à tribord, tout près du quai. « Mon cours de début d’après-midi vient d’être annulé, j’ai deux bonnes heures devant moi … » Tu penchas légèrement la tête sur le côté, plissant les yeux, surtout pour te cacher du soleil qui était juste derrière la femme, qui n’était plus qu’une silhouette à contre-jour. « Ça te tente ? » Demandas-tu. Lorsque tu avais des annulations, tu prenais généralement quand même la mer, profitant d’un moment inopiné de solitude. Mais pour les beaux yeux de cette femme, tu pouvais mettre de côté tes envies de silence.