of dust we rise and dust we part (tommy)

C’est d’une oreille attentive que Tommy écoutait les paroles de son ancien collègue. Les traumatismes et les vies de couple, visiblement ce n’était simple pour personne. Bien qu'il aurait aimé entendre une réponse plus positive de la part de Leónel, il comprenait tout de même sa position. “Cette psy que tu vas voir, vous avez essayé d’y aller à deux ?” C’était une vraie question que posait le pompier, curieux de savoir si cette solution aurait pu l’aider lui aussi. Pour ça, il aurait déjà fallu qu’il fasse la même démarche que León. Lâcher sa fierté et se décider à parler avec quelqu’un. Extérioriser par les mots plutôt qu’en embrumant son cerveau tous les soirs.“Je me dis que… qu’on n'a pas forcément les bons mots en tête quand on est deux.” Dit-il en haussant légèrement les épaules. Il parlait avec son expérience en tête. Celle de deux personnes ressentant la même douleur, mais n’ayant pas la même façon de la traiter. Pour Leónel et Selma, la situation était encore différente. “Nan, je sais pas trop pour elle, mais moi j’évite assez les endroits où je pourrais la croiser. On arrive plus à se parler sans se prendre la tête alors à quoi bon…” Avoua-t-il après la question de l’ancien neurologue. Il se sentait coupable de la situation, ayant cette certitude jusqu’au plus profond de lui qu’il avait échoué en tant que mari. “J’en ai plus conscience maintenant donc je pourrais sûrement faire attention à mes mots, mais quand quelque chose est brisé, il a toujours cette idée que rien ne redeviendra comme avant.” Conclut-t-il comme dans un écho à ce qu’ils avaient pu se dire précédemment. Finalement, que ce soit son couple ou sa vision de lui-même, tout paraissait irréparable sur le moment.

Ils pouvaient au moins dire, Selma et Leónel, qu’ils avaient tout tenté pour se sauver. Elle avait fait preuve de patience et d’ouverture, dans les premiers temps, et lui avait bien voulu l’accueillir dans cette part de lui qui ne laissait plus filtrer aucune lumière. En vain. « Pas avec cette psy-là, non, déontologiquement elle me disait qu’il valait mieux qu’on consulte une autre psy en couple, et que je continue individuellement avec elle. Alors oui, on a essayé la thérapie de couple, pendant plusieurs mois, mais … » Il haussa les épaules. « J’imagine que le mal était déjà fait. » Et quand il n’y avait plus de confiance, quand il n’y avait plus d’intimité, sans doute était-ce difficile de se battre pour aller de l’avant. Le Chilien hocha tout simplement la tête aux paroles de Tommy, à propos du fait qu’à deux, on ne trouve pas forcément les bons mots, ceux que l’autre est prêt à recevoir. C’était probablement ce qui avait eu raison de Selma et lui, la communication inadéquate. C’est par la suite qu’il questionna son ancien collègue sur sa rupture à lui, d’avec son épouse. Leurs couples avaient eu la même finalité, malgré que la blessure initiale ait été différente. « Je devrais peut-être commencer à faire ça, éviter les endroits où je pourrais croiser Selma. » Constata-t-il sans vraiment le penser. De toute façon, Selma n’hésiterait pas à venir marteler à la porte de sa caravane, pour se faire entendre. Il la connaissait. Si elle avait quelque chose à lui dire, elle trouverait le moyen que le message se rende. Et puis, ça n’aurait pas été juste pour sa fille Isidora, que son père se mette à éviter sa mère à tout prix. Il n’en avait pas forcément envie, non plus. Revoir Selma, même si c’était dans des conditions souvent tendues, c’était quand même revoir Selma. « Oui et puis, tu as beau faire attention à tes mots, si elle ne fait pas son bout de chemin elle aussi, c’est difficile. Enfin, je dis ça, mais j’ignore quelle attitude elle a avec toi … » Peut-être qu’elle était loin de Selma, peut-être que c’était Tommy qui avait tendance à enflammer le premier les conversations. Leónel l’ignorait et au fond, cette information-là ne le regardait pas et ne changerait rien pour lui.

L’ancien pompier ne pouvait qu'acquiescer aux paroles de son ancien collègue. Sa situation conjugale paraissait bien plus compliquée que celle de Tommy. Malgré tout, il admirait tout de même les efforts qu’ils avaient pu mettre en place. Malheureusement, la recette magique pour aller mieux n’existe pas et n’existera jamais. Ça se saurait sinon. La position des deux pouvait se comprendre et eux seuls pourraient résoudre tout ça. Tommy soupira légèrement, relevant le regard vers León. “Peut-être qu’un jour, vous arriverez à retrouver un terrain d’entente… Avec le temps” En tout cas, c’est tout ce qu’il pouvait lui souhaiter Tommy. Si c’était réellement le souhait de Leónel bien évidemment. L’Australien repassait cette conversation dans sa tête, soudain curieux sur un détail. “Ce n'est pas trop dur de garder Isidora en dehors de tout ça ?” L’ancien père de famille qu’il était s'interrogeait forcément là-dessus. Lui qui avait toujours pris soin de ne jamais se prendre la tête avec Joséphine devant sa fille. La sienne était encore en bas âge, celle de Leónel était déjà plus âgé, réussir à la garder en dehors des querelles des parents pouvait s’avérer plus complexe. Il ne sait pas bien comment il aurait été si elle avait été encore là. D’ailleurs, Leon tournait ensuite la conversation sur lui. S’interrogeant sur sa relation actuelle avec Jo’. “On s’évite mutuellement, je pense… En-tout-cas moi, j’essaye au max” Le brun se gratta nerveusement l’arrière du crâne, débattant avec lui-même quant à la nécessité de sa confession suivante. “J’ai fait le con, pour être honnête je serais sûrement mort de honte en la revoyant.”Il se sentait honteux par rapport à la fin de leur relation. Honteux des mots qui s’étaient échappés pendant des mois, honteux des actes qu’il avait pu commettre, mais aussi honteux de la vie qu’il pouvait mener actuellement.

Il ne pouvait que vivre dans ce monde hypothétique, Leónel, lorsqu’il s’agissait de son futur avec Selma. C’était le cas pour tout le monde, par rapport à n’importe quoi. Personne ne peut savoir de quoi est fait demain, le vent pouvait changer de bord à n’importe quel instant. Il continuait d’espérer qu’un jour, le courant le ramènerait à elle et qu’elle accepterait de l’accueillir tel qu’il serait alors, mais il savait aussi que ce ne serait pas aussi facile que de surfer la vague. Il faudrait des efforts. Il faudrait des compromis. Il faudrait mettre l’orgueil de côté. Pour le moment ni l’un ni l’autre n’avait fait ce pas-là vers l’avant, ils poursuivaient leur dérive, mais comme le disait Tommy, peut-être qu’ils trouveraient un terrain d’entente, un jour. « Peut-être … » Conclut-il simplement en hochant la tête. La question de Tommy peina le Chilien, parce qu’elle était si pertinente, en plein dans le mille, et qu’il aurait préféré lui offrir une autre réponse que celle-là. « C’est quasiment impossible. C’est une adolescente, maintenant. Elle comprend bien mieux ce qui se passe qu’au début … Et puis on lui doit aussi d’être honnêtes, justement parce qu’elle est assez grande pour comprendre. On ne se querelle jamais devant elle mais elle ressent le froid, c’est évident. » Il soupira. « C’est certain qu’elle ferait tout pour qu’on revienne ensemble, Selma et moi, pour qu’on puisse retrouver notre vie d’avant. Mais je pense qu’elle se fait aussi, un peu plus à chaque fois, à l’idée que parfois ce n’est pas si simple … » Il aurait préféré que sa fille puisse croire aux happily ever after un peu plus longtemps que ça avant d’être désillusionnée, cela dit. Au tour de Leónel de questionner son ancien collègue à propos de sa relation actuelle avec son ex. Ils avaient vécu un coup encore plus fort, la perte de leur fille. Leónel ne s’imaginait même pas ressortir de ça, d’un deuil comme celui-là. « Tu sais, parfois, s’excuser … it can go a long way. » Plutôt que de constamment vivre dans l'hyper-vigilance de la recroiser. Plutôt que de traîner cette honte-là au lieu de l’affronter head-on.

Tommy, il ne pourrait jamais imaginer ce que Leon traversait actuellement. Les situations de couple, c’était une chose, avoir un enfant coincé dans tout ça, s’en était une autre. Avant l’accident, ils ne s’étaient jamais déchirés avec Joséphine alors il n’avait jamais été confronté à la situation de Leonel. L’ancien pompier était tout de même curieux de savoir comment ils arrivaient à gérer tout ça, comment faire pour protéger ton enfant dans ce genre de situation ? “Ça ne peut pas faire trop de mal l'honnêteté. Enfin, j’veux dire, il vaut mieux souffrir un peu à cause de ça que de tomber de haut avec des mirages et des faux-semblant” Il essayait de se mettre en situation, Tommy. Il n’avait pas de conseil à donner, c’était plus pour soutenir son ancien collègue. Il trouvait ça bien de ne pas non plus surprotéger leur fille. Il n’y a rien de pire que de sentir qu’on nous cache des choses. Peut-être que ça valait aussi pour l’entourage. Pour les proches plus vieux, pas forcément que les enfants. “Tant que vous êtes ouvert avec elle, elle grandira déjà sans résigner aucun de vous deux, j’imagine” L'adolescence pouvait être une période charnière et malgré tout le contexte familial, c’était bien de lui dire les choses clairement. Cela lui éviterait peut-être aussi d’idéaliser la relation de ses parents comme certains pouvaient le faire. Tommy le premier. Le couple O’Brian a toujours été irréprochable à ses yeux, mettant la barre parfois trop haute pour dans ses exigences. C’est avec cette image en tête qu’il voyait d’autant plus son divorce comme un échec. Et Leonel n’avait pas forcément tort en parlant d’excuses. Il lui faudrait simplement le courage pour le faire. En plus de l’opportunité. “On ne s'est pas vu depuis presque deux ans, je me vois mal ressortir à l’improviste pour ça, je t’avoue…” Il allait encore attendre Tommy, parce qu’au fond, c’était bien plus simple ainsi. Depuis quelques années, il est devenu de ceux qui repoussent le problème en prétendant qu’il n’existe pas. Ça évite d’avoir à se poser trop de questions visiblement.

C’est ce qu’il se disait pour Isidora, par rapport à l’honnêteté. Si Selma et lui ne revenaient jamais ensemble, au moins elle aurait été préparée. C’était une possibilité, que l’amour demeure mais que la complicité ne revienne jamais. Ils avaient pris une grande distance, à la dérive suivant chacun leur propre courant, Selma et Leónel. Ils n’insuffleraient jamais d’espoir à Isidora sans être d’abord tout à fait certains qu’ils se donnaient une seconde chance. C’est pourquoi, le mois dernier, après leur nuit d’égarement qui n’avait duré que ça, que quelques heures, Leónel et Selma avaient convenu de ne laisser paraître devant Isidora. De toute façon, ils en étaient rapidement revenus à leur froideur des dernières années. L’espoir avait brillé quelques heures à peine, pour eux aussi. « C’est ce qu’on se dit aussi. Au moins on s’entend pour ça, Selma et moi … » Admit-il tristement. Ils ne se rejoignaient plus sur grand chose, surtout parce que Leónel avait l’impression d’avoir perdu son identité, ses repères. Selma était la même, c’est lui qui ne se reconnaissait plus dans le miroir. Tout comme Tommy, il était dans l’attente. Dans l’attente d’un miracle. « Je n’ai pas dit que ce serait facile. » Admettre ses torts, faire le premier pas pour demander pardon, arrêter de se cacher, tout ça prenait énormément de courage. Le Chilien termina finalement son café, redéposant la tasse vide devant lui avec douceur. « Je pense que je vais bientôt prendre le chemin du retour, Tommy. Mais ça a été une agréable surprise de te croiser aujourd’hui. Je te remercie d’avoir pris le temps de m’écouter. » Ce n’était pas tout le monde qui était prêt à le faire.

Réussir à s’entendre pour le bien de leur enfant, c’était déjà un très bon point. Même sans retrouver leur couple à cent pour cent, c’était déjà mieux que la plupart des couples divorcés. Les enfants sont régulièrement les premiers affectés par les disputes de leurs parents. Un jour au cœur de l’amour de deux personnes, l’autre pris entre les altercations. Suivant l'âge de l’enfant, les effets pouvaient s’avérer désastreux. Tommy acquiesça donc avec un sourire lorsque León lui assura s’entendre sur ce point avec Selma. Le cuistot, il espérait pour lui qu’ils se retrouvent un jour, malgré l’éloignement sur beaucoup de points, l’espoir pouvait renaître d’une simple entente commune. Un point central qui permettait de garder le contact. De son côté, Tommy, il n’en avait plus de contact. Plus du tout, et ce, depuis des mois maintenant. C’était bien plus simple d’éviter de la croiser que de se confronter à ses erreurs, à sa peine. Il affiche une moue à la conclusion de Leónel sur ce sujet, sachant pertinemment qu’il avait raison de toute façon. L’Australien termina tout comme son compère son café, acquiesçant aux paroles de ce dernier. “Merci à toi aussi, ça fait du bien de pouvoir discuter de temps en temps” Oui, il n’était pas coutumier du fait, l’australien. Il fallait qu’il soit en confiance pour le faire, prêt à parler sans craindre le jugement de l’autre. León, il lui avait apporté ça et il espérait avoir réussi à faire de même pour lui. L’ancien pompier se leva donc de sa chaise, réveillant son chien par la même occasion. Il accompagna Leónel jusqu’à la sortie, là où leurs chemins allaient se séparer. “C’était agréable de se revoir, n’hésites pas si tu veux partager un verre ou un autre café un de ses quatre. J’ai pas mal de disponibilités maintenant” Dit-il en le gratifiant d’un dernier sourire. Il serra la main du chillien avant de le laisser vaquer à ses occupations.