i know you're trying to fight when you feel like flying (sahar) -tw.

Qu’importe ce que pouvait en penser Sahar, Levi n’avait plus qu’un objectif en tête, quand bien même il prenait un risque immodéré, sans doute suicidaire, à se lancer dans un périple aussi dangereux. Ce n’était pas ce qui l’arrêterait, lui qui était de toute façon déjà pris en grippe par les membres du réseau depuis son agression, considérant qu’il n’avait déjà plus rien à perdre. Il était au courant de la pente glissante sur laquelle il s’était engagé, conscient qu’à chaque mètre, c’était sa vie qu’il jouait, et qu’au moindre pas de travers, tout s’effondrerait en mille morceaux. Ce n’était sans doute pas la décision la plus judicieuse qu’il ait prise de toute sa vie mais l’anglais savait au moins pourquoi il le faisait, pourquoi il se battait, se rappelant que sans Sahar, il ne respirerait plus aujourd’hui. Il avait l’air d’avoir totalement sombré Levi, de ne plus être que l’ombre de lui-même, l’avenir entaché par cette dérive presque mortelle, trop sombre pour ne laisser aucune séquelle. Il naviguait, sans savoir réellement où il allait s’échouer, se contentant simplement de rester à la surface, de maintenir sa tête hors de l’eau, au moins pour les missions à venir. Il s’était fait une seule promesse, et c’était tout ce qui le faisait encore tenir debout. Il parvenait néanmoins à comprendre le désarroi de la brune, sans pour autant partager son avis, parce-qu’il convenait du fait qu’elle ne lui avait jamais rien demandé en retour. Et Sahar, elle semblait décidée à ne pas le laisser s’enfoncer davantage, démarrant par ses mots le début d’un compte à rebours au bout duquel elle finirait par prendre les devants. « C’était différent. Je l’ai fait parce-que j’avais de bonnes raisons de le faire. Toi tu vas juste te foutre dans la merde pour rien. » Lâcha-t-il, le corps tendu, bousculé par cette nervosité qu’il laissait transparaître. « Laisse-moi une chance de te montrer que ça peut bien se passer. C’est tout ce que je te demande. » Finit-il par dire, conscient qu’il n’avait rien prouvé jusqu’ici, si ce n’est le chaos dans lequel il semblait se noyer. La tenir à distance, c’était tout ce qu’il devait à présent réussir à faire, quoiqu’il en coûte. Il soupira aux mots de Sahar, conscient que ses paroles ne reflétaient qu’une méprise assumée de son existence au profit de la sienne. « Que tu l'admettes ou non, ton appel m’a sauvé la vie. » Renchérit-il, campant sur ses positions, lui qui savait que ses chances de s’en sortir auraient été plus que maigres si Sahar n’avait pas agi aussi rapidement, lui qui avait été retrouvé au détour d’une ruelle à peine fréquentée. Elle avait été là, sans doute au pire moment, n’oubliant pas le fait qu’elle ait veillé sur lui une nuit entière, pour simplement s’assurer qu’il était hors de danger. Ça n’avait peut-être pas de valeur aux yeux de la serveuse mais ça en avait aux siens, plus qu’elle ne pourrait l’imaginer. Et dans sa tête, ça avait marqué un tournant, l’existence de Sahar prenant une toute autre signification à ses yeux. « T’es encore plus tordue que j’le pensais. » S’amusa-t-il, elle qui devait sûrement se douter qu’il ne serait jamais capable d’en arriver là, même dans le désespoir le plus total. Presque soulagé de la voir enfin briser la glace, il la suivit du regard lorsqu’elle se décida enfin à prendre place face au comptoir, en profitant de son côté pour entamer un nouveau verre de liqueur ambrée. « On dirait bien que j’vais devoir commencer à me méfier de toi. » Conclut-il, sur le même ton qu’elle, entre le sérieux et la dérision, deux aspects qu’ils semblaient maîtriser à merveille. « Les services ont pas été trop ennuyants sans moi ? » Se risqua-t-il à dire, s’attendant à une riposte presque immédiate de son interlocutrice.

Peut-être que si les rôles avaient été inversés, Sahar aurait compris ce qui animait à ce point Levi et le guidait jusque dans l’irraisonnable. Sans doute aurait-elle pu, elle aussi, éprouver ce sentiment d’être redevable, si sa vie avait été mise en danger de la même manière. Peut-être que ça ne changerait rien, que ça n’améliorerait pas la situation, mais Levi, il n’était maintenant plus capable de reculer, ayant déjà désamorcé la bombe en se rendant à ses ravisseurs. C’était d’ailleurs ce que lui reprochait la serveuse, de s’être permis ce sacrifice sans même lui en parler, même s’il savait en réalité que sa décision aurait été la même, quoiqu’elle en pense. En le lui cachant, il s’était sûrement protégé un tant soit peu de ses jugements, de ses tentatives pour le faire davantage réfléchir alors que tout l’était déjà, les mêmes auxquelles il faisait à présent face, maintenant que Sahar détenait la vérité. Il aurait pu deviner chacun de ses mots, elle qui ne semblait pas saisir pourquoi Levi se démenait autant pour la sortir d’affaires, secouant sa tête de droit à gauche aux mots de la brune. « Pense c’que tu veux. Je sais pourquoi je l’ai fait. C’est tout ce qui compte. » Conclut-il, conscient que leurs avis sur la question ne changeraient pas, que chacun avait l’intention de camper sur ses positions, quoiqu’il en coûte. « J’suis vivant. Tu l’es aussi. C’était ce que je cherchais, le reste m’importe peu. » Reprit-il, omettant volontairement de s’attarder sur les conséquences de son choix, sur les répercussions que ce nouveau quotidien avait sur sa vie, sur son avenir et même sur son état psychologique. Evidemment que les choses auraient pu être faites autrement, qu’il aurait pu mieux s’en sortir, mais l’admettre lui paraissait encore trop difficile. Parce-qu’il avait capitulé à la première occasion, au premier piège tendu, sans savoir dans quoi il s’embarquait, lui qui n’avait vu que l’opportunité de sauver Sahar des griffes de ces hommes sans pitié. L’un comme l’autre, ils avaient fini par comprendre qu’il ne servait plus à rien de renchérir sur le sujet, que leurs points de vue seraient éternellement voués à diverger, que la mésentente n’avait aucune chance de s’évaporer. Et après ces échanges encore houleux, Levi, il n’aurait jamais cru pouvoir décrocher un sourire à Sahar, satisfait de voir qu’il restait encore autre chose que de la réticence entre eux. « J’aurais dû m’en douter dés le départ. » La chercha-t-il, d’un air taquin, plissant les yeux, comme pour exagérer un sentiment suspicieux à son égard. Ironique, lorsque l’on savait que c’était surtout lui le fauteur de trouble dans l’histoire. Entamant un énième verre, il observa Sahar se rapprocher du comptoir, et de lui par la même occasion, pour la première fois depuis qu’elle avait passé les portes du Wojna’s. Il n’aurait su expliquer ce soulagement qui traversa son épiderme, lui qui comprenait qu’il accordait certainement de l’importance à la manière dont le voyait la serveuse. « Je prends note. J’devrais pas tarder à me faire virer du Wojna’s de toute façon. » Lâcha-t-il, la dérision au bord des lèvres, sous-entendant que ses virées nocturnes lui avaient au moins permis de prendre ses distances vis-à-vis d’elle. Les muscles affaiblis par l’épuisement constant, il s’accouda contre le comptoir, sa main lui servant comme appui pour sa tête alors que ses yeux valsèrent entre sa boisson et son interlocutrice. « Tu vois que j’ai pas que des défauts finalement… » Rétorqua-t-il, pas franchement étonné que Sahar ne parvienne pas à gratter des verres aux collègues qui prenaient sa relève, eux qui étaient du genre à suivre les règles imposées. Absorbé par la précieuse liqueur qu’il faisait valser dans son contenant, Levi redressa finalement les yeux à l’aveu de Sahar, captant la fumée qui s’échappait d’entre ses lèvres. « T’as Oskár, non ? Pourquoi tu partirais ? » Demanda-t-il, sans se demander si sa question était intrusive et si Sahar aurait seulement envie d'y répondre.

Levi, il voulait croire qu’il ne s’était pas trompé en accordant sa confiance aux membres du réseau, se forçant à penser qu’il avait eu raison de le faire, que la finalité en valait le coup. Il savait au fond ce que Sahar en penserait, elle qui ne manqua d’ailleurs pas de le réprimander d’avoir usé d’autant de naïveté, d’avoir cru que ces hommes là leur laisseraient la vie sauve. Et elle avait beau s’entêter à le mettre en garde, à lui faire comprendre par tous les moyens qu’ils finiraient quand même par avoir des ennuis, Levi continuait d’assumer ses choix, n’en regrettant aucun d’entre eux. Il était évident que la serveuse pointerait du doigt son état physique pour appuyer ses dires, parce-qu’il était vrai que l’anglais n’avait pas la meilleure mine qui soit, lui dont le rythme ne s’arrêtait presque jamais ces derniers temps, creusant les traits de son visage. « J’allais te dire la même chose. » Lâcha-t-il, renvoyant la balle dans son camp, se permettant de scruter le visage de sa collègue qui ne paraissait pas réellement en meilleure forme que lui. Et s’il continuait de faire la sourde oreille, Levi avait pourtant une idée des raisons pour lesquelles la brune paraissait aussi livide, presque morose. Sahar ne tarda d’ailleurs pas à le lui confirmer en lui imposant cet ultimatum clair, sans bavures, qui ne visait qu’à faire échouer ses plans, l’obligeant à tout remettre en question. Parce-qu’elle savait bien que ça irait à l’encontre même des raisons pour lesquelles il s’était immiscé dans le réseau, et que par conséquence, cette menace le dissuaderait de continuer ses missions nocturnes. Pour le moment, il tentait de ne pas trop songer à cette bombe à retardement que Sahar venait de lancer, espérant au fond qu’elle n’irait pas jusqu’à se rendre aux mains de leurs bourreaux simplement pour l’arrêter dans sa course folle. Contre toute attente, les reproches laissèrent leur place à une atmosphère bien moins pesante, la tension environnante se faisant moins lourde, comme s’ils s’autorisaient à lâcher prise, au moins pour les minutes à venir. « Comme quoi, on devrait pas se fier aux apparences. » Conclut-il, poursuivant leurs pensées mutuelles avec un sarcasme à peine dissimulé. Il ne fut pas déçu par les ripostes de sa collègue, elle qui n’était jamais en reste lorsqu’il s’agissait de le piquer avec subtilité et finesse. Levi savait que sur la durée, ses absences non justifiées au Wojna’s finiraient par le rattraper, conscient qu’il ne trouverait aucune excuse pour le sauver d’un licenciement. « Tu m’envies finalement ? » Lâcha-t-il, un sourire en coin ne semblant pas quitter ses lèvres, qu’il humidifia avec la boisson alcoolisée, gardant un œil sur la brune ayant pris place face à lui. Même s’ils ne se connaissaient pas par cœur, les habitudes s’étaient vite installées lorsqu’ils travaillaient ensemble, eux qui avaient su se comprendre sans même avoir à échanger le moindre mot. « Il me ferait presque plaisir ce compliment. » Remarqua-t-il, avec un haussement d’épaules, lui qui gardait évidemment en tête que les verres qu’il disposait sur le comptoir lors de leurs services communs étaient l’unique raison de cette remarque positive à son égard. Son attention se reporta sur elle à son aveu concernant son avenir dans la rhumerie, lisant sans mal un malaise profond émanant de ses paroles, se taisant pour la laisser poursuivre. « Tente ta chance ailleurs alors. » Conclut-il, bien conscient que ça ne devait pas être le premier à le lui dire même s’il se doutait que ça n’était pas aussi simple qu’il n’en paraissait. « Si y’a rien qui te retient ici, pars. Arrête le massacre. » Prendre la fuite au moment le plus critique, Levi y était habitué, lui qui s’était enfui à l’autre bout du monde un bon nombre de fois, échappant à son destin pour écrire sa propre réalité. Il marqua une pause à la demande de la brune, comme suspicieux sur ses intentions, avant que sa main ne vienne finalement plonger dans le fond de sa poche pour en sortir quelques pochons transparents, déposés nonchalamment sur le comptoir. « T’as envie de quelque chose ? » Souffla-t-il, en désignant des yeux le peu de marchandises qu’il lui restait après les transactions de la nuit.

Il ne voulait pas être à l’origine de sa descente aux enfers, refusant d’endosser ce rôle qui ne lui ressemblait pas, qui lui renvoyait un reflet qu’il n’était pas capable d’assumer. C’était pour cette raison qu’il s’était rendu de lui-même aux mains de ses ravisseurs, sans avoir à s’expliquer longuement sur ses intentions. Le pacte avait été scellé, comme ça, en un battement de cils, liant son destin à celui d’hommes qui comme lui, n’avaient plus rien à perdre. Et il avait pensé pouvoir préserver ce deal dans l’ombre, jusqu’à ce que Sahar ne mette le doigt sur ses manigances, comprenant l’origine de ses absences derrière le comptoir du Wojna’s. Il avait su par avance qu’elle ne l’accepterait pas, qu’elle ferait en sorte de mettre fin à cette dégringolade dans le néant qui finirait tôt ou tard par avoir raison de lui. Et c’était la dernière chose que Levi aurait souhaité, puisque c’était la raison même de son combat, celui qui visait à protéger Sahar du mal qui rôdait en permanence autour d’eux. Sans doute aurait-il préféré continuer d’y sombrer seul, sans que la brune n’intervienne d’une quelconque manière, comprenant sans trop de mal à travers ses mots qu’elle n’avait aucunement l’intention de le laisser poursuivre son chemin au milieu du chaos. S’il la dissimulait du mieux qu’il le pouvait, la crainte semblait pourtant s’insinuer à travers chaque centimètre de son épiderme, tourmentant son âme, lui qui se retrouvait maintenant coincé face à l’ultimatum de Sahar. L’un comme l’autre, ils constataient les dégâts provoqués par les dernières déconvenues, leurs traits rongés par l’inquiétude et l’épuisement, par la menace constante qui pouvait s’abattre sur eux à tout instant. Les mots de Sahar lui décrochèrent un rictus, conscient que rien n’aurait pu laisser présager que lui, puisse être lié à une affaire aussi sombre. Il s’était vu chuter lentement, sans trouver le moyen de se rattraper, sautant le pas en s’abreuvant de substances en tout genre aux côtés de Sahar. « Tu trouves ? » Lâcha-t-il, presque sous la forme d’une rhétorique, sachant pertinemment qu’il n’avait pas l’allure de ces types qui vendaient de la came dans les ruelles sombres de la ville. Levi, il se distinguait de par son apparence, et sans doute que ses nouveaux patrons y avaient vu une opportunité en l’engageant. « Dis comme ça, c’est vrai qu’on me croirait presque chanceux. » Souffla-t-il, un sourcil arqué, jouant habilement avec la situation bien qu’ils savaient pourtant parfaitement à quel point il était préférable de rester éloignés le plus possible de ce milieu sans scrupules. Parce-qu’il était évident que Levi ne se pensait pas privilégié, bien au contraire, lui qui peinait à respirer sans avoir l’impression de suffoquer, redoutant que le sol ne finisse par s’effondrer à chacun de ses pas dans cet inconnu infernal. « T’en fais pas, c’était pas prévu que je m’y habitue. » La taquina-t-il au passage, son regard trouvant celui de son interlocutrice qui trouva refuge face au comptoir. Levi, il avait aisément deviné sur le visage de la brune ce désespoir qu’elle semblait déplorer, à l’idée de perdurer au Wojna’s, au milieu de ces âmes sans vie à la recherche d’abandon. Lui-même n’avait jamais eu l’intention d’y écrire un quelconque avenir, ne s’y étant jamais réellement senti à sa place, ayant toujours considéré cette période comme transitoire. La demande de Sahar le sortit un instant de ses pensées, comprenant rapidement les sous-entendus de son interrogation, appuyés par cette lueur qui traversa ses iris lorsque Levi déposa sur le bois le reste de ses ventes de la soirée. Il ne suffit d’ailleurs que d’un seul regard, à peine appuyé, pour que la brune ait la réponse à sa question concernant la substance en question, un signe de tête l’incitant à venir étaler sur le comptoir le poison désiré. « A toi l’honneur. » Lâcha-t-il, comprenant qu’ils allaient faire un pas de plus vers le néant, sans la moindre hésitation.

Peut-être qu’au final, ils auraient dû s’en tenir à de simples échanges professionnels, sans ne jamais mêler leur attirance mutuelle pour l’abandon. Peut-être que Levi, il aurait dû écouter les mises en garde de la brune depuis le départ, celles qui s’étaient évertuées à lui prouver que le monde qu’elle fréquentait n’avait rien d’idyllique, qu’il finirait par y trébucher et ne plus savoir comment en sortir. Sauf que Sahar, elle n’était pas responsable de sa descente aux enfers, elle s’était simplement pliée à ses demandes insistantes, l’aidant à se procurer les poisons tant désirés. S’il pensait avoir encore un minimum de contrôle, Levi s’était bien rendu compte depuis quelques semaines, presque mois, que sa consommation était devenue excessive, qu’il s’endormait et se réveillait la plupart du temps sans savoir dans quel état il était rentré la veille, ni dans quel coin malfamé il avait terminé sa soirée. Il s’enfermait dans cette routine malsaine, devenant prisonnier de ses propres habitudes, peinant à repousser les tentations qui tournoyaient constamment autour de lui, d’autant plus depuis qu’il les côtoyait chaque soir. Il le savait Levi, du plus profond de son être, qu’il était tombé bien bas, et qu’il n’était même plus sûr de pouvoir un jour sortir de cette zone d’ombre qui lui paraissait infinie, et sans la moindre issue. Alors, il se contentait d’errer comme une âme en quête de lumière, se forçant à rester debout, à garder un semblant de rythme alors que tout semblait s’écrouler autour de lui. Et Sahar, elle était sans doute la première à l’avoir compris, au moment même où leurs regards s’étaient croisés ce soir, confrontant cette réalité qu’il cherchait encore à dissimuler. Sauf qu’à elle, Levi n’était pas franchement dans la capacité de lui mentir, conscient que ça ne servirait à rien, la brune connaissant déjà la vérité. « J’ai pas toujours été comme ça. » Finit-il par dire, comme s’il cherchait à se dédouaner, à éloigner cette image aux reflets trop sombres pour être assumés. Il ne  savait d’ailleurs pas pourquoi il cherchait tant à se justifier auprès de Sahar, elle qui n’avait jamais émis le moindre jugement quant à cette façade lissée qu’il arborait pour brouiller les pistes. Sans doute se voilait-il la face, à imaginer qu’il n’avait pas totalement plongé dans cet univers macabre, qu’il avait encore un semblant de contrôle sur la situation. C’était en tout cas ce qu’il s’entêtait à imaginer, pour ne pas avoir l’impression de s’être totalement noyé. Laissant finalement cette hésitation apparente de côté, Sahar s’était enfin approchée du comptoir, faisant un pas en sa direction pour la première fois lors de cette soirée clandestine au Wojna’s. Et rapidement, le sujet dérapa sur l’inévitable, la brune s’intéressant aux invendus de la soirée, celles qu’il avait pour habitude de dissimuler dans le fond de sa poche. Il aurait pu parier que l’appel des substances finirait par ressurgir, presque trop naturellement, tourmentant l’âme de Sahar autant que la sienne. Et Levi, il ne s’était pas fait prier pour dévoiler le contenu de sa poche, l’étalant face aux yeux intéressés de la serveuse, lui qui aurait pu repérer de loin l’éclat soudain valsant dans ses iris à la vue du trésor déployé. Il l’avait laissé choisir parmi les pochons restants, l’observant jeter son dévolu sur l’un d’entre eux, un signe de tête lui confirmant qu’il suivrait ses pas. Sans un mot, apportant une nouvelle fois son verre à ses lèvres, l’anglais laissa Sahar disposer la poudre blanche sur le comptoir, arrangée en lignes droites, la regardant passer à l’acte. « T’en fais pas. T’auras qu’à me laisser sur une banquette si jamais. » Se moqua-t-il de lui-même, se rapprochant à son tour de la boiserie pour s’envoyer un rail sous les yeux de sa partenaire de débauche, ses doigts venant balayer le surplus de poudre au niveau de son nez. « J’suis pas du genre à m’enfiler tous les invendus si jamais c’est ce que tu penses. » Lâcha-t-il, roulant des yeux face à l’accusation de la brune. « Mais j’vois que je suscite soudainement un peu plus d’intérêt à tes yeux. » Constata-t-il, son air narquois s’accompagnant d’un léger mouvement d’épaules, reposant le billet roulé face à eux, laissant la possibilité à Sahar de prendre le relai.

Il ignorait pourquoi soudainement, l’avis de Sahar semblait lui importer, lui qui n’avait pourtant jamais accordé la moindre importance à l’image qu’il renvoyait, ni à ce que le monde pouvait penser de lui. C’était ce reflet, mi désespéré, mi macabre, qu’il peinait à supporter ces derniers temps, comme s’il avait conscience que cette image ne lui ressemblait en aucun cas, qu’il avait l’impression de jouer à être quelqu’un d’autre. Et peut-être qu’il perdait son temps à essayer de faire savoir à la brune qu’il n’était pas l’homme qu’il prétendait être, comme pour justifier cette chute libre dont il ne voyait plus la fin. Personne n’était à blâmer, encore moins Sahar qui ne lui avait jamais demandé une quelconque aide, Levi ayant décidé seul de m’immiscer au cœur du réseau. « J’veux dire que tout ça, ça me ressemble pas. » Souffla-t-il, les mots de la serveuse résonnant jusque dans les fêlures de son âme, prenant conscience de ce visage que Sahar interprétait et des souffrances qu’il ne parvenait visiblement plus à dissimuler. « J’crois que je serais même pas un peu crédible. » Répondit-il, face aux remarques de la brune concernant cette appartenance à ce milieu qu’il fréquentait pour la première fois, peinant à croire qu’il avait un avenir tracé dans la noirceur du réseau. Il le savait pourtant, que les jugements de Sahar n’étaient voués qu’à le faire douter de la légitimité de sa démarche, elle qui tentait par tous les moyens de le détourner du chemin sur lequel il divaguait, perdant l’équilibre à chaque pas posé. Lui-même était incapable de prédire ce qu’il adviendrait de lui, ni combien de temps il tiendrait encore, jusqu’à ce que la corde ne finisse par rompre. « Par contre toi, tu serais assez rusée pour ça. Ça m’étonne même qu’ils t’aient jamais proposé de les rejoindre. » Balança-t-il, retournant habilement la situation, bien qu’en réalité, il n’était aucunement au courant des précédentes activités de Sahar. Après tout, c’était bien elle qui avait été son premier lien avec ces hommes de l’ombre, ignorant la façon dont leurs chemins s’étaient croisés. Parce-qu’il était évident que Sahar fréquentait ce milieu depuis plus longtemps que lui, elle qui lui avait déjà fait part, lors de leurs virées nocturnes, de cet enfer persistant dans lequel elle s’était enfouie depuis des années, trouvant son refuge dans une consommation excessive de ces substances empoisonnées. Il avait compris Levi, à travers le regard presque illuminé de la brune, que le contenu de sa poche avait de quoi susciter son intérêt, lui exposant ce qu’il lui restait de la soirée de ventes. Et en un regard, d’un simple commun accord, ils s’apprêtèrent à passer à l’acte, sur le lieu même de leur travail, n’ayant chacun visiblement aucune limite lorsqu’il s’agissait de s’adonner à leurs envies les plus destructrices. « C’est pas une mauvaise idée, ouais. » Rétorqua-t-il, sur le même ton que son interlocutrice, se penchant finalement sur le comptoir pour inhaler la poudre blanche, synonyme d’euphorie pour les heures à venir. « Autant j’crains pas grand chose quand j’me sers dans les stocks du Wojna’s, autant là, j’fais un peu plus gaffe. » Parce-qu’il savait exactement ce qu’il risquait si ses patrons le soupçonnaient d’écouler la marchandise pour sa propre consommation. « J’pensais surtout pas que tu puisses avoir envie de passer le moindre moment avec moi. » Lâcha-t-il, suivi d’un haussement d’épaules, conscient que c’était avant tout parce-qu’il possédait les précieuses substances que Sahar avait décidé de prolonger leur entrevue. Il l’observa faire disparaître la seconde lignée de poudre, restant silencieux à sa remarque qui paraissait plus qu’évidente. Il absorba sans plus attendre le précieux poison, entre culpabilité et excitation, cédant une énième fois à l’appel de l’abandon. « Si tu veux recommencer, une prochaine fois, le mieux c’est qu’on fasse ça autre part qu’ici. » Dit-il, l’air de rien, invitant sans la moindre hésitation Sahar à replonger dans les abysses avec lui, avec cette étrange impression que les rôles s’étaient inversés.

Il n’était pas sûr lui non plus, de pouvoir totalement expliquer pourquoi sauver Sahar lui tenait tant à cœur, se surprenant à faire passer l’existence de la brune avant la sienne. Il savait qu’il aurait pu continuer son quotidien sans se soucier du reste, jusqu’à ce que ses ravisseurs n’en décident autrement. C’était lui qui avait pris le taureau par les cornes, se jetant à corps perdu dans la gueule du loup, contre toute attente, décidant d’assumer ses responsabilités. Parce-qu’il continuait de clamer que Sahar n’avait pas à payer à cause de lui, elle qui s’était simplement retrouvée au milieu de ce cauchemar sans le vouloir. Pour lui, il était légitime de vouloir la protéger, quand bien même il était l’unique responsable de cet ouragan qui s’était abattu sur eux. Levi, il commençait à connaître suffisamment Sahar pour savoir qu’elle ne mâchait pas ses mots, que la plupart de ses paroles étaient expiées sans le moindre filtre, parfois animées d’un sarcasme bien spécifique à sa personnalité. « J’sais pas si j’dois le prendre comme un compliment là. » Lâcha-t-il, plus franchement étonné par les remarques fusantes et cinglantes de Sahar, qui ne manquait jamais une occasion pour dire ce qu’elle pensait, que ses idées puissent plaire ou non. « Tu serais venue toquer à ma porte ? » La chercha-t-il, décidant de lui renvoyer la pareille, la chambrant sur un sujet qu’il savait sans doute trop sensible, elle qui partageait déjà sa vie avec l’un de leurs collègues, conscient qu’elle ne franchirait jamais aucune limite de ce côté-là. Avec Sahar, Levi se contentait souvent d’esquiver les balles perdues qu’elle envoyait les unes derrière les autres, apprenant avec le temps à ne pas prendre trop à cœur chacune de ses réflexions. « Etrange. Si j’étais eux, j’crois que j’aurais déjà fait appel à toi. » Lâcha-t-il, sans s’attarder davantage sur le sujet. Levi n’avait aucunement l’intention de s’attarder sur des réflexions intrusives, lui qui n’était dans tous les cas que très mal placé pour donner son avis sur un sujet aussi délicat. Sans transition, ils se laissèrent tenter par leurs envies les plus viles, lorsque Levi déposa ses invendus de la soirée, laissant la possibilité à Sahar de choisir parmi les poisons exposés. Il ne fut d’ailleurs pas surpris de la voir rapidement jeter son dévolu sur l’un d’entre eux, préparant dans la foulée les lignées de poudre blanche qui égayeraient leurs sens, berçant leurs âmes d’illusions jusqu’au petit matin. L’un derrière l’autre, ils laissèrent leurs organismes s’imprégner de la-dite substance, attendant d’en percevoir les premiers effets, aussi libérateurs que destructeurs. « Je t’avoue que j’ai pas envie de risquer le diable. » Parce-qu’il était évident que la sanction n’en serait que plus dévastatrice, lui qui osait à peine imaginer de quoi ses supérieurs seraient capables s’ils émettaient le moindre soupçon à son égard. « T’avais pas besoin de le confirmer pour que je le sache. » S’amusa-t-il, un sourire étirant le coin de ses lèvres, alors qu’il finissait d’assimiler la poudre blanche dont il balaya le surplus au niveau de ses narines, fermant un instant les yeux pour ressentir chaque sensation. Il arqua un sourcil à la rhétorique de la brune, roulant des yeux à son sous-entendu. « T’oublies sûrement que y’a des caméras dans le coin. On ferait mieux d’éviter de finir en taule, tu penses pas ? » Lâcha-t-il, omettant le fait qu’ils perdraient tous les deux leurs postes pour faute grave, eux qui n’auraient déjà pas dû pénétrer le bar à une heure aussi tardive. « Mais t’as sûrement pas envie de me suivre dans tous les cas. » Avança-t-il, la peau soudainement réchauffée par les premiers effets ressentis, ses pupilles s’assombrissant, adoptant cette dilatation caractéristique. « Comment tu te sens…? » Demanda-t-il, dans un souffle, son regard détaillant le sien, comme s’il pouvait y lire les mêmes émotions qui le traversaient, parcourant l’intégralité de son épiderme.