You and I both know that the ghost is me + Clejah

Cleo aimait son frère, bien au-delà du lien de sang. Il avait toujours été son modèle, même si elle le lui avait caché toute leur enfance. Elle avait cherché à attirer son attention, à ce qu'il la regarde, parce qu'il l'ignorait, le plus clair du temps, il ne lui parlait que très peu, ils ne jouaient pas ensemble. Ils étaient différents et l'âge entrait en ligne de compte. Cinq ans, ce n'est pas grand-chose, vous me direz, mais entre 5 et 10 ans, oui, c'est énorme. Surtout quand l'un est un garçon et l'autre une fille, nés dans une famille où les genres étaient importants. Impossible qu'Elijah s'amuse à habiller les poupées de sa soeur ou qu'il leur dessine de nouvelles tenues, non, leur père ne l'aurait pas laissé faire. Ils étaient contraints à vivre dans deux mondes à part, Cleo, sans même le vouloir, sous les feux des projecteurs. Enfant modèle, enfant prodige qu'elle était. Mais, ça, elle ne l'avait jamais réellement appréciée. Elle était timide, Cleo, elle n'avait jamais demandé à être le centre de l'attention, bien au contraire de ce que son frère pouvait croire. Il s'était sauvé de la maison et maintenant il vivait une bonne vie. Cleo avait suivi un peu ses accomplissements, sur le web et sur les réseaux sociaux, et bien que certains pourraient croire que la blonde éprouvait de la jalousie envers son aîné, c'était tout le contraire que la belle ressentait. Elle était fière de lui et heureuse qu'il puisse avoir réussi. Lui et pas elle. Ça en faisait au moins un dans la famille, un pour sauver le nom des Stuart qu'elle salissait bêtement en vendant son corps et son temps. Le malaise s'installa entre eux. Quand ils ne se criaient pas dessus, ils ne savaient pas comment discuter, les frères et soeurs, ils n'avaient pas appris à dialoguer ensemble. Elijah se montra curieux face à sa soeur qui répondit à ses questions. Quand elle précisa qu'elle étudiait en pédiatrie, il répéta après elle ce qui lui décrocha un sourire. Ça te surprend tant que ça ?, demanda-t-elle. Ses parents l'avaient toujours vu dans le domaine de la santé, était-il surprenant qu'elle ait suivi cette voie ? Dernière année, précisa la blonde en attrapant son verre d'eau pour lui en extirper une gorgée rapide, la gorge sèche, nerveuse d'être à nouveau prise dans les jugements de son frère. Évidemment qu'elle avait eu une bourse, Cleo. Évidemment. Mais elle avait dû rembourser ses dettes, avant, ses loyers en retard et ses cartes de crédit trop pleines. Parce qu'elle avait été laissée à elle-même, par tout le monde, par son frère, par ses parents, par Clay, le seul homme qu'elle avait réellement aimé. On ne fait pas de prêts aux gens qui ont des dettes, laça-t-elle froidement en haussant les épaules. Elle y avait certainement pensé, oui, mais son crédit était mauvais. Mais ça va, maintenant. J'ai tout remboursé et je paie bien mes choses, sans retard, sans intérêts. Et c'était vrai, avec l'escorting, elle avait remonté la pente. Alors, t'es à Bowen pour de bon ? S'Il s'intéressait à elle, elle aussi tentait de faire de même. Seulement, dans le cas de la blonde, c'était sincère. Elle avait rêvé au jour où ils auraient ce genre de conversation. L'escorting en moins.

A nouveau, Elijah avait mis les deux pieds dans le plat avec ses questions hasardeuses. Il s'était toujours imaginé que la vie de Cleo, ici à Bowen n'était pas bien compliquée, elle avait trouvé refuge chez les grands-parents après l'accident, à sa majorité elle aurait l'héritage des parents, elle pourrait s'en sortir financièrement, c'est ce qu'il avait pensé. L'héritage était assez maigre, il fallait bien l'avouer, leurs aînés n'étaient pas vraiment du genre à trop économiser et ils gagnaient leur vie raisonnablement, autrement dit, pas assez pour se constituer un véritable capital. Et évidemment ils n'avaient pas contracté d'assurance vie. La seule véritable chose qui leur ait revenu, à eux-deux, ce fut leur maison, plutôt bien placée, bien entretenue, elle aurait pu rapporter une belle somme d'argent mais après que l'état eut pris tout ce qu'il avait à prendre il leur ne restait plus grand chose. Eli n'avait pas vraiment à se soucier de tout ça, le peu d'argent qu'il avait reçu de ses parents il l'avait placé sur un livret, en vérité il ne voulait pas vraiment s'en préoccuper, cet argent le dégoûtait. Mais avec le temps, plus de dix ans plus tard, la petite somme avait prospéré, tout comme sa carrière et son compte en banque. T'aurais pu m'appeler. Il avait coupé tous les ponts mais il n'était pas introuvable, il savait qu'elle le suivait sur Facebook à une époque. Mais le problème de cette famille c'était l'amour-propre, la fierté plus forte que tout, qui empêchait de demander de l'aide, ou pardon. Quand la blonde se targua d'avoir à présent tout remboursé, tout réglé, son frère évita toute remarque sur le fait qu'elle l'avait fait avec de l'argent douteux, il en avait déjà trop dit. Alors il se contenta d'un sourire en coin alors avant de mordre dans une frite, on venait de leur apporter leurs plats. J'suis à Bowen pour le travail, pour de bon j'en sais rien. J'espère pas... si je veux devenir un couturier mondialement reconnu il faudra que j'arrive à me sortir de ce trou à nouveau. Ce n'était pas un secret, Elijah détestait Bowen depuis toujours, il trouvait la ville trop petite, trop peu active. C'était un vrai citadin dans l'âme, il rêvait de New-York, de Milan ou d'ailleurs, de villes où son talent pourrait prospérer et être reconnu. Mais je suis là pour un petit moment, au moins le temps de bien lancer la Maison dans la région. Ca commence bien pour l'instant. Nouveau sourire, un peu plus sincère, presque satisfait, fier même, lorsqu'il parlait de son travail, le visage d'Elijah s'éclairait. Ce qui était sûr c'est qu'ils pourraient se revoir, si Cleo en avait envie. Finalement il devait l'admettre, ce n'était pas désagréable de passer du temps avec sa sœur.

C'était facile de croire que la vie de Cleo n'était pas bien compliquée, quand on l'avait quitté il y a de cela bien trop longtemps. Bien avant qu'elle-même sache toutes les embûches qu'elle rencontrerait en chemin. C'était facile de supposer que sa vie était bien droite et rangée. Elijah, il ne s'était jamais intéressé à sa soeur. Du plus loin qu'elle se souvienne, Cleo ne pouvait pas trouver un moment où il s'était assis pour lui demander son plat favori ou son film du moment. Et quand il avait décidé de disparaître, jamais il n'avait cru bon d'en aviser sa soeur. Non, il avait seulement dit qu'il partait pour Sydney, sans évoquer qu'il serait parti pour de bon, sans plus jamais lui adresser la parole. Les parents Stuart n'avaient pas beaucoup de moyens, l'héritage n'avait servi qu'à payer quelques loyers. Mais il y avait tout le reste. La médecine, peu importe quelle qu'elle soit, ça coûte cher. Et ce n'était pas les maigres économies que la blonde avait ainsi que les vestiges de son héritage qui aurait pu la mener là où elle le voulait. Cleo aurait pu rester encore un peu sous le toit de sa grand-mère, mais elle n'avait pas voulu profiter de son hospitalité. Puis, elle se faisait malade et moins en forme, la blonde qui pensait déranger avait préféré vivre sa vie par elle-même, c'était bel et bien le temps de voler de ses propres ailes. Et pourtant, Elijah semblait penser qu'en son absence, Cleo avait profité de cette opportunité. Parqu'à la mort de leurs parents, elle était encore mineure, il lui fallait un tuteur. Et bien que son frère aurait pu le faire, jamais il n'aurait accepté de revenir à Bowen ou de s'occuper d'elle. Quand il lui dit, presque comme un reproche, qu'elle aurait pu l'appeler, la colère sembla monter en elle. Pour te dire quoi ? demanda-t-elle, irritée. On s'appelait pas pour prendre des nouvelles, j'allais pas te balancer mes soucis comme ça alors qu'au fond, t'as jamais tenté de savoir comment j'allais. Elle se claqua sa boisson gazeuse, franchement irritée par le commentaire de son frère. Comment osait-il lui lancer ça, alors qu'il était parti et qu'il n'avait pas cherché à entretenir une relation avec elle ? Évidemment qu'il n'aurait pas tourné le dos à sa soeur, mais n'était-il pas humiliant de le contacter pour un peu d'argent ? Valait mieux parler de lui, parce que sa situation à elle, il ne la comprenait pas. Puis, quand on parlait d'Elijah, ce dernier n'était pas sur le dos de sa soeur. Un peu imbu de lui-même, il prenait plaisir aux questions que la blonde lui posait. Il était fier, là, pas comme quand il avait appris que sa soeur était une escorte. Attendez lorsqu'il apprendra qu'elle acceptera de donner plus que son temps ou pire qu'elle est tombée amoureuse de l'un de ses clients. T'as toujours détesté Bowen. J'suis d'ailleurs surprise que t'aies accepté d'y revenir. Ce poste doit être vraiment bien pour ta carrière..., réfléchit-elle à haute voix, ce n'était pas méchant, il avait toujours cherché à quitter la ville. Ce devait être une torture d'y revenir. Heureuse de l'apprendre, dit-elle quand il avoua que ça commençait bien. Une bouchée de fritte et elle reprit. T'as pris un logement ? Peut-être qu'elle pourrait passer le voir, un de ces quatre.

S’ils tentaient d’apaiser les tensions causées un peu plus tôt par des paroles bien trop violentes de la part d’Elijah, on ne pouvait pas nier que toute la relation des deux frère et sœur était basée sur un rapport conflictuel. Ils s’aimaient, d’une certaine façon, plus évidente pour l’une que pour l’autre, mais ils étaient incapable d’agir de façon raisonnée. Volcaniques l’un face à l’autre, ils se balançaient des vacheries et des maladresses sans vraiment s’en rendre compte, juste parce que c’était comme ça, entre eux. Et une nouvelle fois Elijah avait mis les deux pieds dedans en affirmant avec un peu trop d’aplomb qu’elle aurait pu l’appeler. En vérité il ne mentait pas, s’il avait eu ne serait-ce qu’un coup de fil de Cleo qui l’appelait à l’aide il aurait accouru, peut-être pas de bonne grâce, sûrement qu’il ne se serait pas attardé, mais il n’aurait pas laissé son appel sans réponse, parce qu’ils restaient la seule famille proche qu’ils avaient l’un pour l’autre à présent et même si ça ne signifiait pas grand chose pour le couturier, il savait que c’était important pour elle. Sans parler du fait qu’il aurait eu sur la conscience le fait de ne pas avoir aidé sa sœur alors que c’était son devoir, en tant qu’aîné, d’assumer un minimum. Il serra les dents à son tour, la fulminant du regard, une nouvelle fois un froid glacial s’abattit sur eux. Y a qu’à voir comme ça te réussit de t’en sortir par toi-même.... Silence gênant, il avait une nouvelle fois pointé du doigt ce métier qu’il trouvait dégradant. Il soupira, se racla la gorge. J’voulais pas… t’aurais pu essayer. Si j’ai pas de nouvelles je me dis que tout va bien, c’est aussi simple que ça. Comment je pouvais savoir …? Elle avait dû sentir qu’il valait mieux changer de sujet, de toute façon parler d’elle et de ses choix de vie ne faisait que les éloigner, parce qu’Elijah n’était pas prêt à accepter tous les sacrifices qu’avait fait sa sœur, pas ce soir du moins, c’était trop tôt. Mais parler de lui c’était plus simple, il était sur un terrain qu’il connaissait parfaitement et elle avait raison de penser qu’il était fier de lui. Un brin égocentrique, il savait qu’il avait réussi par lui-même, par son talent et son travail et il ne se cachait pas pour se faire briller. Une nouvelle fois le fossé se creusait entre eux qui étaient si différents. Il hocha la tête en buvant une gorgé de sa boisson. J’avais pas le choix si je voulais évoluer. Ce n’est qu’un passage, je le répète. Plus tôt je repartirai mieux ce sera. Pour tout le monde. Comme si ça pouvait être si simple, mais dès qu’il en aurait l’occasion il pourrait tout quitter, tout recommencer à nouveau, ça ne lui faisait pas peur. Je loue un appartement dans le centre, entre la plage et mon bureau. C’était presque une blague, sachant qu’il détestait la plage, le sable et qu’il ne comptait pas y mettre les pieds. Mais de chez lui il avait une belle vue sur l’eau, en haut de sa tour. Et ça il devait admettre que c’était agréable. Il ne toucha pas grand chose de son repas il était tard, il était claqué et puis le styliste ne mangeait jamais grand chose. Écoute, j’vais te laisser pour ce soir. Il sortit une de ses cartes de visite qu’il avait dans son portefeuille. J’te laisse mon numéro, si tu veux qu’on se voit. N’hésite pas cette fois. Et fais attention à toi. Après tout il était de retour, autant qu’ils tentent de renouer des liens, sauf si c’était vraiment trop tard, seul le temps le leur dirait.

Même quand ils pensaient renouer, la fratrie Stuart semblait échouer, Elijah qui avait promis faire des efforts lançait à nouveau un nouveau jugement au plein visage de sa soeur qui, toutes ces années, s'était démenée pour arriver où elle en était. Évidemment, elle n'avait pas le parcours typique d'une étudiante en médecine, mais malgré tout, elle y était arrivée, à sa façon dysfonctionnelle, hors norme, et, pourtant, elle n'avait pas volé l'argent de la société pour arriver à ses fins. Et si on la blâmait, il fallait blâmer aussi tous ceux qui, volontairement, extirpent de l'argent à des pauvres personnes innocentes, fraudes et blanchiments. Cleo, elle, elle n'agissait que sur des bases volontaires. Et elle travaillait. Elle bossait comme une dingue, étudiait comme personne, mémorisait, révisait. Dans un monde où les étiquettes sont souvent plus importantes que le reste, ce genre de chose n'importait peu. Et même si un vent calme soufflait entre eux, aux yeux de son aîné, la blonde, elle serait toujours, au fond, l'escorte qu'il avait surprise en boîte. Cleo baissa les yeux, regardant ses frittes dont elle n'avait plus vraiment envie, une tonne de ketchup qui flottait dans son assiette, flaque dans laquelle elle en faisait tourner une sans pour autant la porter à sa bouche, à la fois blessée et insultée que son propre frère ne puisse pas voir outre cette caractéristique qui forgeait la personne qu'elle était. Au-delà de ça, n'était-elle pas bien plus qu'une escorte ? Elle était une femme, une soeur, une étudiante, une amie, une amoureuse de la lecture et bien plus encore. Bien plus qu'une simple escorte. Seul le bruit du raclement de la gorge d'Elijah habita leur conversation et quand il reprit la parole, Cleo releva les yeux. Tu pouvais pas, dit-elle simplement, alors qu'il posait une question tout à fait rhétorique à laquelle il ne valait même pas la peine de répondre, sans quoi ils se lanceraient la balle encore bien des années. De son point de vue, Cleo avait assez ouvert de portes à son frère pour le laisser venir à elle quand bon lui semblerait. Et, à l'inverse, Elijah, lui, était d'avis que c'était à elle de venir vers lui pour lui parler de ses problèmes. Ils ne s'entendaient pas et continuer sur cette lancée ne ferait que les briser encore plus alors qu'ils étaient sur la voie de la réconciliation. Ou du moins, de s'y tenter. Elle changea de sujet, fatiguée de parler d'elle, fatiguée de frapper des murs chaque fois qu'ils n'étaient pas d'accord ou que leurs opinions divergeaient. Son retour à Bowen sembla plus léger, à première vu, et pourtant, il témoignait, encore, des différences les habitant. Cleo, elle, ne se voyait pas ailleurs qu'ici. Et, pourtant, elle était consciente que son avenir professionnel pourrait être propulsé si elle décidait d'oeuvrer pour de grandes villes renommées en recherches médicinales. Mais c'était Bowen et ses habitants qui la faisait vibrer, non pas San Francisco, pour n'en nommer qu'une seule. Elijah mit l'emphase sur son passage temporaire, elle afficha une moue déçue, hochant la tête. Elle l'aimait, son frère. Même si leur relation n'avait rien d'évident, elle l'aimait. Ils avaient le même sang, ça ne s'oubliait pas. Si tu le dis, conclut-elle en écoutant la suite. La plage, elle sourit, sachant bien qu'il n'avait jamais apprécié un seul grain de sable de cette ville. Elijah tendit une carte à sa soeur qu'elle analysa avec soin. Son nom, ses coordonnées, c'était informel. Pas son adresse personnelle. Ça n'avait rien de chaleureux. Une carte comme on donnait à n'importe qui. Elle hocha à nouveau la tête. J'y tâcherai, lâcha-t-elle quand il lui demanda de ne pas hésiter. Elle le regarda s'éloigner, le coeur en miette, retrouvailles qui n'avaient rien réparé, le sentiment de n'être qu'une étrangère aux yeux de celui dont elle avait si longtemps espéré recevoir l'amour.

FIN