Look at her with her eyes like a flame. † Levi

Cette fille t'intriguait, réellement. Tu tentais tant bien que mal de savoir ce que pouvait bien se cacher derrière ce sourire pourtant indescriptible. Toi qui avais cette facilité à cerner rapidement les personnes que tu rencontrais d'habitude, là tu te retrouvais un peu perdu tant cette fille renfermait sa part de mystère. Il y avait des personnes comme ça, dans lesquelles il t'était impossible de lire comme dans un livre ouvert. Et ces personnes avaient le don de t'intriguer encore plus. Sûrement parce-que tu n'avais pas complètement le contrôle sur la situation, et que ça te rendait dingue. Derrière ce visage aux traits encore juvéniles, tu semblais pourtant apercevoir un grand vécu dans ce regard bleu à la profondeur étourdissante. Tu approchais une nouvelle et dernière fois ta cigarette à tes lèvres, pour en respirer une longue bouffée. "Ça, tu ne le sauras que plus tard. Éventuellement." Un fin sourire se dessina sur tes lèvres, sentant que derrière cette réponse malicieuse se cachait un semblant de menace. "Si je devais avoir la réponse dans un futur proche, j'espère que ce serait dans d'autres circonstances." Ajoutas-tu, en faisant référence à la fin de cette soirée plutôt agitée. Tu sentais qu'elle semblait te prévenir qu'elle n'était pas le genre de personne à fréquenter, qu'il ne valait mieux pas pour toi que vous fassiez connaissance. Mais elle ne te connaissait pas non plus, et c'était justement ce type d'avertissement qui te donnait envie du contraire, quitte à le regretter plus tard. "Au fait, moi c'est Levi." Ben ouais, fallait bien commencer un jour ou l'autre par te présenter, parce-que tu risquais d'être nommé "le con qui se prend pour superman" assez longtemps si tu ne le faisais pas.

« Au moins ce soir tu ne te seras pas ennuyé. » Tu ne pus t'empêcher de sourire à ses paroles, amusé par ce constat pourtant véridique. Sur ce coup, elle n'avait pas tort, tu n'avais pas eu le temps de t'ennuyer ne serait-ce une seule seconde. « Ça c'est peu de le dire. » Bon t'avais beau avoir de belles plaies sur le visage, la mâchoire gonflée, et le corps certainement couvert d'hématomes, mais cette soirée avait été une véritable bouffée d'adrénaline pour toi. Étrangement, t'avais l'impression de te retrouver lorsque tu avais dix-neuf ans, à cette époque qui te paraissait si lointaine où tu étais encore insouciant et que seul le moment présent n'avait d'importance à tes yeux. Aujourd'hui, tu n'étais plus cet homme. Tes préoccupations étaient ailleurs, loin de celles qui t'animaient plus jeune. Tu te demandais parfois comment aurait été ta vie si tu n'étais pas né dans une famille aussi importante, si ton père t'avait laissé être celui que tu as toujours été. Malheureusement, ce n'était pas avec tes regrets à la mélodie pathétique que tu allais avancer. Tu n'avais pas choisi ta famille, mais tu avais choisi ton futur. Et pour le moment, il était là, à Bowen, le temps d'une mission. Et même si tu n'étais plus celui que tu as été, sous ce masque que tu portais quotidiennement se cachait toujours ce gamin rêveur, aux aventures plein la tête. « Salut Levi. Moi c'est Effy. » Tu esquissas un sourire. Un prénom pas banal, pour une fille pas banale. Pensais-tu, en silence. Les prunelles toujours plongées dans ce ciel à la douce immensité, tu respirais à plein poumon cet air frais comme une denrée précieuse dont tu voulais te ressourcer. C'était la première fois qu'elle ne proférait pas de menace à ton égard, et quelque part, tu espérais briser doucement cette carapace qu'elle ornait depuis le début. « Ça fait longtemps que tu vis ici ? » Demandais-tu, le corps toujours étendu dans cette herbe fraîche qui te faisait le plus grand bien. Ton regard était littéralement rivé sur cette éternelle étendue bleue nuit, parsemée de petites étincelles blanches et brillantes dans lequel ton esprit se serait perdu volontiers. Tu n'avais pas encore eu le temps de visiter la ville, et pourtant tu avais cette impression que tu apercevais son plus beau paysage. Tout simplement parce-que ciel dégagé te faisait te sentir chez toi.

Après la tournure qu'avait pris cette soirée qui avait pourtant promis d'être tranquille et apaisante autour de ton verre de whisky, ça te faisait du bien d'être là, allongé dans cette herbe presque aussi confortable qu'un matelas douillet. La douce brise du soir caressait agréablement ta peau marquée par les traces de sang à moitié séché. T'avais beau absolument ne rien savoir de la jeune fille qui était allongée à tes côtés, pour le moment c'était le dernier de tes soucis. Tu mettais un peu ta méfiance de côté, bien trop occupé à contempler le ciel qui paraissait revêtir son plus beau costume ce soir. Tu faisais souvent ça lorsque tu vivais encore à Londres. Tu t'échappais agilement de la grande demeure familiale pour aller te promener dans les recoins les plus reculés de Londres, là où tu n'avais pas besoin de te cacher, là où tu pouvais laisser ton esprit s'évader sans qu'on ne vienne te réprimander. Dés que tu le pouvais, tu sautais par ta fenêtre, pour rejoindre la beauté que ta ville natale t'offrait dés que les astres montraient le bout de leur nez. « Quelques mois. » Tu avais remarqué que son accent ne sentait absolument pas l'Australie, il fallait être sourd pour ne pas le remarquer. Elle devait certainement être une british, tout comme toi. Cet accent particulier aux syllabes si accentuées vous trahissait toujours. « Tu viens d'Angleterre, n'est-ce pas ? » Tu souris, t'avais beau vouloir cacher ce satané accent, tu savais que c'était peine perdue. « Oui, je suis né à Londres. Je suppose que tu viens d'Angleterre toi aussi ? » Là à ses côtés, t'avais l'impression que ton mal du pays s'atténuait. Londres te manquait horriblement, ça faisait presque une décennie que tu n'y avais pas remis les pieds, et que tu n'avais pas revu tes parents. « Le ciel est grandiose ce soir. » Dis-tu, presque dans un souffle, avec le regard rêveur d'un gamin de huit ans.

« Ouais, de Bristol. » Bon vos villes respectives ne se trouvaient pas tout à fait à proximité, mais vous étiez tout de même origines tous les deux de cette magnifique nation que représentait l'Angleterre. Tu étais dingue de ce pays, tu étais fier de dire que c'était le tien. Tu adorais les coutumes anglaises, les paysages qu'on y trouvait, l'ambiance unique qui s'y faisait sentir. Tout ça te manquait terriblement. « J'aime beaucoup cette ville, j'y suis passé une fois quand j'étais plus jeune. » Tu omis de préciser que c'était lors d'un énième déplacement d'affaires que ton père avait l'habitude de faire. Il était hors de question que tu révèles ton identité à quiconque, ça t'était interdit et surtout ça faisait parti du contrat. Bien heureusement, tu sentais qu'Effy n'était pas du genre à vouloir s'immiscer dans ta vie privée, et d'ailleurs, tu ne cherchais pas non plus à connaître chaque détail de son intimité. Vous n'étiez que deux simples inconnus, allongés l'un à côté de l'autre, profitant de l'instant présent, le regard rivé sur cette magnifique nuit qui s'offrait à vous. « Tu n'as jamais cette sensation de vide intersidéral en toi ? Comme s'il aspirait toute émotion, et que tu ne pouvais plus rien ressentir. Un grand vide qui fait que t'es incapable de dire si t'es heureux, en colère, triste, jaloux, si t'as mal, si tu t'en fous. » La totalité de ton corps frémit en un doux frisson. Certainement parce-que la demoiselle à tes côtés venait de décrire avec grande exactitude cet état d'esprit dans lequel il t'arrivait de t'enfermer parfois, pour fuir une réalité parfois trop dure à accepter et à faire face. « Si tu parles de cette impression de trou béant en toi, de cette totale absence d'émotions qui apparaît comme une sensation de flottement alors je vois parfaitement là où tu veux en venir. » Tu venais de te confier, toi aussi. Et même si ça n'expliquait rien de concret sur ta vie, ça dévoilait tout de même une partie de toi, une partie pourtant bien enfouie au plus profond de ton être depuis un bon bout de temps. « Des fois, je me demande ce à quoi ressemblerait ma vie si j'avais pris des décisions différentes. » Bon Levi, va falloir que tu commences à la fermer, ça devient dangereux de t'aventurer dans ce jeu de confidences. Tu allais devoir faire attention à tes paroles, pour ne pas prendre le risque de dire une phrase de travers. Mais étonnamment, tu n'avais pas peur là, de te confier à Effy, peut-être parce-qu'elle ne te jugerait pas, elle.

Longtemps tu avais pensé être tombé dans la mauvaise vie, dans cette vie qui ne t'appartenait pas et dans laquelle tu avais mis beaucoup trop de temps à t'affirmer. Tu avais passé dix-neuf ans de ta vie à être un autre, à agir dans la peau d'un garçon qui t'était pourtant inconnu, à te conformer à cette vie que ton père t'avait préalablement construite. Tu avais ignoré ta propre existence et celles de tes rêves. Ton cerveau t'ordonnait d'agir machinalement alors que ton cœur te criait de te barrer en courant. Bien trop longtemps tu avais voulu faire taire ce dernier, afin de passer sous silence ces voix qui te disaient de prendre ton envol une bonne fois pour toute. Tu avais cette impression de gâchis. De terribles regrets qui t'avaient bouffé ton existence. Mais pourtant, tu refusais catégoriquement de t'arrêter à ça. Même si une longue partie de ta vie avait été dictée par ton père, aujourd'hui c'était toi qui contrôlais les rênes, et tu comptais en profiter comme jamais, assumant tes décisions et tes choix bien qu'il t'arrivait souvent de te poser des questions. Tu avais déjà perdu bien trop de temps et ça te semblait inutile de continuer à te lamenter sur ton sort. Tu avais relevé la tête pour t'élever toujours plus haut, devenant cet homme qui profitait de ce que la vie avait à lui offrir. Et cette sublime nuit était tout particulièrement un de ces cadeaux dont tu voulais profiter. C'était comme ceci que tu imaginais le bonheur. Ton esprit se détachait de toute réalité et se plaisait à se perdre dans une magnifique immensité. Tu avais senti que vous vous laissiez aller à quelques confidences, brisant peu à peu ce mur de glace qui s'était érigé entre vous en début de soirée. Tu sentais que la fragilité d'Effy cachait bien des secrets enfouis. Tes pupilles toujours vouées au ciel, tu sentis une pression sur ta main, comprenant que celle de la jeune femme s'en était saisie. « J'ai peur. » Tu fronças les sourcils, resserrant un peu plus l'emprise sur sa main, peut-être dans le but de la rassurer et de lui rappeler qu'elle n'était pas seule. « Ça va aller. » Tu sentais que son angoisse montait en flèche, et tu aurais voulu lui dire que tu étais prêt à lui prêter tes épaules pour qu'elle s'y appuie et qu'elle se libère le temps d'un instant. « Respire Effy, prends la plus grande bouffée d'oxygène qu'il puisse exister, et regarde ce ciel. Regarde comme on est libres. » Murmuras-tu, presque dans un souffle. C'était ça qui t'animait, cette liberté inépuisable dont tu jouissais chaque minute, chaque seconde de ta misérable existence.

C'était bien la seule chose qui t'importait à toi, la liberté. Cette incroyable sensation de se sentir complètement détaché, de pouvoir s'envoler de ses propres ailes et de ne jamais rien devoir à personne. T'avais choisi cette nouvelle vie où tu étais le maître de ton destin, le capitaine de ton propre navire. C'était ça la vraie vie. Prendre ses propres décisions, même si elles n'étaient pas toujours les plus judicieuses, au moins, tu tombais mais tu te relevais. Et ton expérience t'avait enseigné que tu y arrivais très bien tout seul. Tu avais appris de tes propres erreurs, c'est comme ça que tu avais grandi et que tu avais appris à appréhender ce monde qui t'était parfois incompréhensible.

Allongé dans l'herbe fraîche, tu n'avais toujours pas relâché la main d'Effy, tentant du mieux que tu pouvais de la rassurer. Tu savais que tes paroles étaient sûrement maladroites, certainement parce-que tu n'avais pas l'habitude d'être celui à qui on demandait des conseils. A l'instant, la seule chose qui te passa par la tête était ce ciel, ce grand rideau étoilé impressionnant qui pouvait apaiser quiconque. « Tu n'as pas peur, toi ? » Tu tournas ta tête sur le côté, pour apercevoir la demoiselle qui semble-t-il s'était un tant soit peu calmée. « Bien sûr que si, mais si je devais m'arrêter à chaque peur, je m'arrêterais de vivre. » Tu considérais que la vie avait beaucoup trop de valeur pour se permettre de te laisser envahir par ces angoisses maladives. Évidemment qu'à toi aussi il t'arrivait de paniquer à ne plus pouvoir contrôler quoique ce soit. Et c'était plus ça qui te faisait flipper. Cette perte de contrôle possible qui te menaçait. « Tu sais, c'est pas une honte d'avoir peur. Celui qui prétend qu'il n'a jamais peur est un menteur. » Finis-tu par dire, les yeux toujours rivés vers elle. Tu n'avais aucun repère de temps, tu étais incapable de dire combien de temps vous étiez restés à discuter, allongés dans ce coin de verdure qui t'apparaissait comme un jardin d'Eden. Tes douleurs s'étaient quelque peu apaisées, même si tes ecchymoses promettaient de te faire souffrir pendant au moins deux bonnes semaines.

C'était étrange et complètement illogique. Tu t'étais promis de ne faire aucune confidence à quiconque dans ta nouvelle vie à Bowen, semblablement influencé par ta méfiance maladive. Et là, tu étais littéralement en train de te livrer à la première inconnue qui passait, inconscient de la dangerosité de la situation. C'était sans doute ce qui te manquait le plus, le danger. T'avais besoin de cette dose d'adrénaline qui animait ta vie, de cette sensation de te sentir comme suspendu au bord d'une falaise sans la moindre attache, de cette perte de contrôle dangereuse que tu t'étais pourtant interdite. Tu avais choisi d'être seulement toi cette soirée, certainement parce-que tu ne semblais ressentir aucune crainte aux côtés d'Effy, et sûrement parce-qu'elle était aussi torturée que toi. « S'arrêter de vivre... » Tu n'avais jamais eu d'idées noires auparavant, ou alors peut-être une fois ou deux, lorsque tu étais plus jeune. Tu te rappelais avoir été poussé à bout par tes obligations d'héritier, te demandant alors si ça valait la peine de vivre une vie où ton destin ne t'appartenait pas. Où il ne t'avait jamais appartenu. C'était ça le plus dur. Tu avais eu cette impression d'avoir été formaté, comme un robot à qui on demandait d'accomplir son devoir sans même lui demander si il était d'accord. Ton père n'avait jamais pris l'initiative de te demander ton avis sur l'entreprise, considérant que de toute façon, il n'y avait aucune alternative à ton futur. Tu étais né pour ça.

« Peut-être pas. Mais quand on a peur on a besoin des autres. Avoir besoin des autres, c'est être dépendant d'eux. Et être dépendant... Ça n'amène jamais rien de bon. » Tu fronças les sourcils. Alors, elle aussi était dans le même cas que toi ? Elle aussi avait cette peur viscérale d'être dépendante des autres ? Tu avais été dépendant dans ta vie, bien plus d'une fois. Et en effet, ça ne t'avait jamais été bénéfique, loin de là même. Et c'était sans doute de là que venait ta grande méfiance, de ta peur profonde de d'attacher aux autres et donc de prendre le risque de souffrir. Tu avais appris à avancer seul, à ne compter que sur toi. Toi et seulement toi. « J'ai appris à vivre seul, à avancer sans l'aide de personne. J'ai fait bien trop confiance auparavant, et dieu sait à quel point j'ai été con. » Finis-tu par dire machinalement, sans te soucier de l'impact de tes paroles. « Mais si t'en as besoin, tu peux te reposer sur moi, sans craindre quoique ce soit... » Dis-tu, dans un souffle, inconscient de ce que tu lui proposais. Tu savais sans doute à quel point c'était dur d'avancer seul, et tu ne souhaitais ça à personne, même pas à ton pire ennemi. Cette fille te touchait, elle te ressemblait beaucoup. On avait beau être totalement libre, mais aucun homme n'était capable de supporter tout seul les aléas de la vie.

C'était incroyable d'observer qu'en l'espace d'une fraction de seconde, la belle brune avait largement détourné tes plans, te faisant inconsciemment redevenir le gars au bon fond, le Levi altruiste qui sommeillait en toi. C'était comme si cette certaine fascination que tu avais pour elle te faisait perdre tout contrôle, comme si chaque geste, chaque parole dont tu avais pourtant mûrement réfléchi s'envolait pour faire place à des paroles bien plus spontanées, libres de toute pensée préalablement conçue. Tu te plaisais à penser que tu n'avais pas besoin de jouer ce rôle qui pesait parfois sur tes épaules avec elle. Tu pouvais juste être toi, ce qui ne t'était pas arrivé depuis un temps qui te semblait frôler l'éternité. Ça pouvait paraître anodin dit comme ça, mais ça ne l'était pas pour toi. Tu étais persuadé d'avoir oublié comment entretenir une relation humaine avec quelqu'un avant cette soirée, mais semble-t-il que tu n'étais pas si égoïste que tu le prétendais. C'était naturellement ancré au fond de toi, comme une marque indélébile qui te rendait humain, comme une preuve gardée que tu n'étais pas un enfoiré sans sentiments. Et si au premier abord ça pouvait te faire complètement flipper, tu finissais par en être soulagé. Bon nombre de fois tu te demandais comment t'avais pu en arriver là, à devenir cet être que tu avais pourtant détesté et dénigré il y a des années de cela. L'homme pouvait-il avoir peur au point de devenir l'exact opposé de ce qu'il souhaitait être ? Ton histoire était la réponse à cette question : oui. Tu en étais arrivé à un point de non retour, où la réflexion et le bon sens ne primaient plus sur le reste, où seul le mot agir résonnait infernalement en boucle, quitte à le faire de n'importe quelle façon possible.

« Je crois que le plus dur, c'est de se rendre compte qu'on a inévitablement besoin d'aide, à un moment ou un autre de notre vie. Peu importe que ce moment soit extrêmement court et n'arrive qu'une fois. » C'était là le creux du problème. Tu pensais régler tes problèmes en prenant constamment la fuite, allant à accepter l'impensable ou même à changer de continent, profondément convaincu que tout rentrerait dans l'ordre. « Je me convaincs sans arrêt du contraire, me persuadant que je finirais par y arriver tout seul, d'une manière ou d'une autre, comme je l'ai toujours fait. J'me voile peut-être la face, sûrement même, mais j'peux juste pas faire autrement. » Chaque parole que tu prononçais te laissait un goût amer en bouche, raclant ta gorge à leur passage, te frappant de plein fouet parce-que tu savais que tu avais terriblement tort. Personne ne pouvait y arriver seul, c'était statistiquement impossible. Et pourtant, ça faisait quelques années que tu te tentais de te persuader du contraire, voulant défier les lois de la logique. « Et toi, sur qui te reposeras-tu ? » Tu avais senti sa main se défaire de la tienne, te laissant toujours cette sensation agréable de chaleur au creux de la paume. Tes yeux se perdirent dans les siens, rencontrant cette douceur que tu n'avais jusqu'alors pas le moindre instant soupçonné depuis le début de la soirée. « J'sais pas encore, j'improviserai. J'suis capable de nous porter, tous les deux. » Finis-tu par murmurer, sur un ton presque convaincant. Tu voulais prouver au monde entier que tu n'avais besoin de personne, que tes épaules étaient assez larges pour supporter n'importe quelle difficulté qui se mettrait en travers de ton chemin tristement parsemé d'embûches. Pourtant, tu venais de proposer à cette parfaite inconnue de laisser sa carapace de côté, l'espace d'un instant, pour qu'elle prenne appui sur toi dans le but de laisser son esprit vagabonder autant que ça l'enchantait, pendant un moment dénué de toute superficialité. Ça pouvait paraître fou pour quelqu'un d'aussi méfiant que toi, mais tu voulais qu'elle te fasse confiance. « J'veux pas que tu me craignes. » Répliquas-tu, dans un chuchotement tout juste audible, comme si tu ne voulais pas briser ce doux silence qui ornait cette nuit décidément somptueuse.