Look at her with her eyes like a flame. † Levi

Ironique, que le cours de la soirée ai terminé ainsi, avec eux deux couchés au milieu de nulle part, entre les blocs de maisons endormies peuplées de gens respectables. D'un autre côté, c'était cette imprévisibilité qu'Effy adorait. Elle n'irait pas jusqu'à dire qu'elle était une aventurière, mais les situations improbables et les changements de plan de dernière minute ne l'effrayaient pas le moins du monde. D'ailleurs, elle n'avait pas de plan. À part celui de se faire fondre le cerveau pour échapper à ses démons, et de plonger dans une fausse euphorie que lui faisait miroiter la vie.

« On est deux. »

Répondit la jeune fille quand Levi lui confia que pour lui aussi, l'idée de s'accrocher aux autres pour s'en tirer le long du fleuve de son existence était une idée rebutante. Ils savaient tous les deux que ce n'était pas par manque de confiance envers les gens qu'ils agissaient ainsi. C'était parce que peu importe à quel point une personne peut vous aider, elle pouvait disparaître à tout moment, même contre sa volonté. Les choses et les gens changent. C'est plus facile d'avancer seul, pour un temps en tout cas. On se sentait incroyablement libre. Même quand les gens pensaient que vous aviez besoin d'eux, parce qu'il vous arrive de le leur faire croire, au final vous restiez seul à l'intérieur de vous-même. Besoin de personne. Libre de s'envoler. De faire ce que vous vouliez. C'était sans doute incroyablement égoïste de penser ainsi, pourtant ce n'était pas l'intention. Vous couriez juste après une chimère dont vous saviez qu'elle n'existait pas, mais vous vous auto-persuadez que si. Parce que que pourriez-vous faire d'autre ?

« Tu n'en sais rien, tu n'as aucune idée du poids de ce que j'ai dans la tête. Tu devrais faire plus attention. Je te l'ai dit, je détruis tout ce que je touche. »

Rappela l'étudiante sans lâcher Levi du regard. Il ne savait pas dans quoi il s'embarquait. Elle ne voulait pas de promesse de sa part, elle ne lui demandait rien. Les gens ne devraient pas faire de promesses qu'ils ne sauraient pas tenir à l'avenir, même si eux ne le savaient pas encore. Elle, elle savait. C'était triste, mais c'était comme ça. Et pourtant, avec ce jeune homme aux cheveux couleur de miel, elle était prête à essayer. À se forcer à le croire, même si au fond elle était intimement persuadée du contraire. À faire semblant qu'il serait toujours là si elle avait besoin, toujours capable de faire office de soutien. Alors qu'elle, elle n'avait rien à lui offrir. Oh, elle aurait pu lui dire que c'était réciproque. Mais Effy était déjà tellement terrorisée par ce qui se passait à l'intérieur d'elle, qu'elle ne pouvait promettre quoi que ce soit quant aux autres. Inutile de mentir, autant ne rien dire.

« Oh, je n'ai pas peur de toi. C'est de moi que je me méfie. »

Répliqua Effy avec ce petit sourire en coin énigmatique et indéchiffrable qui était le sien, d'une voix légère et détachée. Son murmure s'envola dans la nuit comme un aveu. Effy n'avait pas peur des autres, elle n'avait peur de rien, du moins c'est ce dont elle se persuadait. Elle n'avait pas froid aux yeux, voilà tout. Mais elle était incapable de se battre contre elle-même. De gérer ses angoisses, son cœur tordu et son instabilité maladive. Elle se rapprocha un peu plus de Levi, jusqu'à ce que leurs bras allongés sur l'herbe se frôlent, et se perdit à nouveau dans l'océan d'étoiles. La respiration tranquille et apaisée.

Un sourire malicieux égaya le visage de la jeune fille comme toute réponse à la question rhétorique de Levi. Elle pouvait entrevoir cet esprit curieux et aventurier qui l'habitait. Cet air de "ne me teste pas, je vais relever le défi". Parce que oui, il semblait prêt à pouvoir relever tous les défis, tout simplement parce qu'il avait suffisamment de volonté pour le faire. Et cela frôlait sans doute parfois la témérité, comme tout à l'heure quand il l'avait défendue face à l'autre idiot un peu trop imbibé d'alcool. Foncer la tête la première tout en sachant que ce qu'on risque de découvrir ne va pas forcément être plaisant. Cela faisait sourire Effy.

« Je ne t'empêcherai pas de le prendre. »

Répondit la jolie brune dans un souffle, une petite note enjouée animant sa voix, comme si elle souriait à l'idée d'une blague qu'elle seule pouvait comprendre. C'était vrai, elle n'avait pas une telle volonté. Si les gens venaient à elle, elle laissait faire. S'ils ne venaient pas, elle ne s'en plaignait pas non plus. C'était déjà inhabituel qu'elle s'ouvre ainsi à un inconnu, jusqu'à le mettre en garde.

Le silence retomba sur leurs deux âmes s'aventurant dans l'immensité étoilée, de l'étoile du Nord jusqu'à la Grande Ourse, de la Ceinture d'Orion à la constellation du Cygne. Mais ça n'avait rien de dérangeant ou de troublant. Pour une fois, Effy se sentait dans un havre de paix. Ça ne durerait pas, elle en était consciente, mais c'était déjà bien de se voir offrir cet instant. C'était bien moins tragique que de passer ses nuits entre cachets magiques et alcool. La jeune femme perdait la notion du temps, ou disons plutôt qu'elle s'en moquait. Néanmoins, au bout d'un moment, ce qui pouvait signifier cinq minutes comme peut-être trente, elle se releva, dérangeant d'un bruissement l'absence de bruit qui régnait depuis ce temps.

« Je n'ai pas envie de rentrer seule. Tu m'accompagnes ? »

Reprit Effy, d'une voix plus claire et assurée que leurs chuchotements de tout à l'heure. Comme si cette pause allongée dans l'herbe l'avait revigorée, et que maintenant elle était forcée de s'en aller. Sa demande n'avait rien d'une provocation pleine de sous-entendus, encore moins d'une supplication. Aucune anxiété ne tendait ses traits fins tandis qu'elle s'allumait une cigarette avec des gestes décontractés, pour enfin tourner vers Levi un regard interrogateur. Certaines n'auraient sans doute pas osé faire une demande aussi directe à un inconnu, de peur qu'il s'imagine des choses, ou que justement il ne se les imagine pas, ou parce que c'était déplacé, ou pour une multitude d'autres raisons. Effy ne réfléchissait pas à ce qu'il pouvait bien se dire. Elle ne voulait pas marcher seule jusqu'à la résidence universitaire, alors elle avait demandé sans tourner autour du pot, voilà tout.

C'était sans doute une de ces nuits où Effy parvenait à dominer ses démons avec autre chose qu'une ivresse totale mêlée à la musique ensorcelante d'une boîte de nuit. Ou bien se tenaient-ils juste tranquille. Parfois elle avait la paix pendant une longue période. Dans ces moments, elle n'avait pas forcément plus l'impression qu'elle avait sa place légitime parmi les autres. Mais c'était un répit, où elle retrouvait le goût de vivre, vivre vraiment. De faire les choses comme tout le monde, sans pour autant en perdre son caractère un brin insolent et audacieux. Des moments où elle n'avait plus peur, comme ce soir. Elle sentait que la présence de Levi y était pour quelque chose, même si elle essayait de se convaincre du contraire. Pourtant c'était plus facile, incroyablement plus facile. Elle se sentait elle-même et en sécurité à la fois. Un peu détraquée, un peu brisée comme toujours, mais en vie, sans avoir besoin d'artifices. Ce soir, elle caressait du bout des doigts cette quiétude que chacun cherchait au fond de lui.

« Tu devrais aller faire soigner tout ça. »

Remarqua la jeune fille tout en marchant, désignant le visage du jeune homme. Après tout, il avait pris les coups pour elle. Bien qu'elle n'ait rien demandé et que le sentiment de culpabilité n'allait pas l'éteindre pour ça, elle n'avait tout de même pas envie qu'il souffre de blessures juste parce qu'elle s'était retrouvée en difficulté, pauvre idiote qu'elle était. Le campus ne se trouvait pas très loin du centre-ville, il fallait tout de même marcher un moment, un peu plus d'une dizaine de minutes sans doute, mais ce n'était pas la mer à boire et Effy faisait régulièrement le trajet à pied. N'empêche, il était bien gentil de l'accompagner. Elle fumait sa dernière cigarette de la soirée tranquillement, tandis que leur pas résonnaient dans la nuit noire. Toute seule, elle aurait sans doute craint le retour des ses angoisses et serait arrivée chez elle en sueur. Ici, elle serait tranquille jusqu'à la porte, et n'aurait plus qu'à se glisser sous les draps pour laisser la fatigue qui commençait à la tirailler l'entraîner dans les bras de Morphée. Levi faisait office de barrière contre ses angoisses, sans qu'elle ne sache trop comment ni pourquoi. Il n'en avait sûrement pas conscience, et Eff' n'était pas du genre à dire ces choses-là, mais c'était le cas.

Après une marche silencieuse et pourtant parfaitement détendue, ils atteignirent enfin les résidences qui jouxtaient le campus. La jeune fille termina sa cigarette et s'arrêta devant la porte du bâtiment où se trouvait la chambre qu'elle occupait, parmi tant d'autres étudiants qui ne disposaient pas d'un appartement. Elle-même ne s'en plaignait pas, une chambre à l'université, c'était pas la mer à boire, de toute manière elle y faisait quand même ce qu'elle voulait. Eff' se tourna vers Levi, plantant son regard pétillant dans le sien avec un sourire en coin discret. Cette fin de soirée imprévue avait était plus agréable que si elle était restée dans ce bar. Un instant, la brunette conserva ses iris bleu océan vrillés dans ceux du jeune homme sans rien dire. Elle allait pouvoir dormir tranquillement, sans craindre la moindre panique. La fatigue engourdissait déjà ses jambes et son esprit. Finalement, elle posa ses lèvres sur celles de Levi. Sans hésitation. Sans même trop savoir pourquoi. Parce que voilà. C'était fait. Parce qu'elle n'en avait rien à foutre qu'il y ai encore des traces de sang sur son visage. Ni qu'ils venaient de se rencontrer et ne connaissaient pratiquement rien de l'autre. Elle en savait suffisamment sur cette soirée. Et puis trop tard, c'était fait.

On pouvait bien penser ce qu'on voulait, son geste n'était absolument pas prémédité. C'était ainsi qu'Effy vivait la plupart du temps, sans rien prévoir. Improviser, se laisser porter par ses envies immédiates sans penser au lendemain. Quand elle prenait des décisions, c'était très souvent en dernière minute. Quoi de plus important que de satisfaire son bonheur immédiat ? Si ça faisait mal plus tard, tant pis, c'était plus tard. Plus tard, c'est pas grave. C'est maintenant qui compte.

Effy laissa ses sens frissonner de perceptions durant leur échange, tandis qu'elle découvrait les lèvres de Levi, avec lenteur et retenue. Cela n'avait rien d'un baiser passionné et langoureux. C'était plus réservé et doux que ça, comme si ça rendait cette étreinte plus sensée. La jolie brune sentit des flammes imaginaires lécher sa peau et une parcelle de bien-être s'injecter dans ses veines. C'était simple, inattendu et délicat, mais en rien ça ne les mettait mal à l'aise. Effy recula de quelques centimètres et rouvrit les yeux, le bleu de ses iris brillant comme jamais pour emprisonner ceux du jeune homme. Elle garda son regard rivé dans le sien quelques secondes, avant de lever les yeux vers le ciel étoilé.

« Les étoiles sont très belles ce soir. C'était bien. »

Murmura-t-elle à l'attention de Levi, avant de le regarder à nouveau et de lui adresser un très léger sourire qui éclaira son visage aux traits fins. Elle avait passé un bon moment et elle ne regrettait rien. Si pour certains, le moment qu'ils avaient passé ensemble n'avait aucun sens, pour elle ça en avait. C'était agréable, léger, adoucissant comme un analgésique. Elle ne savait pas si un moment pareil allait se reproduire. Elle savait qu'aujourd'hui, les choses allaient bien. Qu'elle allait pouvoir sombrer dans un sommeil sans cauchemars, sans la moindre inquiétude. Et demain, ce serait demain. C'était plus tard, c'était pas important.

La jeune femme poussa la porte du bâtiment, laissant son regard caresser Levi une dernière fois, ce mince sourire indéchiffrable flottant sur les lèvres, puis disparut dans le bâtiment, se fondant dans la pénombre et le silence des lieux, rejoignant la porte de sa chambre deux étages plus haut, son pas léger sur la moquette nue.

[ End ? ]