#381 - i'll be fighting for you like i'm born again (wooja)

Une toute petite vague d’apaisement déferla sur Woody quand Freja s’assit enfin à côté de lui, un minuscule soulagement pour une âme aussi brisée que celle de l’homme qui n’avait plus l’impression d’en être un. Ça ne faisait que confirmer à quel point il avait besoin d’elle, près de lui, et pas que par coups de vent, pas que par allers et venues aléatoires lorsque l’ennui et le manque se montraient trop forts. Pour ne pas sombrer, il faudrait que Freja le tire en permanence vers le haut. C’était beaucoup demander. C’était trop demander. Il le savait, et peut-être qu’à quelque part, c’était pour cette raison-là qu’il n’était pas allé la retrouver après son retour de Chine. « Tu peux pas savoir à quel point j’ai voulu me retenir de les dire. » Il eut un léger rictus, pas parce que c’était drôle, mais parce qu’il avait royalement failli à la tâche. Il n’avait plus la force, Woody, de repousser Freja. Il avait décidé d’arrêter de se battre contre lui-même. Il était en train de perdre de toute façon. Il ne pensait toutefois pas que le soulagement de s’enlever ce poids-là se transformerait aussi rapidement en regrets. C’est pourtant ces derniers qui l’envahirent, l’attaquèrent, l’empoisonnèrent, quand la norvégienne lui avoua qu’elle voyait quelqu’un. Il aurait préféré que rien ne suive ce mais. Il aurait préféré qu’elle s’en tienne à ce mot fatidique mais qu’elle ne le justifie pas. Il eut l’impression que les derniers piliers s’écroulèrent. Là, maintenant, il aurait voulu que la mort l’emporte. Son regard changea, délaissant l’espoir pour la noirceur qui l’enveloppa. Puis, une fois la surprise passée, il hocha doucement la tête. « Je suis trop tard. » Constata-t-il. Il avait tellement voulu qu’elle se trompe, Freja, quand elle lui disait qu’elle l’attendrait pour toujours, qu’elle ne l’oublierait pas. Maintenant, il aurait voulu de tout son cœur que c’eût été vrai. « Tu devrais savoir que si j’ai été capable de te dire tout ça, aujourd’hui, c’est parce que je suis prêt. Que c’est parce que je veux t’ouvrir la porte à ma vie, toute ma vie, et pas que les côtés que je veux que tu vois. » Il soupira. « Pour le reste, c’est qu’une question de perceptions. En ce moment, j’ai juste vraiment l’impression que j’suis en Enfer. J’pouvais qu’espérer que tu me rappelles ce goût de Paradis. » Mais il était trop tard. Freja avait fait de la place pour un autre dans sa vie. À contre-cœur, et la gorge nouée, il demanda : « Je le connais ? », avec cette peur au ventre d’entendre un nom que trop familier.

Tu peux pas savoir à quel point j’ai voulu me retenir de les dire. Elle est là, cette bataille que vous menez depuis des mois, l'un contre l'autre. Ou pour l'autre, c'est une question de perception. Mais à tes yeux, Woody a toujours lutté contre vous plutôt que pour vous. Tu as fini par comprendre son point de vue mais tu n'as jamais pu l'accepter. Alors c'est sûrement pour cette raison que, même si tu rêvais d'entendre les mots qu'il prononce, tu n'y crois pas totalement. « Je ne sais pas si tu es trop tard... tout est confus dans ma tête, là. » Dis-tu en soupirant et en prenant ta tête entre tes mains. Pourquoi maintenant ? Pourquoi est-ce que les choses ne peuvent pas être simples pour une fois ? Il y a quelques mois encore, tu aurais foncé tête baissée dans les bras de Woody, prête à vivre cette grande aventure à ses côtés. Mais aujourd'hui, tu n'es plus sûre de rien. Aujourd'hui, tu as cette relation avec Concho qui t'apporte beaucoup de bien et qui te rend réellement heureuse. Comme tu ne l'avais plus été depuis longtemps. « Je voudrais pouvoir te rappeler quel goût ça a, le Paradis. Mais ça a été tellement dur sans toi que j'ai peur de repartir à zéro et d'être à nouveau déçue, blessée. J'peux plus me contenter de mots. » Tu as besoin d'actes, de gestes. Alors tu ne demandes pas qu'il t'emmène à l'autre bout du monde, qu'il te couvre de cadeaux ou que sais-je encore. Juste qu'il te prouve qu'il t'aime et qu'il est prêt à lier sa vie à la tienne. Cette fois plus que jamais. Quand l'australien te demande s'il le connait, tu tournes légèrement la tête vers lui, hésitant entre le mensonge et l'honnêteté. Mentir pour le protéger ne serait pas vraiment mentir, à tes yeux, mais puisque vous êtes dans une conversation des plus honnêtes, tu te dois de l'être encore une fois. Il le mérite. « Malheureusement oui. » Dis-tu en soupirant doucement. Tu as appris plutôt récemment que Woody et Concho ne s'entendaient pas alors, ça ne risque pas d'arranger cette tension qui plane entre vous et qui menace d'éclater. « C'est Conchobáhr. » Tu n'aurais jamais cru être face à un tel dilemme, un tel choix, de toute ta vie. Et encore moins avec Concho à l'intérieur de celui-ci. Mais tu dois être honnête envers Woody et surtout envers toi-même. Néanmoins, tu as besoin de temps pour réfléchir à tout ça mais tu n'es pas certaine d'en obtenir beaucoup.

Freja sembla lui offrir une once d’espoir, une toute petite craque laissant filtrer une douce lumière, mais Woody n’arrivait plus à la voir, tout d’un coup. Il s’était ouvert à elle, s’était montré à son plus vulnérable. Il lui avait ouvert la porte, montré le chemin vers tout ce qu’il lui avait toujours refusé, et la norvégienne avait choisi ce moment pour lui faire savoir qu’il n’était plus le seul. Que dans cette attente elle s’était perdue, ou plutôt, qu’elle s’était retrouvée. Alors l’espoir, Woody ne le voyait pas, aussi confuse Freja pouvait-elle être. Si elle avait trouvé la force de lui avouer qu’elle voyait un autre homme, c’était que c’était du sérieux. Autrement, elle aurait balayé cette relation du revers la main pour celle qu’elle avait attendue depuis si longtemps. « À croire que même quand j’veux bien faire, j’complique tout. » Tout n’était que mal, chez Woody. Il avait cette impression d’être celui qui arrachait la vie aux autres, drainant l’énergie et la lumière de leurs âmes même quand ce n’était pas son objectif. Il n’arrivait pas à être quelqu’un de bien. Il n’arrivait pas à se sortir de ce cercle vicieux qui le gardait enchaîné à la noirceur. « J’comptais t’offrir l’action après les mots mais tu m’as un peu freiné dans mon élan … J’voudrais pas t’empêcher d’être heureuse avec un autre. J’ai assez été égoïste jusqu’à maintenant. » Et surtout, Woody ne pouvait plus faire les grandes actions d’autrefois. Il avait du mal à se traîner jusqu’à son perron alors il ne pourrait certainement pas offrir de grand gestures à Freja, même s’il le voulait. Le trentenaire rassembla finalement le peu de courage qu’il lui restait et demanda à connaître l’identité de cet homme mystère, celui qui avait su détourner le regard de Freja. En entendant le prénom loufoque de Conchobáhr, Woody éclata d’un rire jaune, d’un rire presque méchant, mais aussi déçu et blessé. « Rosenbach, hein ? » Il secoua la tête de gauche à droite, comme si c’était impossible à croire. Il s’était surtout attendu à entendre le nom de Landon ou de Léo sortir d’entre les lèvres de Freja, il s’était préparé à serrer les poings, mais il avait été pris par surprise. Le loser du lycée gagnait. « Well, good for you. Je suis désolé Frej’ mais j’suis plus vraiment d’humeur à discuter, là. Tu m’excuseras mais je crois que je vais rentrer. » Et se refermer, et s’enfermer, et abandonner.

« Arrête de dire ça. Je préfère que tu sois honnête avec moi même si ça doit me mettre dans une position compliquée. » Dis-tu en tournant la tête pour poser ton regard sur lui. Pour une fois que Woody met des mots assez clairs sur ce qu'il ressent, tu ne vas pas l'en blâmer même si, effectivement, ça complique beaucoup de choses. Malgré tout, tu n'as pas envie de refaire les mêmes erreurs que par le passé alors tu cherches les actes plutôt que les mots. Tu ne veux pas que vous vous lanciez à nouveau dans une histoire si vous n'êtes pas complètement sûrs à cent pour cent. Et surtout, tu ne veux pas prendre le risque de tout gâcher avec Concho parce qu'il a été ton pilier ces derniers mois et ton bonheur au quotidien. « Je sais, je suis désolée. Je ne voulais pas te mentir et faire comme si cette relation n'avait aucune importance. » Elle en a assez pour que tu mettes ta relation avec Woody en péril en tout cas. Et pourtant, tu ne sais pas vraiment où vous allez avec Concho ni si votre relation est faite pour durer. Mais ce que tu sais, c'est que tu te sens bien avec lui et à la fois libre et apaisée. Bien tout le contraire de ce que doit ressentir Woody à cet instant précis. Alors que tu lui avoues qu'il s'agit de ton ancien colocataire, le rire du physiothérapeute te glace presque le sang. Tu peux percevoir toute l'animosité qu'il ressent sans grandes difficultés. Tu plisses légèrement les yeux, à la fois agacée et blessée qu'il méprise autant Concho. « Je sais, c'est plutôt étonnant. » Parce que vous êtes tellement différents et pourtant tellement complémentaires à la fois. « Ne le prends pas comme ça Woody, s'il te plaît... » Murmures-tu en l'implorant du regard. « Qu'est-ce que tu voulais que je fasse ? Que je te mente ? Que je te laisse croire que tout peut redevenir comme avant en un claquement de doigts ? ça fait sept mois Woody. Sept putain de mois. » Sept mois c'est long et pourtant si court à la fois. Sept mois qui ont été des plus compliqués où tu voyais plutôt le monde en noir plutôt qu'en blanc. Sept mois à tenter de réaliser l'impossible : l'oublier. Aujourd'hui, ce n'est toujours pas le cas mais la différence c'est que, aujourd'hui, tu t'es autorisée à être heureuse dans les bras d'un autre que lui. Et ça, ça change beaucoup de choses.

Las, fatigué, Woody soupira. « Je suis honnête avec toi. Plus que je ne l’ai jamais été. Mais c’est moi aussi, que ça met dans une position compliquée. » Parce que tout ce qu’il avait souhaité c’était que Freja trouve le bonheur, même si pour ça elle devait être avec un autre. Mais elle avait tant cherché à le convaincre qu’elle ne l’aurait qu’avec lui, il avait fini par y croire, et se retrouvait maintenance face au mensonge. Et il l’aimait au point de la laisser partir, toujours autant à contre-cœur, si c’était en sachant qu’elle était heureuse sans lui. « Et la nôtre ? Notre relation, a-t-elle toujours autant d’importance ? » Ou bien cet homme lui avait-il tout pris ? Ses espoirs, ses chances à un futur un peu plus lumineux malgré tout ce qui l’attendait ? Et cet homme, c’était Rosenbach, celui que Woody avait rabaissé tant de fois en prétextant qu’il était un moins-que-rien, un bouffon de bas niveau, un homme qui ne connaîtrait jamais la gloire telle que lui l’avait connue. Le karma. Les rôles s’étaient bien vite renversés. Il devait rire, Rosenbach, d’une fierté démesurée. Et Woody, lui, avait juste envie de pleurer et de tout lâcher. « Étonnant n’est même pas le mot. » Mais il n’ajouta rien de plus, il décida de se taire, parce qu’il sentait déjà Freja se crisper à côté de lui. Elle affectionnait Conchobáhr, ça paraissait. « Ce n’est rien pour nous, sept mois, Frej’. J’sais bien que tu m’as dit que tu ne m’attendrais pas éternellement mais j’pensais que tu attendrais encore un peu … que tu n’me tournerais pas le dos aussi tôt … » Ce qu’il pouvait être injuste, Woody, de reprocher à Freja ce qu’il l’avait poussée à faire de lui-même. L’oublier, et recommencer à zéro ailleurs que ans ses bras. « Mais non, j’préfère savoir. J’préfère ne plus m’faire d’espoir. Alors merci de me l’avoir dit. Ça règle bien des choses. » Il attrapa sa canne et s’appuya sur elle pour se relever, difficilement, péniblement.

A la place de Woody, si tu avais appris qu'une autre était entrée dans sa vie, tu te serais sans aucun doute battue pour remettre votre relation au premier plan de sa vie. Pour que cette autre femme disparaisse et n'ait plus aucune importante à ses yeux. Mais Woody et toi, vous n'avez pas toujours la même façon de fonctionner, d'appréhender les choses. Du moins, plus depuis que la maladie semble l'emporter. « Evidemment qu'elle a toujours autant d'importance. Tu auras toujours de l'importance. » C'est plus qu'une évidence à tes yeux. « Ne crois pas que ce que tu me dis aujourd'hui ne me fait pas plaisir. Je suis heureuse de voir que tu es prêt à laisser entrer un peu de bonheur dans ta vie. » Pourtant, tu ne peux pas lui mentir et lui dire que tu es prête à recommencer votre histoire. Pas alors que tu as des sentiments naissants pour un autre. Et tu ne peux pas t'empêcher de te demander si Woody s'autorisera à être heureux sans toi, si jamais tu mets des distances entre vous que tu n'as jamais mises par le passé. Étonnant n’est même pas le mot Tu fronces légèrement les sourcils mais décides de ne pas creuser davantage. Tu n'as pas vraiment envie de parler de Concho et encore moins de cette relation difficile qu'il entretenait avec Woody par le passé. « Tu es injuste quand tu dis ça. Sept mois loin de toi c'est long. Et dur. » Dis-tu en baissant la tête, repensant à toutes ces journées et ces soirées passées dans ton lit, le coeur brisé. « Je ne t'ai pas tourné le dos et je n'ai pas cherché à avoir une relation avec Concho. Ça m'est tombé dessus et surtout, il était là pour moi quand j'pensais que toi et moi, c'était une histoire terminée. Tu me l'as tellement répété... Et y'a qu'à voir comment tu es parti la dernière fois qu'on s'est vu. » Dans ce bar, quand vous avez laissé votre désir l'emporter sur la raison. Cette fois-là, tu t'es sentie tellement démunie et brisée. Tout ça pour quelques minutes de plaisir... et pourtant, tu n'aurais pas fait les choses autrement si c'était à refaire. Tu soupires en le voyant se lever alors qu'il souligne qu'il ne se fera plus d'espoir à l'avenir. Pourquoi faut-il qu'il complique toujours les choses ? « Alors c'est tout ? Tu baisses déjà les bras ? Excuse-moi de douter un peu de ta réelle motivation, là. » Dis-tu pour le titiller mais surtout pour lui faire comprendre que tes doutes sont fondés. « Je ne dis pas qu'il n'y a plus aucun espoir entre nous. Je dis simplement qu'en ce moment, je vis quelque chose avec un autre que j'ai envie de poursuivre. J'en ai besoin. Mais tu dois me laisser du temps. Tu m'as demandé tellement de fois de t'attendre que tu peux bien le faire, pour moi, rien qu'une fois. » C'est beaucoup demander, tu le sais. Parce que Woody aura sûrement beaucoup de mal à t'imaginer avec un autre, pendant qu'il t'attend. Mais c'est ça ou mettre un terme définitif à votre histoire.

Il ne la sentait pourtant pas heureuse, Freja. Il la sentait déchirée, il la sentait distante. Il s’était imaginé cette scène si souvent depuis son retour de Chine, et elle impliquait des sourires, des pleures de joie, des baisers échangés avec tout l’empressement qui n’aurait plus été nécessaire puisqu’ils auraient eu des années devant eux. Il n’avait jamais imaginé qu’ils puissent avoir cette discussion-là, celle où la femme de sa vie lui apprenait qu’il n’était plus le seul homme dans son cœur. L’avait-il un jour réellement été ? Woody soupira. « Je t’ai pourtant déjà vue plus heureuse que ça, avec moi … » La preuve que le temps avait laissé ses marques, que leurs épreuves et leurs blessures avaient égratigné leur amour au point qu’il ne serait plus jamais le même. « Je le sais que c’est dur. Je les ai vécus aussi, ces mois-là. » Lâcha-t-il fermement. Ce n’est pas parce que c’était lui qui creusait la distance entre eux qu’il ne ressentait plus la douleur. Au contraire, la douleur des derniers mois avait été si grande, si cruelle, qu’il avait été incapable de respirer. Et aujourd’hui, c’était pire que tout, il manquait d’air comme il manquait d’espoir. « J’étais perdu, triste, cette fois-là. Je le suis encore. J’avais aucune idée de ce que je faisais. » Ça ne pardonnait en rien la réaction de Woody une fois leurs retrouvailles terminées, ça n’excusait pas ce comportement horrible. Il cherchait toujours à se justifier, Woody, alors que rien n’expliquait ses actions. Sur ces paroles, le trentenaire se leva, difficilement, mais arriva à tourner le dos à Freja pour remonter une marche. « Qu’est-ce que tu veux que je fasse ou que je dise après ce que tu viens d’m’annoncer, Freja ? » Demanda-t-il sèchement, sentant la colère et le chagrin le gagner. Elle lui demandait du temps. Ce n’était effectivement pas la Lune, après tout ce que lui, il lui avait demandé. « Je sais à quel point ça va te sembler injuste, Freja. Et j’en suis vraiment désolé. Mais j’peux plus attendre. Tout comme je ne peux plus me battre. J’peux plus … faire quoi que ce soit. Je suis juste … tellement fatigué, tout le temps. J’avais vraiment besoin de toi, de nous deux. J’avais vraiment besoin … que tu m’redonnes une raison de vivre. » Le silence. Il pleurait. « Je suis désolé. Pour tout. » Il porta sa main libre à ses yeux, l’autre tremblait, agrippée à sa canne.

Bien sûr que tu avais été heureuse, tellement heureuse, aux côtés de Woody par le passé. Malheureusement, aujourd'hui, le bonheur laissait plus souvent place à la douleur, rendant les choses toujours plus compliquées encore entre vous. « Parce que j'peux pas sauter de joie alors que tes paroles remettent beaucoup de choses en question. C'est un tel bordel dans ma tête en ce moment... » Tu as envie d'ajouter tu n'imagines pas mais tu ne peux que croire que Woody vit la même chose. Il ne s'attendait sûrement pas à ce que tu réagisses comme ça, à ce que tu lui avoues entretenir une relation avec un autre. Il aurait sans doute préféré que tu lui tombes dans les bras mais ce n'est pas si simple et il est en partie responsable. S'il n'avait pas mis autant de distance entre vous durant les précédents mois, vous n'en seriez pas là aujourd'hui. « Alors tu sais que sept mois, c'est déjà beaucoup. » Tu défies quiconque de se relever après sept mois de calvaire comme ça a été le cas pour toi. Peu de gens en seraient capables, c'est une certitude. Quand tu remets cette fameuse soirée dans ce bar sur le tapis et surtout la façon dont Woody t'a laissé, il se cherche encore une fois des excuses. Pourtant, ce n'est pas ce que tu attends, toi. « J'en doute pas mais t'aurais pu t'excuser, d'avoir agi comme un connard. » Tu ne demandais rien d'autre qu'un sms et trois petits mots : je suis désolé. Rien de plus simple et pourtant, ce sms n'est jamais arrivé. « J'en sais rien, juste que tu agisses autrement pour une fois qu'en prenant la fuite. » Dis-tu alors que tu l'accuses de déjà baisser les bras. Il dit qu'il est prêt à construire quelque chose avec toi et au premier obstacle, il abandonne déjà. Cela ne te pousse que davantage à croire qu'il n'est pas réellement prêt. Peut-être qu'il croit l'être mais ce n'est pas le cas. Et toi, tu ne peux pas mettre de côté une relation dans laquelle tu te sens bien pour des incertitudes. Des peut-être... Il y en a déjà eu assez par le passé entre Woody et toi. Pourtant, en entendant les mots de l'australien et en le voyant pleurer, tu te sens juste comme la pire des égoïstes. Alors, incapable de le laisser dans cet état, tu te lèves pour le prendre dans tes bras. Tant pis s'il te repousse, tu es prête à encaisser un coup de plus. « Moi aussi je suis désolée. » Murmures-tu à son oreille en fermant les yeux. « J'peux pas être ta seule raison de vivre Woody. Tu dois vivre aussi pour toi, pour ta famille, pour tes amis. Et ne me dis pas que tu n'as plus rien de tout ça, je sais que c'est faux. Il y a des gens qui tiennent à toi. » Tu penses notamment à ses soeurs, son frère, et puis Tahlia, qui s'est inquiétée et qui t'a amenée ici. « Et moi, j'vais pas disparaître pour autant. » Si du moins, l'australien te laisse faire partie de sa vie d'une toute autre manière que celle que vous connaissiez.

Dans la sienne autant, c’était le bordel. Un malheureux bordel qui le tirait vers le bas, qui aspirait tout résidu d’espoir, le laissant vide, complètement vide. Il avait cru que cette conversation avec Freja, quand elle arriverait, saurait le sauver de lui-même. Malheureusement, elle eut tout l’effet contraire. Peut-être qu’au fond, il le savait, il le voyait venir. Peut-être était-ce pour cette raison qu’il avait autant repoussée ladite conversation, des mois et des mois après son retour de Chine, attendant même que ce soit Freja elle-même qui passe par chez lui. Il était lâche et l’avait toujours été, comment pouvait-il s’imaginer que tout rentrerait dans l’ordre en un claquement de doigts ? Ce bordel-là, c’était lui qui l’avait créé. Ce ne serait pas quelqu’un d’autre qui ramasserait. Woody ne répondit rien là-dessus, pas plus que sur les sept mois et la longueur de ceux-ci. Bien sûr qu’il savait que c’était beaucoup. Il ne voulait juste pas revenir sur ses paroles injustes. Ce n’est qu’à propos de cette soirée au bar qu’il daigna répondre. « J’aurais dû. Mais j’ai pas trouvé le courage. Encore une fois. » Admit-il. Au moins, il savait reconnaître qu’il se dégonflait dès la première occasion. Tout comme il le faisait actuellement, en prenant la fuite, tel que l’affirmait Freja. Il s’arrêta en haut des marches du perron, pour déballer toute sa tristesse à la norvégienne. Il n’avait même plus la force de se cacher pour pleurer, lui qui avait toujours détesté se montrer vulnérable. La brunette se leva alors et vint le prendre dans ses bras. Il se laissa faire, le corps lourd, le corps mou, posant sa tête au creux de l’épaule de Freja pour continuer à y laisser couler ses larmes. Le son de sa voix brouillé par la position dans laquelle il se trouvait, il lâcha : « J’supporte plus de les voir débarquer ici quand ça leur chante pour vérifier qu’j’suis toujours en vie. J’supporte plus leurs regards, leurs tentatives d’me faire croire que tout va bien aller … Ils tiennent à moi mais moi j’tiens plus à moi. » Et il ne tenait plus à sa vie si Freja n’en faisait pas partie. Elle avait beau dire qu’elle ne disparaîtrait pas pour autant, Woody savait que ça ne ferait que le tuer davantage de ne l’avoir qu’à distance, comme une simple amie, alors qu’il aurait pu tout avoir. Et les autres lui diraient on te l’avait bien dit …

A tes yeux, ce n'est pas qu'une question de courage mais aussi de volonté. Tu peux comprendre que Woody en manque avec ce qui lui arrive mais sans une once de volonté, sans une once de motivation, il ne pourra jamais avancer. Et il ne peut pas compter que sur toi pour y parvenir parce que, même avec toute la force du monde, tu ne pourrais pas y arriver sans lui. « Tu as pourtant trouvé du courage pour aller jusqu'en Chine. » Réponds-tu en haussant les épaules. Tu ne cherches pas à le blesser, tu veux simplement lui faire prendre conscience que pour certaines choses, il peut se montrer courageux. Lui qui répétait sans cesse qu'il ne pourrait plus voyager comme auparavant, il avait pourtant pris un vol, sans réfléchir, jusqu'à Pékin. Après s'être levé difficilement, Woody te déballe tout ce qu'il a sur le coeur et c'est tellement dur, pour toi, d'entendre toute sa peine, toute sa souffrance. Tu sais que tu pourrais l'alléger un peu, lui ramener un peu de lumière dans sa vie, mais tu sens que ce ne serait pas la bonne chose à faire. Pas alors qu'il partage à présent ton coeur avec un autre. « Ils ne pensent pas à mal. Ils font ce qu'ils peuvent pour essayer de t'aider, tout simplement. » Dis-tu à propos de la famille de Woody qui semble aussi démunie que toi face à la descente aux Enfers de l'australien. « Je sais que tu m'aimes et que t'as vraiment envie de croire que ça peut fonctionner entre nous, qu'on peut avoir un bel avenir tous les deux. Et j'en rêverais moi aussi mais ça ne peut pas fonctionner si tu n'essaies pas de reprendre le contrôle. Si tu n'essaies pas de te battre. Tu dois le faire avant tout pour toi, Woody, mais si tu n'en es pas capable, fais-le pour moi. Et pour ta famille. » Avec ces quelques mots, tu espères réveiller toute la détermination qui l'habitait autrefois quand il était encore sportif de haut niveau. Mais tu sais que ce ne sera pas si simple, tu sais qu'il est extrêmement têtu et défaitiste quand il veut. Tu t'écartes de quelques centimètres pour le regarder, effaçant ses larmes du bout des doigts. « Tu seras toujours le grand amour de ma vie Woody Rutkowski. Et si notre Destin c'est d'être ensemble, je sais que la vie nous réunira un jour ou l'autre. Elle l'a toujours fait. » Dis-tu avec un faible sourire.

Ce qu’elle voyait seulement comme une prise de conscience, lui le recevait comme une attaque, une autre pique pour lui faire regretter ses actes. Woody soupira en fermant les yeux. « C’était différent, à ce moment-là. » Dit-il. Il voyait déjà venir les répliques de Freja alors il reprit la parole sans lui laisser le temps de répliquer. « Et c’était pas différent parce que c’était Sara que j’allais rejoindre. C’était différent parce que c’était cet hiver. La situation a changé depuis. Les derniers mois ont été … difficiles. » Admit-il, l’adjectif choisi minimisant ce qu’il traversait. Son corps avait perdu sa longueur d’avance sur la maladie, il se sentait régresser à une vitesse sur laquelle il n’avait aucun contrôle. Les exercices, la nutrition, le yoga, rien de tout cela ne semblait l’aider. Alors plutôt que d’y mettre les bouchées doubles, Woody avait tout abandonné. Cela ne faisait qu’accélérer la survenance des symptômes mais il ne semblait plus en avoir quelque chose à faire. Encore moins après aujourd’hui. C’est pour ces raisons-là que les membres de sa famille se succédaient à sa porte, parce qu’ils avaient bien vite compris que leur fils ou leur frère était en train de se laisser mourir. « Alors si j’reprends le dessus, si j’me bats à nouveau, tu me reviendras ? » Demanda-t-il en levant les yeux vers elle. La main de Freja s’éleva jusqu’à son visage pour venir y essuyer les larmes qui avaient coulées. Sa réponse à propos du grand amour et du destin, elle était belle, mais elle ne suffisait pas à Woody. Plus que jamais, il avait besoin de promesses, il avait besoin de concret. « T’as toujours dit que tu voulais qu’on profite ensemble des années qu’il me resterait à pouvoir vraiment vivre. » Dit-il. Puis, il désigna son propre corps en ouvrant les bras et en baissant les yeux vers ses jambes. « Comme tu peux le constater, il ne reste peut-être pas tant de temps que ça. Alors ton un jour ou l’autre, c’est pas assez. » Dans son éternel égoïsme, Woody voulait tout, tout de suite, mais juste quand ça l’arrangeait, juste quand il le désirait vraiment.

« C'était pas un jugement. » Précises-tu pour éviter que Woody pense que tu cherches à le blesser ou à lui lancer des piques gratuitement. « Je le vois bien, Woody. Ça crève les yeux. Mais j'ai aussi l'impression que tu t'es un peu laissé aller face aux premières difficultés. » Tu n'étais pas là alors ce n'est peut-être pas le cas mais tu connais l'australien par coeur et tu ne te trompes pas souvent à son sujet. Néanmoins, tu ne sais pas vraiment si ça aurait été bénéfique qu'il se batte. Sa maladie t'échappe complètement à toi aussi. Et même si Woody a déjà répondu à pas mal de tes interrogations et Google aussi, tu restes souvent dans le flou. Chaque cas est unique, finalement. « J'peux pas t'en faire la promesse. » Réponds-tu à sa question avant de baisser la tête. Dans ces moments-là, tu as du mal à croiser son regard parce que lire toute la souffrance et la tristesse qui s'y trouvent, c'est presque insurmontable à tes yeux. Et surtout, tu as peur de flancher. Il n'y a qu'avec Woody que tu ne contrôles ni tes émotions, ni tes actes. C'est comme s'il était capable de prendre le contrôle de ta tête et de ton coeur. Néanmoins, aujourd'hui, tu as besoin de penser à toi, à ce qui est bon pour toi et à ce que tu veux réellement. « Mais j'veux pas que tu abandonnes en pensant que je ne reviendrai jamais. » Même si c'est un risque que tu prends en mettant des distances entre vous. Mais alors que Woody reprend la parole, soulignant que le temps vous est sûrement compté, à présent, tu ne peux t'empêcher de ressentir de la colère. Tu le trouves complètement injuste de retourner tes mots contre toi quand ça l'arrange. « C'est facile de dire ça maintenant. J'te signale qu'on vient de perdre sept mois précieux par ta faute. J'suis pas à ta disposition quand et où tu veux Woody. » Même s'il ne le pense certainement pas, c'est l'impression qu'il te donne à cet instant précis. Et c'est une des choses qui ne va pas entre vous et qui te conforte dans l'idée que tu fais le bon choix en t'investissant dans une potentielle relation avec Concho.

Ce qui aurait dû être une conversation belle, joyeuse, délivrante, prenait plutôt une tournure négative. Freja disait ne pas le juger et pourtant Woody prenait chaque réplique comme une attaque blessante. Et ses blessures le rendaient animal. « Face aux premières difficultés ? » Demanda-t-il dans une surprise avant de rire dans un sarcasme démesuré. Il n’en revenait pas que Freja l’accuse de se laisser aller maintenant, comme si c’était la toute première fois que la vie lui mettait des bâtons dans les roues et qu’il jouait à l’enfant. Woody n’avait peut-être jamais fait preuve d’une grande résilience mais il avait encaissé les premiers coups de sa maladie sans broncher. « Ça fait plus de dix ans que j’endure des symptômes qui vont et qui viennent, qui ne sont pas toujours les mêmes, qui n’ont pas toujours la même force. Depuis tout ce temps-là je gère les poussées imprévisibles et j’attends que ça passe. Sauf que là ça ne passe pas. Ça empire. Ce ne sont pas mes premières difficultés, Freja. C’est le début de la fin. » Et face à cette descente qui ne prédisait aucune remontée, Woody trouvait légitime d’avoir laissé son esprit sombrer avec son corps. Pour Freja toutefois, il aurait été prêt à remonter à la surface, au moins pour ses pensées, il aurait gardé la tête hors de l’eau pendant que son corps se noyait. Mais elle était incapable de lui promettre qu’elle lui reviendrait s’il le faisait pour elle. « C’est ta tactique, ça, au fond, pour te déculpabiliser. Tu vas m’pousser à me battre en sachant fort bien que tu n’reviendras jamais, mais au moins tu pourras t’endormir tranquille à côté d’un autre en te disant que ce sera pas ta faute si j’dépéris. » L’accusa-t-il, alors qu’il savait fort bien que ce ne serait la faute de personne, encore moins celle de Freja. Il avait juste tellement mal. Son mécanisme de défense habituel – agir en con – s’enclenchait donc de plein fouet. C’est vrai qu’il était injuste, Woody, en utilisant les paroles et les souhaits de Freja contre elle. Elle n’avait jamais demandé à attendre aussi longtemps. « Peut-être pas, mais … » Il s’arrêta net. Il regretterait. Il soupira. « Sache juste que tous les prochains mois, toutes les prochaines années, qu’on est en train de perdre … they’re on you this time. » Parce que lui était enfin prêt.

Comme à chaque fois que vous essayez de discuter tous les deux, l'un ou l'autre finit par prendre la mouche parce qu'il se sent attaqué alors que ce n'est pas le cas. Vous ne pouvez pas vous empêcher de vous blesser l'un l'autre malgré tout l'amour que vous éprouvez. Tu soupires en prenant conscience qu'encore une fois, tes mots n'ont pas été compris. « C'est pas ce que je voulais dire. » Tu tentes de garder ton calme mais ce n'est pas facile quand Woody crache toute sa colère. « C'que je veux dire c'est que, maintenant que les symptômes sont plus forts, j'ai l'impression que tu as arrêté de te battre. Et tu me donnes raison en disant que c'est le début de la fin. » Tu sais pertinemment que l'australien mène un combat contre la maladie depuis des années et que, même s'il a vécu dans le déni pendant un moment, il a quand même tenté de comprendre sa maladie et de se battre. Mais aujourd'hui, tu ne vois plus aucune lutte chez Woody. Tout ce que tu vois, c'est qu'il a baissé les bras. « Sérieusement ? » Demandes-tu en fronçant les sourcils et en serrant les poings pour tenter de maintenir ta colère à l'intérieur de ton corps. « J'suis en rien fautive de ta maladie Woody et si tu penses que, parce que je prends cette décision aujourd'hui, je vais être "tranquille", tu n'as rien compris. » Ou il ne veut pas comprendre, tout simplement. C'est plus facile de rejeter la faute sur toi et de mettre l'échec de votre couple sur ton dos. Alors, bien sûr, tu as eu tes torts mais aujourd'hui, si vous en êtes là, c'est entièrement à cause de Woody. « Mais quoi ? Va au fond de ta pensée. » Quitte à te blesser, autant le faire à fond. Au moins, tous les non-dits qu'il y a eu entre vous pendant ces sept mois s'envoleront. « C'est bien Woody. Fais-moi culpabiliser, t'as raison. C'est plus facile que de reconnaitre tes torts. » Tu descends finalement les quelques marches de sa maison pour prendre un peu de distance parce que les mots du brun sont trop difficiles à encaisser, à entendre.

Si Freja et Woody avaient un jour été sur la même longueur d’ondes, du temps qu’ils étaient meilleurs amis avant d’être amants, la situation était toute autre depuis quelques années, depuis que les sentiments amoureux étaient devenus trop grands pour eux. Ils ne se comprenaient plus, se disputaient constamment, se sentaient attaqués sans que ce soit le cas, transformant donc chaque petite discussion en guerre froide. Ils s’étaient perdus, il fallait l’admettre. Ils n’étaient plus ce qu’ils étaient avant, et il était difficile de croire qu’ils puissent un jour retrouver ce qu’ils avaient partagé. Pourtant, ils s’accrochaient. Jamais au même moment, jamais dans de bons timings, mais ils s’accrochaient quand même. Ils se ramenaient l’un à l’autre dans une danse infernale. « Oui, j’te donne raison. Tu devrais t’réjouir pour une fois que je tente pas de te contredire par tous les moyens. J’lâche prise. » Mais ce n’était pas un lâcher prise positif, c’était un abandon total de lui-même. Il ne faisait pas qu’accepter la maladie, il la laissait l’avaler. Woody, il n’existait plus, derrière cette coquille abîmée. Le jeune homme ne répondit rien concernant la faute ou la tranquillité d’esprit de Freja, parce qu’il savait fort bien qu’elle n’avait ni l’un ni l’autre. Il voulait juste la pousser à s’en aller, au fond. Comme toujours quand il était blessé. Il assena donc le coup de grâce en rejetant la faute de ce présent échec, et des mois à venir perdus, sur elle. « Je les ai toujours reconnus mes torts, j’sais que c’est moi qui ai tout gâché les dernières années. Mais je t’ai toujours expliqué mes raisons, j’t’ai toujours dit pourquoi j’agissais comme ça. Alors ne viens pas me dire que je ne sais pas reconnaître mes torts. Aujourd’hui c’est toi qui fous tout en l’air. » C’était à elle de le reconnaître cette fois, selon lui. Il ne saisissait pas qu’elle avait eu le droit de vivre sa vie, Freja, et de se reconstruire sans lui. C’est pourtant exactement ce qu’il lui avait demandé de faire. Il ne pouvait pas revenir en arrière quand bon lui chantait. Il regarda la norvégienne s’éloigner, sans chercher à la retenir. Si elle voulait aller retrouver Conchobáhr, qu’elle le fasse.