Look at her with her eyes like a flame. † Levi

Look at her with her eyes like a flame.
Effy & levi

https://www.youtube.com/watch?v=jEgX64n3T7g


Il était passé minuit, la pénombre était tombée sur Bowen comme une chape d'extase pour envoûter les citadins de la nuit. Effy faisait partie de cette population ensorcelée par les rais de lumière et la clameur qui traversaient le bar. C'était plutôt un croisement entre un bar et une boîte de nuit, gardant son air un peu cosy, avec ses plafonds bas et ses meubles en bois, mais disposant d'un immense bar où plusieurs barmans s'affairent pour satisfaire les assoiffés qui y passaient en coup de vent ou s'y installaient carrément. Au centre traînait également une piste de danse de taille respectable où les corps se laissaient enivrer par la musique et les spots qui caressaient de temps à autres leur visage. La chaleur se dégageait de leur enveloppe corporelle pour rassurer ces créatures de la nuit, enivrées par l'alcool ou parfois des drogues. C'était le cas d'Effy, sous ecstasy depuis une bonne heure. Mais pour bien faire, elle n'avait pas touché à une goutte d'alcool pour une fois et s'était promis de ne se laisser tenter que lorsque les effets de la petite pilule auraient disparus. En attendant, elle allait simplement au bar pour boire de l'eau une fois de temps en temps, histoire de ne pas finir déshydratée. Et sinon, elle dansait. Avec cette énergie et cette sauvagerie qui était sienne, cet attraction mystérieuse et envoûtante qui émanait d'elle. Parfois ses paupières se fermaient sur son regard brûlant, sa crinière brune guère disciplinée cascadant sur ses épaules. Elle avait revêtu une robe noire moulante (ici) dont le décolleté et les côtés étaient faits de dentelle, laissant découvrir des pans de peau pâle. Ses jambes minces découvertes, elle avait enfilé des escarpins noirs fermés, bien que ce ne soit pas sont habitude de mettre des talons, ce soir était l'exception. Et elle se laissait aller au rythme de la musique, sans se soucier des regards parfois envieux, parfois hautains des filles autour d'elle, encore moins des regards de prédateurs qui tentaient de venir se coller contre elle pour une danse sensuelle. Pas que cela la dérangeait. Certains soirs, elle se laissait volontiers entraîner par l'un ou l'autre joli garçon. Parfois ce n'était que le temps d'une danse. Parfois le temps d'une nuit. Parfois, elle préférait rester seule dans sa bulle, comme aujourd'hui. Elle ouvrit les yeux et ses iris flamboyants, couleur bleu océan, se plantèrent dans ceux d'un inconnu accoudé au bar. Un minuscule mouvement vint étirer le coin de ses lèvres pour donner place à ce sourire énigmatique et fascinant qui était sa marque de fabrique. Elle ferma à nouveau les yeux et se laissa entraîner, dans son monde d'ivresse et de noirceur, ses doigts fins venant parfois jouer avec ses mèches lisses et indisciplinées.

Les paires d'yeux qui glissaient sur elle, le long de son corps, de sa nuque, de sa hanche, la laissaient indifférente ce soir. Mais elle les sentait. Elle sentait leur intensité s'imprimer dans sa peau le temps d'un instant. Elle tournait sur elle-même, ondulait, laissait ses doigts fins et pâles glisser le long de ses courbes. La drogue qui jouait dans ses veines y était aussi pour quelque chose, mais Effy était souvent comme ça lorsqu'elle dansait. Insaisissable. Indomptable. Un rêve qu'on ne pouvait que caresser du bout des doigts, et qu'on osait à peine effleurer de peur qu'elle s'évapore dans la pénombre, comme si elle n'avait jamais existé. Effy aimait ça. Être un mirage aux yeux des autres. Un fantôme.

Lentement, les effets de l'ecstasy se dissipèrent au cours de la soirée. Si bien qu'au bout d'un moment, même si elle ne ressentait toujours pas la fatigue, la jolie brune quitta la piste de danse de ses foulées aériennes et fluides, pour rejoindre le bar. Si on regardait profondément au fond de ses prunelles, on pouvait voir qu'elle n'était pas clean, mais qu'elle était bien maître d'elle-même. Après tout, Eff' avait l'habitude de s'intoxiquer le corps avec toutes sortes de produits. Elle savait parfaitement gérer tout ça, enfin la plupart du temps. La jeune fille ne prit pas la peine de s'asseoir au bar et commanda un Long Island, précisant qu'elle souhaitait une forte dose de vodka et pas de rhum. Elle n'aimait pas trop le rhum, en fait. Par contre, tout le reste du cocktail l'intéressait : tequila, vodka, gin. Elle s'empara du verre et but quelques gorgées, réglant le barman. Tandis qu'elle se décidait à retourner sur la piste de danse, elle croisa à nouveau le regard de ce jeune homme aperçu tout à l'heure. À nouveau, elle lui adressa un sourire indéchiffrable, très brièvement, aussi insaisissable qu'un oiseau-mouche, pour ensuite s'éloigner du bar, son verre à la main.

Au moment où elle atteignait la piste de danse, quelqu'un lui barra la route. Si elle n'avait pas été dans un état un peu second, elle aurait sûrement sursauté. Haussant un sourcil, la jeune femme planta son regard de glace dans celui d'un jeune homme qui semblait bien bourré. "Ben alors ma jolie, tu me reconnais pas ? Pourtant l'autre nuit tu semblais apprécier ma compagnie... Avant de te barrer au milieu de la nuit sans prévenir. Hein, Effy ?" lança son interlocuteur d'une voix chargée de reproche, qui s'essayait pourtant à être séduisante. Effy leva les yeux au ciel et retint un soupir agacé. Oui, elle se souvenait de lui. Oui, elle était partie au milieu de la nuit, parce qu'elle n'avait aucune envie de dormir avec lui. Ça l'oppressait, et puis ce soir là elle avait juste eu envie d'une partie de jambes en l'air. Parfois elle était sympa, parfois pas. Que dire de plus ? Elle était comme ça.

« Ouais super. À plus. »

Fit la jeune femme aux boucles brunes avant de contourner le jeune homme pour retourner dans la foule. Ce dernier lui saisit le bras, bien décidé à ne pas la laisser s'échapper comme ça. Cette fois, quand Effy fit volte-face, ce furent deux poignards aiguisés qui remplacèrent ses yeux bleu azur, pour transpercer sans aménité son très cher interlocuteur qui ne semblait pas vouloir lâcher le morceau. "Pas si vite, ma jolie ! Viens, on irait bien recommencer l'expérience, j'connais un coin tranquille..." souffla le jeune homme avec un sourire en coin. La menace était clairement perceptible, cette fois, mais la brunette n'était pas du genre à se laisser impressionner.

« J'irai nulle part en compagnie de ta petite bite. »

Répondit-elle du tac au tac sans se démonter, un regard glacial vrillé dans celui du garçon. Elle dégagea son bras et se dirigea vers la sortie. Elle avait envie d'une cigarette. Passant en coup de vent, d'une démarche décidée, elle sortit à l'air libre et but à nouveau quelques gorgées de son cocktail, avant de sortir une cigarette de son décolleté. Bah ouais, sans poches ni sac, fallait bien que le soutien-gorge fasse office de sac à main... Elle acheva son verre d'une traite et le posa sur une table extérieure, avant de se diriger dans une ruelle adjacente, plus sombre et surtout plus tranquille et silencieuse, pour s'allumer sa cigarette. Ce fut à ce moment qu'elle perçut le son feutré de pas dans son dos. Elle se retourna d'un mouvement vif, le cœur battant. Elle n'était pas facile à déstabiliser, mais sa carrure ne lui permettait pas de faire la maligne en toutes circonstances non plus. C'était le gars de tout à l'heure, qui l'avait suivie dehors quelques minutes après elle. Jusque dans la ruelle, dans laquelle Eff' s'était enfoncée pour avoir un peu de calme. Effy ouvrit la bouche pour un "dégage", mais elle n'en eut pas le temps. Déjà, le jeune homme s'était approché d'elle, dangereusement près, et la plaquait contre un mur. "Chut..." souffla-t-il au creux de son oreille, ce qui eut le don de donner la nausée à l'étudiante. Pourtant, elle se tut, pétrifiée.

Effy ne comprenait pas trop d'où venait ces sueurs froides qui perlaient dans sa nuque, et surtout cette incapacité à faire le moindre mouvement, comme si un produit avait été injecté dans son sang pour la paralyser. Eff' n'était peut-être pas la grande gueule et boxeuse professionnelle qui mettait tous ses agresseurs K.O., n'empêche qu'elle n'avait rien de la petite minette qui se laissait faire non plus. D'accord, au vu de son poids et de sa carrure aussi impressionnante qu'une brindille, elle n'était pas en mesure de se débarrasser d'un adversaire. Mais elle n'avait pas sa langue dans sa poche et ne se laissait pas démonter si facilement. Pourtant ici, c'était comme si son corps l'avertissait que la menace était sérieuse et qu'elle ferait mieux de ne pas jeter d'huile sur le feu. En parlant de feu, elle aurait pu écraser sa cigarette quelque part sur la figure du jeune homme, histoire de lui faire affreusement mal et de se barrer en courant. Mais le tube fin rempli de tabac avait glissé de ses doigts pour s'éteindre au sol. Le souffle court, Eff' puisa dans sa nature la plus profonde pour tenter de reprendre le dessus.

« T'as pas compris ce que j't'ai dit ? Va agiter tes MST ailleurs ! »

Rétorqua-t-elle d'une voix tranchante et acide. Son regard était rempli de hargne et elle finit par repousser le garçon pour tenter de se tirer vite fait bien fait et de trouver refuge dans le bar. Fallait croire que cet idiot en chaleur ne comptait pas la laisser s'en tirer à si bon compte. Il referma une poigne puissante sur le bras d'Effy et la tira violemment vers lui. "Tais-toi et reste ici !" La jeunette se débattit tant bien que mal, distribuant des coups qui n'atteignirent que rarement leur cible, ou dans tous les cas ne firent pas assez mal pour changer quoi que ce soit à sa position de faiblesse. Ce fut alors qu'une voix retentit dans leur dos. Le regard bleu perçant de la jeune femme se posa, pour la troisième fois ce soir, sur le jeune homme aux cheveux châtains. Ce dernier semblait d'ailleurs décider à faire déguerpir la présence importune de cette ruelle. Stupéfaite, Eff' ne sut trop que dire, tandis que l'autre andouille la tenait toujours fermement prisonnière de ses bras. "On t'as jamais appris à te mêler de tes oignons ?" répliqua son agresseur. Il fut néanmoins contraint de lâcher la jeune brune, qui elle était toujours aussi déconcertée. C'était une situation dans laquelle elle ne s'était jamais retrouvée et sa propre impuissance l'étonnait autant que cela la mettait mal à l'aise. Elle avait pour habitude de se débrouiller seule et de tenir à son indépendance. Mais là... Là elle savait pas quoi dire.

Malheureusement, son très cher emmerdeur finit par se reprendre et poussa le jeune homme châtain avec force, avant de revenir vers Effy et de lui assener une claque dans la figure. "Toi ta gueule, tu viens avec moi !" s'écria-t-il de cette voix agressive et si particulière aux gens trop bourrés. Eff' n'avait pas peur de la violence. Pour autant, cette gifle brûlante l'avait plus blessée à l'âme qu'à la peau et elle passa sa main sur sa joue, sonnée. Elle n'eut pas le temps de reprendre ses esprits qu'il la saisit par les deux bras et la projeta contre le mur de briques, où la brunette se cogna brutalement la tête avant de glisser au sol, tremblante. Pour la première fois depuis longtemps, elle avait peur, vraiment peur. Et elle ne savait pas quoi faire à part ne pas bouger. Son regard si déterminé tout à l'heure s'était transformé en deux iris effrayés et désarmés en se posant à nouveau sur celui qui était venu à sa rescousse. L'implorant presque. Comme si la tigresse sauvage et inaccessible s'était transformée en biche terrorisée.

Elle ne savait même plus si elle était heureuse ou non que quelqu'un vienne l'aider. Elle n'avait pas besoin d'aide. Effy n'avait peur de rien, besoin de personne. Parce qu'au fond, elle se persuadait que ce qui lui arrivait la maintenant, elle le méritait sans doute un peu. Incapable d'aimer, refusant de s'attacher, elle n'avait fait que passer dans le lit de ce pauvre gars qui clairement, lui en voulait de l'avoir humilié de la sorte. Elle avait joué avec lui, c'était peut-être vrai, mais sur le moment elle n'avait pas fait ça par cruauté ni même irrespect. Les mecs aussi jouaient avec les premières nanas un peu potables qui passaient à leur portée. Alors pourquoi elle devrait être une de ces petites jeunettes naïves qui font les yeux doux et croient que ce gars sera l'amour de sa vie ? Elle agissait comme un mec, voilà tout. Mais au final, peut-être avait-il raison de la frapper. Peut-être était-elle tout simplement une salope. Fille trop sensible déguisée en lionne fière et insaisissable. Elle était loin d'être une Marie-couche-toi-là, mais si ça se trouve, ce pauvre gars trop bourré avait simplement cru à quelque chose de plus. Une larme roula le long de la joue de la jeune femme. C'était elle le problème, alors elle méritait qu'on ne vienne pas lui porter secours. Elle détruisait tout autour d'elle, comme un ange de la mort. Cynique, cruelle, indestructible. Parce que les gens blessés sont les plus dangereux : ils savent qu'ils peuvent survivre.

Durant tout ce petit périple philosophique à l'intérieur de son crâne déjà bien assez rempli de crasses et d'amertume, la brunette ne se rendit pas compte que les choses tournaient au vinaigre à quelques pas d'elle. Son assaillant ne semblait pas vouloir en démordre. Peut-être était-ce simplement l'alcool ou bien alors était-il violent de nature. En tout cas, les avertissements proférés d'une voix menaçante par le jeune homme châtain ne paraissaient pas l'avoir refroidi vu qu'il lui balança son poing dans la figure. Effy sursauta et se colla un peu plus contre le mur. Elle sentait une douleur à l'arrière de sa tête, mais n'y prêtait guère attention, ses iris clairs suivant l'action sous ses yeux. Se lever. Elle devait se lever. Au moins faire quelque chose. Bordel de merde, être passive c'était pas son genre. L'insolence et la témérité, c'était plus son truc. Se rebeller, ça c'était carrément elle. Mais rester à trembler dans son coin, sûrement pas. Même si ce soir, elle se sentait plus faible et vulnérable que jamais.

Pendant que les deux hommes réglaient leur compte de manière peu diplomate, Effy se tira de la ruelle en silence, longeant le mur en restant plaquées aux briques. Elle avait retiré ses talons, les abandonnant là, et se déplaçait à pieds nus, discrète et fluide telle une ombre. Elle se glissa hors de la rue pour se retrouver près du bar, où elle s'empara rapidement d'une bouteille de bière qui traînait sur la petite table extérieure où elle avait posé son verre tout à l'heure. Pour revenir en courant dans la rue adjacente où s'échangeaient coups de poings et autres festivités. Sans plus réfléchir, Eff' se glissa dans le dos du parfait idiot qui l'avait agressée, pour lui exploser la bouteille sur la tête, se protégeant le visage d'une main pour éviter les débris de verre.

Le bruit mat que fit la masse du corps du jeune homme en s'écroulant au sol fit sursauter Effy, qui gardait ce qui restait de sa bouteille bien serrée entre ses doigts. Elle garda le regard rivé sur son agresseur pendant quelques secondes sans mot dire, sans même broncher. On aurait cru qu'elle avait arrêté de respirer, et c'était d'ailleurs le cas les premières secondes, jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'elle manquait d'air. Elle prit une grande inspiration, puis une deuxième, et sentit que son pouls était totalement affolé. Ce fut a peine si elle entendit les paroles du jeune homme, dont le visage était d'ailleurs barbouillé de rouge, par-ci par-là. Elle finit par lâcher la bouteille, qui tomba au sol elle aussi, brisant le silence. Puis releva son regard d'un bleu si particulier vers celui qui lui avait sauvé la mise ce soir.

« Je... J'ai... »

Parler, c'était définitivement pas son truc. Et en toute honnêteté, elle n'avait aucune idée de si ça allait ou pas. La jolie brune n'était pas un personnage facile à ébranler, et ça se lisait sur son visage. Mais là, tout de suite, elle ne savait pas trop. Elle sentait juste que son estomac était tout retourné et que son cœur battait la chamade. Pourtant elle avait l'impression d'irradier le calme et non plus la panique. Elle ne savait même pas si elle avait envie de pleurer ou pas. Mais une larme salée roulant sur sa joue lui confirma qu'effectivement, un tsunami tentait de se déchaîner à l'intérieur d'elle. Elle avait l'air pathétique, comme ça. A pieds nus, dans la ruelle, les bras croisés s'agrippant à son corps à elle, comme si il n'y avait qu'elle qui pouvait la consoler et l'aider à se reprendre. Non, elle ne voulait pas pleurer. Eff' ne pleurait presque jamais. Elle ravala ses larmes tant bien que mal, s'efforçant au calme.

« Une cigarette. J'ai besoin d'une cigarette. »

Finit-elle par lâcher d'une voix blanche, son regard toujours fixé dans celui de l'étranger qui était venu lui porter secours, et qui l'avait d'ailleurs sortie de cette situation périlleuse. N'importe quelle personne normalement constituée aurait sûrement fondu en larmes, se serait éventuellement consolé dans les bras de ce beau jeune homme, pour ensuite le remercier, la voix pleine de gratitude. Pas de bol, Effy n'était pas quelqu'un de normalement constitué, psychologiquement parlant en tout cas. Et pour l'instant, c'était le vide total dans son esprit. Ou le chaos. Ça revient au même.

Ils avaient l'air bien malins maintenant, réunis autour de celui qui était en train de baigner dans une partie de son sang. Par chance il semblait reprendre conscience, il avait simplement été bien sonné. Effy accepta avec reconnaissance la cigarette que lui offrait son sauveur - aaah, elle détestait ce mot, sauveur, pourtant c'était bien le cas - et l'alluma rapidement, pour tirer quelques petites bouffées d'affilée. Elle, à pieds nus et son maquillage noir ayant un peu coulé autour de ses yeux bleus, lui, le visage en sang. Ouais, valait mieux qu'ils se tirent d'ici.

« Mes chaussures. »

Finit par dire Effy à voix haute, se rappelant qu'elle les avait laissé un peu plus loin lorsqu'elle les avait enlevé pour s'éclipser plus discrètement. Sans mot dire, elle alla les chercher pour revenir vers l'inconnu aux yeux clairs, ses talons dans une main et sa cigarette dans l'autre. Elle n'avait guère envie de retrouver les rues animées de bars éclairés et bruyants pour le moment. La ruelle dans laquelle ils se trouvaient continuait tout droit et débouchait sur un quartier plus résidentiel, hors des commerces. La jeune fille désigna cette direction d'un signe de tête.

« Par là. »

Finit-elle par dire. Elle avait besoin d'un endroit tranquille pour recouvrer ses esprits, fumer sereinement sa clope et remettre ses chaussures. Et puis potentiellement demander à celui qui lui était venu aide s'il avait besoin de quelque chose, parce qu'avec son visage en sang il n'en menait pas large. Quoi qu'elle n'avait rien à proposer. Pourtant elle n'allait quand même pas le planter là comme ça et rentrer chez elle, ce serait tellement ingrat... Et puis elle n'avait pas envie d'être seule, pour tout dire. Bien qu'elle tentait d'ignorer cette sensation, elle était toujours un peu sous le choc. Elle se dirigea donc vers les rues plus calmes bordées d'appartements et de maisons modestes, où une certaine quiétude régnait, contrastant avec l'animation des grands boulevards à quelques rues de là. C'était agréable de se promener là. Même si là, elle avait envie de s'asseoir. Effy finit par dénicher un banc solitaire qui trônait le long du trottoir, derrière lequel s'étendait une petite pelouse agrémentée d'arbres. C'était suffisant. La jeune femme aux boucles brunes alla s'asseoir sans plus attendre sur le banc, laissant ses pieds nus savourer la fraîcheur de l'herbe humide.

« Au fait... Merci. »

Petit à petit, la vraie nature d'Effy refaisait surface. Elle n'avait aucune envie de paraître pour la petite chose fragile qui a besoin d'un gros câlin et d'un mouchoir en tissu blanc pour essuyer ses larmes. C'était pas elle. Ou en tout cas, elle refusait de montrer que cette partie existait en elle, quelque part, sous clé. Elle avait déjà assez flanché ce soir, devant cet inconnu au beau regard clair. La jeune étudiante montrait rarement ses faiblesses, elle l'évitait à tout prix. Comme tout le monde, vous allez me dire. Sauf qu'Effy était une comédienne professionnelle, et si elle avait décidé de vous offrir son visage impassible et son petit sourire en coin énigmatique, il était impossible de tirer quoi que ce soit d'elle. Personne ne pouvait deviner ce qui se passait dans la tête de cette frêle créature. Personne ne parvenait à la cerner. Elle-même n'y parvenait pas, alors comment auriez-vous pu la comprendre ? Certains parvenaient à s'en approcher, un peu. Mais appréhender toute la complexité de son être, voilà qui était fortement invraisemblable.

La jeune fille tira une longue bouffée de cigarette puis s'affaira à remettre ses chaussures. Quand le jeune homme dont elle ne connaissait pas le nom lui retourna le remerciement, elle ne put s'empêcher d'esquisser un petit sourire sarcastique. Rien ne l'obligeait à venir la secourir, et s'il ne l'avait pas fait, il se serait épargné de nombreuses ecchymoses et autres douleurs inutiles. Elle ne répondit rien, se contentant de plonger un instant son regard perçant dans celui du jeune homme. Comme si elle pénétrait au plus profond de son âme sans prendre la peine de lui demander l'autorisation, et que ce qu'elle y lisait l'amusait profondément. Puis elle retourna à sa tâche, et finit par se lever du banc pour s'asseoir dans l'herbe à côté du garçon. Tant pis pour les traces d'herbe humide sur sa robe, ça passerait à la machine à lessiver.

« Qu'est-ce que tu en sais ? Il avait peut-être ses raisons. »

Répliqua Effy de sa voix calme et envoûtante, le regard perdu au loin dans la pénombre, tirant à nouveau sur le poison en tube. La fumée s'échappa d'entre ses lèvres maquillées de rouge, s'envolant dans la nuit en des volutes blanches. Vue de l'extérieur, elle respirait le calme et la sérénité. Intérieurement, elle avait l'impression que sa peau était à vif et que tout son être tremblait. L'ecstasy de tout à l'heure était clairement retombé et elle sentait bien que les récents événements avaient suffi à la plonger en descente. Descente qui promettait d'être longue, ardue et douloureuse. Elle allait encore passer la journée enfouie sous la couette avec une bouteille de vodka, à combattre ses démons en frissonnant de peur. Envoyer chier sa mère qui allait l'appeler pour vérifier si elle était bien chez le psy, ce qui ne serait clairement pas le cas. Peut-être fumer un joint pour tenter de se détendre. Se morde la lèvre à répétition. Penser aux lames de rasoirs qu'elle pouvait si facilement aller chercher, pour les laisser entamer la peau mince de ses poignets... Instinctivement, ses doigts se portèrent aux minces cicatrices à son poignet, dissimulées sous une tonne de bracelets, pour caresser ces lignes de feu indélébiles.

« C'était un abruti, tu as raison. Mais il souffrait, voilà tout. »

La jeune femme fit une courte pause, elle semblait dans un état un peu second, à caresser l'intérieur de son poignet, le regard perdu dans le vide. Quelques mèches brunes étaient venues se coller contre ses joues sales, son mascara avait partiellement coulé et ses larmes de tout à l'heure avaient séché, produisant un mélange à la texture peu sympathique.

« On m'a dit un jour que j'étais trop belle pour être gentille. Et que c'est pour ça que je détruis tout ce que je touche. »

Elle avait murmuré cette phrase d'une voix à peine audible. Ni sur le ton de la plainte, ni de la tristesse, ni de l'amertume. Elle l'avait juste dit, parfaitement articulé, sans attendre de réponse particulière en retour. Peut-être qu'inconsciemment, c'était un avertissement pour le jeune homme assis à ses côtés.

Ouais, il avait peut-être raison. Peut-être bien qu'elle ne méritait quand même pas ça, elle n'avait rien fait de mal à ce pauvre garçon. Elle s'était juste tirée de son lit en pleine nuit pour aller bader toute seule chez elle, tranquillement et sans déranger personne. N'empêche, Effy avait appris par expérience que sa présence était plutôt toxique pour ceux qui s'approchaient d'un peu trop près. La jeune femme se contenta d'un haussement d'épaules en guise de réponse, avant de porter la cigarette à ses lèvres en une inspiration libératrice.

Lorsqu'elle lui fit part de sa théorie, le jeune homme châtain releva la tête vers elle en la fixant profondément. Il la dévisagea une seconde, avant de répondre sur le ton de l'humour, ou sûrement était-ce une tentative d'humour. À moins que sa question ne soit sérieuse, ce qui était tout aussi probable. Un sourire en coin amusé étira les lèves d'Effy, amusement qui remonta jusqu'à ses yeux qui étincelèrent un moment.

« Ça, tu ne le sauras que plus tard. Éventuellement. »

Répliqua-t-elle le plus sérieusement du monde, sans se départir de son sourire empreint de malice. Elle ne plaisanta pas, elle. Peut-être serait-ce la seule fois où elle verrait cet inconnu, ou peut-être feraient-ils connaissance. Ce n'est que dans ce deuxième cas qu'il pourrait trouver une réponse à sa question. Il valait sûrement mieux pas pour lui. S'il devait la craindre, il le saurait trop tard.