(félix) magical hands

Pour cette quatrième journée, Woody ne faisait pas parti des participants qui allaient profiter de toutes les installations comme il l’avait été dans les derniers jours. Non, aujourd’hui, Woody était plutôt l’un des employés du site. En plus, il ne remplissait pas qu’un seul rôle. Ce matin, il était attitré aux kiosques de massage. Il attendait donc dans ces petits chapiteaux délimités par de grands voiles blancs, recevant environ un Bowenien à chaque trente minute. Étant massothérapeute certifié en plus de son diplôme en physiothérapie, les organisateurs du festival avaient sauté sur ce travailleur local qu’était Woody. Il avait accepté avec joie. En après-midi, il animait les ateliers de yoga, qui se déroulaient sur un grand espace vert avec vue sur la mer. En soirée, Woody prenait également part à la séance de méditation mais il n’animerait pas. Il n’avait pas vraiment de formation en méditation alors il avait préféré laisser la place à des gens plus habitués. Dans tous les cas, Woody n’allait pas chômer aujourd’hui. D’ailleurs, là, il était finalement en pause pour environ deux minutes encore, attendant la prochaine personne qu’il aurait à masser. Ce pouvait tout aussi bien être un homme qu’une femme, il ne choisissait pas, mais vous vous imaginerez bien quelle préférence il avait !  

Il entendit au travers du voile qui le séparait de la sorte d’aire d’attente qu’il allait avoir quelqu’un qui lui serait attitré. Woody prépara donc les derniers petits détails et posa l’huile à la massage sur la petite table pliante installée à côté du lit de massage. Il se retourna quand il entendit quelqu’un derrière lui. La tête qu’il fit quand il vit Felix, son frère. Probablement la même tête que ce dernier faisait. Woody soupira en l’entendant parler. « Sérieux, t’es vraiment venu te faire masser, là ? » Il secoua la tête. « Juste me dire salut te suffisait pas ? Faut vraiment que tu décides de venir te foutre à poil devant moi et que je te touche ? » Bon, évidemment, Felix n’avait pas besoin de se mettre nu pour recevoir le massage, heureusement d’ailleurs. Mais c’était du Woody tout craché, ça, d’exagérer les faits pour rendre la situation encore plus dramatique qu’elle ne l’était déjà. Ce n’était pas la fin du monde, certes, mais en même temps, rien qu’à l’idée de devoir poser des mains huileuses sur le dos de son petit frère et de le masser, ça le répugnait. « C’est un beau petit monsieur qui sera aux petits soins pour toi, faut croire. » Lâcha Woody en réalisant pleinement le ridicule de la situation. Au moins, si ça avait été Nevaeh, c’aurait déjà été un peu moins gênant, parce qu’il n’y aurait pas eu la dimension homosexuelle en plus de leur lien familial. Eh oui, Woody était macho à ce point-là.

Woody éclata d’un rire sincère après la réponse de son frère. Au moins, il savait comment détendre l’atmosphère et retourner une situation embarrassante en blague. Oui parce que bon, même si Woody était super ouvert, assuré et pas timide pour un sous, ce n’était pas vraiment agréable non plus d’avoir à masser son frère. Pourtant, il le faisait sur un tas de personnes pas agréables non plus – c’était l’un de ses métiers, après tout. Il se laissa donc prendre au jeu et accepta de masser son frère. « Premièrement, je crois que tu te détends un peu trop souvent, en fait. Et deuxièmement, j’espère que t’as les meilleurs potins du monde pour te racheter. Allez, couche-toi. » Lui ordonna Woody alors qu’il revirait à l’envers sa bouteille d’huile à massage et qu’il s’en versait dans le creux de sa main gauche. Il reposa la bouteille et frotta ses mains ensemble pour réchauffer un minimum l’huile. « Paraît qu’on se ressemble quand même pas mal, alors à ta place je retirerais tes paroles. » Blagua Woody, avant de poser ses mains sur le dos de son frère et d’étendre l’huile d’abord, avant de commencer à le masser. « Pas mal de trucs, en fait … Pas super joyeux … Alors dis-moi que de ton côté c’est rose et que les licornes chient des arc-en-ciel, s’il-te-plaît. » Au moins, s’il était le seul des Rutkowski à foutre sa vie sentimentale en l’air, c’était pas si mal.

« Et t’as bien raison de le faire, le frère. » Avoua Woody avec  un sourire, content de voir que son frère était encore aussi libre et détaché de toutes les pressions externes. Pour sa part, Woody avait de plus en plus de mal à le faire. Lui aussi, il y avait de cela quelques années, était exactement comme son frère ou presque. Dans la famille, ils avaient toujours été un peu clowns, je-m’en-foutistes et ridicules. Sauf que là, avec la maladie grandissante et ses amours de merde, Woody ne pouvait plus se convaincre le soir, avant d’aller dormir, que tout irait bien. Ce mensonge n’était tout d’un coup plus aussi apaisant. Bref, le jeune homme entreprit de masser son frère du mieux qu’il le pouvait, comme s’il s’agissait de n’importe quel client, mais évidemment il s’en tiendrait à son dos. Parfois, il massait les cuisses ou même les fessiers, mais là premièrement dans le cadre du festival c’était plus ou moins adéquat, et deuxièmement il ne masserait jamais le cul de son frère. Point barre.

Écartant ses propres histoires, Woody s’intéressa plutôt à celles de Felix. Elles risquaient d’être pas mal plus marrantes et distrayantes. Il écouta d’ailleurs attentivement son frère qui était parti dans un monologue explicatif. Allison, retint-il. Il n’avait jamais rencontré la nouvelle colocataire de son frère, alors au moins s’il pouvait connaître son nom ce serait un bon départ. Puis Felix parla d’une femme, Artémis, qu’il fréquentait. « Attends, wow, minute papillon. Toi ? Tu fréquentes une fille ? Genre, juste elle ? » Les Rutkowski devenaient sages, dites donc. Enfin, Woody plus ou moins, depuis quelques semaines. Mais bon.
 

Woody savait que son frère n’était jamais à l’aise quand venait le temps de parler de problèmes, et il ne lui en tenait pas rigueur. Il avait d’autres oreilles à qui parler, si jamais. Enfin, maintenant que Freja faisait partie intégrante de ses « problèmes », c’était plus difficile de se confier, parce qu’elle était carrément sa confidente. Il y avait toujours Nevaeh, qui, pour les sujets concernant les amours, était toujours prête à aider ses frères. Nevaeh adorait quand ses frères avaient des potins de cœur. Elle se sentait toute importante de pouvoir les conseiller sur un sujet qu’elle maîtrisait : les femmes. Enfin, parce qu’elle en était une, hein. Pour le reste, Woody ne voulait pas savoir, même s’il avait ses doutes. Bref, plutôt que de s’attarder sur Woody, ils parlèrent rapidement de Felix et d’Artémis. « Tu sais bien que j’dis pas ça parce que t’as pas une belle gueule, ce serait comme de dire que je suis laid. » Dit-il en riant. Puis Felix lui expliqua qu’avec Artémis c’était différent. Woody hocha la tête. « Oh, je vois. Donc … tu te vois pas aller plus loin avec elle ? J’veux dire … ça en restera à ça ? » Quand même, les Rutkowski, ils étaient rarement casés. Ce n’était même jamais arrivé qu’ils aient été tous les trois, en même temps, en couple. De vrais briseurs de cœur, ou alors ils étaient trop exigeants ? Bref. Felix parla alors de Lily-Anaëlle, et sous la surprise Woody cessa de masser son frère, et il recommença bien vite en prenant conscience de sa propre réaction. « Ah ouais ? Et ? Il se passe quoi avec elle, en fait ? Toi et elle ? Ça se donne ? » Trop de questions, parce que Woody ne savait plus trop ce qu’il devait dire. Il avait été un gros con vis-à-vis de Lily-Anaëlle, mais elle aussi avait été un peu dingue dans ses réactions, du coup ils partageaient la responsabilité de la relation qu’ils entretenaient depuis. Sauf qu’il ignorait ce que Felix en savait, et il ne savait pas s’il devait s’engager sur ce terrain-là. 

Woody n’insista pas plus longtemps sur le sujet d’Artémis, visiblement son frère savait ce qu’il voulait et ce n’était pas grand-chose de plus que ce qu’il avait présentement. Le jeune homme devait admettre qu’il s’ennuyait un peu de ce temps-là, où il pouvait fréquenter des femmes sans avoir à trop réfléchir. Du sexe par-ci, par-là, sans se prendre la tête. C’était une époque si facile, alors qu’aujourd’hui Woody avait l’impression d’être aspiré par un tourbillon de trucs trop complexes en lien avec l’amour. Il était heureux, avec Sara, quand tout allait bien. Mais tout n’allait jamais forcément bien. Il avait besoin de retrouver cette vie paisible sans dispute et crise à chaque fois que l’un ou l’autre faisait quelque chose qui déplaisait. Bref, Woody enviait un peu son frère, même s’il aurait dû se réjouir de finalement s’être casé. Après tout, il avait toujours voulu se poser et vivre la petite vie de famille. Ce n’était juste pas comme ça qu’il se l’était imaginée. Finalement, quand la conversation dévia sur Lily-Anaëlle, Woody essaya de ne pas trop laisser paraître son air perplexe pour ne pas s’attirer les questionnements de Felix. Malheureusement, alors qu’il était en train de dire qu’il l’aimait bien, il affirma avoir un truc qui l’intriguait. Woody fronça les sourcils, même s’il savait très bien où cela s’en allait. « Quoi donc ? » Demanda-t-il, détaché. Felix se tourna finalement sur la table, et Woody baissa les yeux vers lui, haussant les sourcils face à son air amusé. Son frère lui demanda alors ce qui s’était passé entre Lily-Anaëlle et lui. Merde. Comment se sortir de là, maintenant ? Il haussa les épaules. « Tu me connais … » Felix le fixait encore, suspicieux. « J’ai couché avec elle, bon. Et puis je l’ai jamais rappelée, et je l’évitais quand elle me parlait. Voilà c’est tout. » Dit-il avec un sourire en secouant la tête. En vérité, il avait omis certains détails, genre que Lily-Anaëlle agissait avec lui comme s’il était l’homme de sa vie et qu’elle s’était un peu plus acharnée que ce qu’il venait de laisser savoir. Il préférait cependant se donner entièrement le mauvais rôle, parce que bon au final il avait quand même agit en trou de cul avec Lily-Anaëlle, et elle avait aussi l’air d’être une fille bien, au fond, alors il ne voulait pas que ça change quoi que ce soit entre Felix et elle.

Woody préférait décevoir son frère plutôt que de lui dire des choses concernant Lily-Anaëlle qui pourraient changer sa vision de la jeune femme. Bon, en même temps, il connaissait assez bien son frère pour savoir qu’il se ferait sa propre idée de la personne, que l’information provienne de son propre frère ou de n’importe qui d’autre, Felix ne se fiait pas vraiment à ces histoires. Tout de même, Woody avait préféré ne pas se mêler de ce qui ne le regardait pas. Si Felix s’entendait bien avec Lily-Anaëlle et qu’ils passaient du bon temps, c’était tant mieux pour eux. « Bah écoute tu préfères que ce soit un rien ou que je te révèle qu’en fait Lily-Anaëlle s’appelle Bob, qu’il a un pénis et qu’il aime bien juste se déguiser en femme ? » Dit Woody avec un léger rire. Son petit frère lui demanda finalement s’il avait vu Nevaeh, récemment. « Non, pas depuis la semaine dernière. Et même là, on s’est croisés rapidement. Et toi ? » Demanda-t-il en continuant à masser son frère. « Faudra qu’on s’organise une autre soirée, bientôt. » Et il faudrait que Woody voie Nevaeh seul à seul, aussi, éventuellement. Parce que même si elle était de retour depuis un moment, Woody n’avait pas trouvé le moyen de lui annoncer la maladie qu’on lui avait diagnostiquée depuis plusieurs années maintenant. Il s’en voulait, et il savait qu’elle lui en voudrait d’avoir gardé le secret depuis tout ce temps. Plus il attendait, pire c’était. « Bon allez, massage terminé. » Il tapa sur son dos deux fois, signe que c’était temps pour lui de se lever.