sleeping trees (henri) (hot)

Laisser faire les choses, c’était bien ce qui me semblait le plus simple pour le moment. J’avais besoin de me reconstruire avant tout, avant d’être en mesure d’offrir à quelqu’un d’autre un part de moi. Les moments passés avec Ally étaient agréables, et je ne voulais rien gâcher en précipitant les choses. Elle aussi, avait du pain sur la planche, entre son fils et la succession de sa mère, elle avait sans doute bien mieux à penser même si je voulais bien admettre que nos petits intermèdes charnels lui changeaient les idées. J’en étais ravi mais il était encore un peu tôt pour qu’on se promette le toujours. Sa question me fit sourire. Souhaitait-elle me dire, de manière détournée qu’elle voulait me voir rester ? L’idée n’était pas déplaisante.
— J’ai du travail, je dois plancher sur un contrat pour une de mes autrices, mais rien ne presse. Et toi ? Tu es censé récupérer Maxwell a une heure précise ?

Il avait raison, je devais me rendre à l’évidence. Je me devais d’apprivoiser ma vie ici à Bowen avant de lui en offrir un échantillon. Ma vie n’était pas la même qu’à New York, c’était plus complexe et j’avais mon fils à gérer et son père... Et tout le décorum qu’est Bowen! Je devais retourner en Nouvelle-Zélande également. L’homme me confessait qu’il devait plancher sur un contrat. Je secouais la tête négativement avec un petit sourire. « Pas maintenant en tout cas. » J’étais bien contente que cela ne presse pas. Doucement, ma main rejoignait sa mâchoire pour la caresser et l’embrasser tendrement. « J’ai encore envie de passer du temps avec toi. » lui admis-je. « J’ai envie qu’on refasse le monde avec encore plus de vin. » lui dis-je presque sagement. « Ça se passe comment avec ton frère, d’ailleurs? »

Etre étendu dans l’herbe, nu, aux côtés d’Ally avait quelque chose de très agréable. Je savourai l’instant. J’avais envie de plus avec elle, j’avais envie de la soutenir dans tout ce qu’elle entreprenait, de l’épauler. J’avais envie d’être là, mais la peur de gâcher une belle histoire en précipitant les choses, m’immobilisait un peu. C’était con. Mais la prudence avait toujours fait partie de ma personnalité.
— Moi aussi, j’ai envie de passer du temps avec toi, Al.
C’était vrai. Il n’y avait d’ailleurs rien de plus vrai que cela. Un sourire se dessina sur mes lèvres quand elle parla de refaire le monde, avec du vin en prime. Sourire qui se tarit légèrement lorsqu’elle évoqua mon frère. Je soupirai doucement, en regardant le ciel.
— Je sais pas trop, avouai-je, Flo…fait comme si tout allait bien. Il a toujours été comme ça, d’un tempérament joyeux, pas rancunier mais…je sais pas comme il peut oublier, moi je suis bouffé de culpabilité et lui…lui il sourit comme un bienheureux.

C’était magique, instinctif, magnifique, naturel. Tout coulait doucement entre eux deux. Il me faisait vibrer, ce que je n’avais pas ressenti depuis de nombreuses années. Aucune histoire ne s’approchait du sérieux que nous avions actuellement. L’homme était prudent, moi j’étais une tête brûlée. Il devait bien avoir de la prudence pour deux, c’était mieux ainsi. Avec les années, j’avais appris à doser un peu mieux mon propre feu, mon caractère, mon essence... Mais tel un volcan en éruption, on ne pouvait jamais véritablement le voir venir. Je me blottissais tout contre lui et son frère lui créait quelques misères. Attentive, je l’écoutais. « Tu crois qu’au fond de lui il t’en veut? Ou c’est toi qui... » Je cherchais le bon mot, paranoïer n’en n’était pas un. « Qui s’inquiète un peu... plus que lui? » Aucune reproche, Ally. Aucune. Mais du talent avec les mots, il était évident que je n’étais pas une écrivaine. Ils m’échappaient tous et d’un certain côté, je n’avais pas les capacités requises. « Il profite de la vie? » demandais-je avec douceur. Peut-être que le frère d’Henri avait été comme moi, un peu insouciant de tout.

Profiter de la vie semblait un euphémisme pour Florian. Plus jeune, je lui avais un peu reprocher cela, de toujours tout prendre à la légère. Il avait un peu changé, pas foncièrement évidemment, il avait gardé son tempérament jovial, mais avait aussi acquis le sens des responsabilités, en économisant pour s’offrir le bateau de ses rêves par exemple. Malgré tout, ce n’était pas cela qui me gênait et j’éprouvai une pointe d’angoisse à l’idée d’en parler à Ally. Comment me verrait-elle après que je lui ai avouer ce que j’avais fait qui méritait que mon petit frère m’en veuille au moins un peu ? J’avais peur de cela.
— Je sais pas…non, je crois qu’il veut vraiment tourner la page et c’est peut-être moi qui me fait des idées mais j’arrive pas à passer au dessus. J’ai pas été là, Al…et j’aurais dû.
Pire que cela en réalité. Je l’avais mal jugé, je l’avais rayé de ma vie à un moment où il avait plus besoin de moi. Comment faire pour me pardonner cela ?

Je ne connaissais pas Florian, pas pour le moment à tout le moins. Il semblait inquiéter Henri, mais quelque chose me disait que c’était l’homme près de moi qui avait quelques trucs à s’inquiéter et non pas son frère. À ma question, l’homme semblait dire qu’il voulait repartir à neuf. Je hochais la tête, compréhensive. « Passer par dessus quoi exactement? » lui demandais-je tendrement en frottant son bras près du mien comme pour l’inviter à la confession. « T’as pas été là avant, mais maintenant, tu peux l’être, non? » demandais-je peut-être un peu naïvement. « T’as toujours la chance de te racheter. » Admettais-je alors en le regardant. Je croyais profondément en la rédemption.

Ally ne connaissait pas toute l’histoire, comment pouvait-elle comprendre ? Je ne le lui reprochais pas évidemment, puisque c’était moi qui avais fait le choix de me taire à ce sujet. Ca n’était clairement pas facile à aborder pour moi, même avec Ally qui me connaissait depuis plusieurs années. Étonnamment, j’étais parvenu à ma livrer à Fauve, mon amie sexologue et propriétaire de la boite LGBT Adam & Yves, le soir même de notre rencontre. Peut-être était-ce plus facile avec un inconnu. Peut-être avait moins peur de gâcher quelque chose de précieux. Je ne savais pas. Soupirant, je me redressais, pour remettre mon pantalon. La nudité ne me gênait pas particulièrement, mais je me voyais mal me livrer à ce point alors que j’étais cul nu dans le jardin de mon amie, au vu et au su de tous. Appuyant les coudes sur mes genoux, tandis que j’étais assis, je me passais une main dans les cheveux.
— J’ai…disons que j’ai douté de lui. Je l’ai cru coupable d’un truc horrible, sans chercher à savoir s’il l’était vraiment ou pas. Il se trouve qu’il ne l’était pas. J’aurais dû être le premier à le savoir.

Il était toujours plus facile de se confier à des inconnus. Henri en était une des preuves vivantes. Après tout, j’étais toujours celle qui fuyait et qui demandait des renseignements à d’autres... Je n’avais rien de bien à dire à ce propos, je ne méritais pas cette indulgence. Je regardais l’homme se rhabiller et je remettais également ma robe pour dissimuler quelques bouts de peau beaucoup trop blanche pour être au soleil. Je l’observais chercher ses mots et je sentais son malaise. L’homme poursuivait en disant qu’il avait douté de son frère. Je devenais songeuse. Je n’avais jamais eu de frère ou de sœur... Enfin, si. Une demi-sœur qui avait presque mon âge à qui je n’avais adressé qu’une dizaine de mots au total dans toute ma vie. Je faisais valser mes cheveux vers l’arrière. « Je crois pas que tu as douté. Je pense plutôt que tu t’es fié sur un jugement X provenant de toi ou de quelqu’un d’autre. » Dis-je lentement et je regardais Henri. « Et si tu cessais de parler en parabole et que tu me racontais ce qui s’est passé? » lui demandais-je avec douceur et les yeux d’un cocker. Après tout, j’étais digne de confiance et nous nous connaissions depuis belle lurette, maintenant.

Au moment où Ally évoqua cette chance qui m’était offert de me racheter, je compris que je n’en voulais pas. Inconsciemment, je pensais ne pas la mériter. Pire, je pensais, que le pardon de mon frère m’avait été accorder presque à tort, ou du moins trop rapidement. Ne devais-je pas souffrir un peu ? Payer pour ce que je lui avais fait ? Il était vrai que le tourment envahissait mon quotidien depuis des années. J’avais bien tenté de noyer le poisson, dans des eaux dorées, clinquantes. J’avais fait de ma vie un miroir enchanté, pour ne pas voir ce qui se cachait de l’autre côté. Aujourd’hui, les eaux m’apparaissaient noires, quoiqu’on me dise, quoi qu’on me pardonne. Peut-être avais-je tord de me fustiger ainsi, peut-être me coulais-je tout seul, sans voir les mains qu’on me tendait. Et pourquoi ? À cause d’un foutu sentiment de culpabilité. Ally avait raison, il fallait que je m’en libère. Et si la solution, ou du moins le premier pas, était d’en parler. Je passai mon index sur mes lèvres, puis levai le regard sur mon amie.
— Florian a été accusé d’un meurtre il y a quelques années, déballai-je, tout de go.
Je me raclai la gorge pour me donner une contenance et continuai.
— On était…fâché, pour des bêtises, depuis quelques temps déjà. On a souvent été en désaccord, depuis l’adolescence surtout. Et…j’ai pas été à la hauteur. J’ai cru…j’ai cru qu’il était coupable. Je me suis fermé, j’ai rien cherché à savoir. J’aurais dû être le premier à le défendre. Je savais au fond de moi qu’il n’était pas capable d’un truc pareil, que Florian n’était pas un meurtrier. Mais j’ai été lâche. Aujourd’hui, il est libre. Acquitté. Il s’avère qu’il était au mauvais endroit, au mauvais moment.
Je n’eus pas la force d’ajouter un mot de plus.

Spoiler:

La rancune, la rancœur et la colère nous faisaient tellement perdre d’énergie. C’était important pour moi de tout chasser ça, de me remplir d’émotions et de sentiments positifs. J’avais du temps pour mes amis, du temps pour ma famille non biologique, j’avais du temps pour les amants... et surtout j’avais du temps pour mon fils. Ce temps, il était précieux et ne devait pas être gâché inutilement. J’observais Henri passer un doigt sur ses lèvres et je garderais le secret. Florian avait été accusé d’un meurtre. Je l’observais. Je l’écoutais attentivement surtout. L’homme poursuivait et son regard ne m’affrontait plus, il avait même fuit et lentement, je m’approchais de lui pour l’enlacer avec douceur. « Tu ne le savais pas. Tu ne pouvais pas savoir non plus. » Un juge s’était aussi trompé sur le cas de son frère avais-je tenté d’apporter maladroitement avec douceur et un regard triste empli d’empathie.« Par contre, ça reste ton frère. Et je crois que tu devrais davantage te concentrer sur le moment présent. Il est libre maintenant, Florian. » Je frottais doucement sa peau du bout des doigts. « Ça pourrait être un bon moment pour reconstruire les ponts et pour voir l’avenir un jour à la fois. Qu'est-ce que tu en penses? » J’avais développé cet optimisme et je me rendais compte qu’Henri en avait peut-être besoin.

Ally, bien sur, cherchait à me déculpabiliser. Mais au fond de moi, je savais que j’avais fait une erreur. Si…j’aurais du savoir. Et d’ailleurs, je savais. Je savais que mon frère était innocent. Tout au fond de moi, j’en avais toujours eu l’intime conviction. Cela avait simplement été plus facile de céder à la peur, de me fermer comme une huitre, de faire comme si rien n’avait existé. Je le regrettai aujourd’hui, mais je ne pouvais changer le passé. J’étais venu à Bowen pour avancer, après tout. Pour aller de l’avant. Le cheminement serait peut-être long, mais j’allais y arriver.
— Un jour à la fois, ça me semble pas mal, accordai-je à mon ami. Et oui, Florian est libre, plus que jamais. Il l’a toujours été dans le fond. Même des barreaux ne serait contenir son esprit rêveur…c’est ce que j’admire le plus chez lui. Et ce qui m’agace aussi le plus…
Je ne pus m’empêcher de rire, puis je retrouvai le regard d’Ally.
— Je t’ai dis qu’il était marin ?

L’homme me disait que d’y aller un jour à la fois ne semblait pas si mal. J’esquissais un sourire en me rappelant à quel point ce n’était pas évident avec Maxwell au départ. Les heures de boire n’étaient pas toujours évidentes. J’avais l’air d’un fantôme, de l’ombre de moi-même. J’étais seule et je devais récupérer de l’accouchement. Je me souviens encore des moments où je me promettais d’y aller une seconde à la fois. J’observais Henri alors qu’il me parlait de Florian. J’esquissais un petit sourire en l’écoutant parler. « C’est souvent ce qu’on aime le plus d’une personne qu’on déteste tout autant en même temps. » Constatais-je avec un fin sourire. L’homme me confiait qu’il était marin et je secouais la tête négativement. « Je ne crois pas ou bien, je n’en ai pas souvenir. » avouais-je alors. « Quand t’étais plus jeune, ça ressemblait à quoi votre famille? » Questionnais-je, moi qui n’avait pas eu grand chose à ce niveau... Que des drames, que des trucs tristes, j’avais peut-être besoin d’un peu d’espoir, au final.

Ally n’avait pas tort quand elle affirmer que les défauts que l’on trouver chez quelqu’un pouvait aussi se révéler leur plus belle qualité à nos yeux. C’était d’autant plus vrai pour Florian, j’admirais son âme aventurier et libre autant qu’elle me faisait grincer des dents. Mais j’aimais mon frère, tout court, et profondément. La famille était primordiale pour moi, même si mon mode de vie new-yorkais m’avait demandé d’en faire parfois le sacrifice, il ne se passait pas une semaine sans que je ne téléphone à mes parents. Il m’arrivait même de venir passer le week-end quand je vivais sur la Grosse Pomme, ce qui allait se révélé un peu plus compliqué maintenant que j’avais décidé de m’établir en Australie. Le Canada, ça n’était pas tout près.
— On était une famille unie, racontai-je à Ally lorsqu’elle chercha à savoir quelle genre de famille nous étions avant, Flo et moi quasiment inséparables, jusqu’à l’adolescence du moi où nos caractères se sont affirmé et confronté. Mais nous avons eu une famille heureuse. Ma mère, d’ailleurs, est persuadé que rien n’a changé, j’aimerais avoir son optimisme.

Henri me parlait de son frère et je l'écoutais d'une oreille attentive. Il était près de sa famille et je trouvais le tout merveilleux, je l'enviais presque pour être honnête. Sa famille unie, son frère, il avait presque une vie à faire rêver! Les deux frères étaient inséparables et ça m'arrachait un sourire. " Les mères souhaitent ce qu'il y a de mieux pour leurs enfants. " C'était vrai, quitte à vivre un rêve magique et irréel. Et j'étais une mère, je savais bien de quoi il en retournait. Moi la première, j'allais devoir piler sur mon orgueil mal placé pour voir le père de mon fils. Cela m'angoissait bien plus que je le laissais voir. Max était essentiel à ma vie et je ne pouvais pas laisser Concho en dehors de sa vie éternellement. Je me rhabillais peu à peu le froid me faisait frissonner.

Je souris d’entendre Ally dire qu’une mère souhaitait toujours le meilleur pour son enfant. Je la voyais agir avec son fils, quasiment depuis que le petit était né, ou presque, et je pouvais en effet témoigner du fait qu’elle était prête à tout donner pour le bien-être et le bonheur de son petit garçon. Je la regardai se rhabiller puis me relevai. Je m’approchai d’elle et vins embrasser ses cheveux.
— Merci pour ce moment Ally.
J’aimais passer du temps avec elle, et pas uniquement pour les intermèdes charnelles que nous nous accordions depuis le début de notre relation. J’appréciais de discuter avec elle, et aujourd’hui ne fit pas exception.
— Je t’appelle, d’accord ? On se voit bientôt. Tu embrasses Max pour moi ?
Je la pris dans mes bras, inspirai longuement son parfum puis me dirigeai vers le petit portail qui donnait sur la rue.

Spoiler: