« breathe me » Malo

Ces affreuses pensées qui me pervertissaient je me disais qu'elles allaient disparaître une fois dans le calme. Il fallait bien que je me pose de temps en temps. Je me glissais dans des fringues pourries, pour une des rares fois depuis ces derniers mois je prenais un sac et j'y glissais mon carnet à dessin et tout ce qui allait avec. Je sautais sur mon skate et m'élançais vers la forêt. C'était pas à côté de chez moi, je devais bien rouler une demi-heure avant d'arriver à destination. Mais on va dire que j'étais motivé aujourd'hui. Quand on passait son temps à vire la nuit et en totale ignorance de ce qui était "normal" on finissait par se perdre soi même. Et je savais que j'étais entrain de disparaître, mais c'était pas grave, ça allait passer. Des sales périodes j'en avais eu pleins et j'allais bien réussir à m'en sortir. La forêt se dessina enfin au loin, je savais que j'approchais du but. Les allées commencèrent à se remplir de feuillages, faisant de l'ombre au soleil. Je savais où je devais aller, m'enfonçant sur les allées bétonnées. Il ne faut pas abuser, mon skate n'était pas encore tout terrain. Et finalement je devais mettre pied à terre, m'éloignant des chemins pour me glisser vers ma petite clairière. Je me posais enfin dans l'herbe et commençais à dessiner, travaillant une fois de plus sur mon coup de crayon. Les ombres. Les détails. Mais au bout d'un moment, je me lassais de cette activité. Il me fallait quelque chose de plus vivant. De plus... réactif. Je chopais mon téléphone, faisant défiler mes contacts en fonction de qui j'avais envie de voir. Et aujourd'hui c'était Malo. "rejoins-moi à la clairière dans la forêt, besoin de toi." C'était probablement un sms bizarre mais je savais qu'il n'allait pas mal interpréter et qu'il allait se pointer. Il avait plutôt intérêt d'ailleurs.

Je perdais l'inspiration depuis un petit moment déjà. Je ne savais plus quoi dessiner et je n'arrivais plus à utiliser mon imagination. Il fallait que je travaille continuellement mon trait de crayon, les détails, tout. Je ne pouvais pas me permettre de rater un tatouage parce que j'avais arrêté de dessiner. Comme à son habitude, Malo ne répondait pas à mon message. Pourtant je ne m'inquiétais pas, je savais qu'il venait toujours me voir quand j'avais besoin de lui. Ce qui arrivait rarement, bien entendu. En général je n'avais besoin de personne. Une main finit par effleurer mon épaule, m'arrachant un frisson. De surprise, de désir, de plaisir, d'inquiétude, qui sait ? Personne, pas même moi. Oui il était là, enfin. Je lui souris, plongeant mon regard peut-être un peu trop malsain dans le sien. J'avais souvent l'impression qu'en un regard je pouvais déshabiller les gens. Malheureusement ce n'était pas vraiment le cas. « Tu veux bien me servir de modèle ? » Je savais qu'il était habitué à ce genre de choses. Et puis il était beau, un peu comme moi. Androgyne, beauté fragile, torturée. Quelqu'un qui avait vécu des trucs vrais et durs. Une personne intéressante. Je le regardais brièvement de haut en bas : il faisait toujours attention à ses fringues et ça me fit sourire, l'amusement.

Il me faisait instantanément sourire avec sa façon d'agir sans vraiment faire quoi que ce soit. Je le vois déjà ailleurs entrain de réfléchir à je ne sais quoi. Sa question sonne faux, il n'est pas vraiment intéressé. Tant pis. « Non, je veux juste que tu sois toi-même. » Et je l'observais pendant de longues secondes, me passionnant pour les traits de son visage. La courbe de ses lèvres. Je me disais à empoigner mon crayon, et je commençais à gribouiller, sans jamais vraiment m'arrêter. Pour autant je lui jetais de fréquents regards, plus ou moins long. Il était profondément inspirant, surtout quand il paraissait aussi distant. « Tu vas bien ? » Je le fixais un peu plus longtemps, un peu durement. Je voulais vraiment avoir la réponse à cette question, il m'intéressait toujours. Je le trouvais terriblement beau dans cette lumière, il avait de jolis reflets dans les yeux. Je me remis à mon dessin, je ne comptais pas y passer la journée et je réglerais les derniers détails dessus une autre fois.

Je cherchais à dessiner son expression, retrouver ce qu'il y avait en lui. Retranscrire sa douleur, son décalage. Je me contentais de sourire face à son regard. Il avait choisi de tout renfermer en lui, de pourrir de l'intérieur. C'était son problème, je n'étais pas comme ça et je ne le serais jamais. D'un côté il était brave et de l'autre dès qu'il ouvrait la bouche on aurait un enfant. Toujours hésitant, fuyant, presque timide. Je trouvais terriblement adorable, j'avais toujours envie de le serrer contre moi et de lui dire que tout irait bien. Mais ça ne marchait pas comme ça. « Si tu le dis. » Je réfléchissais cependant à sa question et eus un léger froncement de sourcil. « Je ne crois pas, à part celui-là. » Je levais le nez vers son cou. Je l'avais déjà vu cet oiseau qui voletait. Mais j'aurai bien aimé les voir tous, sous-entendu qu'il devait se déshabiller alors ça m'arrangeait. Je laissais vaguement glisser mes yeux sur lui avant de me détourner, revenant à mon dessin. C'était vague, c'était un joli brouillon disons.

Je le suivais des yeux avec un intérêt tout particulier. C'était habituel qu'on se déshabille devant moi mais lui je le trouvais particulièrement plus intéressant que les autres. Je souris en voyant cette deuxième hirondelle. Puis tous les autres qui se promenaient sur sa peau claire. « J'aime bien mais c'est un peu vide tout ça. » C'est vrai qu'il aurait pu en avoir tellement plus, il aurait été une telle gravure. Je peaufinais deux trois traits de mon dessin. Il était assez flou mais je le trouvais plutôt réussis. Du moins ça me convenait à moi. Un sourire au coin des lèvres je tendais l'objet à Malo, pressé de voir sa réaction. « Tu te trouves comment ? » On allait voir si il appréciait ma vision de lui mais aussi comment il se voyait.

Je l'écoutais avec intérêt. Et un vieux sourire en coin, amusé, étira mes lèvres. Comme si c'était important pour moi qu'une personne soit riche ou non. J'inclinais légèrement la tête, perturbé par ce qu'il pensait de lui. « Je serais toujours là. » Et c'était vrai, dans un coin de sa vie peut-être, mais j'étais toujours présent pour les gens que j'aimais. Et il en faisait indéniablement partie, quoi qu'on puisse en dire. Un nouveau sourire, de fierté surement, éclaira mon visage lorsqu'il complimenta mon dessin. « Tu es magnifique. » Et putain c'que c'était vrai !