wanna be a model ? (thad)

Plusieurs jours que tu es amenée à observer les surfeurs du coin. Plusieurs jours que tu cherches à comprendre comment ils font. Plusieurs jours que tu as même mis de côté ton jogging du matin censé t’extirper de ton sommeil. Toi et ton équilibre quelque peu défectueux n’avez toujours pas compris depuis ton arrivée en Australie. Tu as essayé de t’en approcher discrètement en faisant ton jogging, mais pas moyen de trouver ce sport humain. Et maintenant, on t’a demandé de faire ces fichues illustrations pour un prochain livre. Et voilà pourquoi tu fais des dessins pas terribles pour le moment. À ton avis, l’auteur doit avoir les idées pour pondre quelque chose de ce style et tu détestes la personne qui t’a recommandée.

Il y a bien les amis de Perry qui surfent et à qui tu pourrais demander un coup de main, mais t’as franchement envie de te débrouiller seule pour une fois. En plus, il se risquerait à faire des sous entendus avec des conseils de drague et compagnie. Et puis finalement tu repenses à ce type, que tu ne connais ni d’Ève, ni d’Adam, et à qui tu pourrais toujours demander des conseils. Tu le croises rapidement tous les matins, peut-être bien en ville aussi, qui sait. Tu ne lui as jamais adressé la parole jusque là, mais il ne semble pas particulièrement méchant, du genre capable à bouffer la pauvre fille que tu es, même si ta requête n'est pas particulièrement glorifiante. Aujourd’hui, tu comptes bien prendre ton courage à deux mains. Tiens quand on parle du loup, monsieur vient de sortir de l’eau. Tu te lèves à toute vitesse et te diriges vers lui. Pas affirmé. « Hey, heeeeeeeeeeeey. Excusez moi, vous n’auriez pas deux minutes devant vous ? » Juste deux pauvres petites minutes. Ça c’est l’approche numéro un. Tu gardes l’approche numéro deux, avec les yeux de chat auquel on ne peut pas dire non, pas très loin de toi, au cas où.

Tu as même le droit à un sourire amical d’un type dont tu ignores toujours l’identité. Ça ne commence pas trop mal, tu oublies aussitôt la seconde approche. Tu as même le droit à une touche d’humour. Tu écarquilles les yeux, pas trop certaine d’avoir compris. Tu remercies ta bonne étoile du jour et continues sur sa lancée. « Merde moi qui pensait avoir à faire avec le dieu local, demander ce fameux autographe, laisser le temps passer un peu, puis toucher le jackpot. » Tu prends cet air un peu déçu, levant même les yeux au ciel, avant de sourire. « Attends, tu as déjà essayé ou cherché sur ebay ? » Tu arques un sourcil, limite en train de le croire sérieusement, puis soupire. Il serait temps que tu ailles droit au but, il ne te reste plus vraiment de temps techniquement parlant. « En fait, je dois faire ces dessins. Et disons qu’en matière de surf.. plus novice que moi, ça ne doit pas exister » Tu hausses les épaules. « Du coup, je sais pas comment m’y prendre. » Tu as ce sourire un peu crispé. « Tu crois qu’un coup de main serait possible ? » Et là, tu regardes autour de toi. Un stand avec ce qui doit être ses affaires. T’es un peu à côté de la plaque : il bosse ici. Du genre moniteur ou quelque chose de ce style. Tu ne traînes pas tant que cela sur la plage en plein après midi. C’est certainement pour ça que tu as pensé, une seconde, qu’il serait disponible. En fait, c’était peut être pas une si bonne idée de t’adresser à lui. S’il bosse ici, tu crains qu’il se mette en tête de te faire tenir sur cette… chose. Tu reluques sa planche comme si elle venait d’une autre dimension. Tu déglutis et repose ton regard sur lui. « C’est Poppy, au passage. »

Bon admettons qu’il soit le dieu local, il pourrait très bien être un dieu national préférant rester dans cette adorable petite ville. Tu ne relèves pas pour autant et te contente d’un simple rictus, pour cette dernière pensée, mais également sur ton manque d’explication. C’est vrai que ce n’était pas très explicite comme présentation. Tu cherches comment reformuler ton idée tout en l’écoutant. Tu lèves les yeux sur le jeu avec ton nom. Donc ça va être comme ça tout le temps maintenant ? Tu t’esclaffes. « Un vrai nom de surfeuse », carrément ouais. Tu l’accompagnes dans son rire. Tu n’aurais jamais imaginé que votre conversation commence ainsi. Ce qui n’est peut-être plus mal dans le fond. Pour ce qui est du prénom, Thad, tu acquiesces et essayes de noter ça dans un coin de ta tête : pas question de l’appeler BG brun de vive voix, à partir de maintenant, même si ça lui va plutôt bien. « Disons que toi tu surfes, tu connais la technique et moi je dessine, mais j’ai pas envie de passer pour une imbécile auprès de mon patron, même si c’est un bouquin pour des gosses. C’est là où tu interviens. En gros, tu vas contribuer à la crédibilité des dessins. » Un sourire un peu crispé comme si ta vie en dépendait… Non c’est carrément ça en réalité. Tu ajoutes rapidement, « et tu pourrais me sauver la vie, en quelques sortes. Tu servirais de modèle par la même occasion. » Quitte à ce que Thad accepte, tu flattes (et test par la même occasion) un peu son égo. Après tout, tu restes encore un peu (beaucoup) Texane dans le fond alors en dehors de faire des dessins d’observation, tu ne sais pas faire quoique ce soit en rapport avec ce sport national et pas question de laisser ce projet te passer sous le nez. Non pas que tu te lasses des enfants, mais si ça te permettait de faire autre chose ce ne serait pas plus mal.

Tu souris à sa remarque à propos de sa bonne conscience. Ça marche à tous les coups ça aussi, comme les yeux de chaton trop mignon, sans le foutage de gueule qui suit. D’autant plus que ton surnom-nom d’artiste ne prête pas vraiment à quelque chose de sérieux. « Ça me va. Et si jamais tu changes d’avis, je pourrai toujours te remercier avec une bière, ou peu importe ce que tu bois en fin de journée... » Tu le prends au pied du mot quand il te demande « pas de remerciements ». De toute façon, ce n’est pas toi qui dédicace les livres. L’auteur et l’éditeur feront un petit remerciement à ton sujet, mais toi tu ne pourras rien dire sur ceux qui t’ont inspirée. Tu lèves rapidement la tête vers ton interlocuteur. Il faut croire qu’il a les mots pour capter l’attention de son public. Keanu Reeves ? Quoi ? Comment ? Où ça ? Tu as désormais des radars à la place des yeux et balayes la plage avec. Puis la déception se lit sur ton visage. Oh c’était une nouvelle blague alors ? Soupir, vrai, faux, peu importe. Cette scène est un fantasme féminin. Un peu comme Halle Berry dans James Bond pour ces messieurs. « Quoi, je n’aurai pas le droit à la scène de Keanu Reeves revisitée ? » Tu reprends plus sérieusement à ton tour. « Si ça te dérange pas, tu pourrais retourner dans l’eau ? Comme ça je fais quelques croquis avant que les clients arrivent. » Après tout, tu n’as encore rien dessiné jusque là, alors tu es prête à prendre tout ce qu’il te propose en fonction de son travail. La plage étant encore vide de ses touristes, autant en profiter. « Je te suis, maintenant. » Pas trop comme une esclave, cependant.

Tu as presque eu des étoiles dans les yeux quand il t’a, plus ou moins, assuré qu’il essaierait d’imiter Keanu Reeves. Fantasme féminin, vous disais-je. Enfin, tu ne dois pas trop t’enflammer non plus. Car si tu prends bien sa volonté de retourner dans l’eau, tu te vexes un peu en entendant son… excuse. L’intention n’est peut-être pas mauvaise, mais la formulation est maladroite. Chiante. Ennuyante. Deux mots qu’il est tout sauf conseillé de mettre dans la même phrase lorsque l’on s’adresse à une femme, jeune ou… plus âgée. Tu ne relèves pas, t’es vexée. Pour en revenir à ce que tu aimes faire, dans l’immédiat, tu préfèrerais faire comme Perry et profiter de l’argent de votre famille avec la conscience tranquille et te prélasser au lit avec un homme, un vrai ou à la rigueur un type rencontré dans un bar la veille – si tu en étais capable évidemment – et non avec le chat, colocataire à part entière, de l’appartement 17.

Pendant que monsieur le charmant professeur de surf retourne dans l’eau, tu t’approches du bord avec ton carnet. Tu t’installes le plus près possible, mais pas trop. Tu auras l’arrière train un peu humide, mais ça vaudra certainement le coup. Pour la qualité de tes dessins, mais d’un autre côté tu finis toujours extasiée quand tu les observes pendant ton jogging. Tu finiras encore extasiée aujourd’hui.

Tu as repéré les étapes essentielles qui te sont nécessaires pour ton travail. Tu as l’équivalent d’un storyboard et t’es plutôt satisfaite de toi d’en avoir autant « retenu » en si peu de temps. Tu remercies ces petites minutes que tu t’accords chaque jour pour les observer, pour l’observer aussi. Tu ne l’appelles pas pour qu’il revienne et s’occupe de son stand. D’une part, il ne t’entendra pas. D’autre part, il semble dans son élément. Tu te prends également au jeu. Tu n’as pas forcément tous les croquis dont tu as besoin, mais Thad semble tellement dans son élément naturel qu’il pourrait ne pas revenir sur terre dans l’immédiat. Tu poses ton carnet sur ton sac et te lèves. Tu applaudis et cries ce qui s’avère être un « whouhou » d’encouragement, peu importe si les autres habitués vont te prendre pour une groupie.

Tu manques de mourir de rire avec son imitation, mais parvient à étouffer un peu tout ça. C’est à la fois parfaitement joué, mais ridicule en même temps, parce que physiquement c’est pas encore ça. Mais il a osé le faire. Toi qui voyais uniquement un côté solitaire et froid chez Thad ces derniers jours, tu t’es bien plantée. Tu gardes l’image en tête pour un dessin souvenir que tu lui donneras plus tard. « J’ai ce qu’il me faut. Il me reste plus qu’à faire ça propre et tu pourras toujours corriger avant que je les rende. Ça te dérangerait pas trop ? » À force de solliciter son temps libre, tu te dis que tu vas devoir lui offrir un second verre à ce rythme. Le voyant hésiter sur Dieu sait quoi tu fronces les sourcils. Chiante et ennuyante te reviennent en tête. Puis tu changes radicalement de tête suite à sa proposition. T’essayer au surf ou faire un tour de jet ski. Ma vieille, tu t’es vraiment trompée sur toute la ligne. Tu acquiesces, sans avoir fait ton choix. Pendant qu’il s’occupe de son stand tu pèses le pour et le contre. Si tu optes pour le surf, sport que tu as admiré depuis ton arrivée à Bowen, tu vas lui offrir la meilleure crise d’hilarité de toute sa vie, sur un plateau en argent. Quant au jet ski, c’est cool aussi, et puis il y a peut-être moins de risque que tu finisses avec un ou plusieurs bleus. Bref, c’est pas si évident comme choix. « Va pour le surf. » Parce qu’il est enfin temps d’arrêter de vivre comme une petite vieille qui reste à l’abris de n’importe quelle forme de prise de risque. En espérant que tu puisses remettre à un autre jour le tour en jet ski. Ton humilité va en prendre un coup, aujourd’hui.

Tu notes dans un coin de ta tête tout ce qu’il te dit, parce que t’as beau les observer chaque matin l’ordre des étapes n’est pas vraiment rentré dans ta tête, d’où son coup de main – ou le fait qu’il t’ait sauvé la vie officiellement – pour tes dessins. Pousser sur tes bras une fois que t’es au dessus de la vague. D’accord. Enfin, non. Comment vas-tu t’y prendre étant donné que t’es bras sont comparables à des chamallows ? Alright. Ne panique pas encore, car le meilleur reste à venir. Parce qu’une fois que tu as tout ton poids sur tes pauvres bras, il faut gérer les jambes en même temps et tout et tout. Tu acquiesces, la gorge nouée. T’es dans la merde. « On va essayer ça. » Tu te mords la lèvre inférieure. Et retournes vers lui. « Juste avant… Tu peux rire, te foutre de ma gueule littéralement, mais pitié sois discret, me tape pas trop l’affiche. » Pour ça, tu peux déjà compter sur toi de toute façon. Tu assumes ta maladresse, mais pas besoin que toute la plage soit au courant. Autant que ça reste entre vous. Tu t’avances devant ce qui s’avère être ta planche. Elle t’impressionne mine de rien. Tu déglutis, laisses tomber ton sac à côté, mais gardes ton short ainsi que ton tee shirt sur toi pour le moment. Il ne te reste plus qu’à te lancer. C’est comme le plongeon dans le grand bain. Tu l’imites. C’est pire que sa parodie de Keanu Reeves. Tu perds l’équilibre au moment de te retrouver debout. Qu’est-ce que ça va donner une fois que tu seras sur l’eau ? Tu ne prêtes pas plus attention que cela à Thad, sinon tu vas certainement rire et tu ne seras plus capable de te reconcentrer. Tu persévères. Deuxième chute. Troisième. Et te voilà enfin sur tes deux pieds, assez stable tant qu’il ne te pousse pas ou du moins ne te touche pas. Un grand sourire de satisfaction se dessine enfin sur tes lèvres. « Tadaaaaam ! »

Un sourire se dessine sur ton visage en voyant ses pouces en l’air. Tu considères cela comme un signe de reconnaissance, signe que ce n’est pas si catastrophique que cela, signe que tu n’est peut-être pas une cause perdue. Tu ne peux pas t’empêcher de lever les yeux au ciel, pour autant. Maladroite, tendue, voire coincée, mais pas conne. « Fais attention, tu pourrais t’étouffer. J’ai pas très envie d’avoir ta mort, qui risquerait d’être douloureuse, sur ta conscience. » Ce serait comme tuer à distance et sans arme, tu pourrais ressentir une once de fierté et qui sait la justice pourrait prendre en considération cet aspect de sa mort. Mais si tu pouvais rester innocente et sans casier, ce ne serait pas plus mal. Tu soupires pour essayer de te détendre comme Thad vient de te le conseiller. Inspire. Expire. T’as pas encore pris le temps de regarder un match de rugby, alors le haka tu en as un vague souvenir à travers la presse. Quant à la seconde image… Tu exploses de rire à ton tour – ce qui n’est pas forcément un mal pour tes abdominaux – et t’écroules sur la planche. Pipi dans la nature, détendues et les jambes bien fléchies. Tu prends une nouvelle fois note même si ce sont des idées un peu contradictoires. « Okay, si je finis par arriver à tenir debout avant que tu aies du monde, tu m’emmènes faire un tour ? » Et là, tu sors enfin tes yeux de chaton-trop-mignon, parce que t’as un peu la sensation d’abuser de son temps et de sa patience. Tu lui demandes ça un peu comme si c'était ton pote alors que tu dois le connaître depuis une bonne heure à tout casser. C'est ça la magie de Bowen. Une petite ville où ses habitants ne se prennent pas tant la tête. Nouveau rituel où tu inspires profondément puis expires lentement. Ta crise de fou rire s’est belle et bien fait la malle. Tu pousses sur tes bras, puis fait passer tes jambes. Pas de chute. Un peu plus d’équilibre. La position est plus correcte aussi. T’es peut-être bien cocue dans une vie parallèle. Pauvre Poppy numéro deux. Il ne reste plus qu’à essayer sur l’eau, mais pas aujourd’hui. T’es tout sauf équipée pour.