i can't escape this now unless you show me how (sahar)

On aurait presque pu croire qu’il n’y avait qu’eux au centre du Wojna’s, leurs deux voix résonnant dans la rhumerie particulièrement calme ce soir. Et si sa fébrilité le retenait de hausser davantage le ton, Levi sentait aisément que le vent continuait de tourner, non loin d’amener avec lui une tempête dévastatrice. Sahar n’avait probablement pas l’intention d’épargner la clientèle de leur échange houleux, elle qui semblait même avoir un poids sur les épaules qui ne demandait qu’à s’envoler. Pour le moment, le barman tentait encore du mieux qu’il le pouvait de fuir, ne répondant franchement à aucune de ses interrogations, usant de tous les stratagèmes possibles et imaginables pour se détourner de Sahar. Parce-qu’il était hors de question qu’elle sache ce qu’il avait cherché à faire pour l’épargner, lui qui savait ce qu’ils risquaient tous les deux s’il venait à la mettre dans la confidence, à lui déballer la véritable raison de ses soirées de travail écourtées. Il en avait le regard presque suppliant Levi, celui qui lui semblait crier ne fais pas ça, pour ne pas avoir à prononcer l’inavouable, pour ne pas compliquer davantage leurs quotidiens déjà cauchemardesques. Et comme à son habitude, la brune n’en démordait pas, le poussant à chaque fois un peu plus à la confidence, ne le lâchant pas une seule seconde pour obtenir ce qu’elle désirait de lui : la vérité. « Parce-que j’leur ai rien fait. Que tu me crois ou non. La seule fois qu’ils m’ont vu, c’était avec toi. » Lâcha-t-il, peu à l’aise à l’idée de devoir se remémorer le soir de son agression, conscient que cette manière de faire ne lui ressemblait pas, surtout que Sahar n’avait pas à recevoir ses accusations infondées. La situation semblait maintenant lui échapper complètement, Levi perdant le contrôle, conscient que leurs mots balancés à tout va pourraient leur être fatal si quelqu’un parvenait à comprendre qu’ils baignaient tous les deux dans des affaires plus que louches. Incapable de faire la part des choses tant la panique bousculait ses entrailles, le brun s’était finalement décidé à traîner Sahar à l’extérieur, la faisant quitter son service pour que leur conversation puisse se poursuivre sans témoins oculaires et auditifs. « Ça y est, tu te sens mieux maintenant ? » Roula-t-il des yeux après l’insulte de sa collègue, lui qui était pourtant conscient que ce n’était certainement pas les mots qui parviendraient à faire revenir le calme entre eux. Il le sentait Levi, que cette soirée marquerait un tournant de plus, qu’il avait cherchait à éviter à tout prix, comme s’il en avait craint les répercussions, et à raison. Les prunelles de sa collègue paraissaient suspendues à ses lèvres, n’attendant que cette vérité qu’il n’était maintenant plus capable de dissimuler, lui qui en avait déjà trop dit, tout son corps ayant parlé pour lui. La sentence tomba, d’un coup sec, sans préavis, sans même qu’il n’ait le temps de réaliser qu’il venait de la lui balancer. Voilà, elle savait. Et il n’aurait su dire combien de temps il était resté prostré sans un mot, sans même bouger, comme ça devant elle, à attendre une réaction de sa part. Puis Sahar enchaîna, devant un Levi au visage résigné, fermé, comme s’il avait l’impression d’avoir échoué, encore une fois. « C’était ma manière de te protéger. » Souffla-t-il, sans trop savoir si elle avait pu percevoir ses mots. « T’avais pas à subir tout ça, par ma faute. Et j’ai trouvé que ça pour les détourner de toi. Mes services en échange de leur parole. » Il n’avait maintenant plus aucune raison de garder ces secrets pour lui, plus aucune raison de mentir à Sahar maintenant qu’elle savait le plus gros de l’histoire. « Tu seras pas mêlée à ça, si je merde, ça sera mon problème, pas le tien. » Sans doute croyait-il que ce genre de précision la rassurerait, Levi pensant bien faire alors qu’il avait lui-même l’impression de tanguer au bord du vide, sans rien pour le rattraper s’il venait à chuter.

Levi, il n’aurait jamais pu la blâmer de ne pas pouvoir contenir sa frustration, imaginant plus que bien la boule qui devait enserrer sa gorge, et grandir dans la profondeur de ses entrailles. Parce-que l’un comme l’autre piétinait à l’aveugle, sans savoir de quoi serait fait leur lendemain. A tout moment, la situation pouvait basculer, pour le pire, et les entraîner dans les abysses, là où il n’y aurait aucune main pour les aider à se sauver. Les mots qu’il lui balançait, bien qu’injustes, n’étaient que la preuve de sa fébrilité, de son incapacité à se rassurer, lui qui se sentait perdre le contrôle en tentant de dissimuler la vérité à sa collègue. Il était sûrement plus prudent de ne pas s’aventurer davantage sur ce sujet où il risquait à tout moment de se perdre, comprenant que ses fausses accusations ne les mèneraient à rien, que ça ne changerait aucunement la donne. Et c’était cette réalité qu’il tentait de fuir, devenant soudainement blême en entendant la brune prononcer à voix haute ce qu’il s’évertuait à garder sous silence. Parce-que le danger était omniprésent, et qu’ils n’étaient à l’abri de rien, surtout depuis la nuit où leurs destins s’étaient liés sans qu’ils ne le demandent. Sans trop d’hésitation, Levi s’était permis de sortir Sahar de son service, incapable de la laisser révéler aux clients les affaires dans lesquelles ils baignaient. Il avait bien vu que son geste n’avait fait qu’empirer la situation, que la frustration de la serveuse n’en était que plus intense, ses yeux suivant sa silhouette s’agiter, entamant les cent pas. « C’est ta manière de me dire que t’aurais préféré qu’ils finissent le travail ? » Lâcha-t-il, continuant de la provoquer, incapable de se départir de son cynisme sans doute mal placé. Sous la pression de Sahar, Levi s’était senti flancher, se demandant s’il avait vraiment le droit de lui faire subir ses non-dits, elle qui semblait suffoquer sous cette absence de vérité, comme si elle traversait le noir complet. Et finalement, il avait craqué, s’adonnant aux révélations tant attendues, et surtout, tant redoutées, conscient qu’il venait de lâcher une nouvelle bombe qui viendrait faire tanguer leurs équilibres déjà précaires. Evidemment, il s’était attendu à la réaction de la serveuse, à son incompréhension palpable dans ses premiers mots, incapable de soutenir son regard maintenant qu’elle savait ce qu’il avait fait. « Je sais. » Se contenta-t-il de dire, entre la gêne et la honte, tentant de justifier sa position comme il le pouvait, bien que rien ne pourrait vraiment la convaincre des choix qu’il avait fait. « J’en sais rien putain. J’avais pas le choix, j’voulais pas que tu sois mêlée à tout ça. Tu m’as sauvé la vie, j’avais pas le droit de te laisser dans la merde. » Lâcha-t-il, d’un ton fébrile, équivoque de son état d’esprit, lui qui avait l’impression de s’enfoncer toujours plus profondément, sabotant sa propre existence pour tenter de sauver celle de la brune. Il avait senti que cette révélation n’avait pas amélioré son cas aux yeux de Sahar, elle qui semblait encore plus nerveuse, pointant du doigt sa naïveté. « J’payerais pour mes conneries. Ou j’me casserais d’ici. J’vois pas d’autres solutions. » Il n’y avait plus que de la résignation dans le ton de sa voix, du vide dans le bleu de ses yeux, lui qui semblait déconnecté de la réalité, ne mesurant toujours pas la gravité de la situation dans laquelle il s’était enlisé. « J’vais devoir y aller, avant qu’on finisse vraiment par me descendre. »

C’était comme marcher sur un fil suspendu à dix mètres de hauteur, comme si à chaque pas, c’était sa vie qu’il mettait en jeu, littéralement. Levi, il ne savait pas encore dans quoi il avait mis les pieds, tentant de se convaincre qu’il y avait encore un espoir que les conséquences ne soient pas si terribles, qu’il avait encore une possibilité de limiter les dommages collatéraux. La réalité était toute autre, et peut-être qu’au fond, il l’avait toujours su mais avait préféré ne pas s’y attarder. Sauf que ce soir, il n’était plus question de fermer les yeux, Sahar tentant de les lui ouvrir, de lui faire admettre qu’il avait plongé davantage dans les méandres de ce monde sombre, sans le lui avoir dit. Parce-qu’il se sentait redevable, parce-qu’il avait besoin de lui prouver qu’il n’était pas seulement ce type qui ne voyait pas plus loin que son propre reflet. Sa vie, il la lui devait. Et dans sa tête, il n’y avait aucunement eu besoin de réfléchir à ce qu’il devait faire ou non. Des décisions sans doute prises à la volée, qu’il n’avait pas eu le temps de regretter tant les choses s’étaient déroulées vite, lui qui s’était retrouvé impliqué au milieu d’un réseau de trafiquants en un battement de cil. Cette réalité, il n’avait pas pu la cacher plus longtemps à la brune, qui n’avait pas hésité à l’accuser de vive voix, devant les clients du Wojna’s mais aussi devant les employés aux visages interloqués par leur échange musclé. C’était cette dernière accusation qu’il l’avait finalement incité à s’isoler avec Sahar, incapable de la laisser tout foutre en l’air, bien qu’il ne prétendait aucunement avoir le contrôle sur la situation. Peut-être même que les rumeurs joueraient en leur défaveur. Pour le moment, il ne voulait prendre aucun risque supplémentaire, prêt à lui balancer ce qu’elle redoutait déjà d’entendre. Levi, il ne l’épargna d’aucun détail, se lançant dans un monologue presque libérateur pour lui, sans doute beaucoup moins pour la serveuse dont les traits changèrent immédiatement, mêlant stupéfaction et colère. Il se fit la réflexion qu’il aurait aimé lui éviter cette torture mentale, celle qu’il avait déjà bien entrepris avec l’agression, et qu’il continuait de lui faire subir ce soir, malgré tous les efforts qu’il avait entrepris pour le lui éviter. « J’suis un connard qui réfléchit pas. Ça te va comme explication ? » Lâcha-t-il, presque méprisant, lui qui avait simplement l’impression de crouler sous les reproches de Sahar, pourtant justifiés. Il se rendait compte à présent qu’il avait sûrement commis l’irréparable, et qu’il serait encore plus délicat d’essayer d’en sortir maintenant qu’il avait pactisé avec le diable. Il percevait toute la frustration de la brune dans la véhémence de ses mots, celle de ses mouvements, elle qui le frôlait à chacun de ses passages. Au fond, elle avait raison Sahar, pointant du doigt cette capacité qu’il avait à se causer lui-même du tort, à s’embourber davantage jusqu’à suffoquer. « Pas forcément. Tu leur as rien promis toi. Ils gagneraient rien à te faire tomber. » Il l’espérait, du moins, que ces gars ne fassent pas payer Sahar pour ses propres erreurs. Il fronça les sourcils à ses mots accusateurs, qui ne l’épargnaient pas, la brune lui rejetant entièrement la faute, une nouvelle fois. Sans doute pour la première fois, il resta silencieux, accusant le coup, lui qui n’était certainement pas le mieux placé pour la contredire. « Qu’est-ce que j’suis censé faire alors ?! J’peux pas juste changer d’avis et ne pas y aller Sahar. » Déplora-t-il, son regard interceptant le sien. « T’as qu’à le mettre dans la confidence. Il me balancera aux flics, ça arrangera tout le monde comme ça. » Conclut-il, peinant à rester calme à chaque fois que Sahar mentionnait le nom de sa moitié, qui n’aurait probablement aucun scrupule pour l’enfoncer davantage et l’éloigner de sa bien-aimée. « S’il-te-plaît… Flanche pas maintenant. » Souffla-t-il, faisant quelques pas pour l’arrêter dans sa course, sa main venant entourer son poignet pour l’inciter à le regarder, comme s’il savait qu’il lui demandait l’impossible.

C’était une autre spirale, toute aussi dangereuse, qui menaçait maintenant de les aspirer, de les faire basculer encore plus profondément dans le néant. Levi, il s’entêtait à penser qu’il n’y avait pas mort d’homme, qu’il était capable de garder un minimum de contrôle sur la situation, aussi foireuse soit-elle. Mais maintenant que Sahar avait été mise dans la confidence, les doutes s’étaient mis à l’envahir presque immédiatement, comme si l’appréhension qu’il avait perçu dans le creux de ses iris s’était infiltrée jusqu’à lui, lui faisant réaliser combien l’avenir serait incertain pour eux. Il n’avait aucune excuse, mise à part celle d’avoir ressenti le besoin de lui rendre la pareille, comme une main tendue qu’elle se serait visiblement bien passée d’attraper au vue des conséquences qui en résulteraient. Parce-qu’il n’avait probablement pas réalisé qu’à l’inverse de lui, Sahar partageait sa vie avec quelqu’un et que cette situation devait entraîner des non-dits pesant lourds sur sa conscience. Levi, il se rendait compte qu’il avait sûrement égoïstement omis la présence de cette troisième personne, pourtant au cœur des débats, au cœur du quotidien de la brune. L’anglais en était intimement persuadé, qu’il finirait tôt ou tard par éprouver des regrets, lui qui avait pensé se rendre utile en la protégeant, en l’éloignant des hommes responsables du chaos dans lequel ils s’étaient retrouvés. A court d’arguments, déstabilisé par les reproches de Sahar, Levi avait l’impression de tanguer, toujours plus proche du vide, se demandant comment il en était arrivé là, à effleurer le point de rupture. « C’était le but, oui. » Finit-il par avouer, sans une once d’hésitation, son regard portant les stigmates d’une culpabilité qu’il ne refoulait plus, même s’il restait convaincu que sa décision aurait été la même dans d’autres circonstances. « Mais toi, t’es pas moi. J’me suis retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. Y’a pas de raison qu’ils s’en prennent à toi maintenant. » Levi savait que ses paroles ne la convaincraient pas davantage, qu’elle resterait sur ses gardes quoiqu’il puisse arriver, même lorsque la menace serait éloignée. Parce-que Sahar, elle savait probablement encore plus que lui combien ces types n’avaient rien à perdre, et qu’ils n’hésiteraient pas à supprimer la moindre entrave à leur affaire. L’heure tournait et Levi savait qu’il aurait déjà dû être sur place, dans les bas fonds de Bowen, pour fournir les âmes en quête de perdition, de leur saint graal. « J’ai plus le choix maintenant. » Souffla-t-il, entre le dépit et la désolation, le barman ne pouvant plus que répondre aux devoirs qui l’attendaient, même s’il risquait à tout moment de tomber. L’heure ne devait plus être à la crainte et aux regrets mais à l’acceptation de ce pacte qu’il avait passé avec ses ravisseurs. « J’suis personne pour te dire quoi faire. Et j’pourrais pas t’empêcher de lui en parler si c’est ce que tu veux vraiment. » Conclut-il, la résignation ponctuant ses mots, lui qui comprenait sans l’ombre d’un doute que ce ne serait pas lui qui réussirait à dissuader Sahar de se libérer de ce poids que ses épaules ne parvenaient plus à soutenir. Ce fut dans un dernier élan d’espoir que Levi rattrapa son interlocutrice, ses doigts entourant délicatement son poignet pour capter son attention. « Est-ce que ça changera seulement quelque chose ? » Il la laissa se détacher de son emprise, comprenant que son intervention n’aura servi à rien, qu’elle semblait déjà décidée à se confier à son âme-sœur. « J’crois que je vais devoir démissionner plus vite que prévu. » Souffla-t-il, presque comme une réflexion qu’il avait laissé échapper à voix haute, évoquant l’entente déjà fébrile entre Oskár et lui, qu’il ne serait désormais plus possible de sauver.

Il n’aurait su expliquer ni pourquoi, ni comment les choses avaient aussi vite dérapé, lui qui se souvenait vaguement du calme qui avait bercé son quotidien avant la nuit de son agression. Cette période lui aurait presque paru lointaine tant sa vie n’était devenue qu’un sombre chaos, où chaque pas s’établissait dans l’obscurité la plus totale. Levi, il ne parvenait déjà plus à envisager l’avenir, trop incertain, trop fébrile, peinant à savoir si les nuages qui menaçaient son ciel finiraient un jour par disparaître. Et dans sa chute, c’était Sahar qu’il avait emporté, elle qui subissait les conséquences de décisions hâtives, de sa propre perte de repères, d’une descente aux enfers mal maîtrisée. Il comprenait sa colère, son incompréhension, ses angoisses, les partageant avec elle depuis qu’il s’était réveillé sur son lit d’hôpital, apprenant que leurs destins avaient été liés sans même qu’ils n’aient eu le choix d’en décider autrement. Et dieu savait à quel point il aurait aimé lui éviter cette dégringolade qui n’en finissait plus, qui les écorchait chaque jour un peu plus, les entraînant toujours plus bas dans les méandres d’un calvaire sans fin. Elle n’avait pas tort Sahar, de le blâmer comme elle le faisait, apprenant qu’il avait une nouvelle fois transgressé les règles, dépassé les limites, s’aventurant sur un terrain glissant, un champ de mines dont il ne ressortirait certainement pas indemne. Sans conviction, le barman avait tenté de rassurer la brune, espérant que ses bourreaux ne s’en prennent pas à elle, qu’ils ne se contentent que de lui à l’avenir. Parce-que là avait été le but de sa démarche, faire diversion en proposant ses services, pour qu’ils n’aient plus à approcher Sahar d’une quelconque manière. « Avec un peu de chance, ça leur aura peut-être suffit. » Souffla-t-il à son tour, son regard peinant à soutenir le sien. « J’te laisserai pas dans la merde. Pas encore. » Il en était hors de question, et même s’il n’avait aucun plan viable pour le moment, Levi savait d’avance que lâcher Sahar dans la fosse aux lions n’en était pas un auquel il songeait. « J’en sais rien. J’imaginais que ça les éloignerait de toi pendant un moment. Ils me font pas confiance, alors ils sont tous sur mon dos. » La stratégie était sans doute bancale, manquant de réflexion, mais l’anglais avait encore agi dans la précipitation, ne voyant que cette solution pour protéger Sahar d’un danger imminent. « Je sais. C’est pour ça que j’ai pas le choix pour le moment. J’dois attendre que ça se tasse avant de pouvoir faire autre chose. » Lâcha-t-il, ses pensées s’entremêlant pour ne former qu’un nuage de non-sens, peinant à réfléchir à la suite, lui qui ne savait déjà pas de quoi serait fait son lendemain. Il tenta de s’échapper, une énième fois, sous le regard désabusé de sa collègue qui lui barra la route, visiblement décidée à ne pas le laisser rejoindre les ruelles sombres de la ville. « Sahar. J’peux pas ne pas y aller, tu comprends pas que c’est mon cadavre que tu devras amener à la morgue si j’me pointe pas ce soir ? » Lâcha-t-il, conscient de la dureté de ses paroles, tentant par tous les moyens de faire comprendre à la serveuse qu’aucun choix n’était permis, que sa parole avait été donnée le soir où le deal avait été passé. L’idée de Sahar lui glaça le sang, peinant à imaginer qu’il y aurait une quelconque amélioration si Oskár était mis au courant du bordel sans nom dans lequel ils s’évertuaient de survivre. « Ça lui donnera une raison en plus pour vouloir me casser la gueule. Attends au moins que j’finisse de me remettre de mes dernières séquelles. » Roula-t-il des yeux, la voix teintée d’un sarcasme toujours aussi mal placé, sa collègue renchérissant avec des reproches. « Fais ce que tu veux. » Souffla-t-il, cherchant à couper court à leur échange, la sonnerie de son portable venant retentir à l’intérieur de sa poche, devinant sans mal qui cherchait à le joindre, la menace se faisant plus insistante.

Ni l’un ni l’autre ne semblait avoir une quelconque solution viable pour le moment, se rendant compte de l’impasse dans laquelle ils se retrouvaient à présent. Parce-qu’il était évident que Levi ne pourrait pas suivre ce rythme infernal toute sa vie, où la moindre erreur pourrait lui être fatale. Il suffoquait en jonglant entre ces deux vies, quittant des obligations pour en retrouver d’autres, certes bien moins légales. Pour l’instant, c’était encore l’adrénaline qui lui permettait de tenir debout, lui qui gardait en tête la raison pour laquelle il s’était offert au réseau, pour que Sahar n’ait plus à vivre le même calvaire que lui. Il avait bien compris cependant, que l’idée n’avait clairement pas enchanté sa collègue, dépassée par les prises de décision foireuses auxquelles il s’adonnait ces derniers temps. « Je sais bien. Je leur servirai quelques mois tout au plus. » Tenta-t-il de se convaincre, sans même être sûr de ce qu’il avançait, parce-qu’il n’avait pas été question de négocier quoi que ce soit avec la tête du réseau, lui qui avait immédiatement compris que le choix des possibilités était restreint dans ce type d’affaires. Levi, il savait qu’il n’était pas en position de demander la moindre faveur à ses patrons, eux qui ne semblaient pas vraiment aptes à faire preuve d’une quelconque charité. Il espérait au fond que cette période soit temporaire, que les esprits viennent à se calmer, que le danger finisse par se dissiper, pour que chacun puisse reprendre le cours de sa vie comme si rien n’avait été bousculé. Pour autant, il se doutait bien que la pilule était dure à avaler pour Sahar, dont les reproches fusaient, elle qui comprenait maintenant les raisons qui l’avaient poussé à être plus distant depuis son retour de convalescence. « J’ai compris, j’ai merdé. Mais j’ai pas fait ça pour t’enfoncer davantage si c’est ce que tu crois. J’voulais qu’ils te foutent la paix. » Souffla-t-il, une énième fois, tentant de plaider sa cause, bien qu’il était conscient que rien ne parviendrait à convaincre Sahar de sa bonne volonté. Il était aussi blême que fébrile, regrettant de ne pas avoir su tenir le secret plus longtemps, en détestant déjà les retombées. « C’est pas dans le contrat ça. J’me contente de vendre ce qu’on me donne, ça s’arrête là. » Tenter de rendre ses activités plus légères, c’était ce qu’il s’évertuait à faire devant sa collègue, cherchant à dédiaboliser son rôle au sein du réseau bien que Sahar était loin d’être dupe, consciente du monde dans lequel il avait plongé. Il n’était lui-même pas sûr d’avoir les épaules assez larges pour gérer les missions qu’il lui étaient confiées, peinant à gérer cette boule au ventre qu’il ressentait à chaque fois qu’il arpentait les bas fonds de Bowen, à la recherche d’âmes toutes aussi perdues que la sienne. Son malaise sembla s’accentuer lorsque la brune évoqua l’idée de confier leurs mésaventures à Oskár, avec qui l’entente ne s’était toujours pas rétablie, suite à des rumeurs concernant Sahar et lui. Parce-qu’il n’était pas franchement convaincu qu’une personne extérieure à leurs problèmes puisse leur être d’une grande aide, et encore moins s’il s’agissait de la flamme de la serveuse. « Je me méfie de tout le monde. J’parle déjà pas de mes problèmes à mes potes, tu crois vraiment que je le ferais avec des mecs qui préfèreraient me voir disparaître ? » S’il savait qu’Oskár n’en arriverait pas à cet écart de violence avec lui, Levi préférait tout de même s’en méfier, bien que son avis n’importe finalement que très peu aux yeux de Sahar. « Dis-lui si c’est ce que tu veux. » Finit-il par souffler, n’ayant de toute façon pas les moyens de l’en empêcher. Et l’épée de Damoclès, suspendue au-dessus de sa tête, n’en finissait pas de le tourmenter, en témoigna cette vibration émanant de son portable qui le rappela à ses obligations. « J’ai pas le choix, Sahar. » Lâcha-t-il, dans un souffle désespéré, conscient qu’il ne pourrait désormais plus lui demander de prendre la relève de ses services écourtés maintenant qu’elle savait dans quoi il baignait. « J’suis désolé. » Et ce fut avec l’écho de ces derniers mots qu’il lui tourna le dos, lui accordant un dernier regard avant que d’un pas pressé, sa silhouette ne finisse par disparaître dans le néant d’une ruelle sombre.