The unknown is sometimes the best way to heal (Azriel)

hj:

Un souffle ironique s'échappa des lèvres du garçon, discret. Elle disait qu'elle ne fuirait pas. Il se permettait d'en douter fortement. À sa place, il l'aurait fait. Car à ce moment, Azriel n'était pas encore l'homme qu'on connaîtrait quelques années plus tard. Il avait déjà bien changé, depuis le drame, qui ne l'aurait pas fait ? Le fêtard insouciant et sans trop de questions avait cédé la place à une ombre silencieuse et discrète, qui traînait une carcasse de désespoir malgré elle. Mais il lui manquait encore tant de pièces pour devenir cette personne posée et dénuée de tout jugement, il lui manquait tant de pardons à s'accorder, qu'il embrasserait au fil du temps, lentement, et difficilement. Il y parviendrait, un jour, à changer une partie de sa vision du monde, de lui-même. Mais c'était un chemin sans fin, qui durerait au moins une vie, et les quatre dernières années écoulées depuis la perte de sa sœur lui paraissaient déjà bien longues. Vides de sens, vides de but. La voix de Jamie le ramena à cette peine et cette culpabilité écrasante dont il ne pouvait se débarrasser. Pas encore. La peine ne disparaîtra jamais vraiment, même si elle se ferait plus douce. Mais sa culpabilité, si elle ne s'évaporerait pas magiquement dans le néant, se muerait en quelque chose de plus sain, de plus positif. En une réflexion, un travail, une leçon. Bien qu'à l'instant présent, Az en était encore loin. Et il se mordillait la lèvre, incapable de décider s'il avait la force d'expier ses torts à quelqu'un. Il la croyait, et il l'en remerciait, quand elle disait qu'il n'était pas obligé d'expliquer la source de ses troubles. Aucun d'eux ne restait auprès de l'autre par curiosité. Il n'avait aucune idée de l'effet que ça aurait sur lui, ni sur elle d'ailleurs, de le formuler à voix haute. D'admettre, d'assumer, sans raccourci, sans passe-droit. « J'ai... » commença-t-il, surpris lui-même par son cran. Le reste des mots moururent cependant dans sa gorge. Il déglutit difficilement, se demandant s'il était vraiment prêt à révéler ses torts, ô combien atroces. Mais quelque chose en lui le poussait à le faire. De toute façon, qu'il le dise ou non, la réalité était là pour le rattraper. Après, la jeune fille n'avait pas à être au courant, aucun autre individu que ceux concernés non plus, d'ailleurs. Mais quelque part, il ressentait ce besoin désespéré d'avouer, de reconnaître sa pire erreur à l'air libre, comme une vaine tentative d'alléger sa culpabilité. « J'ai tué ma petite sœur dans un accident de voiture. » C'était sorti, d'une traite. C'était un exploit, aussi douloureux que si on lui avait demandé de se coucher nu sur des braises encore brûlantes. Heureusement que chaque mot s'était aligné, car à la seconde où il termina sa phrase, il sentit l'air cruellement lui manquer, et la plaie de son cœur se déchirer.

Chaque personne sur cette terre avait un jour un sentiment de culpabilité. Jamie avait le sien en ce moment, se rongeant de culpabilité d’avoir fui à l’autre bout du pays après avoir accepté de se marier avec Charles. Pourtant, ce n’était rien. Mais la culpabilité se crée à partir du moment où on a l’impression de faire quelque chose de mal. Les doutes qu’elle avait par rapport à son mariage la mettait dans cet état. Jamais elle ne s’était imaginée être une femme qui voulait se marier. Jamie c’était une indépendante, une femme qui vivait pour elle et ses aspirations. Ils étaient encore en étude Charles et elle et pourtant, elle savait qu’ils allaient devoir s’affronter au tribunal. Lui qui souhaitait faire de l’argent ne comprenait pas l’entêtement de Jamie d’aller dans une branche plus humanitaire. Sauf que jamais la jeune femme se sentirait à l’aise pour défendre ces affreuses industries qui sabotait la terre en toute conscience. Depuis son enfance, Jamie était une utopiste et une battante rêvant de changer une phase du monde. Elle n’était pas assez orgueilleuse pour s’imaginer changer la phase du monde, mais si déjà elle pouvait condamner des grandes entreprises, ça serait une victoire. Peut-être n'aurait-elle pas insister si elle savait d’avance ce pour quoi Azriel culpabilisait. Non, elle ne le jugerait pas. Jamie voyait assez de gens prit de remords ou tout simplement assez mauvais pour ne pas juger les actes de cette rencontres d’infortune. Pourtant, elle s’imaginait pas vivre dans un monde dans lequel Thomas n’y serait pas. Son frère était son bouclier, son phare et son pilier. Il était tout ce dont elle avait besoin et ce depuis toujours. Elle disait rien Jamie, laissant Azriel faire son bout de chemin. S’il ressentait le besoin de lui parler alors il était libre de le faire ou libre de ne pas le faire. Ce n’était pas à elle de juger, ni de trancher sur la légitimité de cette culpabilité. Il essayait, comme s’il souhaitait se libérer et sans réfléchir, elle posait sa main sur la sienne. Juste un geste dé réconfort, un signe pour qu’il comprenne que cette conversation n’ira pas plus loin que cette plage. Elle ne voyait pas toutes ces expressions, mais sa voix trahissait toutes les émotions. Puis il lâchait ces mots, durs à dire et à assumer. Jamie fermait douloureusement les yeux, imaginant la peine et tout ce qui allait avec. Finalement sa culpabilité n’était rien comparé à celle d’Azriel. Elle ne lâchait pas le contact. Puis elle soupirait. « Ce n’est pas de ta faute. » Elle ignorait les circonstances de l’accident et ce qui faisait qu’il fuyait, mais elle savait qu’Azriel ne souhaitait pas la mort de sa sœur. « Comme tu l’as dis c’était un accident. » Un tragique accident, le genre qui faisait souffrir les gens pendant des années.

Offrir son âme damnée au jugement d’une inconnue, le ciel nocturne pour seul témoin, portait le goût confus d’une honte écrasante, d’une douleur inconsolable, et d’une sorte de délivrance inattendue. Un sanglot calé dans la gorge, Azriel avait senti chacun de ses muscles se crisper, comme en un geste de repli, quand il avait confessé ses actes. Il perçut la main de Jamie sur la sienne, cette douceur déroutante au vu de ce qu’il pensait de lui-même, ce qu’il pensait mériter. Il aurait voulu la serrer dans les siennes, s’y raccrocher, la laisser le tirer vers le haut. Mais personne n’avait le pouvoir de faire ça. Et de toute façon, il n’avait aucun désir de représenter un tel fardeau pour qui que ce soit. Il avait déjà fait assez de mal comme ça. C’était probablement pour cette raison qu’il était venu s’isoler ici, sur cette plage déserte dans la fraîcheur de la nuit. Il garda néanmoins la main de la jeune femme dans la sienne. La souffrance déchirante, qui lancinait dans chaque partie de son être, était presque insoutenable, et cette main tendue était tout ce qui l’ancrait dans la réalité. Aux premiers mots de Jamie, il laissa échapper ce soupir chargé d’émotions, de tout ce qu’il contenait au point d’imploser, comme pour enfin lâcher du lest. Presque à bout de souffle, des larmes roulant le long de ses joues, Azriel ne pouvait s’empêcher malgré toutes ces sensations inconfortables et difficiles à identifier, de ressentir une gratitude infinie pour la jeune fille. C’était sans doute la première fois qu’il entendait ces mots, qu’il les entendait réellement. Qu’ils ne glissaient pas sur sa peau de chagrin, pour garder leur signification avec eux, quand le garçon se refusait à les laisser pénétrer dans son esprit. Non, cette fois, il entendait, et c’était aussi terrible que libérateur. Il n’était toujours pas d’accord avec cette phrase, il resterait sans doute intimement persuadé, toute sa vie, que c’était bien de sa faute. C’était lui qui avait bu, qui s’était conduit de façon totalement irresponsable, inconsciente, et ce n’était même pas l’histoire d’une fois. Mais cette nuit, son âme se laissait un peu guérir par ces paroles, venues de quelqu’un d’autre. Cette nuit, il pouvait se raccrocher à une autre réalité s’il le voulait, juste quelques instants. « C’était de ma faute, crois-moi. » parvint-il toutefois à répliquer, incapable de laisser les choses comme ça, de laisser l’ombre d’un doute planer sur ce qu’il avait fait. « Mais merci, de me dire ça. » ajouta-t-il, tournant la tête vers Jamie, un mince sourire sans joie, mais ô combien reconnaissant, prenant place sur son visage faiblement éclairé. Il n’avait toujours pas lâché la main de Jamie, pas même pour essuyer les rivières salées sur ses joues.

On lui parlait souvent des thérapies par le voyage. Les gens partaient pour revenir changer, comme si rencontrer des inconnus dans ce monde serait une thérapie. Il était si simple de se confier à un inconnu. On pouvait garder son anonymat, tout en parlant de choses profondes. La peur du jugement continuerait d’exister mais amoindri par la distance avec les autres personnes de son entourage. C’était peut-être pour ça, qu’il était simple d’entendre ce que disait ce jeune homme. Jamie aurait pu le juger et le condamner pour ce qu’il avait fait. Mais elle ne connaissait rien de lui, et son seul témoignage ne lui suffisait pas pour faire un avis sur la personne qu’il était. La culpabilité des personnes, elle connaissait bien ça Jamie. Elle allait en faire son métier. Il culpabilisait, s’en voulait pour l’accident qui s’était produit. Rien que cette peine suffisait à dire que ce n’était pas de sa faute. Les accidents, il en arrivait tous les jours. Le plus dur était de survivre à ça surtout quand des proches périssaient dedans. Jamie vouait plus de culpabilité dans le regard de cet homme que dans ceux qu’elle a pu défendre et qui était vraiment responsable de la mort de quelqu’un. L’intention n’était pas là, c’était un malheureux concours de circonstance qui avait détruit plusieurs vies. « Des accidents, ça arrive tous les jours. » Elle prit sa main, comme si elle se sentait connecté à cet homme qu’elle venait à peine de rencontrer. « Le plus dur, c’est de survivre après. Mais tu n’y es pour rien. » Jamie ne croyait pas au destin ou au karma. Les choses n’arrivaient pas parce qu’elles devaient arriver. Elle ne devait pas rencontrer cet homme parce que c’était son destin. Non, elle était là parce que Jamie manquait cruellement de courage et qu’au lieu de dire non à Jonas, elle avait préféré fuir et profiter d’un moment seule avant de retourner dans cette vie qu’elle n’avait pas forcément choisi. La raison la poussait à accepter cette demande. Elle l’aimait Jonas, elle se trouvait juste jeune et qu’elle n’avait pas imaginé sa vie ainsi au l’aube de sa vingtaine. Elle relâchait la main de son compagnon de la nuit, pour enrouler ses bras autour de ses jambes. « On pourrait pour ce soir, oublier ce qui nous entoure et juste essayer d’être heureux. Rien que ce soir. » Après tout, ils étaient seuls, aucun de leur proche était présent pour les ramener à la réalité. Il en avait besoin. Elle en avait besoin.