and when it gets too late i'll be chasing you home ✩ tyler

Les révélations de la blonde déchirent le cœur de Tyler. Il a l’impression d’avoir un train de retard. A-t-il été autant à la masse ces derniers mois pour ne pas réaliser que la fin est propre pour le père des Russel ? Il s’en veut et pourtant il s’efforce de réagir avec douceur.
— Je… suis désolé, dit-il le souffle coupé. Toi et ton frère, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, je serais toujours là pour vous. Il suffit d’appeler.
Il a envie de la serrer fort, la consoler, lui dire que tout ira bien. Mais quelque chose le retient. La séquence émotion est de courte durée. Visiblement la photographe n’est pas prête à dévoiler ses émotions trop longtemps. Par contre tirer les vers du nez du brun, ça oui. Après avoir été au bord des larmes, le fermier commence à s’agacer. Il avale le reste de son verre cul sec. Pour le coup, c’est lui qui a envie de lui répondre “tu me fais chier Penny”. Il soupire. Il hésite. Et puis il craque encore. Ses billes bleues scrutent ses réactions et il ne peut y résister. Après tout, ce n’est pas son truc à lui de se cacher et si elle en a envie, lui non.
— J’étais fou de toi Pénélope. Répond-t-il sur un ton sec en employant volontairement le passé. Peu importe où, je t’aurais suivi si tu me l’avais demandé. Mais tu ne l’as pas fait.
Déclaration interrompue par le bip du four. La tarte est prête. Et il vaut peut-être mieux passer à autre chose. En bon hôte, il sert les assiettes et ressert leurs verres. Ses nerfs se calment en s’installant près d’elle pour manger. Ces mots avaient probablement besoin de sortir, car après la tempête, vient l’apaisement.
— Pardon pour… ce ton agacé. Tu ne me dois rien. Je ruminais probablement ça depuis trop longtemps. Pourquoi tu m’as posé cette question ? Même si à l’époque je t’avais dit les même mots, ça n’aurait rien changé non ?
Et il ne lui en voudrait pas. Ce n’était pas leur destin et puis c’est tout.

Penelope hoche douloureusement la tête. Parler de la fin proche de son père est quelque chose qu'elle peut encore difficilement faire. Son deuil est en cours, elle s'y prépare comme elle peut. S'il était parti d'un coup, sans prévenir, la douleur aurait été beaucoup plus compliquée à gérer. Là, au moins, les Russell peuvent se préparer à vivre l'une des pires épreuves de leur vie. Ce n'est pas ce que l'on attend de la vie, mais ça reste inévitable. Et la blonde le sait pertinemment. Nier la vérité ne lui servira en rien.
Un changement de sujet s'impose, d'autant plus que Penny est restée bloquée sur la question de sa relation avec Tyler. Ils ne peuvent pas changer le passé, c'est certain, mais l'avenir n'est pas encore écrit. Peut-être que leur heure n'était pas venue, à l'époque où Penelope était mariée avec Marcus et bien déterminée à passer le reste de sa vie avec lui. "J'étais fou de toi, Penelope." Les mots claquent au visage de cette dernière, qui se prend cette déclaration comme un parpaing sur le crâne. Elle aussi, était folle de Tyler. Elle aussi, l'aurait suivi n'importe où. Mais il y a eu la grossesse. Et il y avait Marcus. "Non, je ne l'ai pas fait." Penelope observe Tyler du coin de l'oeil pendant qu'il sort la tarte du four et qu'il remplit à nouveau leurs verres. Elle fixe le comptoir, sans trop savoir où se mettre. Elle a ressenti un certain agacement chez Tyler. Retour à la case départ, ou presque... La gêne est à nouveau présente entre eux, et Penelope peine à se saisir de sa fourchette jusqu'à ce que le fermier lui adresse à nouveau la parole pour s'excuser. "C'est à moi de m'excuser, j'ai laissé notre chance s'envoler pour un... boulot," répond-elle en laissant volontairement traîner le dernier mot. Tout en coupant un bout de sa tarte pour le mettre dans sa bouche, Penny ajoute : "Je n'en sais rien. Tu m'aurais suivie à Brisbane, depuis l'autre bout du pays ?" Elle mâche quelques secondes, et un léger gémissement s'échappe de ses lèvres. "Mince, c'est à se damner ce que t'as cuisiné..." murmure-t-elle, dans un léger sourire.

Les yeux dans le vide de Pénélope font faire un loupé au cœur de Tyler. Un peu comme si son silence balayait les sentiments qu’il éprouvait. C’est ridicule et le fermier n’attendait rien en retour en lui avouant ces mots. Malgré tout, il sait que, même si elle n’est qu’une amie à l'avenir, il la veut dans sa vie. Cette électricité dans l’air quand la photographe est là à ses côtés, il ne veut plus la perdre maintenant qu’il l’a retrouvée. Reste seulement à apaiser le passé.
— Tu avais parfaitement le droit de penser à ta carrière. Ce n’est pas le souci. Mais oui, j’aurais probablement considérer l’idée de te suivre, rien ne me retenait à l’époque. Au lieu de ça, je me suis acharné à reprendre la ferme familiale que je savais déjà perdue.
Aurait-il voulu s’épargner cette peine de plus ? Probablement. Mais Tyler ne voulait pas non plus qu’elle se sente coupable pour ses propres erreurs.
— De toute façon nous n’allons pas refaire le passé. C’est… ainsi… et ça ne veut pas dire qu’aujourd’hui il n’y a plus rien à partager.
Tyler lui laisse la porte ouverte et il espère qu’elle voudra encore partager ensemble des moments comme celui-ci, parce que malgré les tensions et les non-dits, il adore qu’elle soit ici chez lui.
— J’aime cuisiner. Une de mes… NOMBREUSES… dit-il en appuyant le mot avec humour… qualités cachées dont tu n’avais jamais profité…
Son sourire se fait à nouveau joueur et charmeur, retrouvant cette facilité de se parler malgré les mots durs qui devaient être évacués.
— Tiens, l'averse semble s’être calmée, dit-il presque déçu en tournant la tête vers la fenêtre. Je peux quand même te garder encore un peu pour le dessert ?

"Ma carrière, tu parles..." souffle Penelope. Elle s'agace elle-même, quand elle repense à cette époque. Certes, ce mensonge a fini par se révéler vrai ; mais elle serait de toute manière venue à la nature quoiqu'il arrive. Penelope n'est pas une fille de la ville, quand bien même elle y a toujours vécu pour le confort du quotidien qu'elle peut apporter. Sans Internet, impossible d'honorer ses commandes de tirages, ni de faire connaître son travail. Elle n'a pas la main aussi verte que peut l'avoir Tyler, et ne pourrait pas se nourrir seule. Elle a besoin de vivre auprès de ses semblables pour survivre, quand bien même leur présence la rend parfois irascible. Pour certains, du moins. "Si tu n'avais pas essayé de remettre cette ferme à flots, tu t'en serais peut-être voulu," suppose Penelope. Elle ne veut pas que Tyler se sente coupable d'avoir également suivi sa propre voie, à l'époque où ils se fréquentaient passionnément. Penny n'aurait probablement pas accepté qu'il plaque tout pour elle, d'autant plus qu'elle ne comptait pas garder ce qui grandissait en elle, fruit de leurs étreintes. Il y a dix ans, elle ne savait pas que Tyler était du même avis qu'elle, à ce sujet, et lui aurait simplement menti au lieu de lui en parler. Comme elle a pris la mauvaise habitude de faire. Si cet accident ne lui était pas arrivé, tout serait différent aujourd'hui.
Tout en mâchant, la blonde hoche la tête. Ils sont tous les deux à Bowen, installés dans leur vie. Même si Penelope vient tout juste d'y revenir et qu'elle se sent encore illégitime à y vivre à cause de Marcus, elle a bon espoir de pouvoir retrouver son ressenti d'avant. De pouvoir reprendre là où elle en était, plus ou moins. "J'avais un petit faible pour tes marshmallows au coin du feu, en tout cas..." intime-t-elle dans un autre sourire, rappel de leurs nuits sous la voûte étincelante.
Les parts de tarte sont déjà bien entamées quand Tyler fait remarquer à Penny que l'averse s'est bien calmée. Elle ne peut s'empêcher d'avoir une pensée pour sa mère et son panier de légumes. Même si elle ne l'attend pas comme le Messie, une petite voix souffle à la blonde qu'elle a assez ressenti d'émotions pour tout le reste de la semaine et qu'il lui vaut mieux rentrer chez elle et digérer cette entrevue. "C'est très gentil de ta part et je te remercie pour ton invitation, mais je vais plutôt repasser chez mes parents pour le dessert." Penny hoche la tête. "C'est important pour moi, avec mon père et son état." Elle n'a même pas besoin de se justifier, Tyler est bien placé pour comprendre. Prenant en bouche les dernières miettes qui se trouvent dans son assiette, la blonde se détend quelque peu sur son tabouret, repue. "C'était vraiment très bon," commente-t-elle, mâchant toujours discrètement. "Si on inversait les rôles et que je t'invitais chez moi, une prochaine fois ?" demande Penelope, pour s'excuser de ne pas rester plus longtemps malgré sa brûlante envie de passer le reste de la soirée aux côtés de Tyler. "Oh d'ailleurs, j'espère qu'ils n'ont pas annulé la commande de ma mère, à côté... Je suis venue avec toi ici sans même récupérer le panier !" se souvient Penelope, non sans un sourire amusé. "C'est la faute du boss, après tout..." glisse-t-elle avec un léger coup de coude dans le bras de Tyler.

Le sourire enjôleur de Pénélope réchauffe le fermier. Lui aussi, il se souvient, de leurs nuits, de leurs jours, de tout ce qu’elle lui a fait ressentir. Après les paroles houleuses, c’est un soulagement pour lui de constater qu’elle se souvient de leurs bons moments et qu’elle en espère d’autres tout comme lui. Même si là tout de suite, Tyler aurait aimé la retenir plus longtemps.
— Je te libère alors… Répond-il avec ce regret irrépressible dans la voix, vite rassuré par la volonté de la blonde de le revoir très vite. Mais oui à charge de revanche !
En vérité, le regard du brun est plein d’interrogations. Il n’ose pas poser la question. Parce que malgré leur discussion animée de la soirée, il y a un sujet qu’ils ont soigneusement évité. Le mariage de la photographe. Y aurait-il quelque chose qui lui échappe ? Elle ne l’aurait pas invité dans l’univers qu’elle partage avec son mari, y aurait-il eu du changement dans sa vie ? Après tout, presque dix ans vient de se passer, elle n’est revenue en ville que depuis l’annonce de la maladie de son père et sa situation a peut être changé. Le fermier balaye ces pensées de sa tête, après tout si elle ne lui en a parlé, c’est que cela ne le concerne pas. Et ces questions trop lourdes sont vite balayées par une question de la blonde d’ordre plus pratique sur sa commande de légumes.
— Ne t’en fais pas, je t’avais mis la commande de côté, viens, on va aller la chercher.
Il la guide vers l’arrière de la maison par là où ils étaient entrés quelques heures plus tôt, repassant par la petite boutique maraîchère où attend bien sagement la commande de la mère de Pénélope sur le comptoir.
— Rentre bien Penny, j’ai passé une très bonne soirée… Dit-il en la raccompagnant à la voiture.
Il aurait pu, il aurait dû la laisser partir sans rien ajouter, mais à ce moment il ne peut s’en empêcher. Alors que la nuit commence à descendre, les laissant avec l’intimité de la demi-pénombre d’un ciel encore nuageux, les bras du fermier se serrent autour d’elle pour se poser dans son dos. Il a du mal à retenir un lourd soupir et sa raison lâche alors qu’il dépose un baiser tendre tout près de son oreille très lentement.
— A bientôt. Finit-il par lâcher pour la libérer.