he saw all my dark sides and said that black was his favorite color. (levi)

he saw all my dark sides and said that black was his favorite color

Elle ne savait pas ce qu'elle faisait, Effy. Elle tentait malgré elle d'éloigner l'image de Levi de sa tête, même s'il ne faisait qu'y danser sans cesse, et qu'elle se surprenait à traîner un peu trop longtemps devant la vitrine du Wojna's. Trop de fois sans y entrer. Quelques fois où elle cédait, malgré les palpitations qu'elle infligeait à son cœur. Parce que s'attabler au comptoir quelques minutes avec lui, ça anesthésiait ses blessures autant que ça en rouvrait d'autres. Et quand elle tournait en rond chez elle ou divaguait au travail, chaque jeu d'esprit était à double-tranchant. Renvoyer les images de l'Anglais qui avait un jour dominé son cœur jusque-là d'où elles venaient, une brume lointaine, et donc laisser toute la place à la marque au fer rouge que Milo avait plus récemment laissé sur son myocarde. Ou bien laisser de la place à la tempête déclenchée par le retour de Levi, l'empreinte de son regard océan, et se retrouver tout aussi submergée par ce déchirement entre un passé et un présent, qui émotionnellement, l'engloutissaient de toute façon l'un et l'autre. Effy ne savait donc plus comment ni pourquoi perdurer dans les barricades mentales qu'elle tentait de maintenir. Bouleversée, perdue, le cœur et le corps à l'abandon. Elle s'était toutefois confiée à Sahar, peu de temps auparavant. Bon ou mauvais choix, allez savoir, vu les aveux de sa flamme jumelle, double destructeur. Levi et Sahar travaillaient ensemble, et la jeune Anglaise aurait dû prévoir qu'un même lien particulier unirait les deux âmes sombres et secrètes. Mais ça lui faisait mal, de le savoir. Parce qu'elle comprenait parfaitement ce qu'ils pouvaient trouver l'un en l'autre. Puisqu'elle était la même. Et à la fois, à quoi servait-il de se laisser aller à une sorte de jalousie mal placée ? Eff' savait bien, une conviction intime et ancrée dans ses tripes, que la relation entre son amie des nuits noires et son amour passé ne serait jamais comparable à la leur. Tout autant qu'elle savait qu'elle cette courroie dangereuse entre Levi et elle était là, prête à être activée au moindre geste, au moindre coup d’œil perdu. Il y avait quelque chose, tapi quelque part, même pas dans l'ombre, aucun d'eux n'aurait pu le nier. Et Effy était la première à avoir décidé qu'elle n'y toucherait pas, à cet interrupteur pouvant déclencher un nouveau cataclysme. Que cette rampe de lancement fatidique s'envolant vers la galaxie des extrêmes était bien trop périlleuse que pour qu'ils s'élancent dessus. Alors elle essayait, tant bien que mal, de vaincre toutes ces pensées qui tourbillonnaient, toute cette douleur, cette peur et cette tentation de fuite offerte sur un plateau. Pourtant, elle était là, une fois de plus, à pousser la porte du bar. Cherchant déjà les yeux d'un bleu impétueux, aussi salvateurs que néfastes.

C’était évident qu’elle occuperait une partie de ses pensées sans qu’il ne puisse rien y faire, juste parce-que c’était elle. C’était même ridicule d’avoir seulement pensé qu’il finirait par oublier cette soirée qu’ils avaient passée ensemble, les étoiles pour seules témoins de cette complicité qui avait su résister aux années de silence, aux années d’absence. Il avait l’impression qu’il continuait de la percevoir contre lui, dans l’étau de ses bras qui s’étaient offerts à son corps comme refuge de sa peine et que le souvenir fantomatique de sa main liée à la sienne le hantait encore. Il s’était surpris à épier chacune des entrées dans le Wojna’s depuis cette nuit-là, espérant la revoir, encore un soir. Et à chaque fois qu’elle avait poussé les portes battantes du Wojna’s, ses yeux s’étaient habillés de cette lueur plus lumineuse, impossible à dissimuler, presque instinctive. Parce-qu’il savait qu’il aurait le droit à une soirée de plus, quelques heures volées à l’univers. Il savait pourtant qu’il s’aventurait sur un terrain beaucoup trop hostile, se rendant compte qu’il était en train de mettre en péril des années de guérison, de deuil de leur relation pour ces quelques moments où son coeur battait à nouveau plus fort. En y songeant, Levi savait parfaitement que la meilleure chose aurait été de couper court à ces entrevues qu’il désirait pourtant avec toute son âme. Et ce soir encore, il avait senti son corps vibrer à la simple vue de sa silhouette qui s’était engouffrée dans le bar, un mince sourire naissant à la commissure de ses lèvres. Il avait attendu qu’elle ne se rapproche un peu plus pour poser un verre de rhum sur le comptoir, juste devant cette place qu’elle avait l’habitude d’occuper ces derniers temps. « C’est toujours pas moi que tu viens voir ? » Demanda-t-il, l’air de rien, faisant référence aux premiers mots qu’ils s’étaient échangés lors de leurs retrouvailles, Effy lui ayant fait comprendre qu’elle connaissait Sahar. Il avait d’ailleurs très vite compris pourquoi leurs âmes étaient aussi étroitement liées, lui qui avait pu découvrir celle de Sahar lors de ces nuits noires où leurs corps s’abandonnaient à la noirceur de leurs désirs illicites. Ses yeux accrochèrent les siens, comme ils l’avaient toujours fait, y lisant tout ce qu’elle ne disait pas et tout ce qu’il pouvait ressentir jusque dans la profondeur de ses entrailles.

Les iris perçants étaient là, la captant en une seconde, l'envoûtant jusqu'à lui, de même que ce verre de rhum qu'il posait sur le comptoir avant même qu'elle s'y installe. Et Effy se dirigea nonchalamment vers ces appels au vice, vers cette lumière qui attirait les papillons de nuit avant qu'ils ne s'y brûlent les ailes. Elle souriait déjà, en s'asseyant au comptoir, de ce sourire énigmatique et un peu sauvage qu'elle ne pouvait effacer de ses lèvres. C'était comme ça, Levi ravivait toujours cette part bien spécifique de la brunette, cette flamme provocatrice et joueuse sans trop s'y investir pourtant, qui faisait d'elle ce qu'elle était. Malgré les tempêtes qui agitaient son être, elle ne pouvait s'empêcher d'esquisser cette mimique en croisant les yeux azur du garçon. « You wish. » souffla-t-elle, prenant d'emblée cette attitude cynique, cette façade joueuse qui annonçait le danger. Tout ça pour masquer la sincérité de ses pensées, qui étaient bel et bien tournées vers l'Anglais et son sourire ravageur. Masque imparable aux yeux du monde, mais lui pouvait la déjouer sans mal. Il avait toujours su le faire. « Je voulais pas te laisser boire seul. » ajouta-t-elle, l'air de ne pas y toucher. Elle savait de par sa discussion avec Sahar, les spirales alléchantes des liqueurs qui emmenaient Levi avec elles, et avec son amie. Elle tentait toutefois de ne pas trop y penser. De ne pas s'attarder sur les tentations d'un monde irréel qui les liaient tous les trois. Elle ne put s'empêcher, néanmoins, d'adresser un bref coup d’œil autour d'eux pour voir si sa partenaire des profondeurs travaillait aujourd'hui. Et de se demander si en effet, elle avait envie de voir son amie ici aussi, dans les alentours de ses moments avec Levi, ou non. Prenant une gorgée de rhum, Effy reposa son regard d'un bleu pénétrant sur le barman, effaçant discrètement de son visage la moindre trace de ses peurs et ses défauts. Elle était tiraillée, encore et toujours. Entre tant de choses qu'elle ne parvenait plus à savoir ce qui lui faisait du bien ou du mal. Ce qu'elle devait fuir ou embrasser. Elle s'arrangeait un chemin pour sombrer, ou se sauver, incapable de savoir lequel il était. Et si Levi parcourait le même. Incertaine, brisée en trop nombreux morceaux, se laissant porter par ses meilleurs et pires instincts. Se perdre, se retrouver, tout paraissait semblable et se confondait en une multitude de chemins similaires, tortueux et sombres.

Son regard s’était illuminé à la seconde où elle avait franchi la porte du bar, sans même qu’il n’ait pu l’empêcher, Effy réussissant à lui procurer continuellement ce même effet, celui contre lequel il n’avait jamais pu lutter. Levi, il avait cherché à l’attirer jusqu’à lui, à quelques centimètres à peine, déposant ce verre sur le comptoir, face à lui, l’incitant silencieusement à venir le rejoindre. Parce-que c’était elle et qu’il était tout bonnement incapable de la traiter comme une cliente lambda. Ce soir encore, il n’avait ni l’envie ni la force de la repousser. Son sourire empreint de malice s’était même élargi face à ses mots, à cette répartie qu’il ne connaissait que trop bien et qu’il avait volontairement provoquée. Parce-que Levi, il aimait imaginer que sa présence pouvait maintenant influencer ses allées et venues au Wojna’s, sans trop s’avouer pourquoi ces pensées lui plaisaient tant. « Ça veut dire que tu comptes rester jusqu’à ce que je ferme ? » Osa-t-il demander en détournant presque cette vérité qu’elle venait de pointer du doigt, pour l’amener vers ce fait qui l’intéressait bien plus. Il releva les yeux vers ceux d’Effy, avant de se détourner de quelques centimètres pour servir un autre client, lui échappant le temps de quelques secondes. Effy savait tout autant que lui qu’il n’attendait pas réellement une véritable réponse de sa part, parce-qu’il aurait sans doute pu se contenter ne serait-ce que de quelques minutes avec elle si c’était tout ce qu’elle avait à lui offrir. Il était finalement revenu vers elle, ses mains trouvant appui sur le comptoir en bois, ses iris à la couleur de l’océan venant sonder les siens pour y lire tout ce qu’elle passait sous silence. « Comment tu vas ? » Finit-il par expier après quelques secondes de silence, où son cœur s’était chargé de lui rappeler combien il pouvait être vulnérable lorsqu’elle était dans les parages. Il avait encore bien en mémoire la nuit de leurs retrouvailles, l’abandon à cette étreinte où ses larmes avaient coulé, sans qu’elle n’en dévoile la cause, lui qui avait simplement désiré apaiser ses maux, atténuer les douleurs en la serrant dans ses bras, là où il l’avait toujours voulu la protéger. Ce soir encore, il avait l’impression de lire ce même égarement dans la profondeur de ses opales, celui dont il était tout autant victime depuis quelques temps, le poussant dans les bras de ses vices les plus sombres.

Un sourire à nouveau, presque imperceptible celui-là, quand il lui demanda si elle attendrait qu'il termine son service. La vérité ? C'était qu'elle n'en avait aucune idée. Effy savait rarement ce qu'elle faisait, ces temps-ci. Elle se laissait porter par les vents qui l'enchantaient, au moment où ils soufflaient. Si elle disparaissait comme une ombre, ce n'était pas qu'elle avait planifié son coup en avance. C'était que l'odeur alléchante des ténèbres l'appelaient pour la serrer entre leurs griffes, ou que le vent de folie d'une déchéance nocturne la voulait ailleurs. La jeune fille était bien trop perdue, en proie aux tourbillons les plus dévastateurs et inconstants, que pour connaître d'avance quel serait son prochain mouvement. Elle ne répondit donc pas au garçon, bien que leurs yeux bleus s'ancrèrent un instant, avant qu'il ne parte s'occuper d'un autre client. Effy en profita pour se noyer temporairement dans sa liqueur, ses doigts jouant distraitement sur les bords du verre. Si d'habitude elle aimait se perdre à observer les inconnus aux existences parallèles autour d'elle, elle préférait ici perdre ses iris iceberg sur le comptoir lisse. Elle ne les releva que pour trouver refuge dans l'immensité de ceux de Levi. Et ça la frappait à chaque fois, la violence avec lequel ils pouvaient se perdre l'un en l'autre juste en un regard. Ça l'enveloppait d'une chape de coton protectrice autant que ça la ramenait d'un plomb brutal à la réalité. À la réalité de ses choix, et de ceux des autres. À ce qu'ils avaient un jour été, à ce qu'ils essayaient encore maladroitement d'être aujourd'hui, dans un océan d'imprévus, au bord d'un embarcadère bancal et craquelant. À ce qu'ils pourraient être, ou ne pourraient plus jamais être. Effy tressaillit à sa question, prise au dépourvu dans les méandres de ses réflexions mitigées. Oui, comment est-ce qu'elle allait, au final ? « I'm... » commença-t-elle, baissant les yeux vers son verre. Ces récipients d'alcool étaient d'ailleurs d'une utilité étonnante quand il s'agissait de détourner le regard. « Dealing with it. I guess. » acheva-t-elle finalement, l'air détaché. Levi avait été témoin des orages cataclysmiques qui agitaient son âme. Sans doute qu'il pouvait encore voir les nuages noirs traîner dans son regard fatigué, malgré l'étincelle de vie qu'il parvenait à y placer. La réponse de l'Anglaise n'en était pas tellement une, au vu de l'absence totale d'informations qu'elle soumettait. Mais elle ne savait tout simplement pas si elle serait capable d'ouvrir son cœur meurtri à Levi, de lui montrer l'étendue de ses blessures, et même de s'il était judicieux de le faire.

Les silences s’étaient toujours suffis à eux-mêmes entre Effy et lui, parlant parfois bien plus que n’importe quels autres mots. C’était aussi parce-qu’ils se connaissaient par cœur, qu’ils lisaient l’un en l’autre avec une facilité déconcertante, discernant même leurs émotions les plus enfouies. Levi le savait, le sentait, qu’ils étaient victimes de la même tempête qui agitait inlassablement leurs entrailles depuis qu’ils s’étaient revus, et il était sûrement idiot d'avoir seulement pensé que ça aurait pu en être autrement. Ils étaient liés, quoiqu’ils ne fassent, qu’importe le nombre d’années qui les avaient séparés et la distance qui s’était creusée, il y aurait toujours cette connexion spéciale qui unissait leurs âmes, celle qui s’était mise à briller le soir de leurs retrouvailles. Ses yeux avaient capté les siens à sa demande qu’il avait expiée sur un ton mi-amusé, mi-sérieux, Levi n’ayant jamais forcé Effy à lui traduire le fond de sa pensée, parce-qu’il n’avait jamais eu besoin de ça. Si elle comptait rester, tant mieux, si ce n’était pas le cas, il patienterait jusqu’à la prochaine soirée, si prochaine il y avait. C’était aussi simple que ça. Les choses étaient déjà bien trop compliquées pour les brusquer davantage, et c’était une vérité qu’il parvenait aisément à lire dans le regard de la brune, lui qui sentait qu’il y avait quelque chose de profondément enfoui en elle, aussi sombre que la nuit. Sans trop réfléchir, il laissa ses pensées se dévoiler tout haut, cherchant à savoir comment elle allait vraiment. Il n’eut fallu que de cette hésitation et ce regard plongé dans la liqueur pour qu’il comprenne, pour qu’il aperçoive bien plus clairement les orages qui menaçaient son ciel. Et Levi, il pouvait sentir son cœur se serrer, alors même qu’il n’avait aucune idée de l’origine des démons qui empoisonnaient son air, lui qui se serait probablement privé du sien pour la soulager. Il hocha finalement la tête silencieusement, accrochant une nouvelle fois la profondeur de ses iris, incapable de s’en empêcher. « Ce verre de rhum, c’était pas la meilleure chose à t’offrir ce soir, n’est-ce pas ? » Souffla-t-il finalement, devinant aisément qu’elle carburait à bien pire qu'au contenant de ce simple verre posé devant elle. Parce-qu'il connaissait le monde dans lequel elle se perdait, tenue par la main par ses démons les plus destructeurs qui cherchaient à l’enfoncer toujours un peu plus bas. Et il fallait croire que ce monde, Levi le côtoyait de plus en plus fréquemment depuis quelques temps. « J’sais pas si ça changera quoique ce soit mais… j’suis là. » Expia-t-il, sans trop savoir pourquoi il lui disait ça maintenant, comme une invitation à l’abandon, sans même qu’elle n’ait à se confesser, Levi lui proposait une main à laquelle s’accrocher si elle le désirait.

« C'est toujours la meilleure chose à m'offrir. » démentit Effy avec un sourire sans joie. « Ou en tout cas, c'est tout ce que je peux espérer de mieux. » À défaut de voir le bonheur comme un prix atteignable. On discernait entre les lignes de ses mots qu'elle ne le convoitait même plus. La survie dans ce monde lui suffirait. Le chemin tortueux et flou qu'elle suivrait, serait le sien, et il n'y avait pas à demander quoi que ce soit de plus. Elle pourrait laisser son âme être en paix avec ça. C'était sans doute déjà le cas, derrière ses iris perdus dans le vague, comme appartenant à une réalité qui n'était pas ici. Sur cette route solitaire, elle sentait pourtant le regard protecteur du brun, qui la suivait de loin, la couvant d'un manteau rassurant. Prêt à lui prendre la main. Eff' secoua la tête, chassant cette sensation de son esprit, presque avec brutalité. Elle pouvait le sentir, en bordure de drame, aussi proche physiquement de l'autre côté de ce comptoir, que dans un monde mental où ils ne seraient que deux, l'un à côté de l'autre, prêts à se rattraper, et ne jamais se lâcher. Mais tout ça, c'était de trop. Cette main tendue, au figuré et presque au propre, les doigts de la jeune femme à seulement quelques centimètres de sa main, transis de ce désir de contact qui allait les électrocuter. Son aide, son regard plein de chaleur et de compassion, de réelle compréhension, ce que personne ne pouvait lui apporter, à part peut-être Sahar. Trop proche. Elle allait se brûler. Sans raison apparente, Effy recula brusquement sa main du bois du comptoir, l'autre agrippée à sa boisson. « Je sortais avec Milo. » répondit-elle sans transition, de but en blanc. « Et c'est fini. » Elle déglutit difficilement, ravalant presque une nausée suite à ses paroles. C'était sans doute le moment le moins propice pour révéler cette information à l'Anglais. Jusqu'ici d'ailleurs, Effy n'avait jamais vraiment eu l'intention de lui en parler, ou en tout cas pas de façon détaillée. Tout comme elle n'avait pas tenté de lui cacher spécifiquement non plus. Difficile de savoir où elle voulait les emmener tous les deux, avec tout ça. Un radeau à la merci d'une marée qui ne savait même pas que faire de ses passagers. C'était d'une ironie. Tétanisée par ses propres révélations, la brune fouillait à toute vitesse le regard de Levi, choc des yeux de glace, à la recherche d'une réponse qu'elle pourrait déceler avant qu'il n'ouvre la bouche. Milo était son pote, ou l'avait été en tout cas. Elle ne savait même pas s'ils s'étaient revus. Si ça se trouve, l'Anglais été déjà au courant de tout, et avait décidé de ne rien mentionner, s'écartant de cette situation qui ne le concernait en rien. Bien que... Est-ce que ça ne le concernait vraiment pas du tout ? Dans un cas comme dans l'autre, c'était trop tard, elle avait ouvert la boîte de Pandore. Et elle n'aurait pas cru appréhender autant la suite.

Il pouvait deviner Levi, les tourments qui s’abreuvaient de son âme, la faisant valser au bord du vide, jusqu’à tenter de l’engloutir. Les mots d’Effy ne semblaient même plus le cacher d’ailleurs, elle qui se contentait de ce verre de rhum posé devant elle, ni plus ni moins. Sans qu’il ne puisse l’en empêcher, le besoin de la protéger ressurgit, comme si c’était viscéral, comme si c’était instinctif. Il voulait qu’elle sache qu’il était là, en arrière-plan, qu’il était prêt à amortir sa chute, à ne pas la laisser s’écrouler sur le sol, pas tant qu’il était dans les parages. Peu importait le nombre d’années qui s’étaient écoulées depuis leur séparation, Levi n’avait pas changé de ce côté-là, incapable de la regarder sombrer sans agir. Ce soir pourtant, il avait l’impression qu’elle n’était pas à même d’accepter cette main qu’il lui tendait, comme si elle refusait de s’appuyer sur lui, remarquant du coin de l’œil cette distance qu’elle avait émise entre leurs mains. Et finalement, Effy reprit la parole, lui balançant ces quelques mots qui n’avaient certainement pas fini de le tourmenter. Elle et Milo étaient ensemble. Cette première révélation le figea presque immédiatement, le percutant avec tellement de force, au point où il entendit à peine ses mots suivants. « Milo. » Répéta-t-il, presque comme une pensée qui venait de s’échapper pour percer le silence. Il s’efforça de prononcer quelque chose, et il ne trouva que ça, que le prénom de celui qu’elle portait à présent dans son cœur. Levi, il ne savait même pas comment il devait réagir, ce qu’il devait ressentir, ignorant ce qu’Effy avait cherché à faire en lui balançant cette vérité qu’il n’avait pas vu venir. Pourtant, il était incapable d’ignorer l’inconfort qui venait de naître dans le creux de son ventre, serrant ses entrailles jusqu’à éveiller d’autres pensées qu’il ne parvenait plus à faire taire lorsqu’il la regardait. Soudainement, il se demandait s’il avait un jour occupé l’entièreté de son cœur, si finalement, Milo n’avait pas toujours eu sa place, là, quelque part, quand lui n’avait vécu que pour elle. Levi, il sentait son cœur se serrer à ces pensées parasites qu’il aurait préféré ne jamais avoir à confronter, parce-qu’elles remettaient en doute les fondations mêmes de cette relation qui l’avait sauvé à bien des égards. Il avait peur d’apprendre la vérité, peur d’imaginer que son passage dans la vie d’Effy n’avait simplement eu pour effet que de révéler son amour pour un autre. C’était puéril, et égoïste de penser de la sorte, avec cette jalousie mal placée, d’autant plus qu’il ne connaissait encore rien de leur histoire, des sentiments qui avaient éclos entre eux. La meilleure solution était la fuite et il le savait mieux que quiconque, surtout lorsque la personne qui lui faisait face n’était autre qu’Effy. D’instinct, comme s’il cherchait à se protéger des autres révélations, il se redressa, laissant ses mains quitter le bois verni du comptoir, instaurant à son tour une distance. « Tu veux en parler ? » Demanda-t-il, relevant finalement les yeux vers elle, sans trop savoir pourquoi il venait de prononcer ces mots, lui-même n’étant pas sûr d’avoir les épaules pour entendre la suite de ce qu’elle pourrait lui dire.

Elle regretta presque instantanément d'avoir parlé. Si elle ne savait avec précision ce qui se déroulait dans l'esprit de Levi, chute vertigineuse en temps réel, elle pouvait déceler sans mal que l'information l'avait chamboulée. De la même façon que lui, bien que pour des raisons différentes, Effy prit peur. Les bras des démons qui l'entouraient se faisaient proches, ceux de l'abandon. Comme une prophétie autoréalisatrice, la belle brune avait une telle peur panique d'être laissée derrière qu'elle maintenant les gens à distance de sécurité, et repoussait violemment ceux qui osaient traîner autour de ses nuées toxiques. C'était sans doute ce qu'elle avait fait avec Milo. Il avait tellement promis et prouvé qu'il serait toujours là pour la rattraper, qu'elle avait poussé les choses aussi loin que possible pour montrer qu'il finirait par la laisser tomber. Ce qu'il avait fait, choisissant l'étreinte plus saine et sécurisante de Freja. Voilà qu'elle recommençait avec l'Anglais qui malgré tout, parvenait encore à faire vibrer sa peau. Il lui proposait une main faite pour ne jamais la lâcher, alors elle prononçait les mots qui pourraient le brûler. Comme pour s'assurer qu'elle avait raison, que pour lui aussi, elle serait trop, trop fort, trop difficile. Et maintenant que c'était chose faite, la panique submergeait son être alors que son regard perdu se teintait d'une supplique silencieuse. Cette question de la part du brun, un air d'intérêt mais voilé d'une paroi épaisse de plusieurs centimètres. Voilà, elle avait fait son travail. Elle avait mis les choses en place pour qu'il s'éloigne. Par peur. Elle agissait de nouveau par peur, ses vieux démons guidant chacune de ses décisions. Ses révélations venaient de creuser un gouffre de glace entre eux deux, un sol imaginaire s'effondrant brutalement, et la jeune fille sentait déjà un étau glacé enserrer sa poitrine. « Non. » répondit-elle, comme pour tenter de couper court à cette discussion alors que le mal était fait. Rationnellement, il était pourtant sensé de lui dire, à Levi, les fantômes de ce qu'elle vivait. Il finirait bien par l'apprendre d'une façon ou d'une autre, un jour, alors c'était même plutôt stupide de lui cacher. Mais Effy ne fonctionnait pas rationnellement, certainement pas à l'heure actuelle. Ses émotions en vrac prenaient le relais sur chacun de ses gestes. Non, elle ne voulait pas en parler plus que ça, ça en tout les cas. Mais derrière ce non se dessinaient surtout ses yeux implorants, priant qu'il ne la laisse pas tomber lui aussi, surtout lui, bien qu'elle mette tout en œuvre pour qu'il le fasse.

Il était submergé par les vagues des souvenirs de leur amour passé, ravagé par ces images d’eux, de tout ce qu’ils avaient partagé, se refaisant le fil d’une vie qu’il aurait été préférable d’oublier. Parce-que Levi, il avait maintenant du mal à supporter la boule qui enserrait sa gorge et le nœud qui tordait ses entrailles en imaginant qu’il avait peut-être idéalisé cette relation. Il se sentait bête soudainement, planté devant elle sans savoir quoi faire ni quoi dire, son langage corporel trahissant ce qu’il s’évertuait à dissimuler. Cette jalousie mêlée à une déception qu’il peinait lui-même à comprendre. Pour ne pas laisser ces secondes interminables de silence les engloutir, il lui souffla ces quelques mots, tentant du mieux qu’il le pouvait pour ne pas flancher. Il aurait pu deviner la réponse qui s’en serait suivie, parce-qu’il était évident qu’après ces révélations, Effy n’aurait aucune envie de s’attarder sur le sujet, déjà bien trop délicat. « Ça faisait longtemps, vous deux ? » Enchaîna-t-il presque égoïstement, d’une voix calme, sans même penser qu’il s’immisçait dans ce qui ne le regardait pas. Pourtant, il était incapable de s’en empêcher, incapable de passer outre cette bombe qu’Effy venait de lâcher sans prévenir. Sûrement qu’il continuerait d’enfoncer le couteau dans la plaie, dans leurs plaies, mais Levi, il avait maintenant besoin de savoir, besoin de s’écraser au sol une bonne fois pour toute. Souffrir maintenant plutôt qu’attendre. Maintenant adossé contre l’étagère, les bras croisés sur son torse, ses yeux vinrent de nouveau trouver les siens, peinant contre toute attente à déchiffrer ce bleu qu’il connaissait pourtant si bien. Il ignorait quel était son rôle dans toute cette histoire, s’il en avait seulement un, lui qui avait été bouleversé par leurs retrouvailles, par cette connexion qui ne s’était jamais évaporée. Il avait maintenant l’impression d’être seul sur un champ de mines, celui de ses émotions en vrac, sans savoir quoi en faire, ni quoi en penser, imaginant que le mieux serait de ne plus rien ressentir du tout. Si seulement. Puis, comme un film qui se répétait, son regard croisa de nouveau le sien, et Levi se sentit percuté de plein fouet par le poids de cette peine qu’il lisait dans les yeux de celle qu’il avait aimé jusqu’à en perdre son souffle, l’incitant à se rapprocher de nouveau, jusqu’à se pencher vers elle et se saisir de sa main pour la ramener entre les siennes. « T’es pas toute seule Eff’. » Il avait beau sentir son cœur se tordre dans tous les sens à la seule idée que son image avait été balayée par un autre, Levi se sentait néanmoins incapable de la regarder s’écrouler devant ses yeux, simplement parce-que c’était elle.

Trop tard, c'est trop tard Effy. Tout ce que tu venais chercher ici, tu viens de le foutre en l'air. Et en même temps, qu'espérais-tu au juste, où pensais-tu aller avec tout ça, avec lui ? Nulle part, strictement nulle part. Derrière l'expression de désarroi de la jeunette, se planquait toutes ces dérives de pensée. Qu'est-ce qu'elle faisait au juste, avec Levi ? Qu'est-ce qu'elle venait chercher en traînant devant ce bar, à parfois passer son chemin au bout d'un coup d’œil volé, parfois en passant cette porte ? Ce n'était pas comme s'il pouvait arranger quoi que ce soit. Pas même comme si elle avait envie, qu'il représente une solution à tous ses maux, c'était même le contraire. Il n'était pas ça pour elle. Pas un pansement de fortune ni une solution miracle. Pas une échappatoire aux tourments de son cœur, ni la promesse d'un avenir plus serein. Il était juste... Lui. Et elle avait si peur qu'il prenne une quelconque place dans sa vie, tout comme elle était terrorisée par le fait qu'il en sorte encore une fois. Incapable de le bannir de son esprit, elle jouait entre deux eaux dangereuses, bercée par les vagues de ses peines, présentes et passées. Elle pouvait sans doute s'en extirper, mais elle n'y arrivait pas. Elle ne le voulait pas, pas vraiment. Elle continuait à sentir la douleur brûlante de la trahison de Milo, administrée au goutte-à-goutte dans ses veines au quotidien, et personne ne pouvait enlever ce cathéter de la peine qu'elle tirait avec elle. Et elle ne pouvait s'empêcher de revenir à la fois se perdre dans les yeux azur de l'Anglais, sans vraiment savoir ce qu'elle attendait, ce qu'elle devait faire de ça. Il n'y avait pas d'explication, elle était attirée à son être comme deux aimants maudits, à défaut de ne plus être des amants. La peur s'était logée dans le regard de la belle brune, accompagnée sans doute d'un semblant d'excuses. Elle pouvait lire la réaction de Levi comme s'il avait été un livre écrit en lettres capitales taille vingt-quatre, ouvert devant ses yeux. Et s'ils échangeaient de tout autres mots, Effy s'efforçait de répondre silencieusement à ce qui le blessait dans ces révélations. Non, jamais elle ne pourrait comparer sa relation avec Milo à celle avec lui. Ni dans un sens ni dans l'autre. C'était comme deux vies différentes, deux réalités parallèles. Sauf que jamais elle n'aurait cru que ces deux espaces-temps se réuniraient en une explosion de mondes, les recouvrant tous des débris qui allaient avec. « Approximativement un an, enfin... C'est compliqué. » répondit la jeune femme en quittant un instant le regard de l'Anglais, bien qu'elle n'ait aucune envie de continuer à alimenter son amertume avec les détails de cette relation, de toute façon réduite à néant. Les débuts romantiques avec Milo avaient été plus que chaotiques, et elle ne comptait pas se perdre là-dedans. Ca ne servait à rien de toute façon, à part torturer Levi, et elle au passage. Ils n'avaient pas besoin de ça, aucun d'eux, ni entre eux. Quoi qu'il y ait entre eux. « I just thought you should know. » fit-elle avec un haussement d'épaules, l'air prudent. Elle reprit une gorgée de rhum, tentant d'apaiser les battements de son cœur angoissé, dans l'attente. Voir cette paroi de glace se briser entre eux, ou s'épaissir. Elle était terrifiée, mais elle tentait de ne montrer qu'une placidité respectueuse envers la distance que Levi avait soudainement adoptée. S'il s'était éloigné physiquement de seulement quelques centimètres, elle avait l'impression que dans leurs têtes, il avait vogué vers une autre île, la laissant seule sur la sienne, entre les palmiers brûlés et les sables mouvants. Si la posture faiblement détachée d'Effy tentait de brouiller les pistes, pour faire croire qu'elle acceptait une sentence bien méritée, son regard criait à l'aide. Raison pour laquelle elle le gardait baissé dans son verre, mais c'était sans compter ce besoin irrépressible de fouiller celui de Levi. La proximité qu'il rétablit eut la saveur de la délivrance. Ses mains autour de la sienne comme une commotion. Elle ne dit rien, une boule nouant sa gorge alors qu'elle fronçait les sourcils, sa main tremblant presque dans celles du garçon. Elle ravalait toute sa peine et toute sa peur, se concentrant sur ce contact bienveillant, malgré tout, malgré le temps, malgré eux.

Levi, il avait l’impression de crouler sous une avalanche de questionnements depuis qu’Effy s’était confiée sur sa relation avec Milo, lui qui venait de perdre son assurance en l’espace d’un battement de cil. Mais si chacune de ces questions lui brûlait les lèvres, il en redoutait tout autant leurs réponses, comme s’il savait qu’il prenait le risque de s’auto-mutiler à chacune d'entre elles, risquant de tomber toujours plus bas. Il ignorait si ce fait s’était déroulé avant leurs retrouvailles, Levi faisant à présent le lien entre la façon dont Effy s’était effondrée dans ses bras et cette réalité maintenant mise en lumière. Venait-elle chercher du réconfort à chaque fois qu’elle passait la porte du Wojna’s ? N’était-il que ça à ses yeux ? Qu’un antihémorragique pour panser les saignements de son cœur torturé par un autre ? S’il ne s’en tenait qu’à ces pensées intérieures, Levi aurait probablement décidé de ne plus jamais la revoir, de la garder à distance pour ne pas se voir à nouveau sombrer pour elle. Pourtant, son seul regard, aussi peiné que désolé, lui confirmait ce qu’il savait depuis toujours, sans qu’il n’y ait besoin de mots. Il avait pourtant cette boule d’appréhension qui l’empêchait de respirer correctement, incapable de ne pas y prêter attention quand tout ce qu’il avait en tête était les souvenirs de leur vie passée, ceux qu’il avait cherché à chasser de son esprit depuis leur séparation. « Je vois. » Répondit-il avec simplicité, la regardant baisser les yeux quand les siens avaient cherché à les accrocher. Compliqué. Comme l’avaient été leurs débuts à eux, lorsqu’ils avaient usé de détours et de faux-fuyants pour repousser la réalité de leurs sentiments. Il savait maintenant que chacune des paroles de la brune ricocherait dans son esprit, pour faire écho aux souvenirs de ce qu’ils avaient eu ensemble. Et il se détestait pour ça. Parce-qu’il n’y avait rien de sain à comparer ce que vivait Effy avec Milo à ce qu’ils avaient vécu ensemble. Putain, arrête de penser à ça. Il se fit la réflexion qu’il aurait clairement besoin d’évacuer toutes ces pensées parasites de la plus malsaine manière qui soit, accompagné par celle qui l’entraînait le mieux dans les ténèbres. Sahar. « C’est mieux, oui. » Hocha-t-il la tête en baissant à son tour les yeux, n’imaginant même pas ce qu’aurait pu donner ses retrouvailles avec Milo s’il n’avait pas été au courant, lui qui aurait probablement perçu une tension sans même en comprendre l’origine. Il se demandait maintenant ce que ça changerait, pour eux, pour lui, si ça signifiait qu’il devait adopter une autre attitude avec l’anglaise, si ces entrevues nuptiales étaient encore légitimes et s’il avait au moins le droit d’établir le moindre rapprochement entre eux, comme la chaleur de sa main qu’il avait emprisonnée entre les siennes. « Je suppose que je devrais pas faire ça… » Finit-il par souffler, comme une lueur de lucidité qui se raviva, Levi laissant ses yeux observer l’alliance de leurs mains, l’esprit rongé par les doutes. « ...mais j’ai pas envie de te lâcher. » Ajouta-t-il, fébrilement, conscient d’à quel point il s’enlisait dans une situation qu’il aurait certainement dû fuir. Son devoir le rappela finalement à l’ordre lorsqu’une voix brisa le silence, celle d’un client à l’opposé du bar qui réclamait son verre, l’obligeant alors à libérer la main de la brune pour s'éloigner encore, de quelques mètres à peine, suffisants pour qu'il ne ressente un vent glacial l'envahir.

Peut-être qu'un jour, elle aurait l'occasion et le courage de décortiquer avec Levi tout ce qui avait fait trembler son myocarde dans leur relation. Qu'elle pourrait le regarder dans les yeux, capturant son regard le temps d'un infini, pour lui rappeler ce qu'il avait été pour elle, ce qu'ils avaient été ensemble. Mais ce n'était pas quelque chose qu'elle pouvait s'autoriser à faire maintenant, elle n'était d'ailleurs probablement pas capable de le supporter. Elle aurait dû le maintenir à distance, gardant leurs vérités pour des jours plus dégagés. Ne pas prendre le risque de l'embarquer dans sa tempête, ne pas le tourmenter de ces questionnements qu'elle lisait dans son regard couleur iceberg. Mais ils fallait croire que leurs ouragans de vie étaient faits pour entrer en collision coûte que coûte. Peu importe les réponses qu'elle lui soufflait, celles-ci ne feraient que pire que bien. Dire à haute voix qu'il était tout sauf un anti-douleur temporaire, et qu'elle ne pouvait juste se résoudre à se tenir loin de lui, c'était ouvrir une autre porte en feu, arpenter un chemin plus périlleux encore. L'effet qu'il envoyait par ondes involontaires dans sa chair, le souvenir frissonnant de leur passé résidant dans son regard, voilà ce qu'il y avait entre eux, ce qu'il y avait toujours eu. Il devait le savoir quelque part, parce qu'Effy savait que c'était réciproque. Comment se témoigner cette astreinte mutuelle qui semblait ne jamais vouloir mourir, sans prendre le risque de plonger dans des eaux tumultueuses ? Elle s'était empêchée d'y penser depuis que le bleu captivant de son regard avait heurté celui de Levi, inattendu, brutal, déroutant. Elle ne savait pas où était sa place dans tout ça, le cœur lacéré par Milo, les lambeaux secoués par son passé avec Levi qui revenait comme pour se conjuguer au présent. « Anyway. » conclut-elle finalement, histoire d'appuyer le fait que cette conversation sur sa rupture n'avait pas lieu d'être poussée davantage, ancrant son regard azur dans celui du barman. Ne fais pas ça, semblait-elle dire. Presque comme un avertissement. Elle n'avait pas besoin de lui dévoiler toute l'étendue de sa blessure. Et il n'avait pas besoin de se malmener l'âme à coups de questions et remises en question. Elle avait expié sa vérité, maintenant il savait, point. Ce n'était pas si simple, forcément, mais ils pouvaient toujours prétendre que ça l'était. Sa main pâle et délicate réchauffée dans celles de Levi, l'Anglaise se sentait en équilibre entre le soulagement et l'alerte, jeu de passe-passe entre ses craintes et ses envies les plus infaillibles. « Who cares what we're supposed to do ? » murmura-t-elle, presque indifférente, une lueur d'un rien plus féroce s'allumant dans ses iris. Je n'ai pas envie que tu me lâches, était sans doute la meilleure traduction, mêlée d'une flamme fataliste. Elle tressaillit quand il dut se résoudre à toutefois laisser filer ses doigts, toujours en service malgré cette bulle imperméable au monde et aux obligations qu'ils se construisaient à chaque fois qu'ils étaient dans la même pièce. Pendant ce temps, perdue dans le tumulte de ses émotions, Effy vida son verre d'une traite, le cœur serré. « Tu finis à quelle heure ? » demanda-t-elle en retrouvant enfin le regard du brun, avec l'impression que ses poumons pouvaient se remplir un peu plus. Elle connaissait la réponse à la question, forcément. Mais elle espérait entendre des mots différents. Allez savoir ce qu'elle voulait faire avec.

Il n'avait aucune idée de ce qu’il faisait, de ce qu’il devait faire, sa raison s’obstinant à lui crier de ne pas trop s’attarder sur des illusions qui finiraient de toute façon par le décevoir, quand son cœur lui sommait de s’avancer toujours un peu plus vers Effy. Il savait maintenant ce qu’il avait risqué en l’écoutant, se brûlant les ailes face aux mots qu’elle avait expiés et qui avaient eu l’effet d’un pieu planté dans son palpitant. Mais ça n’était rien à côté du contre-coup qui l’attendait, des remises en question et de tout ce qu’elles impliquaient pour lui, pour eux, Levi craignant maintenant de se rappeler de ce qu’ils avaient été et de ce qu’ils ne seraient plus jamais. Sans forcément le vouloir, les révélations de la brune avaient creusé un fossé entre eux, le temps pour l’anglais de les absorber, d’en déceler leurs sens, de laisser ces milliards de questionnements fuser et se bousculer dans sa tête à la seule évocation de cette relation. Il n’arrangeait rien, il le savait intimement, envahi par cette curiosité sans doute malsaine et cette hantise de ne pas avoir vu que leurs sentiments ne dataient probablement pas d’hier. Si l’envie de décortiquer certains détails le rongeait de l’intérieur, Levi décida de se raviser en croisant le regard de la jeune anglaise, incapable d’adosser le rôle de son bourreau. Pas ce soir, ni jamais. Il la respectait bien trop pour ne serait-ce qu’imaginer lui faire subir les souvenirs de sa rupture dont il pouvait percevoir les blessures encore à vif. A la place, il hocha silencieusement la tête après avoir accroché le regard d’Effy, prêt à s’abandonner à son propre sort, aux tortures que seraient ces questions laissées sans réponse, pour ne pas avoir à la blesser davantage. Il avait alors compris qu’il ne serait sûrement jamais capable de la regarder s’effondrer, pas s’il foulait le même chemin que le sien, lui qui rattrapa sa main, protégée entre les siennes, cherchant à la maintenir à flot, avec lui. Laissant la pulpe de ses doigts apprivoiser la sienne dans des mouvements lents, il s’attarda sur cette vision qui le fascinait encore aujourd’hui, jusqu’à retrouver la profondeur de ses iris, frémissant aux murmures qui s’échappèrent d’entre ses lèvres. Milo. Probablement que lui, en aurait quelque chose à faire de ce rapprochement physique. Il chassa cette pensée aussi rapidement que possible, s’attardant sur le regard d’un bleu incroyablement envoûtant de cette femme qui continuait de le tourmenter. Il aurait pu rester des heures comme ça, accoudé sur le comptoir, à la regarder elle et leurs mains liées, à en oublier l’univers entier et le monde qui continuait à tourner autour d’eux. Finalement, un client lui rappela qu’il n’y avait pas qu’eux ce soir, Levi laissant Effy pour s’occuper de lui et de sa commande, reprenant peu à peu ses esprits. « Comme d’habitude. » Répondit-il, déposant le verre de rhum face à l’homme avant que son regard n’accroche l’horloge suspendue au mur face à lui. « Je ferme dans une demi-heure. » Précisa-t-il, prenant de nouveau appui contre l’armoire située dans son dos, ses yeux valsant sur le visage de l’anglaise, tentant de lire à travers elle. « Je t’en ressers un ou tu préfères rentrer ? » Demanda-t-il finalement, conscient que la retenir n’était pas la meilleure idée du siècle, que ça ne ferait que les enliser davantage dans ces sables mouvants d’incertitudes, où se confrontaient passé et présent.

Maintenant qu'elle avait créé une collision entre deux mondes, Effy gardait le silence, se raccrochant à cette main que Levi lui tendait toujours, même si elle était désormais terrorisée à l'idée qu'elle ne soit elle aussi engloutie par les flots en quelques secondes, disparaissant dans la noirceur des vagues. Cette sensation fut renforcée quand il lâcha la sienne, littéralement, bien que ce soit pour faire ce qu'il était censé faire : son job. La brunette essayait de s'en rappeler, car elle sentait bien que son esprit appuyait maintenant chaque geste, chaque coup d’œil perdu, dramatisant chaque réaction comme si elle venait de déclencher une fin du monde. Cette sensation désagréable et oppressante rampait sous sa peau, empoisonnant chaque parcelle de son être, alors qu'elle finissait son verre, tentant de maintenir ces impressions à distance. Tentant de se convaincre que tout était dans sa tête, parce que ses démons prenaient plaisir à la maintenir en état de vulnérabilité constante, la plongeant sous la surface de ses peurs les plus profondes comme pour l'y noyer, mais lui offrant sadiquement une bulle d'oxygène une fois de temps en temps, pour prolonger le calvaire. Elle releva les yeux vers celui qui apaisait autant qu'il enfiévrait son âme, fouillant avec hésitation, de peur de se brûler, feu contre glace. Elle pouvait percevoir, presque sentir comme un frisson dans sa nuque, les affres qu'elle avait imposé à Levi en lui exposant ses plaies. Et elle crevait de ne pas pouvoir lui montrer, lui prouver qu'il se tourmentait pour rien, qu'il n'y avait rien à dire, rien à comparer, rien à penser de tout ça. Ou peut-être qu'elle aimait s'en convaincre. Parce que dans cette instabilité émotionnelle, maintenant devenue corde tirée en triangle, prête à rompre de toutes parts, rien n'était simple. Et si elle ne supportait pas de voir dans le regard du brun ces délibérations blessantes sur ce que représentait leur passé, et sans doute leur présent aussi, il n'y avait rien qu'elle puisse faire pour extirper ces tourments de sa tête. Le mal était fait, de la main de la brunette. « Non, ça ira. » répondit-elle finalement en jetant un regard à son verre vide. Ce n'était pas d'alcool qu'elle avait soif ce soir, mais d'oubli, bien que l'un puisse la plonger dans l'autre. Peut-être de recul, d'abandon, de rédemption. Elle ne savait pas, mais sans se laisser plus de temps pour y réfléchir, elle se leva du tabouret. Elle n'avait pas le droit d'exiger de Levi qu'il reste à ses côtés, lui si soudainement réapparu dans son existence, chamboulant son âme déjà mise à mal. Mais c'était son problème à elle, de gérer ces tumultes intérieurs. Il n'était pas obligé d'assister ce spectacle désolant. « I should go. » souffla-t-elle presque à la hâte, comme pour camoufler la faille dans son ton. Elle déposa l'argent sur le comptoir et fit volte-face pour passer la porte quelques secondes plus tard. Et elle aurait dû marcher jusque chez elle, ce fut d'ailleurs le chemin qu'elle emprunta au départ, les émotions en vrac, le pouls erratique, s'allumant une clope alors qu'elle marchait d'un pas vif. Effrayée par ce qui pourrait la détourner de ce chemin le plus sage. Mais elle finit par prendre un virage. Sortit du chemin et tant qu'elle y était, roula un joint. Impossible de s'éloigner d'un pas de plus, de franchir le périmètre de sécurité. Elle déambula en périphérie, les minutes s'égrainant alors qu'elle tentait de se convaincre de rejoindre la porte de chez elle. Trente minutes plus tard, elle était devant la vitrine du Wojna's, son joint entre les doigts, seule flamme de vie sur ce trottoir nocturne.