Ghost Moment / Jim et Fleur

Une fois de plus, again & again, Fleur s’obstina à comprendre pourquoi Jim s’aventurait dans une relation sans projet, une relation uniquement sexuelle. Ses convictions la poussaient à réagir ainsi, car pour elle, le plaisir charnel est un bien précieux à donner à une seule et même personne. De plus, elle ne voyait pas l’intérêt de cette nouveauté d’être, ce qu’on appelle communément, des « sexfriends ». Le but ultime n’était-il pas de se marier, avoir des enfants et vivre heureux jusqu’à la fin des temps?

Néanmoins, elle devait bien admettre que Jim n’avait rien d’un manipulateur. Il ne jouait pas sur plusieurs tableaux. Il avait mis les choses au clair, il n’était pas intéressé pour se poser amoureusement parlant. Au moins il avait la franchise de dire qu’il ne voulait ni décevoir ni blesser une fille.

- Je comprends, ok… admit-elle dans un premier temps.

Mais elle était bien trop déçue de voir son beau et séduisant Jim, enlever son costume de prince charmant. Son regard s’attrista. Elle réalisait qu’elle n’avait plus aucun espoir. Ils ne seront jamais ensemble.

- Moi, j’ai du mal avec ça tu sais.

Sa voix s’était radoucie.

- Des fois j’ai l’impression que je viens d’une autre planète et que je suis condamnée à vivre seule comme une vieille chauss…

Interrompue par l’organisatrice de l’atelier, Fleur se tut. La petite dame donna ses directives au binôme. Suite à cela, elle s’exécuta aussitôt en mettant en forme la terre crue qu’elle venait de distribuer sous un bac. L’argile ressemblait encore à une grosse botte malgré sa tentative de modelage.

Et suivi ce fameux discours que le monde entier ne cessait de lui répéter. Oui, un jour elle rencontrera quelqu’un qui la méritera. Certes, cette personne l’aimera autant qu’elle l’aimera. Evidemment, il prendra soin d’elle. Oui, oui, oui, un jour son prince viendra. Fleur haussa les épaules, d’un air las, acquiesça la tête machinalement aux dires de Jim.

- Je ne désespère pas, mentit-elle sur un ton pas convaincant du tout.

Quel vilain mensonge. Fleur passait son temps à se remettre en question. Puis elle rit de sa blague. Les chaussettes vont toujours par deux, c’est vrai. Mais où était-elle cette foutue autre chaussette ? Fleur se retint de le dire à Jim. Elle se retourna, ayant retrouvé sa douceur habituelle et son sourire aux lèvres.

- Ami.

Enfin, elle scella leur pacte d’amitié en entrecroisant son petit doigt à celui de Jim. Elle lui avait mis un peu d’argile sur les mains alors elle s’amusa de lui en mettre un peu sur le nez.

- Allez tiens, après c’est ton tour, de toute façon ! s’amusa t-elle en le chahutant.

Après une conversation sérieuse et peu agreable, Fleur voulut détendre l'atmosphère en taquinant Jim. Ça, cétait son côté enfant, qui ne l'avait jamais quitté.

- Tu te moques de moi! s'exclama t-elle dans un nouveau rire.

Elle regarda sa poterie, qui démontrait quelques imperfections. Le vase n'était pas tout à fais lisse mais il avait effectivement pris une jolie forme ronde.

- Moi, artiste? Pas vraiment non.

Son unique talent serait l'écriture, mais elle refusait de l'admettre. D'ailleurs Fleur tenait un blog de nouvelles en toute discrétion. Personne de ses amis ou de sa famille n'était au courant. Elle en avait honte; surtout que certains détails comportaient de sa vie privée.

- J'aime lire les poèmes, oui. Les écrire aussi. Je sais un peu dessiner. Si tu veux un jour je te montrerais, mais attention! On ne se moque pas! le prévint t-elle d'un air menaçant qui n'était pas du tout convaincant.

Pendant qu'elle était au téléphone, il lui arrivait de dessiner un peu de tout et n'importe quoi. Son bloc note était garni de dessins étranges.

- D’accord, je te montrerais alors.

Quand Fleur avait croisé Jim auprès de chez elle, elle se souvient qu’elle lui avait également promis de lui montrer ses talents culinaires concernant les éclairs au chocolat. Un de ces jours, il faudrait qu’elle l’invite à la maison. Ne serait-ce que pour boire un thé, elle lui ferait goûter ses pâtisseries et lui montrera ses dessins. Il se moquerait peut-être oui, mais il y aurait de quoi. Elle n’est pas une grande dessinatrice.

-Fais-le malin montre-moi ce que tu sais faire, toi tiens !

Pendant qu’elle laissait Jim prendre sa place près de la tournette, Fleur retira son vase pour le laisser sécher dans un endroit sec sur du papier journal. Puis elle revint à lui, observant s’il avait un talent pour la poterie… ou non. Pendant ce temps-là, il lui demanda de réciter un poème.

- Un poème ? Attends, je réfléchis.

Alfred de Musset, Paul Verlaine, Victor Hugo, Charles Baudelaire. De grands auteurs de la littérature française se bousculaient dans son esprit. Fleur, c’était une passionnée, elle en connaissait un bon nombre. Mais ce fut avec beaucoup de difficulté qu’elle arriva à se remémorer celui-ci :

J'ai dit à mon cœur, à mon faible cœur :
N'est-ce point assez d'aimer sa maîtresse ?
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse,
C'est perdre en désirs le temps du bonheur ?

Il m'a répondu : Ce n'est point assez,
Ce n'est point assez d'aimer sa maîtresse ;
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse
Nous rend doux et chers les plaisirs passés ?

J'ai dit à mon cœur, à mon faible cœur :
N'est-ce point assez de tant de tristesse ?
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse,
C'est à chaque pas trouver la douleur ?

Il m'a répondu : Ce n'est point assez,
Ce n'est point assez de tant de tristesse ;
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse
Nous rend doux et chers les chagrins passés

Les yeux fermés, elle avait hésité sur certaines phrases. Alfred de Musset n'aurait pas à rougir, car Fleur était tout de même une bonne élève.

Après avoir récité son poème, Jim questionna Fleur afin d’y voir plus clair. Parfois elle oubliait que Jim pouvait avoir des difficultés de compréhension. Hormis le fait qu’il ait un petit problème d’élocution, elle ne voyait pas en lui une personne invalide. Peut-être avait-elle mal jaugé son choix, elle aurait plutôt du réciter une fable de La Fontaine.  Néanmoins Jim avait cerné les grandes lignes de ce poème.

- C’est tout à fais ça. L’auteur évoque en lui l’idéaliste amoureux et le libertin.

Fleur parlait avec passion, non par pour le sens du poème, mais pour la beauté des phrases. Alfred de Musset n’était pas un de ses écrivains favoris, loin de là. Il avait la réputation d’aller Par contre, elle adorait ses écrits romantiques.  Ses échanges avec Georges Sand sont fabuleux.

- Non il est d’Alfred de Musset. Il l’avait écrit pour sa bien-aimée, George Sand. Ça te parle ? Tu aimes la littérature française ? lui demanda-t-elle, vivement intéressée.

Elle, elle pourrait en parler pendant des heures.

La compréhension des poèmes, ou de tout texte littéraire, était relative. Chacun avait sa perception des choses. En tout cas Jim avait visé juste concernant le poème dont Fleur avait récité juste avant. D'ailleurs elle avait choisi ce poème pour l'interpeller par rapport à sa situation sentimentale. A travers ce poème, il s’agissait bien d’un homme, Alfred de Musset, à la réputation volage, qui était tourmenté entre la raison et son cœur.

- Bien sûr que non t’es pas bête !

Elle se mit à rire puis essaya de savoir s’il aimait la littérature, française plus particulièrement. Sans surprise, Jim répondit négativement à sa question.

- Oui c’est vrai que c’est un attrait qui touche plus les hommes.

Ce qui était bien dommage d’ailleurs, car Fleur aurait adoré rencontrer un homme qui aime tout comme elle la littérature, les romans à l’eau de rose, les fins heureuses. Mais c’était une chose tellement rare, qu’elle avait renoncé à y croire. Elle ne le savait pas encore à ce moment-là, qu’elle rencontrerait Maxwell.

- Attends, attends, fit-elle en se rapprochant de Jim, qui lui avait demandé de l’aide.

Elle examina son vase et remarqua qu’il ne s’y prenait pas aussi bien qu’elle. Face à lui, elle posa ses mains sur lui, les joues rouges telles des framboises.

- N’appuie pas si fort, regarde, ça se fait tout seul.

Cela l’amusait, un grand gaillard comme Jim, faire de la poterie.

Le vase avait un aspect plus lisse depuis que Fleur aidait les mouvements de Jim. Il allait effectivement trop fort, et en donnant moins de pression les formes se radoucirent. Satisfaite du résultat, elle lui sourit d’un air amusé.

- Pourtant c’est ma première fois ! dit-elle, embarrassée, deux fois plus rougissante.

Le contact entre elle et Jim l’intimidait énormément.  Même si plus tôt dans la soirée, ils avaient formé un pacte d’amitié en scellant leur petit doigt. Fleur ressentait toujours de l’attirance physique pour lui. C’en était à la fois fatal, à la fois déstabilisant.  

Il la taquina, appuyant intentionnellement sur le vase qui recommença à se déformer. Fleur fit les gros yeux.

- Hey ! Quel élève indiscipliné !

Elle plongea ses deux mains dans la bassine d’argile et les colla sur les joues de Jim, d’une allure victorieuse.

- Ça rafraîchit, n’est-ce-pas ?

Elle était, elle aussi, d’humeur taquine.