More like friends [Wooshka]

Se serait-il moins immiscé dans sa vie si elle lui avait dit qu’elle ne voulait pas de ses conseils ? Ça restait à voir. Woody était un être entêté et il aurait peut-être cherché à faire passer son message quand même. Quoiqu’envers Annushka plus qu’envers n’importe qui d’autre, il éprouvait un profond respect. Pour elle, il aurait peut-être pu se taire, ce qui ne lui arrivait que très rarement lorsqu’il était question d’argumenter. La jeune femme répliqua que parfois, elle aussi voulait bien faire, mais qu’elle faisait mal. Autre manière de souligner que le comportement de Woody avait été mauvais. Il soupira discrètement, n’ajoutant rien puisqu’il ne voulait pas accentuer davantage ses torts. Il n’aimait pas ne pas avoir raison, et encore moins se le faire reprocher. Involontairement, il récupéra quelques points en témoignant de son désir qu’Annushka trouve ce qu’elle recherchait, même s’il ne pouvait prétendre comprendre comment, à l’ère actuelle, elle pouvait être encore ancrée dans de telles croyances. Il ne le formula pas ainsi, évidemment. Woody ne voulait pas l’attaquer là-dessus, il respectait sincèrement son choix même si cela signifiait qu’il ne serait jamais un possible pour elle. « J’espère que je serai aux premières loges de ton mariage. » Dit-il dans un court rire presque muet. Il savait que ça lui arriverait, à Annushka. Une femme comme elle ne resterait pas célibataire encore longtemps, peu importe ses critères. Il baissa les yeux vers leurs mains, et enlaça ses doigts entre ceux de la russe. « Même chose ici, Ann’. Je ne dis pas toujours les bonnes choses mais j’essaie, parfois. » Il esquissa un faible sourire. Il retira finalement sa main et se cala un peu sur le dossier de sa chaise. « Par contre ce café froid, ce n’est pas buvable. » Déclara-t-il en riant.

Un large sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme. Elle acquiesça d'un vigoureux signe de tête.

-Si je ne t'invite pas toi, qui est-ce que je pourrais bien inviter ?

Woody était devenu son pilier à Bowen. Il était sa plus vieille connaissance en Australie, et malgré le fait qu'ils soient tous les deux très différents, ils étaient resté très proches. La jeune femme l'appréciait énormément et elle n'avait pas vraiment besoin de lui prouver.
Oui, si Woody n'était pas invité, qui le serait ? Jake ? CJ qui était récemment revenu ? Son cercle d'amis était bien réduit à Bowen. Était-ce ici qu'elle trouverait l'homme qui lui correspondait ou bien retournerait-elle en Russie ?

Elle eut un sourire tendre alors qu'ils enlaçaient leurs doigts avant de finalement reculer sa main. Elle secoua doucement la tête avant de lever les yeux vers lui. Elle eut un petit rire quand il fit un commentaire sur leur café froid.

-Tu veux qu'on en commande un autre ?

Un large sourire se dessina à son tour sur les lèvres de Woody. Il était touché qu’il figure parmi les incontournables à inviter à son mariage. Ils étaient très proches, tous les deux, mais ils n’avaient jamais intégré le cercle d’amis de l’un ou de l’autre. À la fois parce qu’ils étaient effectivement très différents et parce qu’ils ne comptaient pas non plus d’innombrables amis. Ils étaient du genre à pouvoir les compter sur les doigts d’une main, visiblement. Et Woody n’était plus trop dans le mood des gros rassemblements, il voyait de plus en plus ses proches un à un, et ça lui plaisait comme ça. « J’sais pas, t’sais qu’on a beau se voir régulièrement et se connaître, toi et moi, j’ignore avec qui tu traînes ? » Fit-il donc remarquer avec un sourire. Ils n’avaient sans doute pas de connaissances communes hormis Jake bien sûr, autrement ils l’auraient réalisé bien avant ça. Pour ce qui était de CJ, Woody préférait ne même pas le considérer dans l’équation. Le jeune homme enlaça leurs doigts pour un moment de douceur, avant de les relâcher pour en revenir à leurs cafés froids. « Ouais, je te l’offre, c’est ma faute si on n’a pas pu en profiter. » Il fit un signe au serveur lorsqu’il passa près d’eux, et lui demanda deux nouveaux cafés, sur son bras. Le serveur les desservit et Woody croisa les bras sur la table maintenant que son espace était débarrassé. « Qu’est-ce que t’as de prévu après ? » Demanda-t-il, penché vers l’avant.

Annushka esquissa un petit sourire avant de hausser doucement les épaules, lui laissant seulement une réponse vague.

-Sûrement parce que je ne traîne pas avec tant de monde que ça. Je crois qu'ils se comptent sur les doigts d'une main... En dehors des gens que je fréquente à l'Eglise.

Ce n'était pas qu'elle n'appréciait pas les gens de l'Eglise d'ailleurs, mais elle n'était réellement devenue amie avec personne en particulier, bien qu'ils puissent s'échanger des services de temps à autre.
Non, ceux qu'elle fréquentait vraiment ? Woody, CJ qui était revenu depuis bien peu de temps, Jake, Zak... C'était ceux qu'elle voyait plutôt régulièrement. Elle pouvait ajouter à la liste ceux avec qui elle discutait sur l'application, Manny... Mais elle n'allait pas les inviter à son potentiel et hypothétique mariage.

Elle secoua la tête en se mettant à rire alors qu'il lui disait qu'il lui offrirait son deuxième café.

-Tu n'es pas obligé ! Et ce n'est pas juste de ta faute non plus.

Elle lui sourit tendrement. Elle était sentimentale, il n'y pouvait rien. Woody appela le serveur et ils recommandèrent la même chose. Elle glissa une main dans ses cheveux avant de relever le regard vers Woody.

-Après ? Rien de particulier. Je dois faire un peu de ménage à la maison. Et brosser Anastasya. Et toi ?

Annushka lui expliqua qu’elle ne fréquentait tout simplement pas beaucoup de monde. Ça faisait écho à ses propres pensées sur son entourage à lui. Enfin, hormis le passage sur les gens de l’Église. Woody n’avait pas de communauté, comme ça. Il aurait bien pu développer des amitiés au sein de ses groupes de soutien pour les gens atteints de la sclérose en plaques, mais vu son manque d’enthousiasme face à ces réunions, il ne traînait jamais bien longtemps dans les parages. « Cheers to that, j’dois avoir trop de doigts pour les compter moi aussi. » Dit-il avec un léger sourire, avant d’hausser les épaules. « C’est pas plus mal. Quand j’étais plus jeune je n’avais plus jamais de temps pour moi parce que j’étais toujours invité à plein de trucs. » Il n’était pas à plaindre pour ça, d’ailleurs il disait ça maintenant mais l’époque de sa popularité lui manquait. Peut-être aussi parce qu’il était en parfaite santé, à ce moment de sa vie. C’était une étrange nostalgie qui s’emparait de lui lorsqu’il y songeait. Leurs cafés étant froids et imbuvables, Annushka proposa d’en recommander. Woody affirma qu’il le lui offrait, puisque c’était de sa faute s’ils avaient perdu du temps. « Ça me fait plaisir. » C’était la moindre des choses, pour lui. Ils recommandèrent donc la même chose au serveur et Woody demanda à Annushka ce qu’elle avait de prévu ensuite. « Rien en particulier. J’avais envie de te proposer qu’on fasse quelque chose de plus … j’sais pas, qui sort un peu de l’ordinaire. Entre les repas chez l’un ou l’autre ou les cafés, on ne fait jamais vraiment d’activité. » À part parler. Et parfois, parler en demandait beaucoup à Woody. « Mais … si tu dois brosser Anastasya … » Lâcha-t-il en laissant le suspens, un sourire amusé aux lèvres.

Annushka n'avait pas de mal à imaginer Woody populaire quand il était plus jeune. Il était beau garçon, sportif de haut niveau, et elle l'imaginait sans mal avec ce côté bad boy qui rendait populaire les garçons de son âge auprès de certaines filles. Annushka n'avait jamais attiré par ce genre de garçons. Parce que ceux là, ils ne pouvaient pas comprendre ses convictions. Woody admettait d'ailleurs sans mal qu'il ne les comprenait pas.

-Tu ne regrettes pas du tout cette époque ?

Annushka, elle, n'essaierait pas une seule seconde de faire croire qu'elle ne regrettait pas l'époque où elle était encore ballerine. Même si elle se faisait peu à peu à son destin, elle n'avait pas trouver de plus beau rêve pour autant. Ca lui manquait, d'avoir un rêve, un rêve qui ne dépendait que d'elle et de ses talents personnels.

Woody proposa alors qu'ils fassent une sortie qui les sortait un peu de leur quotidien. Annushka n'allait pas donner tort à Woody, leurs entrevues pouvaient sembler morne, répétitive, sans originalité. Ils y trouvaient tous les deux leur compte, ayant du mal à sortir de leur zone de confort.

-Hey !

Elle se mit à rire. Comme si brosser Anastasya était une bonne raison pour "échapper" à une activité avec son amie.

-Non, on va faire quelque chose.

Elle commença alors à réfléchir à quelque chose qu'ils pourraient faire tous les deux.

-Alors, une activité... Qui ne ferait pas trop marcher...

Il n'était pas question de fatiguer Woody plus que nécessaire. Ou que leur sortie soit une corvée pour lui.

-Oh... Et si on faisait du bateau ? Je n'en ai jamais fait !

La question d’Annushka le fracassa dans ses propres pensées, qui répondaient exactement à la question de la jeune femme. Il se voilait le visage, Woody, en se confortant dans sa vie actuelle. Rien de sa vie actuelle ne l’émerveillait comme il avait pu aimer la vie autrefois. Tout était maintenant dans les tons de gris. Morne et terne. Il soupira légèrement, les épaules affaissées. « Je mentirais si je disais que je ne la regrette pas du tout. Et les mensonges, même répétés, n’arrivent plus à me convaincre. » Il haussa les épaules. « Regarde-moi maintenant. » Il eut un rire bref, honteux, triste. « Je regrette chaque année que je laisse derrière. Alors cette époque-là, encore plus. Mais elle me semble tellement loin. Comme si ça n’avait jamais été ma vie. » Comme si cette conversation avait été un signal pour lui de faire bouger un peu les choses, au moins entre eux, pour qu’ils cessent de s’apitoyer sur leur sort, Woody proposa de faire une activité plus distrayante qu’un simple café ou qu’un repas partagé. Annushka sembla partante, d’abord riant à propos de sa pique sur Anastasya, ensuite en acquiesçant et en proposant même une idée. Il arqua un sourcil. « Tu vis à Bowen et tu n’as jamais fait de bateau ? Il faut définitivement remédier à ça, oui. » Affirma-t-il avec un sourire. Leurs nouveaux cafés arrivaient justement. Si l’autre avait été trop longuement dégusté, celui-là n’aurait pas le temps de refroidir. Woody en avala une grande lampée avant de le déposer sur sa coupole et de sortir un billet qui couvrirait les quatre cafés et le pourboire. Il se pencha pour retrouver sa canne déposée au sol, sous sa chaise. Il ne presserait pas Annushka de vive voix, mais clairement, ses gestes s’en occupaient déjà.

Avoir l'impression d'être dans une autre vie. Annushka comprenait ce sentiment. Elle le partageait même. Sa vie de ballerine lui paraissait, elle aussi, tellement loin à présent... Mais à quoi bon continuer à y penser ? Elle ne pouvait pas revenir en arrière. Tout comme Woody. Sa Sclérose en Plaque ne guérirait jamais. Il s'agissait d'une maladie dégénérative, il n'y avait malheureusement pas d'issues. Pas de bonne issue.

-Je crois que j'essaye de ne pas me mentir. Je sais que je ne trouverais jamais quelque chose d'aussi bien que la danse. Que probablement rien ne me rendra aussi heureuse professionnellement. Mais je sais bien que je dois aller de l'avant et tourner la page. Il n'y a pas d'autre solution.

Elle eut un rire quand Woody constata qu'il était terrible qu'elle n'ait jamais fait de bateau étant donné son lieu de vie.

-C'est si grave que ça ?

Elle leva les yeux vers lui avec un sourire amusé. Elle était partante pour y "remédier" comme il disait. Elle était toujours partante pour découvrir, Annushka, surtout en si bonne compagnie. Et puis, l'activité ne lui paraissait pas dangereuse. Elle avala elle aussi bien vite son café pour suivre Woody qui semblait soudainement pressé de partir. Sans doute que la perspective de changer d'air lui plaisait, le café étant maintenant associé à quelque chose de triste et malaisant.

-Allons-y !

Elle le laissa payer, ne voulant pas le contrarier.
Elle se leva à son tour de sa chaise et mit son manteau pour qu'ils sortant tous les deux. Elle hésita à lui tendre son bras, ne sachant pas comment il prendrait ce geste. Elle voulait l'aider, mais elle savait que Woody avait du mal avec l'aide. Elle finit par li tendre sa main, lui souriant, préférant simplement être plus prés de lui.

-Est-ce que tu connais un endroit pour faire du bateau ? Tu en as déjà fait toi ? Tu as déjà... "piloté" ?

Cette triste fatalité qui se reflétait autant dans le discours d’Annushka que dans celui de Woody. Elle avait raison quand elle disait qu’il n’y avait pas d’autre solution que d’aller de l’avant. Woody non plus ne pourrait jamais remonter sur un vélo et être aussi téméraire qu’avant, au même titre qu’Annushka ne pourrait jamais remonter sur ses pointes sans risque de blessure. Il était bien placé pour le savoir, c’est lui qui avait été son physiothérapeute. L’un comme l’autre avaient fait une croix sur leurs rêves, leurs carrières, et la douleur d’un tel destin se ressentait dans leurs regards respectifs. « Ça me rassure quand même de t’entendre dire ça … Dans le sens où, plein de gens, qui ont aucune idée de ce que ça fait de perdre une part si importante de soi-même, m’ont dit que j’allais forcément retrouver quelque chose qui me passionnerait autant, y’a même des amis qui ont été jusqu’à dire que j’pourrais être autant heureux à faire des trucs comme … cuisiner, jouer à des jeux de société, … » Il rit en secouant la tête. « C’est mal me connaître. Anyway. » Il savait que c’était difficile de trouver les bons mots, lui-même était le pire pour ça. Il n’en voulait donc pas à ces proches qui faisaient juste de leur mieux. Il savait qu’il n’était pas l’homme le plus facile à qui remonter le moral, en plus. Annushka réussissait quand même assez bien, cela dit, et elle arriva même à lui changer les idées après une telle conversation alors qu’ils parlèrent de bateaux. « Grave, non, mais … ça ne peut quand même pas continuer comme ça ! » Il sourit, avant de payer pour leurs cafés après qu’ils les aient avalés en quelques brûlantes gorgées. Brûlants ou froids, ils ne faisaient visiblement jamais dans l’entre-deux. Le jeune homme récupéra sa canne sous la table et marcha avec la russe en direction de la sortie. « Au centre nautique, ils en louent … J’en ai déjà pilotés, ouais, surtout au début de ma vingtaine mais bon … ça doit pas s’oublier. » Il aurait eu le réflexe d’ajouter c’est comme monter à vélo mais dans son cas, cette expression était des plus ironiques.

Les ami.e.s de Woody, comme les sien.ne.s, avaient probablement seulement essayé de trouver n'import quoi pour lui remonter le moral, à l'époque. Mais probablement que même eux ne croyaient pas à ce qu'ils racontaient. Retrouver ailleurs quelque chose qui le passionnerait autant que son sport de prédilection ? Ce serait une chance inouïe c'est sûre, mais si peu probable.

-Ils essayaient sûrement de faire de leur mieux. Mais c'est évident... ni toi ni moi ne retrouveront quelque chose de similaire. Mais peut-être qu'on trouvera autre chose qui pourra nous plaire, qui nous consolera un peu. Est-ce qu'on a vraiment un autre choix de toute façon ?

Ils ne pouvait qu'essayer de trouver des pansements, plutôt que de se morfondre, ce à quoi ils avaient tous les deux été plutôt forts jusque-là, non ?

Woody le faisait rire alors qu'il prenait bien trop au sérieux cette histoire de bateau. Mais au moins l'idée lui plaisait, et Annushka en était très heureuse. Elle aussi voulait pouvoir remonter le moral de Woody, et remonter le sien par la même occasion, qui jouait un peu au yoyo dernièrement. Passer du temps ensemble, ça ne pouvait que les aider tous les deux, non ?

Ils sortirent donc du café et Woody lui confia qu'ils louaient des bateaux au centre nautique et qu'il en avait effectivement déjà conduit.

-Je te fais confiance alors ! Il faut juste éviter de rentrer dans les autres bateaux.

Elle rit légèrement et balaya la rue du regard.

-Il faudrait prendre une voiture pour y aller, non ?

Ils n'allaient pas marcher jusqu'à la plage, c'était un peu loin, surtout pour Woody. Et Annushka, elle, était venue jusqu'au café à pied.

Évidemment, ils essayaient de faire de leur mieux, ces amis qui ne cherchaient qu’à le réconforter et à lui faire entrevoir un avenir un peu moins pessimiste. Mais parfois, à des paroles vides et aléatoires, Woody préférait le silence. C’était sans doute pour cette raison que souvent, quand un de ses proches n’allait pas, il ne disait rien ou semblait mal à l’aise. Plutôt que de leur sortir des phrases préconstruites qui ne prenaient pas en considération le ressenti actuel de l’autre, il préférait se taire. « Se laisser crever de l’intérieur. » Lâcha Woody sans réfléchir, alors qu’Annushka demandait s’ils avaient un autre choix que de trouver un prix de consolation, un petit passe-temps pour occuper leur âme brisée. Il haussa les sourcils, réalisant la noirceur de ses paroles bien trop calquées sur sa réalité. Cela dit, c’était bel et bien un choix, sans doute pas le plus sain, mais une alternative quand même. Alternative que Woody avait choisie cette dernière année. Lentement mais sûrement, il remontait à la surface, et des journées comme celle-là à planifier des virées en bateau ne pouvaient que l’aider à laisser la lumière chatouiller son regard. Ils quittèrent le café, discutant des options s’offrant à eux. Le centre nautique semblait le meilleur plan, facile et accessible. Il haussa les épaules à propos des autres bateaux. « Au pire ça débutera une partie de bateaux-tamponneurs … version extrême. » Il rit. L’extrême, Woody adorait. Mais quand même pas au point de devenir dangereux pour les autres. « Ouais, j’ai la mienne stationnée là. » Il pointa sa voiture garée en parallèle, un peu plus loin sur la même rue que le café. Il déverrouilla les portes à distance et laissa Annushka s’installer pendant qu’il ouvrait la porte arrière pour poser sa canne sur la banquette. Il revint s’asseoir derrière le volant, boucla sa ceinture et démarra en direction de la plage sur laquelle était située le centre nautique.

Annushka se mordit la lèvre aux paroles de Woody. On ne pouvait pas dire qu'il avait tort. Après tout, cette solution était celle qu'elle avait emprunté pendant un long moment. Se laisser crever. Attendre de mourir. Ne pas aller vers les autres. Pleurer. Broyer du noir. Elle savait bien trop ce que c'était, et elle ne voulait plus vivre ça. A présent, elle voulait avancer. Elle espérait pouvoir donner l'envie à Woody d'avancer, un jour. Même s'il finissait en fauteuil roulant, sa vie ne s'arrêterait pas là, il pourrait encore accomplir bien des choses, elle en était certaine.

-J'espère pouvoir réussir à emprunter un autre chemin que celui-là.

La virée en bateau décidée, Annushka éclata de rire aux bêtises de son ami. Si l'idée était amusante, dans les faits, ce ne serait certainement pas aussi drôle de rentrer dans les autres bateaux.

-Il faudra penser à ajouter des petites mousses alors !

Alors que la jeune femme s'inquiétait sur la façon de se rendre au centre nautique, Woody lui indiqua que sa voiture était juste à côté. Elle grimpa donc dedans et s'installa confortablement dans le siège. Elle sourit au conducteur.

-En route !

Ils ne mirent pas longtemps à arriver à la plage et ils descendirent pour aller jusqu'au centre nautique où un homme leur remit les clefs d'un bateau, leur expliquant les consignes de sécurité de base à respecter pour ne personne en danger, et ne pas abîmer le bateau, accessoirement. Une fois la petite leçon terminée, Annushka prit place en passager, laissant le volant à Woody qui était plus expérimenté qu'elle.

-Bon, j'espère ne pas avoir le mal de mer, mais j'ai confiance.

Lui aussi, au fond, il espérait pouvoir emprunter un tout autre chemin. S’il semblait avoir trop le confort et le réconfort dans l’autodestruction et dans la pénible attente de sa fin, il n’en était rien. Woody était toujours mal, en-dedans de lui c’était le chaos et la noirceur, et il n’aimait pas ça. Chaque matin était lourd et chaque nuit l’était plus encore, parce qu’il se surprenait parfois à souhaiter ne pas se réveiller cette fois. Ça ne lui ressemblait pas. C’était dans ces moments-là qu’il prenait pleinement conscience de sa chute, et ça l’effrayait. Le monstre n’était pas en-dessous de son lit, il était dans sa tête. « Ouais. Moi aussi. » Souffla-t-il à Annushka en serrant ensuite la mâchoire pour chasser le trémolo dans sa voix et dans son cœur. Sur une note plus légère, ils décidèrent de changer d’activité, pour une fois. Eux qui avaient l’habitude de se retrouver autour d’un repas ou d’une boisson quelconque, ils décidèrent d’aller en bateau. Woody avait encore son permis, ce genre de truc n’avait pas à être renouvelé aussi souvent qu’un permis de conduire de voiture. Ils blaguèrent sur la manière de rendre plus extrême encore l’activité. Woody rit. « Tu ne vis pas assez dangereusement. » Lâcha-t-il à celle qui prévoyait mettre des mousses si une réelle partie de bateaux-tamponneurs se profilait à l’horizon. Ils montèrent dans la voiture et, prudemment, Woody les conduisit jusqu’au centre nautique. Il ne voulait quand même pas qu’Annushka change d’idée en jugeant sa conduite. Il se gara au stationnement en bordure de la route et de la plage, et tous les deux descendirent jusqu’à la plage pour retrouver l’homme derrière le stand d’accueil. Ce dernier leur remit les clés d’un bateau et fit signer un formulaire à Woody, qu’il prit moyennement le temps de lire avant d’apposer sa signature. « Au pire tu vomis par-dessus bord, ça fait pas trop de dégâts. » Plaisanta Woody en secouant la tête dans un rire après avoir réalisé qu’il avait vraiment dit ça. Il se laissait aller, c’était plutôt bon signe. Il tourna la clé et le moteur démarra. Il poussa sur le manche de vitesse afin d’avancer, et se dirigea vers le large. Ça faisait du bien, de faire quelque chose de différent. De faire quelque chose tout court. Quand la plage se fit toute petite, il tourna la tête vers Annushka. « Alors, ça ne brasse pas trop ? » Heureusement pour eux, il n’y avait pas de trop grosses vagues aujourd’hui. Pour le moment en tout cas.

Annushka haussa les épaules avec un petit rire. Il était certain que, contrairement à la vie passée de Woody, elle n'était pas vraiment du genre à prendre des risques. Elle était une personne douce et prudente, avec elle, et avec les autres. Cela venait probablement de son éducation. On l'avait toujours tendrement couvé. On l'avait aidé à atteindre son rêve. Et maintenant, on essayait de l'aider à se reconstruire. Elle aimait se dire qu'elle était en bonne voie, qu'elle n'avait jamais été aussi proche du but.

-Tu as sûrement raison.

Annushka fit la grimace aux mots de Woody sur son potentiel mal de coeur. Mais ça la fit rire tout de même.

-Hey ! Beurk !

Elle lui tira la langue. Elle espérait bien qu'elle n'en arrive pas à vomir. Ce n'était vraiment pas élégant... Elle n'avait pas envie de faire ça devant Woody.

Le vent à bord du bateau était agréable. La jeune femme regardait émerveillée les petits vagues qui léchaient la coque du bateau. Prendre l'air, elle ne pouvait nier que c'était un des conseils bateau qui faisait du bien dans son quotidien.

-Non ça va ! J'aime bien. Ca fait raiment voir... Des choses différentes de d'habitude.

Elle leva la tête vers le ciel, souriante.

-Il fait si beau, c'est dommage que je n'ai pas prévu de maillot de bain.

Rapidement, Annushka et Woody s’étaient retrouvés à bord du bateau, à naviguer paisiblement le long des côtes. D’ici, Bowen avait l’air d’être un havre de paix. C’était beau, paradisiaque, et en apparence tranquille. Les plages n’étaient pas bondées de monde, la mer était calme. Pourtant, la plupart des habitants pouvaient témoigner du tumulte quotidien de la ville. Woody le premier. Sa vie à Bowen n’avait pas été un long fleuve tranquille. L’accalmie du moment le réconfortait, toutefois. C’était souvent le sentiment qui l’habitait lorsqu’il passait du temps avec Annushka. Une parenthèse rassurante dans son histoire lourde à écrire. Il sourit en la regardant lui assurer qu’elle aimait bien la balade. C’aurait pu prendre une toute autre tournure, si elle avait effectivement eu le mal de mer. « Ouais, Bowen n’a pas le même look, d’ici, pas vrai ? » Lança Woody en poursuivant ses pensées à voix haute. Puis, à la remarque de la brunette, il haussa les épaules. « J’sais pas pour toi, mais ne pas avoir de maillot de bain ne m’a jamais trop trop arrêté … » Et sans le vouloir, les souvenirs avec Freja refirent surface, parce que les fois où ils s’étaient baignés nus ou en sous-vêtements ne se comptaient même plus. « Des sous-vêtements ça ressemble quand même pas mal à un maillot de bain, non ? Et avec ce soleil tu sécheras dans le temps de le dire … » Autrement dit, Woody était des plus partants pour un saut dans la mer.