More like friends [Wooshka]

Le soleil se couchait, et Annushka ne semblait pas le lâcher des yeux. Elle avait de la chance, Annushka. D'être là, aujourd'hui, de pouvoir profiter des jolis paysages de l'Australie. D'avoir une vie si sereine, après tous ces échecs. Ici, on ne lui rappelait pas sans cesse qu'elle n'était plus ballerine, ni qu'elle n'était toujours pas mariée. Oui, quand elle relativisait, elle s'en rendait compte, qu'elle avait de la chance. Elle redirigea son regard vers Woody à sa question. Elle n'était pas bien sûre de comprendre. Elle pencha légèrement la tête sur le côté.

-Je crois que oui.

Elle était elle-même, point, peu importe de quel côté on pouvait regarder.
Elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire alors qu'il parlait des envies. Il fallait s'y attendre venant de Woody, elle n'était pas vraiment étonnée.

-Non, il n'y a rien de mal. Et je ne pense pas que ta façon de vivre est mauvaise, Woody. Ce n'est juste pas la mienne.

Annushka ne voulait désirer qu'un seul homme. Peut-être que la vie lui réservait autre chose, mais c'était pour l'instant son choix.
Elle finit par sourire en acquiesçant d'un signe de tête. Oui, ils étaient différents. Ils l'avaient toujours su, depuis le premier jour... Et depuis rien n'avait changé. Mais ils étaient devenus plus proches.

-Oui, je suis moi. Et ce n'est pas grave si tu ne me comprends pas, tant que tu me laisses être moi.

Ils n’avaient pas les mêmes perceptions à propos de la vie, ce n’était certes pas une grande nouvelle puisqu’ils l’avaient su dès les balbutiements de leur relation. Woody était arrivé avec ses airs de grand charmeur et il avait rapidement compris que ce n’était pas ce qu’Annushka recherchait. C’était devenu de plus en plus clair entre eux au fil du temps. C’était probablement la première fois qu’ils en parlaient aussi longuement et ouvertement, toutefois. « Je ne pense pas que ta façon de vivre est mauvaise non plus, tu sais. Même si j’ai peut-être souvent l’air de la remettre en question. J’ai juste du mal à m’faire à l’idée que tu aies ces limites que j’suis pas habitué à voir chez les gens de mon entourage. » Annushka acquiesça aux propos du brun en disant qu’ils ne raisonnaient pas de la même manière. Ils ne parlaient pas toujours le même langage, au fond. Il était donc normal qu’ils n’arrivent pas à toujours tout comprendre de la façon d’être de l’autre. L’important était qu’ils se respectent, et ils le faisaient. « Oui, j’te laisse être toi. Autrement, ça ferait déjà longtemps que j’aurais … » Il se tut d’un coup, fit une grimace gênée, et secoua brièvement la tête pour chasser ses paroles. Il aurait voulu qu’elles s’évanouissent dans le silence mais il savait que ce ne serait pas le cas. « J’devrais pas m’aventurer sur ce terrain-là. » Il esquissa un faible sourire en détournant le regard.

Annushka resta silencieuse quelques instants. Oui, il avait souvent l'air de remettre ce qu'elle faisait en question. De douter de ses principes. C'était parfois... compliqué à gérer pour elle. Mais elle était plutôt contente qu'il finisse par lui dire les choses ainsi.

-Il est parfois difficile de discerner si tu as juste du mal à te faire à l'idée... Ou si tu les rejettes simplement en bloc, mes limites.

Elle lui adressa un petit sourire timide. Il faut dire que Woody avait essayer de les dépasser plusieurs fois.

-Mais je suis contente d'être un peu unique.

Elle eut un petit rire, essayant de détendre l'atmosphère.

Elle ne put cependant s'empêcher d'arquer un sourcil à ses mots. Qu'il aurait ? Qu'il aurait quoi ? La jeune femme était un peu perplexe, ne sachant pas vraiment ce qu'il avait l'intention de dire. Mais visiblement il ne voulait pas s'entendre. Sans doute valait-il mieux respecter son choix et faire comme s'il n'avait rien dit. Alors elle tourna de nouveau son regard vers l'horizon, appuyer sa tête sur ses genoux.

-Je ne regrette pas cette vue.

Le reproche qu’elle lui fit le mit mal à l’aise. Probablement en raison du chemin qu’il avait fait depuis ce temps-là, aussi. Il est vrai que Woody avait à plusieurs reprises testé les limites d’Annushka. Il voulait comprendre jusqu’où elle était prête à aller, jusqu’où elle était ancrée dans ses croyances. Jusqu’à l’os, il l’avait compris. Et puis le temps était passé et même si l’attirance que l’homme éprouvait envers la danseuse ne pouvait pas s’être complètement effacée, il avait intégré qu’eux d’eux ne pourraient jamais être un nous. Annushka était devenue autre chose pour lui, un point d’ancrage, une confidente, une rare amie. « Je m’excuse de t’avoir mise mal à l’aise ces fois-là. Je voulais pas les rejeter, tes limites. Je voulais pas te manquer de respect. » Et c’est probablement grâce à cette conversation que plus tard, dans environ cinq mois, Woody ne flancherait pas lorsqu’Annushka se présenterait à sa porte au beau milieu de la nuit, voulant qu’il lui montre ce que c’était que de faire l’amour. Il ne profiterait pas d’elle dans ce moment de vulnérabilité. Il la respecterait. Woody choisit également de le faire à cet instant présent, en ne lui avouant pas que s’il n’avait pas respecté ses valeurs et ses points de vue, il aurait déjà été tellement plus loin dans ses tentatives. « Je ne la regrette pas non plus. » Il esquissa un sourire avant de se replonger dans le silence en regardant le soleil terminer de se coucher. Il ne restait à présent qu’une faible lueur éclairant les alentours. « Ce sera un peu moins facile de retraverser les roches dans la noirceur, j’te préviens. » Mais il faudrait bien qu’ils le fassent bientôt. Ils avaient passé plusieurs heures ensemble, la journée venait de tirer à sa fin, et le barman attendait sans doute encore qu’ils lui ramènent ses deux verres vides. « On s’y risque ? » Demanda donc Woody.

Annushka hocha doucement la tête à ses mots, montrant qu'elle comprenait, et qu'elle savait. A ses yeux, Woody n'était pas une mauvaise personne, et il n'avait rien fait pour lui nuire sciemment. Il n'avait simplement pas assez réfléchi. Et pas assez prit l'autre en considération. Mais il semblait s'améliorer tous les jours sur ce point.

Ils restèrent quelques instant à observer le coucher du soleil en silence. Fatalement, à présent, il faisait beaucoup plus noir. Elle n'avait pas vraiment pensé au chemin du retour, mais elle ne s'inquiétait pas outre mesure. A présent, les verres étaient vides, ils n'auraient donc pas besoin de faire attention à ne pas renverser le contenu et pourraient être tout à fait concentré sur l'équilibre.

-Ce n'est pas grave, tu me porteras !

Elle eut un sourire taquin qu'il ne voyait probablement pas bien dans la pénombre.

La brune hocha la tête quand Woody donna le signal du départ et elle se leva avec précaution, tendant sa main à son ami pour l'aider à faire de même. Elle descendit ensuite son regard vers les rochers et décida d'avancer très lentement pour ne pas prendre le risque de glisser.

Annushka ne répondit rien aux excuses de Woody et dans un sens, il préférait ça comme ça. Il n'avait jamais été un grand fan des émotions, des prises de conscience, des remises en question et des réparations de relations. L'homme préférait continuer d'avancer sans regarder en arrière, même s'il laissait derrière ses pas des regrets ou des maladresses. Avec Annushka, il avait fait l'effort de reconnaître ses torts, ce qu'il ne faisait pas avec n'importe qui. Il était donc heureux qu'elle ne renchérisse pas, qu'elle ne veuille pas poursuivre dans les justifications. Il préférait passer à autre chose, Woody, et ne pas avoir à s'expliquer et s'épandre sur ses sentiments plus longuement.

Quand le soleil fut complètement couché derrière l'horizon, Woody proposa d'entamer le chemin du retour. Ils n'allaient quand même pas rester ici indéfiniment, surtout que le trentenaire aimait avoir de la compagnie, mais qu'il aimait également se retrouver avec lui-même assez rapidement. « Alors on se retrouvera tous les deux à l'eau ou avec les genoux lacérés par la roche. » Lança Woody avec un sourire quand Annushka affirma qu'il pourrait toujours la porter pour revenir les deux pieds dans le sable. La jeune femme avait beau être un poids plume, le physiothérapeute avait de moins en moins d'équilibre.

Ils réussirent tant bien que mal, en étant prudent et lent, à regagner le bar de la plage. Woody alla reporter les deux verres vides, Annushka ayant déjà fait la plus grande part du deal. Il n'allait pas risquer qu'elle se fasse accoster trop longtemps par le barman qui chercherait peut-être à se faire remercier après son quart de travail. Il revint à la sortie, là où la danseuse l'attendait. « T'étais venue au café à pieds, non ? Tu veux que je te raccompagne jusqu'à chez toi ? » Il n'allait quand même pas reprendre sa voiture et s'en aller, alors qu'elle allait devoir marcher jusqu'à chez elle à partir d'ici, ce qui n'était même pas son point de départ initial.

Annushka esquissa un sourire quand Woody affirma l'évidence : s'il la portait cela finirait probablement mal pour leur intégrité physique. Elle n'avait pas besoin d'hommes forts, Annushka. Enfin, elle n'en avait pas besoin physiquement. La maladie de Woody n'était pas quelque chose qu'elle voyait comme une réelle faiblesse. A vrai dire, il fallait être d'autant plus fort pour vivre avec, et réussir à en plaisanter, un peu, du moins avec elle.

-Je serais obligée de soigner tes genoux après.

Ils regagnèrent le bar et Woody alla rendre les verres. Elle supposa que c'était pour compenser avec le fait qu'elle avait été les chercher et ne protesta pas.

-Ah euh... Oui, c'est vrai. Je veux bien, ça va me faire un peu loin à pied, et il n'y a pas beaucoup de bus à cette heure-là.

Elle eut un petit rire avant de lever ses yeux verts vers son ami.

-Merci beaucoup pour cette journée.

Woody esquissa un sourire quand Annushka affirma qu’elle serait alors obligée de soigner ses genoux, s’ils tombaient sur les roches alors que le trentenaire essayait de porter la brunette. « J’ai pas besoin d’une infirmière personnelle. » Cela pouvait peut-être paraître rude comme commentaire mais il ne l’avait pas vu ainsi. C’était sorti comme ça, d’un ton de voix normal. Il aimait juste régler ses soucis par lui-même, qu’ils soient physiques ou mentaux. Woody n’aimait pas dépendre des autres, cela s’était rapidement compris dans son entourage après l’annonce de sa maladie.

De retour au bar de la plage, Woody alla reporter les verres vides au barman qui ne lui adressa qu’un rapide coup d’oeil et un remerciement presque inaudible. Il était sans doute déçu que ce ne soit pas la belle danseuse qui revienne lui faire du charme. L’aîné des Rutkowski revint vers Annushka et proposa de la reconduire chez elle, puisqu’il avait sa voiture et qu’elle était à pieds. « Alright, allons-y. » Dit-il après qu’elle ait accepté. Ils commencèrent à marcher en direction du stationnement, et Annushka releva ses yeux verts sur lui. « Ouais, c’était une belle journée. Merci de m’avoir sorti de ma tanière. » Il la poussa tout légèrement en marchant, un sourire aux lèvres. Puis, il monta dans sa voiture, rejoint par Annushka du côté passager, et il prit la route jusqu’à chez elle, où il la déposa avant de regagner sa solitude.

FIN