For Blue Skies + Naveen & Fleur

Fleur ne pouvait nier à cette réflexion de la part de Naveen. La souffrance ne se mesure pas et ne se compare pas.

- C'est gentil de votre part, Naveen. lui dit-elle avec un sourire timide. Naveen, Naveen, répéta-t-elle ensuite très pensive. J'aime beaucoup ce prénom.

Elle n'en rencontrerait sûrement aucun d'autre dans sa vie et elle pense qu'à présent il lui sera moins étranger lorsqu'elle le recroiserait. Du moins c'est ce qu'elle espérait. Fleur avait beaucoup apprécié sa présence et davantage ses paroles réconfortantes. Elle aimait beaucoup sa façon de penser.

- Je ne sais pas comment vous remercier. Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous? Avez-vous besoin d'aide pour quoi que ce soit? lui proposa-t-elle.

Etant donné qu'il est arrivé à Bowen depuis seulement trois mois, une aide serait la bienvenue. Peut-être n'était-il pas encore bien installé. Il ne connaissait peut-être pas très bien les coins et recoins de la ville. En tout cas Fleur était prête à s'investir pour lui rendre service. Même si elle n'était pas très bricoleuse, elle connaissait Bowen comme le fond de sa poche.

Après l’avoir remercié, Fleur répéta plusieurs fois son prénom, à Naveen, ce qui le fit sourire, et même rire. Doucement, tout doucement, ce son joyeux s’était échappé d’entre ses lèvres, parce qu’il était amusé par la réflexion de la jeune femme, même si cela était innocent et pensif. On n’avait pas prononcé son prénom aussi souvent depuis bien longtemps. Ça lui faisait même étrange de l’entendre à voix haute, comme ça. Comme s’il n’existait plus, plus vraiment. Là, elle le refaisait vivre, en quelque sorte. Elle le sortait de cette pesante solitude. « Merci. J’apprendrai à prononcer un peu mieux le vôtre, et ensuite, je pourrai aussi le laisser bercer mes oreilles. » Il la regarda avec un sourire timide avant de baisser les yeux. Fleur, ce doux mot français, ne sortait pas encore de manière fluide de sa bouche. La jeune femme lui demanda alors si elle pouvait faire quoi que ce soit pour lui, pour l’aider. C’était une belle proposition, avec de vastes possibilités. Il avait déjà Cleo qui l’aidait à s’installer, qui lui avait permis de garnir son nouvel appartement, de connaître un peu mieux Bowen, de se trouver un emploi, mais Naveen ne pourrait pas constamment se reposer sur elle, sur cette seule amitié. Il hésita, un moment, avant de déclarer : « Si nous nous recroisons, un jour … peut-être que nous pourrions discuter encore. Autour d’un thé, d’un café ou d’un repas … » Avoir de la compagnie, c’était surtout de ça, dont Naveen avait besoin.  

Le prénom « Naveen » sonnait bien plus joliment que le prénom « Fleur ». En aucun cas elle ne lui en voulait d’écorcher son nom. Fleur avait l’habitude de la difficulté de prononciation pour les anglophones. Cependant, Naveen avait un accent plus chantonnant.  

- Vous vous débrouillez bien, certifia Fleur qui voulait le rassurer.

Il avait encore du temps pour s’adapter et puis même ainsi, il arrivait à se faire comprendre. Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’avait pas besoin d’aide pour tout autre chose. Fleur proposait ses services, bien qu’elle n’ait rien d’extraordinaire à offrir. Naveen suggéra une discussion autour d’un café et elle comprit alors que Naveen avait surtout besoin de compagnie.

- Avec plaisir. Si vous me cherchez, je suis souvent à la bibliothèque. Et au café qui est face d’ailleurs. On peut s’échanger nos numéros ?

Après tout, cet homme lui sauvait quasi la vie. Il n’était qu’un inconnu jusqu’alors mais sa rencontre avait changé sa vision des choses. Elle lui en était reconnaissante. En effet grâce à lui elle prit conscience qu’elle devait se battre contre son cancer. Et surtout, Fleur comprit qu’elle devait l’annoncer à ses proches. Évidement elle pensa d’abord à Maxwell, qu’elle aimait plus que tout. Il sera le premier à qui elle voulait partager cette terrible nouvelle.

Naveen esquissa un sourire. Elle était douée, Fleur, pour faire en sorte qu’il ne se sente pas à part, qu’il ne se sente pas de trop et différent. Elle arrivait à lui faire croire qu’il avait une certaine place, ici, au fond. Même si pour le moment il n’avait vu que le contraire, même si jusqu’à présent il avait eu du mal à voir une maison en cette ville, Fleur lui montrait aujourd’hui que le temps ferait son travail. À coup de rencontres comme celle-ci et de familiarisation avec l’endroit, sans doute parviendrait-il à apprécier cette nouvelle vie qu’on lui avait offerte. « Merci. » Répondit tout simplement Naveen quand son interlocutrice lui assura qu’il se débrouillait bien dans la prononciation de son prénom. Comme si elle désirait s’assurer qu’il arrivait également à se débrouiller dans les autres sphères de sa vie, la brunette lui demanda alors s’il avait besoin d’aide pour quoi que ce soit. D’une manière sans doute un peu maladroite, Naveen tenta de lui faire comprendre que ce qui lui manquait par-dessus tout, ici, c’était la présence humaine et le contact avec l’autre. Chez lui, il vivait avec sa famille ainsi que celle de son frère, il était habitué à une demeure mouvementée, et il était aussi habitué de sortir dans les rues et de s’arrêter à tous les coins de rue pour prendre des nouvelles d’un autre. Ici, Naveen ne croisait que des visages qui lui étaient étrangers. Ça ferait du bien, pour une fois, de pouvoir reconnaître quelqu’un. À son plus grand soulagement, Fleur accepta. « Oui, nous pouvons ! » Heureusement, il avait maintenant un téléphone portable pour faciliter ses déplacements en tant que chauffeur de taxi. À son arrivée, ça n’avait pas été une priorité pour Naveen, que d’acheter un appareil lui permettant de rejoindre d’autres personnes, puisque d’autres personnes, il n’en avait pas. Fleur serait d’ailleurs le second numéro qu’il rentrerait, après celui de Cleo. « Tenez, vous pouvez rentrer votre numéro. » Il lui tendit son téléphone, aucunement un dernier modèle ou quoi que ce soit de classe, mais en autant qu’il remplissait ses fonctions !  

Fleur essayait de faire preuve d'empathie. À la place de Naveen, elle aussi aurait aimé que quelqu'un lui tende la main pour une quelconque manière. Elle n'avait rien de spécial à offrir, seulement sa compagnie. Dans le but de se revoir, elle lui suggéra de s'échanger leur numéro. Naveen lui tendit son portable, puis elle tapota les chiffres sur le clavier. Elle prit l'initiative de se nommer 《 Fleur 》 dans son répertoire. Avec un prénom si peu commun, du moins sur ce territoire, elle sait qu'il ne risquait pas d'avoir de doublon.

- Voilà.

Elle lui rendit son portable. À son tour elle lui tendit son propre portable pour qu'il lui donne son numéro. Il sera sans nul doute le premier, l'unique et le dernier Naveen de son répertoire téléphonique.

- À la prochaine, Naveen. Et... Merci.

Une expression de gratitude s'afficha sur son visage et c'est ainsi que Fleur prit congé en quittant la plage. Cette rencontre l'avait aidé à se remettre en question.

Gardant le silence, Naveen regarda Fleur taper sur le clavier tactile de son téléphone portable, son numéro de téléphone puis son prénom. Un sourire s’installa sur ses lèvres pour ne plus les quitter alors que la jeune femme lui rendait l’appareil. « Merci. » Elle lui donna à son tour le sien, aux mêmes fins. Naveen chercha l’onglet des contacts, ne rentra que son prénom ainsi que son propre numéro de téléphone qu’il n’avait pas mis de temps à apprendre par cœur, puisque c’était une des rares choses qui lui appartenait, qui faisait de lui quelqu’un d’autre qu’un simple numéro dans les données du gouvernement sur l’immigration. Il rendit son téléphone à Fleur. « Et voilà. » Répéta-t-il, reprenant les paroles de la jeune femme. Cette dernière se leva, lui affirmant cette phrase que Naveen n’entendait plus maintenant qu’il ne faisait que laisser rentrer des gens dans sa vie pour mieux les regarder partir ensuite, sans s’attacher, sans créer de lien. À la prochaine, douces paroles qui laissaient croire qu’une relation venait de naître, peu importe quelles dimensions elle prendrait. Peu importe combien de temps elle durerait, vu l'état de santé de Fleur. Naveen se sentait un peu moins seul, déjà. Il hocha la tête à son remerciement, toujours le mince sourire au visage. « Merci à vous, Fleur. À la prochaine. » De le dire lui-même rendait le tout encore plus concret, encore plus réel. Il la regarda partir de la plage, le temps de quelques secondes, avant de reporter son attention sur l’océan. Il n’y resta qu’une dizaine de minutes de plus avant de prendre à son tour congé de la plage.

TERMINÉ